Le sens de ces deux projets peut tenir en une proposition : ceux qui ont pour mission de représenter les citoyens ou de les servir dans des fonctions d'autorité doivent être exemplaires. Concrètement, cela revient à dire que nous avons voulu permettre de détecter les enrichissements illicites, d'entraver les dissimulations possibles et d'empêcher les conflits d'intérêts.
Ces questions sont aussi anciennes que la démocratie parlementaire et l'histoire en est navrante, la législation ne progressant que sous l'effet de scandales. Les premiers textes posant l'incompatibilité entre un mandat parlementaire et des fonctions dans des sociétés financières ont été votés, sous la IIIe République, à la suite de l'affaire des décorations qui avait éclaboussé Jules Grévy, puis du scandale de la Gazette du franc de Marthe Hanau en 1928. La ve République a malheureusement connu elle aussi des scandales, comme celui de la Garantie foncière dans les années 1970, affligeante affaire d'escroquerie qui donna lieu à un renforcement des incompatibilités. Pierre Mazeaud, rapporteur du texte, déplorait alors que le mandat soit devenu un moyen d'accéder à certaines fonctions et la clé destinée à ouvrir les voies de la fortune.
Autres temps, autres moeurs, mais on n'a guère progressé pour ce qui est des rapports entre l'argent et la politique. En 2011, à la suite des difficultés que connaissait un des ministres de son gouvernement, François Fillon a déposé un texte sur le sujet après avoir confié une mission au vice-président du Conseil d'État. Cette année, après un mensonge retentissant, le Gouvernement vous a demandé d'accélérer la préparation d'un projet de loi prévu pour l'automne. On peut ainsi dire, pour paraphraser Camus, que, puisque les hommes n'ont pas de principes, il faut qu'ils aient des règles.
Le mal n'étant pas neuf, le Parlement sait comment le combattre : il n'y a pour cela que trois voies et, puisque le Gouvernement a choisi de les emprunter toutes, je poserai une question sur chacune, étant entendu qu'à mes yeux, la pertinence du dispositif doit être analysée davantage au regard de son efficacité présumée qu'à l'aune de possibles attentes de l'opinion. En effet, même si la transparence est aujourd'hui synonyme de toutes les vertus alors que, naguère, dire de quelqu'un qu'il était « transparent » revenait à le définir comme un être inconsistant et sans aucune personnalité, la question doit être abordée avec le recul qui sied à la majesté du législateur.
La première des trois voies que l'on peut emprunter est celle de l'incompatibilité. Elle consiste à contraindre le parlementaire à choisir entre son mandat et un intérêt particulier. Vous proposez de modifier à nouveau une réglementation qui n'a cessé d'être renforcée depuis 1958, la dernière fois en avril 2000, et envisagez d'interdire à des députés d'avoir une fonction de conseil, notamment « exercée de façon permanente en qualité de conseil auprès d'entreprises [nationales] ou d'établissements [publics nationaux ». Cette ambition est certes compréhensible, voire louable, mais qu'entendez-vous par « conseil » ?
Le deuxième chemin pour inciter à la vertu est la transparence : tirant les leçons de la commission instituée en 1988, vous proposez la création d'une Haute autorité dont la composition n'est guère originale – on y retrouve des magistrats du Conseil d'État, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes. Cette structure doit-elle selon vous exercer ses fonctions à temps plein ? Sa composition n'est-elle pas trop monochrome ?
Le troisième chemin est celui de la neutralisation temporaire par le mécanisme du déport. Cette intéressante logique d'abstention volontaire, qui n'a encore que peu de place dans notre droit, est appliquée dans d'autres pays, comme l'Australie. Or, tandis que, dans ce dernier pays, le Premier ministre est tenu de démissionner en cas de manquement avéré à ses obligations, le déport que vous prévoyez ne s'accompagne pas de sanction explicite. Quelle efficacité peut-on dès lors en attendre ?