Intervention de Pierre Moscovici

Séance en hémicycle du 5 juin 2013 à 15h00
Séparation et régulation des activités bancaires — Présentation

Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire, madame la rapporteure de la commission des finances, mesdames, messieurs les députés, je souhaite, tout d'abord, vous dire mon plaisir et ma fierté, alors que s'ouvre la deuxième lecture du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires.

Plaisir et fierté sur le fond, tout d'abord, car je suis, en effet, convaincu que, je l'espère, vous allez voter, va redessiner un paysage bancaire à la fois plus stable et plus éthique au service de la croissance et de l'économie réelle. C'est la juste place de la finance, sa juste mission : avec ce projet de loi, nous veillons ensemble à ce qu'elle la remplisse.

Plaisir et fierté sur la forme, aussi, car, sur ce texte, je crois pouvoir affirmer, et plusieurs d'entre vous m'ont fait l'amitié de le reconnaître, le Gouvernement et la représentation nationale ont travaillé main dans la main, ont véritablement fait oeuvre de coproduction et l'écoute et l'échange ont été exemplaires. La qualité du projet de loi que vous examinez, aujourd'hui, en est la résultante directe. Ce texte est, en réalité, largement le vôtre, mesdames, messieurs les députés, même si le Gouvernement y a, bien sûr, pris toute sa part.

Plaisir et fierté sur la méthode, enfin, parce que j'ai tenu, à chaque étape, à faire systématiquement le lien entre nos travaux, en France, et les travaux au niveau européen qui avançaient en parallèle, souvent sous impulsion française. Cette articulation fine permet à la France de faire preuve de leadership auprès de ses partenaires, tout en préservant la compétitivité de son économie. J'ai, en effet, toujours eu, au cours de ces discussions, le souci de veiller à ce que notre économie soit compétitive. C'est donc à la fois avec confiance, et aussi avec quelque impatience, que j'entame avec vous cette deuxième lecture du projet.

Je voudrais, tout d'abord, revenir très brièvement sur les principaux axes structurants de ce que je vois comme une grande réforme. Mon objectif depuis un an, au niveau national et au niveau européen, c'est de mettre la finance au service de la croissance. Cet objectif se décline, dans le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, autour de trois principes : stabilité financière, soutien à la croissance, justice.

Premier des grands axes de ce projet de loi : la stabilité financière ou, pour le dire autrement, la maîtrise des risques financiers. C'est, bien sûr, l'objectif de la séparation des activités, avec la mise en quarantaine dans une filiale des activités spéculatives que la banque mène pour compte propre, c'est-à-dire – sans la loi – au risque des dépôts de ses clients. La maison mère, je le rappelle, ne pourra pas davantage financer cette filiale en cas de difficulté, quitte à la condamner. Vous vous souvenez que, si nous avons choisi, avec ce texte, d'isoler spécifiquement ces activités, c'est parce que ce sont elles qui ont concentré le gros des pertes que les banques françaises ont essuyé sur les marchés pendant la crise. Le cantonnement – utilisons ce mot – protégera la maison mère et ses clients et empêchera que les activités pour compte propre ne retrouvent leur niveau d'avant la crise, lorsqu'elles menaçaient la stabilité financière.

Autre axe clé du projet pour prévenir l'instabilité financière : la prévention et le contrôle du risque systémique. Le texte propose, sur ce point, un ensemble très concret et très complet d'avancées. Je citerai, tout d'abord, le renforcement des structures et des compétences de l'Autorité de contrôle prudentiel qui devient Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Il y a surtout l'obligation, pour chaque établissement, de se doter d'un « plan préventif de résolution ». Qu'est-ce qu'un plan de résolution ? On peut le concevoir un peu comme un plan d'évacuation d'un bâtiment dans lequel un incendie se serait déclaré. Avec un plan d'évacuation incendie, on doit pouvoir répondre à des questions comme : « Que faut-il sauver ; où cela se trouve-t-il ? » – il faut, bien sûr, tout sauver ; « Comment organiser une évacuation relativement ordonnée et éviter le chaos ? » ; enfin, « Comment faciliter l'intervention des pompiers ? ». Un plan de résolution répond peu ou prou aux mêmes questions. Les avancées qu'il représente pour la stabilité du système bancaire français sont évidentes. J'évoquerai également la création d'une nouvelle autorité, le Haut conseil de stabilité financière qui sera doté de vrais pouvoirs d'intervention, ce qui manque énormément aujourd'hui dans le paysage, avec une double mission : la prévention et la surveillance des risques systémiques. Dernier aspect, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution pourra interdire à un établissement la poursuite d'activités présentant des risques excessifs, soit pour lui-même soit pour le reste du système bancaire et financier. Il s'agit, en effet, de prévenir le risque individuel pour un établissement et le risque systémique. Voilà pour le volet « stabilité financière ».

Le deuxième volet de ce projet, c'est le soutien à la croissance. Il convient d'en avoir conscience : le secteur bancaire joue un rôle important pour le financement de l'économie – et je le dis sans aucune connotation idéologique –, pour l'appui aux décisions d'investissement des entreprises ou de consommation des ménages, composantes essentielles d'une croissance aujourd'hui atone. J'ajouterai qu'il doit jouer un rôle encore plus fondamental dans le financement de l'économie. Je souhaite que nos entreprises puissent continuer à trouver et trouvent davantage encore, demain, auprès du secteur bancaire les possibilités de financement dont elles ont besoin pour investir et se développer. C'est la raison pour laquelle j'ai fait le choix, assumé, de préserver le modèle français de banque universelle. Nous en avons traité, ici, pendant de nombreuses heures. Quand je dis que j'ai fait le choix de préserver le modèle français, je ne parle pas de le conserver en l'état, mais de le préserver en le réformant.

Dernière ligne de force qui traverse ce projet : la justice. Ce principe clé qui se cache derrière le volet « résolution » du texte, prévoit que l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution puisse faire peser les pertes d'une banque sur ses actionnaires et sur certains créanciers, plutôt que sur les épargnants ou les contribuables. Il s'agit de mettre un terme à cette étrange socialisation des pertes des banques en faillite en imputant d'abord les risques excessifs à ceux qui les ont pris, au lieu de le faire porter par la collectivité, selon le principe que j'ai énoncé, ici : « qui faute paie ». La justice, c'est également la boussole qui guide les dispositions du projet dans son volet « banque de détail ». Cela concerne, en particulier, les dispositions, que vous avez beaucoup améliorées, mesdames, messieurs les députés, qui protègent les clientèles, de l'encadrement des commissions d'intervention à l'amélioration de la procédure du droit au compte. La justice, enfin, c'est lutter contre tout ce qui sape l'équité dans les efforts que chacun doit consentir pour le redressement de l'économie du pays et, en particulier, son redressement budgétaire. Je pense à l'opacité financière, à l'évasion fiscale, au blanchiment d'argent. Parce qu'ils s'attaquent à la capacité des États à recouvrer l'impôt, parce qu'ils hypothèquent nos efforts de redressement des comptes en permettant à certains de s'y soustraire, ils doivent être combattus avec détermination. Avant de me rendre ici, j'ai participé, avec la garde des sceaux et avec le ministre délégué chargé du budget, à une réunion de la commission des lois qui examine le projet de loi de lutte contre la fraude fiscale. C'est, en réalité, un complément du texte dont nous discutons aujourd'hui. Le secteur bancaire doit, bien sûr, participer à cet effort, et c'est le sens des dispositions extrêmement ambitieuses issues de la première lecture sur la transparence pays par pays. Ces dispositions résultent, pour l'essentiel, des amendements proposés par des groupes Écologiste et SRC.

Stabilité, croissance, justice, telles sont les trois lignes de force du projet de loi.

Puisque nous examinons ce projet de loi en deuxième lecture, je veux à présent rapidement rappeler dans quel esprit la Chambre haute a mené ses travaux.

Vous vous en souvenez certainement, le Sénat a adopté ce projet de loi en première lecture sans opposition, aucune voix ne s'étant élevée contre, je tiens à le souligner, après des débats que je n'hésite pas à considérer comme fructueux. Si je devais les résumer en une phrase, je dirais que l'orientation principale de ces discussions a visé, dans l'ensemble, à renforcer et à préciser les suggestions, les décisions, les amendements des députés. Ces travaux se sont inscrits dans le prolongement des vôtres, en les complétant utilement.

Certaines préoccupations ou priorités, partagées par les deux chambres, ont, je le crois, reçu, à l'issue de la première lecture, une réponse solide, et ont à présent atteint leur point d'aboutissement. Il vous reviendra, bien entendu, d'en décider.

Je citerai quelques préoccupations ou priorités sans être exhaustif. Plusieurs amendements, qui s'inscrivent dans la logique des travaux de cette Assemblée, ont renforcé le cantonnement des filiales spéculatives, en évitant toute forme de contournement. En matière de trading à haute fréquence, un sujet dont nous avons beaucoup discuté ici et que nous avons renforcé et partiellement renvoyé au Sénat pour qu'il l'examine, je souligne, là encore, la complémentarité de vos travaux avec ceux de vos collègues sénateurs. Ils ont, ainsi, amendé le texte pour parachever le dispositif que l'Assemblée avait commencé à mettre en place, en incluant des obligations très complètes à la charge des bourses et des plates-formes de négociation pour qu'elles se dotent de capacité pour limiter le volume des ordres de trading à haute fréquence. Il y avait, à l'évidence, un sujet qui méritait d'être précisé. Il a été traité et les précisions ont été apportées. J'aurais pu prendre d'autres exemples concernant le nouveau régime de résolution ou le contrôle macroprudentiel qu'assurera le Haut Conseil de stabilité financière, ou encore les relations entre les banques et leurs clients. À titre d'illustration, je mentionne ainsi les mesures votées par le Sénat pour compléter celles adoptées, ici, sur la protection des locataires et propriétaires surendettés. Là encore, les préoccupations des deux chambres se sont rejointes.

Dans l'ensemble, donc, les travaux des deux chambres ont convergé, ce qui a permis, à l'issue de cette première lecture où un travail extrêmement important a été accompli, de renforcer le projet de loi tout en préservant sa cohérence.

Alors que s'ouvre la deuxième lecture, je voudrais prendre le temps d'une pause, pour mesurer avec vous l'ensemble des progrès accomplis ensemble sur ce texte. Ces progrès sont, d'abord, le fruit du travail remarquable que nous avons su mener ensemble. Ils sont le fruit de l'implication résolue du Parlement sur ce projet. On se plaint, parfois, que la discussion parlementaire soit enserrée et que le Gouvernement laisse peu de libertés à la représentation nationale. Je pense qu'on ne peut pas l'affirmer pour ce texte, sauf à faire preuve de mauvaise foi, ce qui n'est le cas de personne ici. En effet, 280 amendements – retenez ce chiffre ! – ont été adoptés en première lecture, dont beaucoup d'amendements de fond. Je tiens, par conséquent, à saluer la qualité de ce travail considérable. Sur les points clés du texte – la séparation des établissements, les procédures de résolution, l'encadrement des frais bancaires – le Parlement a enrichi et renforcé le texte, avec mon soutien, bien entendu. Sur tous les aspects qui n'étaient initialement pas prévus dans le projet, et pour lesquels j'ai laissé des espaces pour le débat, comme la lutte contre les paradis fiscaux ou le blanchiment de capitaux, notre discussion collective a été très ouverte et toujours fructueuse ; elle a conforté la ligne défendue par le Gouvernement. Je veux vous en remercier, avant de vous dire mon souhait que la seconde lecture se passe dans le même esprit, même si, bien sûr, et c'est naturel après tout ce travail, les sujets qui demeurent ouverts sont moins nombreux.

Je dirai un mot, enfin, sur le sens des avancées que nous soutenons ensemble, dans leur contexte européen, avant d'en venir brièvement aux enjeux de cette deuxième lecture. Je suis convaincu que les travaux essentiels menés en première lecture, avec le concours infiniment précieux de la représentation nationale – et je veux saluer le travail considérable accompli par votre rapporteure – ont permis de valider le bien-fondé de la méthode que je porte, et qui est une petite fierté personnelle. Cette méthode, vous la connaissez, repose sur trois principes. Il convient, d'abord, d'élever le regard, pour prendre en compte ce qui se passe en Europe. J'ai la conviction constante que l'agenda national et l'agenda européen ne sont pas disjoints, que nous devons avancer ensemble sur ces deux terrains et que la France n'est pas un isolat. Il s'agit, ensuite, de pousser au maximum notre voix et nos vues à Bruxelles et tout faire pour que les mesures que nous y promouvons soient généralisées au niveau européen.

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