La séance est ouverte à 17 heures 30.
Présidence de M. Dominique Raimbourg, puis de M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-présidents
La Commission procède à l'audition de M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, sur le projet de loi organique relatif à la transparence de la vie publique (n° 1004) et le projet de loi relatif à la transparence de la vie publique (n° 1005) puis procède à l'examen de ces deux projets de loi (M. Jean-Jacques Urvoas, rapporteur).
Je suis heureux d'accueillir M. Alain Vidalies, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, dans le cadre de l'examen du projet de loi organique et du projet de loi relatifs à la transparence.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je suis heureux de répondre à l'invitation de votre Commission, où les échanges, je le sais d'expérience, sont toujours intéressants et de grande qualité.
Les deux projets de loi que je vous présente visent à mettre en oeuvre un principe politique que nous connaissons tous, celui de la confiance que doivent avoir les citoyens en ceux qui gouvernent, jugent ou administrent. Cette confiance, au fondement même de la République et de la démocratie, ne saurait prospérer que si l'intégrité et l'impartialité des responsables publics ne peuvent être mises en doute. Or la défiance manifeste de nombre de nos concitoyens à l'endroit de certains de leurs représentants trouve notamment sa source dans des comportements et des pratiques de certains agents publics, comportements et pratiques qui ne correspondent pas aux valeurs affichées de primauté de l'intérêt général, de neutralité et d'impartialité. Même si les cas avérés d'infractions pénales sont peu nombreux – il faut toujours le souligner –, ils entretiennent la suspicion dans l'opinion publique. Le souverain, c'est-à-dire le peuple, ne peut en effet accepter de déléguer ses pouvoirs à des gouvernants que s'il a l'assurance que ces derniers servent exclusivement l'intérêt général, et non leurs intérêts propres.
Il convient d'observer que le législateur, sous toutes les majorités, est presque toujours intervenu à la suite d'affaires ou de révélations. Depuis 1988, une douzaine de lois ou de décrets ont ainsi été adoptés sur le sujet dont nous parlons. Sans remonter aux précédentes Républiques ou à des temps plus anciens encore, on peut rappeler l'affaire de la Garantie foncière dans les années soixante-dix ou, dans les années quatre-vingt, les affaires Noir, Botton et Urba. Plus récemment, les révélations sur de possibles liens entre un ministre du Budget et une grande fortune française ont été à l'origine d'un rapport remis au Président Nicolas Sarkozy, le rapport de la commission Sauvé pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique. Nombre des recommandations de ce rapport comme du rapport de la commission Jospin sont d'ailleurs reprises dans les deux présents textes.
Restaurer le lien de confiance, que les événements récents impliquant un ancien ministre du Budget ont altéré, telle fut la volonté du président de la République lorsqu'il a demandé au Gouvernement de préparer plusieurs projets de loi – quatre au total. Le Premier ministre, de son côté, a rappelé devant votre assemblée, lors des questions au Gouvernement du 10 avril dernier, que ces textes « ont pour objectif de redonner à nos concitoyens confiance dans les institutions de la République et dans les représentants du peuple, quel que soit le niveau des responsabilités qu'ils exercent ».
Je tiens cependant à souligner que ces projets de lois ne sont pas des textes de circonstance, même si certaines circonstances ont bien entendu accru la nécessité d'un dispositif nouveau, plus efficace pour traiter les situations de conflit d'intérêts et compréhensible par nos concitoyens : lorsqu'elles se sont présentées, je travaillais déjà depuis plusieurs semaines sur la base des recommandations de la commission Jospin et, surtout, des engagements clairs, pris par le président de la République pendant sa campagne, en faveur d'une République exemplaire. Ces engagements, toujours consultables en ligne, attestent de notre volonté ancienne d'agir pour prévenir les conflits d'intérêts dans la vie publique, pour renforcer les règles d'inéligibilité des élus condamnés pour corruption – engagement n° 49 du projet de M. François Hollande –, pour encadrer le lobbying, pour organiser un contrôle citoyen en matière de déontologie de la vie publique ou pour permettre aux associations anti-corruption de mettre en oeuvre l'action publique – mesure qui sera proposée dans un autre texte.
Les deux projets de loi traduisent notre ambition de doter la France de moyens effectifs de prévention, de contrôle et de sanction des obligations de probité et d'intégrité qui s'imposent à tous ceux qui exercent des responsabilités publiques, à savoir non seulement les élus, mais aussi, par exemple, les membres des cabinets ministériels ou des autorités administratives indépendantes.
Cette transparence, qui n'est qu'une forme continuée de la souveraineté populaire et du respect dû à nos concitoyens, est une exigence républicaine et non une concession à la mode ou aux nouvelles technologies. De façon synthétique, les présents textes tendent à améliorer quatre éléments de notre législation en la matière : la prévention des conflits d'intérêts ; l'amélioration de leur détection et de leur contrôle ; le renforcement des mesures tendant à la transparence financière ; le renforcement, enfin, des dispositifs répressifs.
L'article 2 du projet de loi ordinaire définit, pour la première fois dans un texte de cette portée, la notion de conflit d'intérêts et donne des outils pour prévenir ce genre de situation, avec pour objectif de placer notre pays au rang des démocraties les plus avancées en la matière. Si l'article 1er du projet de loi reprend des obligations déjà consacrées par la jurisprudence, celui-ci entend traduire dans notre législation les principes fondamentaux de dignité, de probité et d'impartialité qui doivent guider l'action des acteurs publics. Il impose également à ces derniers de prévenir les situations de conflit d'intérêts et, si elles surviennent, d'y mettre fin, le meilleur contrôle étant l'autocontrôle, le pas de côté par rapport à son propre exercice professionnel, au service de l'intérêt général. Il s'agit là d'un point central, qui aurait même pu figurer dans l'intitulé de ce texte ; j'imagine que nous aurons des échanges sur ce thème, auquel sont consacrés plusieurs amendements.
La question des conflits d'intérêts est centrale dans l'ensemble des sociétés démocratiques avancées ; elle se résume à l'adage très ancien selon lequel « nul ne peut servir deux maîtres à la fois » – surtout, pourrait-on ajouter, lorsque l'un de ces maîtres est l'intérêt général et l'autre, sinon l'argent, du moins l'intérêt particulier. Les pays anglo-saxons, on le sait, prêtent une attention toute particulière à cette question. Cela s'explique peut-être en partie par les liens entre éthique protestante et esprit du capitalisme : du fait de son importance dans ces sociétés, le fait économique est appréhendé ab initio, avant même que ne soient posées les problématiques de gouvernement de la vie publique. Profondément liée à la théorie des apparences, la notion de conflit d'intérêts peut heurter notre conception légaliste de la norme, qui implique une ligne de partage stricte et imperméable entre le domaine pénal – dans lequel la norme a vocation à prohiber les actions effectivement nuisibles à la société – et le domaine déontologique. La question des conflits d'intérêts, qui se situe dans cette zone grise, est pourtant ancienne, même dans notre pays de droit latin : l'ordonnance royale de Charles VI qui, en 1388, interdisait aux gouverneurs des provinces de passer contrat avec leurs administrés en porte témoignage, de même que la description des agissements des frères Rougon dans La Curée de Zola.
Toutefois, la complexité des sociétés contemporaines conduit à une multiplication des situations exposant aux conflits d'intérêts, notion dont chacun s'accorde par ailleurs à reconnaître la complexité, si bien qu'il est difficile d'en donner une définition satisfaisante. En la matière, le système français est actuellement caractérisé par un régime de faveur prohibée, avec l'incrimination de prise illégale d'intérêts, et de faveur ignorée, cette dernière expression désignant l'ensemble des comportements, positifs comme négatifs, situé dans les marges du droit pénal. Dans une société démocratique avancée, c'est cette marge de non-droit qu'il faut faire régresser, afin que certaines situations soient organisées par le droit au lieu d'être ignorées.
À l'article 2 du projet de loi ordinaire, le Gouvernement a fait le choix d'une définition simple et fonctionnelle, qui fut celle de la commission Jospin, même si nos débats permettront d'améliorer le dispositif envisagé. Trois stratégies de traitement préventif de ces conflits peuvent être identifiées, car une prévention adéquate est toujours préférable, on le sait, à une répression par définition tardive. La première de ces stratégies consiste à imposer la révélation de la situation de conflit d'intérêts aux personnes concernées, sur le modèle des déclarations d'intérêts : c'est l'objet des articles 3, 4, 9, 10 et 11. La deuxième est de recommander, voire d'imposer, une attitude prédéterminée à la personne qui se trouve en situation de conflit d'intérêts, comme y tendent les articles 2 et 7. La troisième, enfin, est d'empêcher que survienne une telle situation, par l'interdiction de réaliser certains actes, comme c'est le cas pour les libéralités concédées aux médecins par leurs malades : c'est le sens des dispositions pénales et des incompatibilités nouvelles que nous vous proposons.
Afin d'organiser la révélation de la situation de conflit d'intérêts, le Gouvernement propose que des déclarations publiques d'intérêts soient rendues obligatoires pour les personnes visées. Le projet de loi organique tend en outre à refondre les différentes obligations déclaratives incombant aux parlementaires. La déclaration de situation patrimoniale verrait son contrôle renforcé et sa publicité serait désormais assurée. Appelées à fusionner, la déclaration d'intérêts et la déclaration d'activités professionnelles ou d'intérêt général seraient également rendues publiques.
Les règles relatives au contenu de la déclaration de situation patrimoniale connaîtraient plusieurs modifications par rapport au droit actuel. En premier lieu, la déclaration serait effectuée « dans le mois » suivant l'entrée en fonction de chaque parlementaire, au lieu de deux mois depuis 1995 – et quinze jours de 1988 à 1995. Deuxièmement, elle serait personnellement adressée au président de la Haute autorité, et non plus simplement déposée auprès de l'actuelle Commission pour la transparence financière de la vie politique. Enfin, elle devrait être « exhaustive » – exigence qui n'est aujourd'hui qu'implicite.
Au-delà des obligations de déclaration d'intérêts rendues publiques par la Haute autorité, ce texte organise pour la première fois un système de déport imposant aux membres du Gouvernement, aux titulaires de fonctions exécutives locales et aux membres des autorités administratives indépendantes se trouvant dans une situation de conflit d'intérêts de s'abstenir de prendre part à l'affaire ou à la décision en cause. Serait ainsi généralisée une obligation déjà mise en oeuvre dans nombre d'autorités indépendantes, et dont la portée et la nouveauté méritent d'être soulignées ; en somme, elle donne une traduction moderne au vieil adage selon lequel on ne peut être juge et partie. Les membres de la nouvelle Haute autorité, qualifiée d'autorité administrative indépendante par l'article 12 du projet de loi ordinaire, seront, le cas échéant, également concernés par cette obligation d'abstention.
Le même projet de loi institue également un mécanisme nouveau de mandat de gestion, sans droit de regard de la part des intéressés pendant toute la durée de leurs fonctions, pour les intérêts financiers détenus par les membres du Gouvernement et les membres des autorités administratives indépendantes intervenant dans le domaine économique. Quel meilleur instrument pour prévenir les délits d'initié que ces mandats de gestion ? L'objectif est d'éviter la suspicion que peut faire naître la détention d'instruments financiers par des personnes exerçant des compétences dans les secteurs économique et financier ou, plus simplement, en position de bénéficier d'informations privilégiées dans ces domaines ; c'était d'ailleurs l'une des recommandations des rapports Sauvé et Jospin.
Le projet de loi contient également une avancée essentielle pour la protection des lanceurs d'alerte, dont on a pu mesurer l'utilité, notamment, à l'occasion de scandales sanitaires. La notion de « lanceur d'alerte » est au demeurant relativement récente en France. Aussi l'article 17 organise-t-il l'interdiction ou la nullité de mesures de sanction prises à l'encontre d'agents ou de personnes qui, ayant connaissance de faits constitutifs d'une situation de conflit d'intérêts, les porteraient de bonne foi à la connaissance de leur employeur ou des autorités judiciaires ou administratives. Cette protection ne serait cependant accordée, je le répète, qu'aux personnes de bonne foi : une déclaration de mauvaise foi exposerait aux sanctions prévues en matière de dénonciation calomnieuse.
Afin d'assurer le contrôle de ces différentes obligations, le Gouvernement vous propose aussi de créer une Haute autorité de la transparence de la vie publique, qui, disposant de pouvoirs effectifs, remplacerait l'actuelle Commission pour la transparence financière de la vie politique. Les principaux responsables politiques et administratifs de notre pays devront transmettre à cet organisme une déclaration de patrimoine en début et en fin de mandat, ainsi qu'une déclaration d'intérêts. Les sanctions pénales en cas de non-respect de ces obligations seront renforcées.
À l'origine, la Commission pour la transparence financière de la vie politique ne comprenait que trois membres de droit : le vice-président du Conseil d'État, le Premier président de la Cour de cassation et le Premier président de la Cour des comptes. La loi du 4 janvier 1996 a élargi cette composition à six membres titulaires et six membres suppléants, désignés pour une période de quatre années et renouvelables une fois. Organe de régulation plutôt que commission administrative, la Haute autorité comportera un président ainsi que six membres et six suppléants élus ; le président sera nommé par décret après avis des commissions parlementaires chargées des lois constitutionnelles, selon les conditions fixées par le dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution. Les six membres titulaires et les six membres suppléants continueront d'être élus au sein des hautes juridictions.
Afin de garantir l'impartialité de la Haute autorité, quatre règles déontologiques seront applicables à ses membres : leur mandat sera incompatible avec tout mandat ou fonction dont les titulaires sont assujettis aux obligations déclaratives prévues par le projet de loi – en d'autres termes avec les fonctions de membre du Gouvernement, avec le mandat de représentant français au Parlement européen, avec des fonctions exécutives ou des fonctions de délégataire de signature de titulaires de fonctions exécutives des collectivités territoriales les plus importantes, avec les fonctions de membre de cabinet ministériel ou de collaborateur du président de la République.
Les membres de la Haute autorité ne pourront participer à ses délibérations ou vérifications lorsque celles-ci visent des « organismes ou personnes à l'égard desquels ils détiendraient ou auraient détenu, au cours des trois années précédentes, un intérêt direct ou indirect » ; son président et ses membres, concernés par l'article 10 du projet de loi ordinaire, seront à ce titre soumis à l'obligation de déclaration de situation patrimoniale et de déclaration d'intérêts, laquelle devra être examinée et publiée. Enfin, les membres de la Haute autorité seront tenus au respect du secret professionnel, secret protégé pénalement.
La Haute autorité aura un rôle élargi par rapport aux missions de l'actuelle Commission pour la transparence financière de la vie politique : elle sera dépositaire des déclarations de situation patrimoniale et contrôleur de ces déclarations, aura un rôle de conseil confidentiel – en particulier sur des questions de déontologie –, de recommandation et de définition de lignes directrices publiques en matière de déontologie et « pour l'application de la loi », et devra présenter un rapport public annuel ; elle donnera enfin son avis, non pas à titre consultatif mais obligatoire, sur la compatibilité d'une activité lucrative privée avec des fonctions gouvernementales ou exécutives locales.
On le voit, le projet du Gouvernement témoigne d'une réelle ambition pour cette Haute autorité, qui pourra être saisie par le Premier ministre, par le président de l'une des assemblées parlementaires ou par une association de lutte contre la corruption habilitée à se porter partie civile dans les affaires de manquement au devoir de probité. Elle pourra également se saisir d'office.
La Haute autorité contrôlera le respect de ces obligations et pourra demander des éléments complémentaires aux intéressés. L'article 14 organise ses prérogatives lorsqu'elle constate un manquement à une obligation légale : elle disposera des services fiscaux et se verra attribuer un pouvoir d'injonction – nous aurons à discuter des améliorations proposées sur ce point par votre rapporteur.
En outre, l'usage républicain de la vérification des situations fiscales des ministres sera désormais encadré par l'article 8 du projet de loi. Je veux insister sur les compétences nouvelles que nous vous proposons à ce sujet ; le Gouvernement restera néanmoins attentif à vos éventuels amendements. En tout état de cause, la Haute autorité pourra demander la transmission des déclarations fiscales souscrites par le conjoint séparé de biens, par le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou par le concubin de la personne concernée. À défaut d'avoir obtenu directement communication de ces déclarations, elle pourra en demander copie à l'administration fiscale, comme elle pourra demander à celle-ci d'exercer son droit de communication, conformément aux dispositions de l'article L. 81 du livre des procédures fiscales. Les agents de l'administration fiscale seront déliés du secret professionnel à l'égard des membres de la Haute autorité. Une sanction pénale d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende pourra être prononcée en cas de refus de communication des déclarations fiscales.
La construction d'une « culture déontologique », pour reprendre les termes du rapport Sauvé, est une tâche ardue, qui suppose des évolutions normatives que le projet de loi tend précisément à introduire. Toutefois, comme l'affirmait un rapport d'information sénatorial relatif aux conflits d'intérêts, « contre ceux qui n'ont pas de principes, il faut avoir des règles » : c'est le sens des mesures d'amélioration du dispositif répressif.
Le projet de loi tend ainsi à mettre en oeuvre l'engagement n° 49 de François Hollande afin que l'ensemble des élus du suffrage universel, les membres du Gouvernement et leurs directeurs de cabinet ainsi que les titulaires des emplois nommés en Conseil des ministres puissent être condamnés à une peine complémentaire d'inéligibilité pouvant atteindre dix ans, voire être définitive, en répression des infractions portant atteinte à la moralité publique telles que la corruption, le trafic d'influence, la fraude électorale ou la fraude fiscale. Je crois que nos compatriotes sont très attachés à ce que nous puissions avancer sur ce point, dans le respect des normes constitutionnelles que notre proposition nous semble offrir.
Nous souhaitons également renforcer la répression du pantouflage. L'interdiction faite par le code pénal aux fonctionnaires de rejoindre, lorsqu'ils ont quitté leurs fonctions, une entreprise avec laquelle ils ont été en relation du fait de ces fonctions sera étendue aux membres du Gouvernement et aux titulaires de fonctions exécutives locales. Les peines encourues en cas de manquement à cette interdiction seront aggravées. De nouvelles infractions pénales sont ainsi prévues à l'article 18 du projet de loi. La première, spécifique aux membres du Gouvernement, serait la plus sévèrement réprimée ; d'autre part, aux termes de l'article 10, serait passible de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait de ne pas déposer une déclaration de situation patrimoniale ou une déclaration d'intérêts, d'omettre de déclarer une partie substantielle de son patrimoine ou de ses intérêts, de fournir une évaluation mensongère de son patrimoine ou de ne pas déférer aux injonctions de la Haute autorité. Enfin, le fait de publier ou de divulguer, hors des cas prévus par la loi, « de quelque manière que ce soit, tout ou partie des déclarations ou des observations » effectuées en application de la future loi et de la future loi organique, serait punissable.
Dans le même objectif de transparence et de prévention des conflits d'intérêts, le Gouvernement propose de renforcer certaines dispositions relatives aux incompatibilités parlementaires en interdisant, par exemple, le cumul du mandat de parlementaire avec des fonctions au sein d'entreprises qui, pour une part importante de leur activité commerciale, dépendent de l'administration. Peut-on en effet, sans conflit d'intérêts ne serait-ce que potentiel, être marchand d'armes en activité et parlementaire ? J'ai bien noté que de nombreux amendements portaient sur l'article 2 du projet de loi organique, qui renforce les règles d'incompatibilités professionnelles applicables aux parlementaires en prohibant l'exercice de toute fonction de conseil. L'article L.O. 146-1 du code électoral interdit à tout parlementaire de commencer à exercer, après le début de son mandat, une fonction de conseil qu'il n'exerçait pas avant son élection. Introduite par la loi organique du 19 janvier 1995 relative à la déclaration de patrimoine et aux incompatibilités, cette mesure est issue des propositions du groupe de travail sur la clarification des rapports entre la politique et l'argent, présidé par Philippe Séguin, propositions destinées à encadrer plus strictement l'exercice d'activités susceptibles de créer entre les élus et le monde des affaires des liens discutables. La rédaction en vigueur précise cependant que cette interdiction ne s'applique pas aux membres des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, tels que les avocats, les experts-comptables ou les commissaires aux comptes. Ce point a pu susciter quelques interrogations ; mais nos échanges permettront, je l'espère, de définir un dispositif amélioré, protecteur et satisfaisant.
Afin d'assurer une égalité de traitement entre les parcours professionnels privés et publics, les fonctionnaires élus au Parlement seront désormais placés en position de disponibilité, et non plus de détachement, pendant la durée de leur mandat ; quant aux ministres, ils ne bénéficieront plus que d'un mois d'indemnité de fin de fonction.
Ces deux projets de loi s'attachent à fixer un cadre commun de la déontologie de la vie publique, sans régir dans le détail le comportement des responsables publics. Dans cette phase de l'examen parlementaire, le Gouvernement est animé par un esprit de concertation et de collaboration avec votre Commission, esprit grâce auquel, j'en suis sûr, nous lèverons les interrogations que la rédaction actuelle du projet de loi organique a pu susciter. Je suis tout à fait confiant sur le fait que nous aboutirons à des dispositions équilibrées et raisonnables ; René Dosière comme Jean-Jacques Urvoas ont déjà accompli un remarquable travail à cet égard.
Mesdames et messieurs les députés, il nous appartient, comme d'autres l'ont fait lors des principales affaires qui éclaboussèrent les trois dernières Républiques, de proposer des solutions progressistes dont nous pourrons être fiers : en ces domaines qui sont au coeur du pacte républicain, l'inaction n'est pas une option. J'ai bien conscience que cela suppose également une évolution des comportements, car seule une culture déontologique, en prévenant efficacement ces conflits, peut éviter que « les vertus se perdent dans l'intérêt comme les fleuves se perdent dans la mer », selon la formule de La Rochefoucauld.
Le sens de ces deux projets peut tenir en une proposition : ceux qui ont pour mission de représenter les citoyens ou de les servir dans des fonctions d'autorité doivent être exemplaires. Concrètement, cela revient à dire que nous avons voulu permettre de détecter les enrichissements illicites, d'entraver les dissimulations possibles et d'empêcher les conflits d'intérêts.
Ces questions sont aussi anciennes que la démocratie parlementaire et l'histoire en est navrante, la législation ne progressant que sous l'effet de scandales. Les premiers textes posant l'incompatibilité entre un mandat parlementaire et des fonctions dans des sociétés financières ont été votés, sous la IIIe République, à la suite de l'affaire des décorations qui avait éclaboussé Jules Grévy, puis du scandale de la Gazette du franc de Marthe Hanau en 1928. La ve République a malheureusement connu elle aussi des scandales, comme celui de la Garantie foncière dans les années 1970, affligeante affaire d'escroquerie qui donna lieu à un renforcement des incompatibilités. Pierre Mazeaud, rapporteur du texte, déplorait alors que le mandat soit devenu un moyen d'accéder à certaines fonctions et la clé destinée à ouvrir les voies de la fortune.
Autres temps, autres moeurs, mais on n'a guère progressé pour ce qui est des rapports entre l'argent et la politique. En 2011, à la suite des difficultés que connaissait un des ministres de son gouvernement, François Fillon a déposé un texte sur le sujet après avoir confié une mission au vice-président du Conseil d'État. Cette année, après un mensonge retentissant, le Gouvernement vous a demandé d'accélérer la préparation d'un projet de loi prévu pour l'automne. On peut ainsi dire, pour paraphraser Camus, que, puisque les hommes n'ont pas de principes, il faut qu'ils aient des règles.
Le mal n'étant pas neuf, le Parlement sait comment le combattre : il n'y a pour cela que trois voies et, puisque le Gouvernement a choisi de les emprunter toutes, je poserai une question sur chacune, étant entendu qu'à mes yeux, la pertinence du dispositif doit être analysée davantage au regard de son efficacité présumée qu'à l'aune de possibles attentes de l'opinion. En effet, même si la transparence est aujourd'hui synonyme de toutes les vertus alors que, naguère, dire de quelqu'un qu'il était « transparent » revenait à le définir comme un être inconsistant et sans aucune personnalité, la question doit être abordée avec le recul qui sied à la majesté du législateur.
La première des trois voies que l'on peut emprunter est celle de l'incompatibilité. Elle consiste à contraindre le parlementaire à choisir entre son mandat et un intérêt particulier. Vous proposez de modifier à nouveau une réglementation qui n'a cessé d'être renforcée depuis 1958, la dernière fois en avril 2000, et envisagez d'interdire à des députés d'avoir une fonction de conseil, notamment « exercée de façon permanente en qualité de conseil auprès d'entreprises [nationales] ou d'établissements [publics nationaux ». Cette ambition est certes compréhensible, voire louable, mais qu'entendez-vous par « conseil » ?
Le deuxième chemin pour inciter à la vertu est la transparence : tirant les leçons de la commission instituée en 1988, vous proposez la création d'une Haute autorité dont la composition n'est guère originale – on y retrouve des magistrats du Conseil d'État, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes. Cette structure doit-elle selon vous exercer ses fonctions à temps plein ? Sa composition n'est-elle pas trop monochrome ?
Le troisième chemin est celui de la neutralisation temporaire par le mécanisme du déport. Cette intéressante logique d'abstention volontaire, qui n'a encore que peu de place dans notre droit, est appliquée dans d'autres pays, comme l'Australie. Or, tandis que, dans ce dernier pays, le Premier ministre est tenu de démissionner en cas de manquement avéré à ses obligations, le déport que vous prévoyez ne s'accompagne pas de sanction explicite. Quelle efficacité peut-on dès lors en attendre ?
Monsieur le ministre délégué, je vous remercie de votre propos introductif, qui illustre bien la volonté du Gouvernement et donne également une bonne idée du spectre que vous avez voulu couvrir par ces deux projets.
Les questions du rapporteur, même si nous pouvons les faire nôtres, ne font pas apparaître le fossé important, qui est apparu clairement ces derniers jours et ce matin encore, entre la traduction que le Gouvernement a donnée de sa volonté de transparence et les souhaits de sa majorité. Il faudra bien pourtant évoquer la manière dont vous avez traité ce profond différend, sans faire comme s'il s'agissait d'une question évanescente ou qui ne se serait jamais posée. De fait, s'il ne s'agit pas pour nous de nous régaler par avance de ce qui peut vous diviser, ce différend, résolu ou non, démontre que le dispositif que vous proposez est un faux-semblant supplémentaire destiné à cacher la réalité de l'affaire Cahuzac.
À vous en croire, vous ne feriez qu'accélérer l'examen d'un texte prévu pour l'automne afin de ne pas laisser penser aux Français que vous n'écouteriez pas leurs légitimes aspirations, en foi de quoi vous vous livrez à un chassé-croisé en affirmant que ce projet n'a rien de conjoncturel. Nous sommes convaincus du contraire, et cela pour deux raisons. Fallait-il, tout d'abord, déclarer l'urgence pour ce texte, alors que l'affaire Cahuzac suit son cours et qu'une commission d'enquête travaille sur ce sujet au sein de notre assemblée ? Ensuite, ce texte n'est-il pas une manière de vous venger de ce que vous n'avez pu éviter ? Ainsi, n'ayant pas obtenu de votre ancien collègue qu'il renonce aux six mois d'indemnités qui lui étaient dus au terme de ses fonctions, vous punissez tous ses successeurs – dont vous faites d'ailleurs partie – en limitant à un mois le versement de ces indemnités. N'est-ce pas un nouvel indicateur, s'il en était besoin, du caractère purement conjoncturel de votre texte ? Vous prétendez ne pas légiférer sous le coup de la légitime émotion de nos concitoyens, mais c'est tout le contraire que nous constatons. Il serait plus simple de dire aux Français que ces deux lois relatives à la transparence de la vie publique ne sont autre chose que des « lois Cahuzac ».
L'objectif de ces lois était qu'une telle affaire ne se reproduise jamais. Or, si elles avaient été en vigueur début décembre, lorsque nous avons découvert cette affaire, et même bien avant, lorsque l'intéressé commençait, il y a une vingtaine d'années, à accumuler des sommes qu'il soustrayait au fisc et plaçait sur un compte hébergé dans un établissement étranger, auraient-elles empêché quoi que ce soit ? Il est clair que non. Transformer la Commission pour la transparence financière de la vie politique en Haute autorité n'aurait pas empêché M. Cahuzac, qui n'était alors aucunement élu, de faire ce qu'il a fait – pas plus, du reste, que le durcissement des sanctions. Les dispositions que vous prenez ne répondent à aucune des questions que l'on peut se poser.
Vous avez décidé de noyer l'affaire Cahuzac et la question de la responsabilité politique de ce ministre, de votre gouvernement et de votre majorité dans une loi qui pénalise la représentation nationale en indiquant au peuple français que les élus sont a priori suspects. J'en veux pour preuve l'article 1er de la loi ordinaire : « Les personnes titulaires de fonctions gouvernementales ou investies d'un mandat électif local, ainsi que celles chargées d'une mission de service public, exercent leurs fonctions avec dignité, probité et impartialité. » Pourquoi donc éprouvez-vous le besoin de le préciser comme si ce n'était pas déjà le cas chez les élus de la République ? Croyez bien que, dans ma circonscription, mes collègues élus municipaux ne sont pas très heureux d'apprendre que ce n'est que maintenant que l'on exigerait d'eux ces trois qualités.
J'en viens à quelques questions. Tout d'abord, pourquoi ce choix, contesté vigoureusement par votre majorité, de publier les déclarations de patrimoine au mépris d'une certaine confidentialité et du respect des proches des personnes visées, en particulier de leurs conjoints ? Pourquoi avoir ensuite accepté de reculer – au point qu'un amendement, exceptionnel quant à sa conception et à sa rédaction, vous fera revenir sur votre objectif de transparence ? Soit vous voulez la transparence, soit vous ne voulez pas ! Dire que les déclarations seront consultables en préfecture par un citoyen qui aura ensuite interdiction de les publier, sous peine de s'exposer à la batterie des dispositions pénales que vous instaurez, c'est se moquer ouvertement du monde. Vous aurez beau affirmer, dans votre volonté de régler les différends internes à la gauche, que cette mesure ne pose aucun problème, nul ne peut imaginer qu'il n'y aura pas de fuites, pas de tracts anonymes qui nous viseront tous, pas de diffusion d'informations sur des sites Internet qui pourront être hébergés n'importe où sur la planète.
La nature humaine étant ce qu'elle est, comme vous venez de le rappeler à grand renfort de citations, l'élu sera voué à la vindicte populaire, pour des raisons qui pourraient fort bien être tout à fait étrangères à ses fonctions : pourquoi n'allez-vous pas jusqu'au bout de votre réforme en lui permettant de connaître le nom des personnes qui auront demandé à consulter ses déclarations d'intérêts et de patrimoine ? Au moins jouerait-il alors à armes égales avec ceux qui seraient si désireux de connaître ce que le Gouvernement voulait révéler à la terre entière et que la majorité ne veut faire connaître qu'à un petit nombre.
En deuxième lieu, le texte initial dispose que le rapport annuel de la Haute autorité ne pourra en aucun cas comporter d'informations nominatives. Or, la solution consistait précisément à ce que la Haute autorité procède comme la Cour des comptes, qui fournit dans son rapport annuel des informations nominatives sur les collectivités ou sur les acteurs publics qui, selon elle, n'ont pas bien assumé leurs responsabilités et devraient faire mieux ou différemment. Voulons-nous que les Français se repaissent de savoir que le conjoint de tel ou tel dispose d'une fortune personnelle, ce conjoint devenant alors un boulet pour l'élu ? Personne ne demande cela : ce que nous voulons tous, c'est que soit lavée la suspicion, c'est qu'on ne puisse plus penser qu'un acteur de la République est, du fait de son élection, susceptible de profiter de son ou ses mandats pour s'enrichir.
Pour atteindre cet objectif, il conviendrait qu'après avoir tout fait pour obtenir des intéressés les éléments justifiant l'enrichissement dont ils se seraient éventuellement rendus coupables, la Haute autorité, dont vous accroîtriez à cet effet les pouvoirs, signale – cette fois à la terre entière – que ces acteurs publics n'ont pas fourni les informations permettant de lever et de laver le soupçon. C'est ce qu'attendent les Français, et que vous ne faites pas.
Observateurs à la fois amusés et sidérés de cette pantomime à laquelle se livrent le Gouvernement et sa majorité, nous espérons que, dans les heures, les jours et les semaines qui viennent, l'avenir de ce texte nous permettra de conclure tous ensemble que, s'il faut lutter pour la transparence, il ne faut probablement pas le faire en accélérant l'adoption du dispositif élaboré sous le coup de l'émotion qu'a suscitée l'affaire Cahuzac.
Je suis un peu surpris par l'analyse réductrice, polémique et partisane de M. Geoffroy. Le sujet mérite mieux que la caricature qu'il vient de donner. Et si sa conclusion laisse entendre qu'après examen, il atténuera peut-être son jugement, je n'y crois guère.
L'enjeu est pourtant important. Sans doute les circonstances ont-elles conduit à accélérer l'examen de ce texte, mais je puis témoigner qu'il était prévu et que, bien avant ces événements, le ministre m'avait consulté sur ce que pourrait en être le contenu. Au demeurant, c'est presque toujours après des faits plus ou moins scandaleux que la législation visant à moraliser la vie politique a été améliorée – et la ve République n'a pas fait exception.
Depuis 1988, l'hypocrisie est totale : alors que les premiers textes, certes corrigés en 1995, visaient à éviter l'enrichissement illicite de la part des élus et des fonctionnaires, la commission chargée de s'en assurer ne dispose d'aucun renseignement sur les revenus des élus. Il a fallu attendre la loi de 2011 pour qu'elle puisse, dans les cas les plus douteux – une quinzaine en vingt-cinq ans ! – demander la déclaration de revenus et celle relative à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Quelles que soient la qualité et la capacité de travail de ses membres, on ne voit pas comment elle aurait pu s'acquitter convenablement de sa tâche. Cela est si vrai que, depuis une dizaine d'années, elle demande le renforcement de ses moyens, qui ne lui a jamais été accordé.
Nous sortons aujourd'hui de cette hypocrisie et créons les conditions permettant un contrôle effectif des évolutions de patrimoine : les déclarations de revenus et, le cas échéant, d'ISF seront jointes à la déclaration de patrimoine, et la Haute autorité aura les moyens, en cas de doute, de faire procéder à des vérifications en faisant appel aux services fiscaux. Dans les cas les plus difficiles, elle pourra indiquer publiquement, dans le Journal officiel, que tel élu ou tel responsable n'a pas été en mesure de justifier l'évolution de son patrimoine.
Le deuxième élément important à mettre à l'actif de ces projets a trait aux déclarations d'intérêts. La commission Sauvé a été créée lorsqu'on s'est avisé que le fait qu'un ministre du Budget soit en même temps trésorier d'un parti politique pouvait créer des « interférences », ce qui posait le problème général des conflits d'intérêts. Qu'avez-vous fait du remarquable rapport Sauvé ? Vous l'avez mis au placard – le Gouvernement a bien élaboré un texte de loi, mais en se gardant de le présenter à l'Assemblée ! Les présents projets tirent aujourd'hui les conséquences de ce rapport, ainsi que celles du rapport Jospin, venu le compléter dans l'intervalle, en en reprenant certaines propositions.
Nous compléterons ainsi des lois qui, si elles ont été prises surtout à l'initiative de la gauche – je dis « surtout » car Philippe Séguin, par exemple, a pesé de toute son autorité pour tenter de faire progresser la législation en 1995 –, l'ont souvent été dans un certain consensus entre les forces politiques, justifié dans la mesure où ces sujets concernant l'ensemble de la vie politique ne peuvent être traités de façon superficielle. On peut certes regretter que la procédure quelque peu accélérée nous laisse pour étudier ces projets moins de temps que nous n'en avons eu pour les textes précédents, mais nous avons néanmoins la possibilité d'avancer sur ces questions.
Effet de la séparation des pouvoirs, les parlementaires ne sont pas traités de la même manière que les autres élus concernés par les conflits d'intérêts. Il conviendra donc que la présidence et le bureau de l'Assemblée nationale se saisissent du sujet pour proposer des initiatives susceptibles de faire progresser les règles en la matière.
D'autre part, conformément à l'article 13 de la Constitution, la nomination du président de la Haute autorité par l'exécutif ne pourrait être rejetée que par un vote défavorable des trois cinquièmes des deux commissions compétentes – hypothèse bien improbable dans notre système majoritaire. Accepteriez-vous, monsieur le ministre délégué, de « renverser » cette exigence en disposant que cette nomination doit être validée par un vote à la majorité des trois cinquièmes ?
Monsieur le président de séance, je vous prie de bien vouloir transmettre au président de notre Commission une observation statistique que je souhaite en outre voir figurer au compte rendu de notre réunion : on a tellement reproché à l'Assemblée précédente de légiférer rapidement qu'il ne me semble pas inutile de relever que de très nombreux textes ont déjà été examinés selon la procédure d'urgence depuis le début de la présente législature.
J'en reviens au texte que nous examinons. Lors de la présentation par M. Lionel Jospin de son rapport devant notre Commission, l'automne dernier, j'ai déclaré que j'étais par principe réfractaire à toute mesure ayant pour objet ou pour effet de restreindre la liberté d'expression et de travail des parlementaires, car la valeur la plus fondamentale qui nous rassemble ici est sans doute la liberté qui nous est offerte d'amender, d'écrire et de voter la loi comme nous le souhaitons, sans entrave d'aucune sorte. Nous devons y veiller.
D'autre part, je ne comprendrais pas que, dans quelque texte que ce soit, la protection de la vie privée ne soit pas parfaitement garantie par la loi, y compris lorsque cette vie privée est celle de parlementaires. Or, monsieur le ministre délégué, les dispositions que vous nous soumettez comportent des risques très importants de publicité non consentie de la vie privée, au détriment des personnes directement concernées, mais aussi de leur famille. Je n'en ai en effet trouvé aucune qui protège de l'indiscrétion le patrimoine de la famille, notamment lorsque les parlementaires sont mariés sous le régime de la communauté. J'entends bien ce qu'on nous dit : que ne sera rendue publique qu'une moitié du patrimoine déclaré. Le recto de la feuille seulement, peut-être ? On voit bien l'absurdité d'une telle proposition ! Mais, quoi qu'il en soit, le dispositif que vous prévoyez présente un danger : il concernera des personnes qui n'exercent aucun mandat – et ne sont d'ailleurs pas nécessairement ravies que leur conjoint en exerce un –, alors qu'il n'y a aucune raison que leur patrimoine soit publié, sous quelque forme que ce soit.
S'agissant, troisièmement, de la transparence, monsieur le rapporteur, les démocraties diffèrent en ceci des régimes autoritaires qu'elles acceptent la préservation d'une part de secret dans la vie de toutes les personnes, même publiques. Or tous les éléments relatifs à l'utilisation du patrimoine relèvent, à l'évidence, de cette part de secret. Je le rappelle : la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen garantit la protection de la propriété, laquelle n'a de sens que si elle permet aux individus ou aux familles d'exercer leur liberté. Rendre publique sans aucune retenue la manière dont tout un chacun dispose de son patrimoine constitue une forme de transparence haïssable. C'est en réalité un moyen utilisé par l'État pour entrer par effraction dans la vie privée des individus et des familles. C'est inacceptable. Notre Commission devrait être particulièrement vigilante sur ce point.
Quatrièmement, une loi doit viser plusieurs effets : elle se doit d'être pédagogique, de contribuer à la cohésion sociale, de combattre certains comportements par les sanctions dont elle est assortie et, enfin, d'être efficace. De ces quatre objectifs, les textes que vous proposez n'atteignent que le premier : compte tenu du battage médiatique sur ce thème, tout le monde aura bien compris que ce n'est vraiment pas bien, lorsqu'on est parlementaire, de s'enrichir indûment ou de s'arroger arbitrairement des droits !
En revanche, ces textes manquent, monsieur le ministre délégué, les autres objectifs. En matière de cohésion sociale, quel en sera l'effet, si ce n'est – comme je l'ai dit dans une tribune il y a quelques semaines – de jeter les élus en pâture à l'opinion publique ? Nous avons bien vu ce qu'a donné la publication du patrimoine des membres du Gouvernement dans la presse. A-t-elle fait cesser la suspicion ? A-t-elle été prise au sérieux ? A-t-elle échappé aux commentaires moqueurs ? A-t-elle rendu la sincérité des membres du Gouvernement plus crédible ? Non, elle n'a eu aucun des effets escomptés. Cette expérience devrait au moins vous inciter à revenir sur certaines des modalités que vous prévoyez pour la publication du patrimoine des parlementaires. Sinon, il se passera exactement la même chose. M. Geoffroy l'a dit : nous avons tous à coeur de nous défaire de la suspicion dont nous faisons tous l'objet – même lorsque l'on s'attache comme vous, monsieur Dosière, à combattre toutes sortes de dérives. Or la publication des patrimoines n'est pas la bonne méthode pour y parvenir si l'on en juge par les retombées de la publication du patrimoine des membres du Gouvernement.
Quant au renforcement des peines que vous prévoyez, il dissuadera certes de transgresser les règles de la morale publique. Mais il eût été nettement préférable de sanctionner plus sévèrement les coupables sans pour autant compliquer de manière insupportable la vie de tous ceux – l'immense majorité d'entre nous – qui se comportent normalement. Vous avez l'un et l'autre, monsieur le ministre délégué, monsieur le rapporteur, paraphrasé Camus : « Puisque les hommes n'ont pas de principes, il faut qu'ils aient des règles. » Il conviendrait plutôt de faire en sorte que ceux qui n'ont ni principes ni règles subissent de lourdes punitions, à des fins pédagogiques pour tous les autres. Quant à l'efficacité de la loi, elle ne me paraît nullement garantie, la publication du patrimoine des ministres n'ayant rien donné.
Je terminerai par trois remarques. D'abord, vous faites – singulièrement M. Dosière – une confusion entre deux mesures très différentes : renforcer le contrôle des déclarations de patrimoine des élus, d'une part ; rendre publiques ces déclarations, d'autre part. Je ne suis pas opposé à la première, à condition, comme je l'ai dit lorsque nous avons auditionné M. Jospin, que ce contrôle soit confié à une autorité au-dessus de tout soupçon, à l'abri de toute forme d'influence politique. Je le répète : il ne sert à rien d'avoir un Parlement si sa liberté d'expression et son travail sont entravés.
La loi n'a jamais empêché personne d'être malhonnête, mais soit ! Renforçons les moyens de contrôle, faisons cette concession à l'opinion publique – nous ferions pourtant mieux de lui expliquer plus précisément en quoi consiste la vie d'un responsable politique, en particulier d'un parlementaire. Cependant, je ne comprends par pourquoi vous persistez à associer contrôle et publication du patrimoine des élus : si la première mesure peut apparaître légitime et compréhensible, la seconde présente les risques que j'ai exposés.
Ensuite, confier à des associations une partie de l'action publique en matière de moralisation de la vie publique est non seulement peu conforme à nos traditions juridiques, mais ouvre la voie à des dérives. Il serait détestable que le militantisme politique prenne le pas sur la lutte contre la corruption. Il convient de l'éviter à tout prix. C'est d'ailleurs ce que vous avez dit, monsieur le ministre délégué.
Enfin, je me pose la question de l'opportunité de ces projets. Même si le rapporteur les a replacés avec raison dans une perspective historique plus longue, on ne m'empêchera pas de constater qu'ils tombent à point nommé ! J'apprécie peu le stratagème qui consiste, pour faire oublier la faute d'un seul, à la faire porter par tous. Cette forme d'exercice collectif de la responsabilité pénale n'est ni conforme à nos traditions juridiques, ni acceptable sur un plan moral : elle est injuste à l'égard de tous ceux qui exercent une responsabilité politique, notamment des parlementaires.
Pour toutes ces raisons, malgré l'ouverture toute relative faite par M. Geoffroy à la fin de son intervention, je ne voterai pas en faveur de ces textes.
Les résultats en matière de moralisation de la vie publique ne sont pas satisfaisants en dépit des douze lois et des décrets qui ont déjà été adoptés sur le sujet. Nous souffrons d'une inflation législative, et un texte supplémentaire n'apportera rien. De plus, pour être respectée, une loi doit être compréhensible.
D'autre part, le désamour des Français à l'égard du monde politique ne tient pas tant aux turpitudes de quelques-uns qu'à la ferme conviction qu'ont nos concitoyens que les élus dans leur ensemble ne font pas leur travail. Ils leur reprochent de ne pas tenir leurs engagements, de ne pas mener le pays dans la bonne direction, de laisser l'économie aller à vau-l'eau, sans parler de la sécurité ; ils n'ont plus confiance en l'avenir. Tout cela nuit bien davantage à la manière dont ils nous perçoivent que quelques affaires somme toute assez marginales.
Je ne suis pas hostile à ce qu'un texte renforce les règles relatives au patrimoine des élus. Ceux-ci doivent bien sûr observer la loi, mais ils ne sont pas moins respectables que le citoyen lambda. D'ailleurs, si certains d'entre nous réussissent honnêtement, cela devrait être porté plutôt à leur crédit qu'à leur débit.
Je salue votre talent, monsieur le ministre délégué : vous êtes parvenu à ne jamais citer le nom de Jérôme Cahuzac au cours de votre exposé et à nous expliquer que les textes que vous proposez n'ont qu'un rapport lointain avec l'affaire du même nom.
Ces textes sont une mauvaise manière faite aux élus. L'affaire Cahuzac a considérablement embarrassé la majorité, comme d'autres affaires ont pu le faire sous de précédents gouvernements, y compris de droite. N'ayant pas de réponse à apporter, vous utilisez la loi comme un tract. Or vous faites ainsi rejaillir la faute sur l'ensemble des élus et, compte tenu de la légitime médiatisation des textes que vous proposez, vous ancrez encore un peu plus dans l'esprit de nos concitoyens la conviction que les hommes politiques sont « tous pourris ». De plus, M. Geoffroy l'a très bien dit : ces textes n'auraient en rien empêché l'affaire Cahuzac s'ils avaient été en vigueur au moment des faits. Quant à la déclaration de principe selon laquelle les élus exercent leurs fonctions avec impartialité, elle est désormais sans conséquence, toute la promotion Voltaire étant maintenant casée !
Nous ne refusons pas d'aller plus loin dans la définition des règles qui s'imposent aux élus, mais nous regrettons que vous ayez pris la lourde responsabilité, pour faire face à un événement conjoncturel et donner un os à ronger à l'opinion, d'impliquer l'ensemble des élus et de laisser planer la suspicion sur eux.
Vous allez d'ailleurs aboutir à un résultat exactement inverse à celui recherché. En effet, vous allez vous arrêter au milieu du gué : alors que le Gouvernement a parlé de « transparence totale », la majorité va revenir sur la publication du patrimoine des élus. Que l'opinion publique va-t-elle en retenir ? Que les parlementaires s'opposent à la transparence ! Tel est en effet le message simple que vont véhiculer les médias. En définitive, vous n'aurez fait que jeter un peu plus l'opprobre sur les élus. Ce n'est ni conforme à l'intérêt général, ni dans l'intérêt de notre démocratie.
D'autre part, je m'interroge, à l'instar du rapporteur, sur un point plus particulier : à quoi renvoient les fonctions de conseil que vous prévoyez de rendre incompatibles avec le mandat de député ? Cette disposition vise non seulement la profession d'avocat – que nos collègues écologistes veulent interdire aux élus d'exercer –, mais aussi – vous l'avez dit, monsieur le ministre délégué – celles d'expert-comptable, d'huissier de justice, de notaire. À la limite, toutes les professions, dès lors que ceux qui les exercent formulent des conseils, sont concernées !
S'agissant des avocats investis d'un mandat de député, il leur est actuellement interdit, aux termes de l'article L.O. 149 du code électoral, de consulter ou de plaider pour le compte d'une entreprise publique ou d'une entreprise privée rémunérée, financée ou subventionnée par une personne publique, s'ils n'en étaient pas déjà le conseil avant leur élection. Le projet de loi organique prévoit de supprimer les mots « ou de consulter ». Est-ce à dire que l'on distinguerait la plaidoirie et la fonction de conseil ? Cela n'aurait guère de sens dans le cas des avocats. Il convient de clarifier les choses sur ce point.
Enfin, un amendement de M. Dosière vise même à interdire à un parlementaire de commencer à exercer une activité professionnelle qui n'était pas la sienne avant le début de son mandat. Un jeune député n'aurait donc pas le droit d'entreprendre quoi que ce soit ! Surtout, je nourris une inquiétude plus générale : l'effet conjugué de cette mesure, de la limitation du cumul des mandats – à laquelle on peut éventuellement être favorable – et de l'instauration d'une dose de proportionnelle nous conduira tout droit à une République de fonctionnaires ou d'apparatchiks ! Ce n'est, là encore, ni conforme à l'intérêt général, ni dans l'intérêt de notre démocratie. Je peux comprendre qu'il soit nécessaire pour le Gouvernement et la majorité, dont la cote de confiance n'est pas au plus haut, de réagir rapidement après le séisme qu'a constitué l'affaire Cahuzac, mais il eût été sage de réfléchir davantage et de penser aux conséquences à long terme.
Un de nos collègues de l'opposition a prononcé le mot « punition ». Or il est question non pas de punition, mais de bonne gouvernance et d'exigence démocratique ! L'indulgence n'est certes pas de mise ici, mais il y a surtout urgence, tant la méfiance de l'opinion publique est grande à l'égard des responsables politiques. Or la restauration de la confiance publique n'est pas chose qui se décrète : ce doit être l'objet d'une reconquête patiente, pas après pas, et cette loi y contribue.
Je me réjouis que le Gouvernement assume la difficile responsabilité de moderniser le système de contrôle et de sanctions qui s'applique aux responsables politiques. Notre pays s'aligne ainsi – enfin ! – sur les exigences de toute démocratie moderne, fondements de la lutte contre la corruption et de la confiance des citoyens. Le classement des pays nordiques – Danemark, Finlande, Suède – parmi les États les plus vertueux en la matière ne relève pas du hasard : ils sont aussi ceux qui ont introduit les règles de transparence de la vie publique les plus strictes.
Je m'étonne de la légèreté avec laquelle l'opposition aborde ce débat, alors même que la France est, elle, très mal placée : elle occupe le vingt-deuxième rang mondial et le neuvième rang européen dans le classement des États établi par l'ONG Transparency international en fonction de l'indice de perception de la corruption. Cela nuit non seulement à l'action publique, mais également à l'attractivité économique de notre pays. Le coût de la corruption est estimé à 130 milliards d'euros à l'échelle de l'Union européenne, soit 1 % de son PIB.
Toujours selon Transparency international, la principale source de corruption est à rechercher dans les partis politiques. Or, aujourd'hui, aucune disposition n'interdit le cumul des fonctions de membre du Gouvernement et de dirigeant ou mandataire financier d'un parti ou d'un groupement politique susceptible de recevoir des dons ou des cotisations ouvrant droit à déduction fiscale. Cette lacune de notre droit est devenue patente en 2010, lorsque l'opinion a découvert que le ministre du Budget de l'époque était également le trésorier du parti politique majoritaire. C'est pourquoi Jean-Marc Ayrault avait déposé, le 1er septembre 2010, une proposition de loi constitutionnelle visant à compléter l'article 23 de la Constitution par une phrase disposant qu'une loi organique viendrait préciser les fonctions dont l'exercice serait incompatible avec celle de membre du Gouvernement. Ne pourrions-nous pas saisir l'occasion de ce débat et de la réforme constitutionnelle pour modifier ledit article 23 et interdire ce cumul des fonctions de ministre et de mandataire financier d'un parti ?
Nos collègues de l'opposition ont donc décidé de baptiser ces textes les « lois Cahuzac » ! En ce qui me concerne, j'appartiens à une génération qui en a assez que les fautes des responsables publics, élus ou non, soient exploitées par leurs adversaires pour discréditer toute une famille politique. Assez que ces amalgames, d'où qu'ils viennent, produisent un effet désastreux, souvent sous-estimé par leurs auteurs. Assez que les élus soient assimilés par l'opinion à une pseudo-caste, au mieux coupée de la réalité et incompétente, au pire totalement indigne et gangrenée par la corruption. Or les rapports entre l'opinion et les responsables publics – quelle que soit leur appartenance politique – en sont presque là, et personne ne peut prétendre que Jérôme Cahuzac en est, à lui seul, responsable.
Bien sûr, les électeurs ne perçoivent pas de la même manière les responsables publics dans leur globalité et les élus qu'ils connaissent et voient agir dans leur environnement immédiat. Mais, à ce régime, je ne suis pas certain que cette distinction perdure encore bien longtemps. Pourtant, nous partageons tous, dans notre immense majorité, des principes. Quant aux règles qui régissent la morale publique, elles sont aujourd'hui caractérisées par la confidentialité, l'extrême faiblesse des moyens de contrôle, la très grande modestie des sanctions. L'opposition plaide, à peu de choses près, pour que nous en restions là. Pourtant, les textes qui nous sont proposés prévoient tout autre chose : un contrôle étroit et sérieux pratiqué par une Haute autorité qui disposera de véritables moyens d'investigation ; des sanctions renforcées qui deviennent, à juste titre, très sévères ; un droit de regard des citoyens, que je ne confonds d'ailleurs nullement avec le voyeurisme, ce qui m'amènera à soutenir les sages propositions d'amélioration du texte formulées par notre rapporteur.
Nous gagnerions à nous rassembler tous, chers collègues, autour de tels enjeux. Si ces textes ne suffiront pas à régler tous les problèmes de fonctionnement de notre démocratie, ils lèveront, j'en suis convaincu, une part de l'insupportable suspicion pesant sans discernement sur les élus, qui sacrifient beaucoup au service de la collectivité.
Comme la plupart de nos collègues, je suis frappé par le sentiment de défiance de nos concitoyens à l'égard de ceux qui exercent des responsabilités publiques ou qui, comme nous, participent à la délibération et au vote des lois. Cette défiance s'accroît, comme en attestent les taux d'abstention élevés et le nombre de suffrages qui se portent sur les partis protestataires. Elle s'explique par deux séries de raisons : des manquements individuels très choquants dont l'affaire Cahuzac est le dernier exemple et, surtout, les faibles résultats des politiques publiques. Celles-ci sont globalement perçues comme inopérantes sur tous les sujets – chômage, déficits publics, baisse du pouvoir d'achat – qui affectent la vie quotidienne et les perspectives de nos compatriotes. Et ce, non seulement depuis un an, mais plus largement depuis une trentaine d'années.
Les textes qui nous sont proposés apportent-ils un début de réponse à ces deux séries de problèmes ? Je ne le crois pas. Au contraire, la préparation d'une « loi des suspects » ne fera que répandre un parfum de robespierrisme dans notre pays. C'est très regrettable. Le président de la République va entretenir le sentiment de défiance qu'il prétend combattre. En réalité, il est en train de jouer une partie de l'opinion contre les élus – y compris de sa propre majorité –, contre la démocratie représentative, contre l'État. C'est une faute contre la République et contre nos institutions.
Le président de la commission des Lois va s'efforcer, en sa qualité de rapporteur des deux textes, de minimiser leur impact désastreux. La majorité est, elle, embarrassée. Pour ma part, je voterai contre ces lois de régression : la « loi des suspects », la fausse vertu, cela finit généralement très mal ! La Terreur a été suivie par un épisode guère plus glorieux : Thermidor. Nous ferions mieux de nous concentrer sur les questions de fond, conformément aux attentes de nos concitoyens. Cette dérive populiste au sommet de l'État est déplorable et, pour tout dire, assez inattendue de la part de ceux qui nous ont donné des leçons pendant tant d'années.
Il est assez difficile de définir les conflits d'intérêts, mais M. le ministre ne nous en a-t-il pas fourni un cas lorsque, d'un air d'ailleurs assez amusé, il nous a indiqué qu'aux termes de l'article 12 du projet de loi ordinaire, les parlementaires valideront eux-mêmes la nomination de la personne qui devra les contrôler ?
Madame Lemaire, avant de considérer M. Ayrault et le groupe socialiste comme des parangons de vertu après la « confusion des genres » de l'affaire Woerth, vous devriez bien vérifier sur le site de l'Assemblée si M. Cahuzac n'était pas signataire de leur proposition de loi. Il ne faut manifestement pas prendre pour argent comptant ce qu'ont dit ou cosigné les membres de votre groupe lorsqu'ils étaient dans l'opposition !
D'autre part, ce n'est pas nous mais le président de la République qui, en grande pompe, a associé ces projets à l'affaire Cahuzac. Dès lors, il aurait été sans doute préférable d'attendre que la commission d'enquête, qui siège en ce moment même, ait achevé ses travaux pour en tirer les conséquences.
J'en vois deux possibles. On pourrait tout d'abord rendre contraignant l'article 40 du code de procédure pénale, puisque nous avons constaté qu'il n'a pas obligé M. Gonelle ou d'autres à saisir le procureur de la République : cela aurait peut-être suffi à accroître la moralisation de notre vie politique en évitant tout un tintouin. On pourrait ensuite faire en sorte que le ministre du Budget ne vérifie plus la situation fiscale de l'ensemble des membres du Gouvernement… dont la sienne. Vous auriez en tout cas dû proposer des dispositions beaucoup plus concrètes et efficaces au lieu de nous contraindre à examiner longuement un texte qui ne réglera aucun problème.
Enfin, madame Lemaire, c'est vous qui établissez un lien entre l'affaire Cahuzac et la corruption. Jusqu'à présent, nul n'a prouvé que M. Cahuzac était corrompu : il est seulement soupçonné de fraude fiscale.
M. Lionel Tardy sera le dernier orateur. Si d'autres collègues souhaitent s'exprimer, ils pourront le faire dans le cadre de la discussion des amendements, ce qui évitera une discussion générale interminable.
En commission des Affaires économiques, les représentants des groupes disposent de cinq minutes et les autres orateurs de deux minutes seulement. Les mêmes dispositions nous auraient fait gagner du temps...
Nous aurons cette discussion à une autre occasion. Nous avons jusqu'ici considéré, à la satisfaction de tous, que la parole devait être libre au sein de notre Commission.
Je remercie l'ensemble des orateurs qui, chacun avec leur tempérament, ont exprimé leurs convictions.
M. le rapporteur a soulevé des questions très pertinentes : comment définir les activités de conseil et quelles conséquences en tirer quant aux interdictions professionnelles ? Les juridictions ordinales chargées du contrôle des conflits d'intérêts n'ont à ma connaissance jamais assuré une prévention efficace de ceux-ci. Nous savons tous, par exemple, que la situation d'un ancien président de groupe politique devenu avocat a été évoquée par la formation permanente du conseil de l'Ordre du barreau de Paris sans qu'aucune recommandation particulière ait été formulée.
En droit positif, M. Houillon l'a rappelé, les activités des avocats parlementaires ne sont limitées que par les dispositions de l'article L.O. 149 leur interdisant de plaider dans un certain nombre d'affaires dont vous connaissez le détail. Le rapport des sénateurs Jean-Jacques Hyest et Alain Anziani de 2011, comme le rapport Jospin de 2012, ont souligné l'inadaptation de ce régime d'encadrement des activités de conseil. La loi, en effet, ne définit nullement celles-ci et deux décisions seulement du Conseil constitutionnel évoquent la question. Cette absence de définition pouvant susciter des interrogations sans fin, de même d'ailleurs – et cela vaut mutatis mutandis pour d'autres secteurs comme la médecine – que la distinction entre l'activité de conseil et la plaidoirie, le projet de loi rend en pratique incompatible la profession d'avocat avec l'exercice d'un mandat parlementaire. Cependant, d'accord en cela avec le rapporteur, le Gouvernement ne souhaite pas stigmatiser telle ou telle profession. Il reprendra donc à son compte certains amendements interdisant aux parlementaires de commencer ou de maintenir une activité de conseil. Nous mesurons tous en effet les inconvénients qu'il y aurait à reporter le traitement de cette question jusqu'à ce que survienne une nouvelle difficulté.
La composition de la Haute autorité, monsieur le rapporteur, n'aura en effet rien d'original mais tel n'était pas l'objectif ! Reprendre une composition semblable à celle de nombreuses autres autorités indépendantes comprenant des membres du Conseil d'État, de la Cour de cassation et de la Cour des Comptes constitue une garantie.
La question du déport est très importante. Ce texte rappelle et ajoute à la loi un certain nombre de principes, mais d'autres projets seront débattus qui traiteront spécifiquement de cette question pour les fonctionnaires et les magistrats.
L'obligation de déport doit-elle être considérée comme un principe déontologique – une sorte de « principe de précaution » réaffirmé par la loi – ou son non-respect doit-il entraîner des sanctions pénales ? Il faut avoir conscience que nous sommes ici dans ce que j'ai appelé une « zone grise », qu'on ne peut résorber que par un effort de déontologie, d'autant que des milliers de personnes sont concernées. En l'occurrence, la création d'une sanction ressemblerait fort aux réponses qui ont déjà été classiquement opposées alors que nous avons tout intérêt à faire le pari de la déontologie et de la prévention. Cela étant, il ne faut pas que cette nouvelle ambition collective qu'est l'inscription dans la loi de l'obligation de déport soit considérée comme secondaire au motif qu'elle serait trop peu normative.
Je vous rappelle, monsieur Geoffroy, qu'après le rapport Sauvé, un projet de loi avait été déposé par M. François Sauvadet, ministre de la Fonction publique, qui n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour. Pour être approuvés par l'opposition, aurait-il donc fallu faire comme elle en déposant un texte sans en débattre ? Nous avons au contraire considéré que l'inaction n'était pas une réponse. D'autre part, vous vous êtes étonné des dispositions de l'article 1er, mais elles sont identiques à celles que M. Sauvadet avait préconisées dans son propre projet de loi ! Votre critique est donc sans fondement.
J'ai dit que cette loi n'était pas de circonstance, mais qu'elle avait été modifiée. Telle est bien la réalité des choses, en effet. Le 13 mars, alors que personne n'avait connaissance de l'affaire Cahuzac, le Premier ministre a fait une communication en conseil des ministres à propos des conflits d'intérêts et m'a donné pour mission de recevoir un certain nombre d'experts. C'est ce qui a été fait, ce travail étant ensuite revu à la lumière des événements. Voilà la vérité dont attestent d'ailleurs les comptes rendus du conseil des ministres.
Le texte que nous proposons aurait-il empêché ce que nous savons ? C'est une question légitime. On pouvait certes considérer qu'il n'y avait rien d'autre à faire que laisser la justice agir. Nous estimons, quant à nous, qu'il fallait ces projets, et qu'ils contiennent des éléments qui auraient permis de mieux protéger les intérêts de la République. M. Cahuzac n'a-t-il pas travaillé dans un cabinet ministériel ? Il n'était alors pas obligé de déclarer son patrimoine ou d'éventuels conflits d'intérêts. S'il en avait été autrement, peut-être aurions-nous pu disposer d'indices. La publication des déclarations d'intérêts et de patrimoine n'aurait-elle pas permis aussi de révéler des manquements ?
Enfin, malgré l'absence de publication systématique du patrimoine – conclusion à laquelle nous parviendrons peut-être à l'issue de nos débats –, la loi permettra aux personnes qui auront consulté cette déclaration d'alerter la Haute autorité. Si ce droit nouveau avait existé à l'époque, peut-être se serait-il trouvé des gens, parmi ceux qui auraient consulté celle de M. Cahuzac, pour alerter sur quelque dérive.
Cela étant, il n'est pas question pour nous de réécrire l'histoire. Mais je n'accepte pas l'idée selon laquelle ce texte ne changerait rien et vous ne pouvez pas nier l'apport constitué par ces trois nouveaux éléments.
Il aurait mieux valu, dites-vous, ne publier que les noms des personnes qui seraient en infraction. Mais c'est ce que prévoit le projet de loi ordinaire, dont l'article 14 donne à la Haute autorité le pouvoir de publier au Journal officiel un rapport spécial visant nommément une personne qui aurait manqué à ses obligations.
Monsieur Dosière, je suis évidemment d'accord avec votre propos. Ces projets répondent à une demande, restée sans suite, de la Commission pour la transparence financière de la vie politique suggérant dans son rapport annuel une modification de la loi. Mais, en ce qui concerne les parlementaires, il est exact que la séparation des pouvoirs nous interdisait de prendre des initiatives. De même, le « renversement », que vous appelez de vos voeux, d'une majorité négative des commissions en une majorité positive se heurte – et je suis sûr que vous en avez conscience – à l'obstacle de l'article 13 de la Constitution.
Monsieur Poisson, vous vous déclarez hostile par principe à certains aspects de la loi, mais il est un constat dont nul ne peut faire abstraction : nous ne sommes pas maîtres de l'image que nous avons dans l'opinion publique. Je répète donc qu'en la matière, le pire serait l'inaction.
Le code de procédure pénale prévoit vingt et un cas dans lesquels des associations agréées ont la possibilité de mettre en oeuvre l'action publique. La petite extension à laquelle nous procédons n'a donc rien d'original.
J'ai répondu partiellement à M. Houillon, mais nous aurons l'occasion de débattre à nouveau de la nature des activités de conseil.
Vous partez, monsieur Larrivé, du postulat que des manquements sont inévitables, qu'ils ne sont affaire que d'individus, qu'il faut se doter d'un arsenal pénal pour confondre ces fraudeurs et que la faute d'une personne ne doit pas conduire à jeter l'opprobre sur les autres. Mais que faites-vous depuis plusieurs semaines, sinon essayer de reporter la faute d'un seul sur l'ensemble des membres du Gouvernement à coups de questions d'actualité ? À quoi sert, dès lors, la commission d'enquête ? Si c'est la faute d'un homme, ce n'est pas celle de tous ! Peut-être avons-nous agi comme vous par le passé, mais il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'un problème appelant une réponse politique précise, et c'est ce à quoi nous nous sommes employés.
Présidence de M. Jean-Yves Le Bouillonnec, vice-président de la Commission.
La Commission en vient à l'examen des articles du projet de loi organique.
Article 1er (art. L.O. 135-1, L.O. 135-2, L.O. 135-3, L.O. 135-3-1 à L.O. 135-3-3 [nouveaux], L.O. 136-2 du code électoral) : Déclaration de situation patrimoniale et déclaration d'intérêts et d'activités des députés et sénateurs
La Commission est saisie des amendements CL 66 de M. Jean-Frédéric Poisson et CL 73 de M. Guy Geoffroy, tendant à la suppression de l'article.
MM. Poisson et Geoffroy s'étant largement exprimés, puis-je considérer qu'ils ont défendu ces amendements ?
Nous souhaitons supprimer cet article mais cela ne veut pas dire, bien au contraire, que nous refusions la transparence. Nous signifions simplement ainsi que nous réprouvons votre méthode.
Je remercie nos collègues du groupe UMP d'avoir déposé ces amendements qui clarifient leurs intentions, mais je les invite à nous dire comment ils comptent organiser la transparence et, accessoirement, à faire preuve de plus de mesure dans leurs exposés des motifs : parler de « régime d'inquisition » est un peu excessif.
Suivant l'avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette les amendements.
Elle examine ensuite l'amendement CL 3 du rapporteur.
Nous devons examiner quelque trois cents amendements, mais je tiens à préciser qu'ils se retrouvent à la fois dans les projets de loi organique et ordinaire et que les explications données pour l'un devraient valoir pour l'autre. En outre, je serai des plus concis pour tenter de vous convaincre de la pertinence de nombre d'amendements rédactionnels. Enfin, j'ai proposé beaucoup d'amendements visant à homogénéiser les délais relatifs à toutes les catégories d'assujettis et aux diverses déclarations qui leur sont imposées, ce à des fins d'harmonisation et de lisibilité de la loi.
En l'espèce, je vous propose de maintenir le délai de deux mois pour la remise par les députés de leur déclaration de situation patrimoniale.
Je salue cet effort d'homogénéisation mais, deux mois, cela nous amène au coeur du mois d'août, date à laquelle l'actuelle Commission pour la transparence financière de la vie politique est aux abonnés absents. Sachant que le non-dépôt de la déclaration entraîne la démission d'office du parlementaire, le problème qui se pose n'est pas simplement formel.
La Haute autorité travaillera en permanence, ce qui n'était pas le cas de la Commission pour la transparence.
Depuis vingt-cinq ans, personne n'a été déclaré inéligible pour avoir déposé sa déclaration en retard !
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle adopte l'amendement de précision CL 22 du rapporteur.
Elle est saisie de l'amendement CL 72 de M. René Dosière.
Il convient de préciser que les déclarations d'impôt sur le revenu et, le cas échéant, d'impôt de solidarité sur la fortune, devront automatiquement être jointes à la déclaration de patrimoine.
La Haute autorité doit certes pouvoir disposer de l'ensemble des éléments nécessaires à l'évaluation des revenus de la personne assujettie, mais l'amendement CL 21, à venir, me semble préférable au vôtre dans la mesure où celui-ci pourrait conduire à ensevelir la Haute autorité sous les papiers. Surtout, tel qu'il est rédigé, l'oubli d'une seule déclaration entraînerait la démission d'office du parlementaire et son inéligibilité. Je vous suggère donc de le retirer.
L'amendement CL 72 est retiré.
La Commission adopte l'amendement rédactionnel CL 1 du rapporteur.
Elle est saisie de l'amendement CL 19 du rapporteur.
Il convient de porter de trois à cinq ans la période rétrospective sur laquelle devra porter la déclaration d'intérêts des parlementaires, conformément à la pratique actuelle de l'Assemblée nationale et à la recommandation de la commission Jospin.
La Commission adopte l'amendement.
Elle examine les amendements identiques CL 2 du rapporteur, CL 35 de M. Lionel Tardy et CL 57 de M. François de Rugy.
La déclaration d'intérêts devant être la plus complète possible, il n'y a pas de raison pour que la personne assujettie ne fasse pas apparaître des activités exercées au titre de son mandat.
Je m'étonne en effet que l'alinéa 3 dispense de mentionner ces activités. Le principe même d'une exception me dérange car cela revient à ouvrir une brèche dans le dispositif : une déclaration qui ne serait pas exhaustive perdrait tout sens.
Les activités exclues par l'article L.O. 148 sont celles qu'exerce un parlementaire « cumulard » dans le cadre de son mandat local, afin de représenter la région, le département ou la commune au sein de certains organismes. J'aurai l'occasion d'y revenir en proposant la suppression de cet article L.O. 148 : il s'agit de fonctions normalement incompatibles avec un mandat parlementaire, mais que l'on autorise à un parlementaire de détenir en oubliant qu'il est parlementaire pour prendre seulement en compte son mandat local. Il est hypocrite de croire que l'on puisse être schizophrène à ce point et qu'il soit possible de séparer le parlementaire de l'élu local. La déclaration d'intérêts doit concerner tous les champs d'activité du député : le mandat parlementaire comme les autres mandats ou les intérêts privés.
Avec la fin annoncée du cumul des mandats, la question ne se posera sans doute plus de la même manière. Mais, même non assorti de fonctions exécutives, l'exercice d'un simple mandat de conseiller municipal, général ou régional peut conduire à siéger dans un conseil d'administration, ou à diriger une société d'économie mixte ou un office public d'HLM, par exemple. Or de telles activités peuvent être sources de conflits d'intérêts. Il est donc légitime de les mentionner dans la déclaration.
Le Gouvernement est favorable à l'adoption de ces amendements.
La Commission adopte les amendements identiques.
Puis elle examine l'amendement CL 8 du rapporteur.
Cet amendement précise que le député peut joindre des observations à chacune de ses déclarations.
La Commission adopte l'amendement.
Elle est ensuite saisie de l'amendement CL 87 du rapporteur.
Le texte du projet de loi organique ne mentionne que l'indivision entre époux, et non les biens indivis détenus, par exemple, avec le concubin ou le partenaire de PACS du déclarant. Je suggère que tous les biens en indivision soient mentionnés dans la déclaration de patrimoine.
Le Gouvernement est favorable à l'amendement, tout en souhaitant qu'il fasse l'objet, avant l'examen en séance publique, d'une expertise pour en déterminer les conséquences au regard des régimes matrimoniaux.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle en vient à l'amendement CL 50 du rapporteur.
Le projet de loi organique prévoit que toute modification substantielle du patrimoine intervenue au cours d'un mandat parlementaire donne lieu à une mise à jour de la déclaration. L'amendement propose de fixer un délai d'un mois pour remplir cette obligation.
Le Gouvernement s'en remet à la sagesse de la Commission. Un délai d'un mois paraît satisfaisant, mais nous devons tout de même veiller à laisser le temps nécessaire pour se procurer certains documents.
Je reconnais qu'il est sage de fixer un délai, mais à partir de quand le faire partir ? Quel sera le fait générateur ? Cela peut être source de difficultés.
Un délai d'un mois peut paraître trop bref s'il s'agit de produire un document notarié.
D'autre part, quand peut-on parler de « modification substantielle » du patrimoine : après une transaction immobilière ou l'achat d'une belle voiture de collection ?
Non seulement nous retrouverons cette notion de modification substantielle dans la suite du texte, mais elle existe déjà dans la législation qui nous est applicable.
La mise à jour doit tout simplement être effectuée quand le patrimoine change.
De toute façon, la déclaration est une chose, et la réponse à une demande de renseignement en est une autre. La modification du patrimoine devra être signalée, quitte à ce que cette déclaration soit complétée par la suite, à la demande de la Haute autorité, par les documents correspondants. Telle est déjà la pratique de la Commission pour la transparence financière de la vie politique.
La Commission adopte l'amendement.
Elle adopte ensuite l'amendement rédactionnel CL 4 du rapporteur.
Puis elle examine l'amendement CL 5 du même auteur.
Il convient d'avancer dans le temps le dépôt des déclarations de patrimoine de fin de mandat, afin que la Haute autorité puisse accomplir son travail avant les élections : dans le cas où des comportements délictueux seraient révélés, les électeurs doivent en effet en être informés. Inversement, face à un adversaire qui n'est pas nécessairement soumis à l'obligation de déclarer son patrimoine, il est important, pour un parlementaire sortant, de pouvoir se prévaloir d'un avis de la Haute autorité dans le but d'éviter toute critique au sujet de son patrimoine dans le cadre du débat électoral. Je propose donc que la déclaration de fin de mandat soit déposée au plus tard six mois avant la date du scrutin.
Le Gouvernement est convaincu. Avis favorable.
La Commission adopte l'amendement.
Elle est ensuite saisie de l'amendement CL 21 du rapporteur.
Cet amendement, en faveur duquel j'ai demandé à M. Dosière de retirer le sien, prévoit que la déclaration de patrimoine comporte une récapitulation de l'ensemble des revenus perçus par le député et, le cas échéant, par la communauté depuis le début du mandat parlementaire en cours. Il appartiendra donc au député d'adresser à la Haute autorité les documents nécessaires.
Il suffira au parlementaire d'adresser à la Haute autorité la copie de ses cinq déclarations de revenus. Dans l'hypothèse où le patrimoine se serait accru pendant le mandat, celle-ci ne pourrait pas vérifier que cette évolution s'est produite dans des conditions normales si elle ne connaît pas les possibilités d'épargne dont dispose l'élu. Cet amendement est donc important dans la mesure où il lui permettra de concentrer son attention sur les évolutions non conformes aux revenus du déclarant.
Non, elle n'est destinée qu'à la Haute autorité. Et dans mon esprit, elle vise à la protection du député. La Haute autorité ne peut en effet formuler un avis sur l'évolution d'un patrimoine sans avoir connaissance des revenus de celui qui le détient. Cela répond d'ailleurs à une demande constante de la Commission pour la transparence financière de la vie politique. Selon son président, Jean-Marc Sauvé, sur les 11 000 variations de patrimoine observées depuis 1998, seules 14 apparaissaient délictueuses, mais la Commission n'avait pas les moyens de le vérifier, faute de connaître les revenus des parlementaires.
Dans la mesure où la protection du conjoint est une exigence que nous partageons tous, ne faudrait-il pas préciser que ces renseignements ne sont pas rendus publics ?
La Commission est tenue au secret. Ne seront rendues publiques que les déclarations d'intérêts et de patrimoine, à l'exclusion donc des revenus.
Quitte à exiger de tels renseignements, autant demander au député, comme voulait le faire M. Dosière, de joindre ses déclarations de revenus ou ses avis d'imposition.
Mon amendement ne prévoyait que l'envoi de la première et de la dernière déclaration de revenus, correspondant au début et à la fin du mandat. Celui du rapporteur est plus complet. Mais la récapitulation des revenus peut se résumer à une photocopie des cinq déclarations de revenus correspondant à la durée du mandat.
C'est en effet une mesure protectrice pour les députés, et cela évitera à la Haute autorité de devoir écrire aux élus concernés pour leur demander des explications.
Enfin, la Haute autorité sera soumise à une stricte confidentialité. On peut espérer qu'elle fera preuve de la même vigilance que l'actuelle Commission, puisqu'en vingt-cinq ans d'activité, celle-ci n'a pratiquement jamais déploré de fuites.
Je ne suis pas opposée à cet amendement. Mais même s'il n'était pas adopté, la Haute autorité pourrait toujours saisir l'administration fiscale.
Justement, je souhaiterais éviter aux députés la nécessité de remplir un formulaire supplémentaire. Ne pourrait-on pas préciser dans l'amendement que l'obligation prévue est réputée satisfaite par la production de l'ensemble des déclarations d'impôt sur le revenu correspondant à la période considérée ?
En l'état, ce n'est pas ce que dit le texte. Or, lorsqu'il est question de sanctions pénales, les choses doivent être claires. Le droit pénal est d'interprétation stricte, comme vous le savez.
La Commission adopte l'amendement.
Elle en vient ensuite à l'amendement CL 49 du rapporteur.
L'amendement vise à maintenir la règle selon laquelle un parlementaire n'est pas tenu à une nouvelle déclaration de situation patrimoniale lorsqu'il en a déjà remis une depuis moins de six mois, même si sa situation a pu évoluer depuis.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle examine l'amendement CL 33 du rapporteur.
Un parlementaire qui ne se soumettrait pas à ses obligations déclaratives encourt la démission d'office et l'inéligibilité. Mais cette sanction est inopérante s'il est en fin de mandat et n'a pas l'intention de se représenter. Je suggère donc de maintenir la sanction prévue par le droit actuel, c'est-à-dire une amende de 15 000 euros.
J'ai bien compris que l'amendement précédent, CL 83, visant à réintroduire l'adverbe « sciemment », n'était pas défendu, son auteur n'étant pas présent. Mais il s'agit d'une question extrêmement importante. Voulons-nous vraiment que la sanction s'applique de façon automatique, sans prendre en compte l'élément intentionnel ? Il me paraît indispensable de prévoir le cas où l'inexactitude de la déclaration serait le produit d'une erreur.
L'amendement n'a pas été défendu par ses auteurs : le rapporteur n'a donc pas à vous répondre. Mais le débat pourra avoir lieu en séance si vos collègues s'y rendent pour soutenir leur amendement.
La Commission adopte l'amendement CL 33.
Elle est ensuite saisie de l'amendement CL 28 du rapporteur.
Cet amendement très important détaille le contenu de la déclaration de situation patrimoniale. Je l'ai rédigé en prenant pour modèle le texte du décret du 1er septembre 1996.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle en vient à l'amendement CL 29 du rapporteur.
De la même façon, cet amendement tend à définir le contenu de la déclaration d'intérêts et d'activités.
J'attire votre attention sur le 10°, qui prévoit de mentionner dans la déclaration l'identité et les éventuelles activités professionnelles des collaborateurs du député concerné. En effet, les collaborateurs parlementaires, qui jouent un rôle indispensable au sein de cette maison, sont aujourd'hui dépourvus de statut. Or, selon le rapport remis par notre collègue Christophe Sirugue au Bureau de l'Assemblée nationale, certains d'entre eux, en raison de la précarité de leur situation – lorsqu'ils sont employés à temps partiel –, exercent une activité privée. Il me paraît donc important que les parlementaires fassent valoir leur responsabilité d'employeur et en soient informés.
Nous parlons de la déclaration d'intérêts effectuée en début de mandat, à un moment où le député peut n'avoir pas encore recruté ses collaborateurs. Faudra-t-il une nouvelle déclaration à chaque nouveau contrat d'embauche ?
C'est un cas précis de « modification substantielle ». Aujourd'hui, de nombreux collaborateurs de députés exercent une activité privée. Compte tenu du travail qu'ils effectuent à l'Assemblée, il est normal que les déclarations d'intérêts en fassent mention.
Cette disposition s'appliquera-t-elle aux collaborateurs déjà recrutés ou seulement à ceux qui le seraient après l'entrée en vigueur de la loi ?
Elle s'appliquera aux collaborateurs recrutés au moment où le parlementaire fait sa déclaration d'intérêts. Toute modification entraînera une mise à jour de celle-ci.
De quels moyens un député dispose-t-il pour savoir qu'un de ses collaborateurs exerce une activité privée ? Je suis également chef d'entreprise : mes employés sont supposés n'exercer une activité qu'au sein de la société que je dirige, mais je ne peux pas vérifier qu'ils respectent les termes de leur contrat ! Il en est de même pour mes collaborateurs à l'Assemblée nationale. S'il s'avérait qu'ils travaillent pour une entreprise concernée par l'activité législative, quelle pourrait être la sanction ?
Je m'interroge sur la légalité de cette disposition. Un député ne peut être comptable d'une déclaration faite par quelqu'un d'autre. On peut éventuellement demander au collaborateur, au moment de son recrutement, de fournir à l'Assemblée nationale les éléments permettant d'apprécier l'existence d'un conflit d'intérêts. Mais le député ne peut être responsable des manquements d'autrui, ni subir une sanction pour ce motif !
Cet amendement pose le problème de la précarisation des collaborateurs parlementaires, et donc des moyens donnés aux députés et aux sénateurs pour leur permettre de faire correctement leur travail. Sans même invoquer la question du conflit entre intérêts privés et publics, les collaborateurs n'exerceraient pas une activité dans le privé s'ils n'avaient pas besoin de compléter leurs revenus.
D'autre part, la question de M. Denaja est pertinente dans la mesure où les parlementaires tendent à multiplier les contrats.
Enfin, faut-il considérer, au nom de la transparence, qu'un parlementaire devrait signaler la relation personnelle qu'il entretient avec une personne dont l'activité privée est susceptible d'aller à l'encontre de l'intérêt public ?
Selon moi, le 10° pourrait être supprimé, quitte à mieux rémunérer les collaborateurs de députés.
Si les collaborateurs de députés, nous le savons, travaillent parfois dans des conditions très difficiles, il est tout aussi vrai que certaines activités sont peu compatibles avec celles d'un collaborateur parlementaire. Il faut parvenir à une moralisation en ce domaine, et à cet égard, l'amendement me paraît important. Mais peut-on demander à un parlementaire de déclarer une situation qui ne le concerne pas directement ? S'il remet une déclaration inexacte faute d'avoir connaissance de l'activité privée d'un de ses collaborateurs, quelle sanction encourra-t-il ? Ne faudrait-il pas demander au collaborateur lui-même de déposer une déclaration d'intérêts, distincte de celle du parlementaire pour lequel il travaille ?
Le rapporteur a eu raison d'appeler notre attention sur cet aspect précis de son amendement.
Je m'interroge sur le sens juridique de la notion de collaborateur de député. Dans son Manuel de survie à l'Assemblée nationale, notre rapporteur et président distingue lui-même les collaborateurs des attachés, assistants, stagiaires, etc.
Cela étant, je souscris pleinement à l'objectif visé par l'amendement. On sait par exemple que, contrairement aux sénateurs, les députés ont tout loisir de recruter leur conjoint comme collaborateur. C'est compréhensible, mais cela peut être source de difficultés.
Le problème est d'être rendu responsable de faits imputables à quelqu'un d'autre. Je suggère donc, comme notre collègue Fekl, de demander aux collaborateurs eux-mêmes de déposer une déclaration d'intérêts, distincte de celle du député.
Le rapporteur a posé un problème important, pour lequel il faut distinguer le fond et la forme.
Sur le fond, l'amendement aurait deux conséquences. Tout d'abord, la déclaration d'intérêts étant rendue publique, chacun pourrait connaître le nom des collaborateurs du député concerné, et donc, éventuellement, les liens familiaux ou politiques qu'ils peuvent avoir avec lui.
Ensuite, on sait que 30 à 40 % de collaborateurs parlementaires sont employés par des entreprises privées. C'est certes leur droit, mais dans la mesure où ils participent aussi à la rédaction d'amendements sur des sujets pouvant toucher à l'activité des mêmes entreprises, on voit bien le risque de conflit d'intérêts : en reprenant à son compte les amendements que son collaborateur lui suggère, un parlementaire pourrait être amené à défendre à son insu les intérêts d'une société privée.
Sur la forme, maintenant, quels moyens un parlementaire a-t-il de connaître réellement les activités exercées par ses collaborateurs si ces derniers ne le lui indiquent pas ? Ne conviendrait-il pas que les collaborateurs parlementaires soient eux aussi soumis à l'obligation de déclaration d'intérêts et d'activités ?
J'appelle, moi, votre attention sur le 6° de l'amendement, aux termes duquel la déclaration porte également sur « les activités professionnelles exercées à la date de la déclaration par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin, les enfants et les parents ». La problématique est la même que pour les collaborateurs : le député engagera des tiers, éventuellement sans leur demander leur avis, dans un processus de publicité et, à l'inverse, il se trouvera engagé par les communications que ces tiers pourraient faire.
Non. La déontologue de l'Assemblée nationale a demandé aux députés d'indiquer la profession des membres de leur parentèle, mais il n'existe aucun texte à ce sujet. Je crois d'ailleurs savoir que certains collègues ont refusé de répondre.
L'amendement n'indique même pas s'il faut demander leur accord à ces tiers. De même, doit-on considérer qu'un changement de conjoint est une « modification substantielle » impliquant une nouvelle déclaration ? On est en train de construire des usines à gaz !
L'objectif est de responsabiliser les députés afin de moraliser le recrutement des collaborateurs. Peut-être ces collaborateurs devraient-ils être soumis à l'obligation de déclaration d'intérêts et d'activités, mais cela relève d'un autre dispositif. Je propose donc que l'on rédige ainsi le 10° : « les noms et activités professionnelles déclarés par les collaborateurs parlementaires », de sorte que la responsabilité initiale incombe au collaborateur.
Le sujet n'ayant jamais été traité par la loi, monsieur Houillon, il est normal qu'il n'y ait pas de textes.
Dans cet alinéa consacré aux collaborateurs, j'ai souhaité appeler l'attention sur un sujet ignoré par le Parlement, celui de nos 2 400 assistants parlementaires pour lesquels il n'existe ni annuaire, ni grille indiciaire, ni convention collective – à la différence du Sénat. Beaucoup d'entre eux sont dans une précarité imposée par l'employeur. Depuis quarante ans que la fonction existe, il n'y a eu aucun progrès.
Pour ma part, lorsque j'embauche un collaborateur, j'ai une discussion approfondie avec lui. Je considère que c'est ma responsabilité d'employeur.
Il est donc important que la déclaration d'intérêts et d'activités indique avec qui le député travaille. Elle s'étend aussi à la famille, conformément à la définition même du conflit d'intérêts. S'il devait survenir une difficulté judiciaire, il appartiendra au juge d'apprécier la bonne foi du déclarant.
Comme je l'ai dit hier aux représentants des trois associations d'assistants parlementaires, il faut ouvrir un chantier déontologique à l'Assemblée nationale. Les employeurs doivent assumer leurs responsabilités. Certains assistants sont rémunérés 500 euros par mois pour un mi-temps !
À ceci près que ces collaborateurs tirent des revenus d'une autre activité, privée. Dans la mesure où ils rédigent des amendements signés par les députés, il me semble important de savoir pour qui ils travaillent par ailleurs.
Cela étant, je suis conscient que ces difficultés – dont je traiterai dans le rapport car il faut avancer sur le sujet – ne relèvent pas nécessairement de la loi. C'est pourquoi je propose de rectifier l'amendement en supprimant, au 10°, les mots : « et activités professionnelles ». Mais qu'au moins les députés indiquent le nom de leurs collaborateurs !
La Commission adopte l'amendement CL 29 ainsi rectifié.
Elle en vient à l'amendement CL 30 du rapporteur.
Cet amendement prévoit la consultation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés sur le futur projet de décret en Conseil d'État, consultation nécessaire dans la mesure où le dispositif aboutira à la collecte de volumes importants de données personnelles.
La Commission adopte l'amendement.
Puis elle est saisie de l'amendement CL 58 de M. François de Rugy.
Il s'agit d'établir la transparence sur l'ensemble des indemnités perçues par les parlementaires au titre de leurs différents mandats. Ces informations sont actuellement très difficiles à collecter, d'autant que les indemnités locales sont modulées par les conseils municipaux, intercommunaux et autres.
Je maintiens que la déclaration d'intérêts et d'activités précisera le montant des rémunérations perçues par le député, y compris au titre d'autres mandats électifs.
La Commission rejette l'amendement.
Elle est ensuite saisie de l'amendement CL 6 du rapporteur, qui fait l'objet d'un sous-amendement CL 89 de M. René Dosière.
Il a déjà été beaucoup question ces jours derniers de l'amendement CL 6, qui propose un dispositif permettant de concrétiser les engagements du président de la République sans enfreindre le principe constitutionnel de respect de la vie privé. Est-il dès lors nécessaire de le présenter davantage ?
Je précise à l'intention de M. Geoffroy que le même dispositif existe depuis quarante ans en matière de publicité de l'impôt sur le revenu et que l'on n'a quasiment pas constaté d'accrocs.
Le sous-amendement CL 89 vise à permettre aux personnes ayant consulté une déclaration de patrimoine d'exercer, sur la base d'informations qu'elles détiennent par ailleurs, un droit d'alerte auprès de la Haute autorité lorsqu'elles estiment de bonne foi que la déclaration est inexacte. La Haute autorité pourra, le cas échéant, lancer des investigations. On évitera ainsi que ne se reproduisent les affaires que nous avons connues.
Cette proposition revient à instaurer un « contrôle fiscal pour tous ». Devant la gêne que le projet de publication systématique du patrimoine des élus a suscitée, je comprends que la majorité ait voulu trouver une porte de sortie honorable, mais le système atteint là ses limites : quelle que soit votre volonté de protéger les élus concernés contre une forme exagérée de publicité – ce dont je vous donne acte – et quelles que soient les précautions prises s'agissant de la consultation des déclarations, je vous rappelle que nous ne sommes plus au temps des copistes ! On peut facilement prédire que les données seront publiées via les moyens de communication modernes. Nous l'avons vu lors de la discussion de la loi Hadopi, il est très difficile de traquer les sites Internet estoniens ou autres, protégés par des adresses IP d'emprunt.
Bref, le dispositif proposé n'offre aucune garantie au regard de la fin qu'il poursuit. La loi, je l'ai dit, doit comprendre les conditions de son efficacité.
Enfin, monsieur Dosière, l'accès aux déclarations de patrimoine complètes des élus ne peut être comparé à l'accès à la déclaration de revenus de tout un chacun. Le rapporteur a été le premier à le reconnaître : ces déclarations accessibles et diffusables – sans limitation, quoi qu'on en dise – représentent un tout autre enjeu, notamment lors des campagnes électorales. L'amendement n'atténue en rien les dangers que présente le texte du Gouvernement.
J'avais suggéré, sans recevoir de réponse, que soient communiquées aux parlementaires concernés les coordonnées des personnes qui auraient pris connaissance de leurs déclarations d'intérêts et de patrimoine…
L'amendement se situe un cran en dessous de ce qui se pratique depuis longtemps, sans que personne trouve à y redire, pour le président de la République, et plus récemment pour les membres du Gouvernement. Conformément à l'engagement réitéré de M. Hollande, le projet de loi prévoyait d'étendre la disposition aux membres du Parlement. L'amendement propose au contraire un dispositif de « publication non publiable ». Qu'en sera-t-il pour les journalistes, dont la profession consiste précisément à collecter des informations, à les recouper et à les porter à la connaissance du public ? On n'empêchera pas, comme l'a dit M. Poisson, les publications sauvages. De plus, la Haute autorité risque d'être instrumentalisée, par exemple lorsqu'un concurrent électoral ira consulter les déclarations d'un élu pour instiller le soupçon à son égard et, comme le sous-amendement en ouvre la possibilité, écrira à la Haute autorité et le fera savoir.
La déclaration d'intérêts et d'activités, très détaillée, peut soulever des problèmes au regard de la protection de la vie privée. Mais concernant la déclaration de patrimoine, les alinéas 15, 16 et 17 de l'article 1er du projet de loi organique posent tous les garde-fous nécessaires.
Mieux vaut s'en tenir à la transparence telle que le texte du Gouvernement l'organise. Je voterai contre cet amendement.
Le groupe GDR votera cet amendement qui aboutit à un point d'équilibre satisfaisant entre la transparence et le respect de la vie privée. Le dispositif s'inspire de celui qui existe depuis longtemps pour les déclarations au titre de l'impôt sur le revenu.
Alors que nous étions convenus que la séance serait levée à vingt heures, nous devons examiner à vingt heures dix-huit un des amendements les plus importants à ce texte. N'aurait-il pas été préférable de reporter cette discussion à la séance du mercredi matin, où nos collègues de la commission des Lois sont plus nombreux à siéger ?
Nous avons pris le temps de débattre. Une fois la discussion ouverte sur un amendement, il est impossible de ne pas la mener à son terme.
C'est un système malsain que l'on veut instaurer. On commence avec le « contrôle fiscal pour tous » – pourquoi pas ? –, et l'on termine, avec le sous-amendement, par une incitation à la délation. Si vous voulez la transparence, faites-la complètement et revenez au texte du Gouvernement ! Au moins, les informations seront publiées : elles ne seront pas recueillies en catimini à la préfecture par une poignée de personnes, notamment en période électorale, qui feront ensuite des dénonciations à la Haute autorité. S'il doit y avoir une publicité, qu'elle soit faite de manière saine !
Cet amendement est censé conclure le débat, largement rapporté par la presse, que le Gouvernement a eu avec sa majorité. M. Dolez y voit un « point d'équilibre ». Pour moi, c'est le signe d'un réel désaccord et d'un réel déséquilibre.
Je le répète, nous considérons ces lois « Cahuzac » comme des lois de circonstance. Nous ne voulons rien refuser qui permette une véritable transparence mais, en l'occurrence, vous multipliez les faux-semblants. Rendu ainsi illisible, le texte ne fera qu'entretenir un climat délétère dans notre pays. À tout prendre, c'est l'alinéa du projet de loi gouvernemental qui établit la transparence, certainement pas cet amendement contre lequel nous voterons.
Chacun s'est exprimé dans le temps nécessaire. Vous aurez d'autres espaces de discussion, notamment en séance. Les positions de chacun sont claires et je considère que notre Commission est maintenant informée.
Le président de la République a déclaré, lors d'une conférence de presse, que la publication du patrimoine ne devrait pas attenter à la protection de la vie privée. Telle est donc la feuille de route qui s'impose à nous, sachant que la mesure telle qu'elle a été mise en oeuvre pour les membres du Gouvernement est difficilement compatible, pour les parlementaires, avec le respect d'une telle exigence. Le Gouvernement a donc été à l'écoute des interrogations qui se sont exprimées.
Nous avons entendu les observations du rapporteur et du responsable du groupe majoritaire sur le fait qu'un contribuable peut d'ores et déjà consulter des feuilles d'impôt, y compris des parlementaires, sans que cela donne lieu à des dérives – à une exception près, célèbre mais ancienne. Cette possibilité est évidemment utilisée par les candidats qui s'affrontent dans les joutes électorales mais, en l'absence d'éléments surprenants, ils n'en font évidemment rien – et n'auraient de toute façon pas le droit d'utiliser leurs découvertes.
Il convient donc de répondre à l'obligation de publication tout en ouvrant aux citoyens un droit d'alerte, lequel n'était pas envisageable dans le cadre d'une publication « tous azimuts », si vous me passez l'expression. Le Gouvernement acquiesce à l'équilibre trouvé, c'est-à-dire à l'amendement tel que M. Dosière propose de le sous-amender : un droit de consultation dans le département d'élection – avec interdiction de divulguer les informations recueillies, sous peine de sanctions pénales –, assorti d'une possibilité d'alerter la Haute autorité. Elle seule dispose en effet de pouvoirs d'investigation, lesquels restaient très limités pour la Commission pour la transparence, comme cela ressort de son rapport annuel et des préconisations du rapport Sauvé.
La Haute autorité, en plus de disposer de ces pouvoirs d'investigation renforcés, pourra être saisie non seulement par les associations anti-corruption, mais aussi par chaque citoyen. Sans prétendre qu'il s'agit du système initialement envisagé, le Gouvernement estime que cet équilibre ouvre de nouveaux droits aux citoyens tout en garantissant la protection de la vie privée.
Mon sous-amendement n'a rien à voir avec la délation ; il concerne seulement le droit d'alerte, qui se trouve par ailleurs défini et encadré par un article du projet de loi ordinaire. Cet article précise les mesures de protection dont l'intéressé pourra bénéficier, mais aussi les conditions très strictes, à commencer par la bonne foi, sous lesquelles il peut lancer une alerte – faute de quoi il s'expose à de lourdes sanctions. Je ne propose rien d'autre que d'appliquer ce droit aux déclarations de patrimoine.
De plus, celui qui lance l'alerte resterait strictement soumis à l'interdiction de divulgation telle qu'elle est prévue par l'amendement, avec les mêmes sanctions à la clé en cas de manquement. Et cette alerte ne peut en tout état de cause être anonyme. Un tel système, loin de s'apparenter à de la délation, est réclamé depuis longtemps par les associations de lutte contre la corruption. Il existe dans le secteur privé, mais pas encore dans le secteur public.
Cette disposition me semblerait plus à sa place dans le projet de loi ordinaire, mais j'y suis favorable.
La Commission adopte le sous-amendement CL 89.
Puis elle adopte l'amendement CL 6 ainsi sous-amendé.
En conséquence, l'amendement CL 36 tombe.
La séance est levée à20 heure 35.