Monsieur le ministre délégué, je vous remercie de votre propos introductif, qui illustre bien la volonté du Gouvernement et donne également une bonne idée du spectre que vous avez voulu couvrir par ces deux projets.
Les questions du rapporteur, même si nous pouvons les faire nôtres, ne font pas apparaître le fossé important, qui est apparu clairement ces derniers jours et ce matin encore, entre la traduction que le Gouvernement a donnée de sa volonté de transparence et les souhaits de sa majorité. Il faudra bien pourtant évoquer la manière dont vous avez traité ce profond différend, sans faire comme s'il s'agissait d'une question évanescente ou qui ne se serait jamais posée. De fait, s'il ne s'agit pas pour nous de nous régaler par avance de ce qui peut vous diviser, ce différend, résolu ou non, démontre que le dispositif que vous proposez est un faux-semblant supplémentaire destiné à cacher la réalité de l'affaire Cahuzac.
À vous en croire, vous ne feriez qu'accélérer l'examen d'un texte prévu pour l'automne afin de ne pas laisser penser aux Français que vous n'écouteriez pas leurs légitimes aspirations, en foi de quoi vous vous livrez à un chassé-croisé en affirmant que ce projet n'a rien de conjoncturel. Nous sommes convaincus du contraire, et cela pour deux raisons. Fallait-il, tout d'abord, déclarer l'urgence pour ce texte, alors que l'affaire Cahuzac suit son cours et qu'une commission d'enquête travaille sur ce sujet au sein de notre assemblée ? Ensuite, ce texte n'est-il pas une manière de vous venger de ce que vous n'avez pu éviter ? Ainsi, n'ayant pas obtenu de votre ancien collègue qu'il renonce aux six mois d'indemnités qui lui étaient dus au terme de ses fonctions, vous punissez tous ses successeurs – dont vous faites d'ailleurs partie – en limitant à un mois le versement de ces indemnités. N'est-ce pas un nouvel indicateur, s'il en était besoin, du caractère purement conjoncturel de votre texte ? Vous prétendez ne pas légiférer sous le coup de la légitime émotion de nos concitoyens, mais c'est tout le contraire que nous constatons. Il serait plus simple de dire aux Français que ces deux lois relatives à la transparence de la vie publique ne sont autre chose que des « lois Cahuzac ».
L'objectif de ces lois était qu'une telle affaire ne se reproduise jamais. Or, si elles avaient été en vigueur début décembre, lorsque nous avons découvert cette affaire, et même bien avant, lorsque l'intéressé commençait, il y a une vingtaine d'années, à accumuler des sommes qu'il soustrayait au fisc et plaçait sur un compte hébergé dans un établissement étranger, auraient-elles empêché quoi que ce soit ? Il est clair que non. Transformer la Commission pour la transparence financière de la vie politique en Haute autorité n'aurait pas empêché M. Cahuzac, qui n'était alors aucunement élu, de faire ce qu'il a fait – pas plus, du reste, que le durcissement des sanctions. Les dispositions que vous prenez ne répondent à aucune des questions que l'on peut se poser.
Vous avez décidé de noyer l'affaire Cahuzac et la question de la responsabilité politique de ce ministre, de votre gouvernement et de votre majorité dans une loi qui pénalise la représentation nationale en indiquant au peuple français que les élus sont a priori suspects. J'en veux pour preuve l'article 1er de la loi ordinaire : « Les personnes titulaires de fonctions gouvernementales ou investies d'un mandat électif local, ainsi que celles chargées d'une mission de service public, exercent leurs fonctions avec dignité, probité et impartialité. » Pourquoi donc éprouvez-vous le besoin de le préciser comme si ce n'était pas déjà le cas chez les élus de la République ? Croyez bien que, dans ma circonscription, mes collègues élus municipaux ne sont pas très heureux d'apprendre que ce n'est que maintenant que l'on exigerait d'eux ces trois qualités.
J'en viens à quelques questions. Tout d'abord, pourquoi ce choix, contesté vigoureusement par votre majorité, de publier les déclarations de patrimoine au mépris d'une certaine confidentialité et du respect des proches des personnes visées, en particulier de leurs conjoints ? Pourquoi avoir ensuite accepté de reculer – au point qu'un amendement, exceptionnel quant à sa conception et à sa rédaction, vous fera revenir sur votre objectif de transparence ? Soit vous voulez la transparence, soit vous ne voulez pas ! Dire que les déclarations seront consultables en préfecture par un citoyen qui aura ensuite interdiction de les publier, sous peine de s'exposer à la batterie des dispositions pénales que vous instaurez, c'est se moquer ouvertement du monde. Vous aurez beau affirmer, dans votre volonté de régler les différends internes à la gauche, que cette mesure ne pose aucun problème, nul ne peut imaginer qu'il n'y aura pas de fuites, pas de tracts anonymes qui nous viseront tous, pas de diffusion d'informations sur des sites Internet qui pourront être hébergés n'importe où sur la planète.
La nature humaine étant ce qu'elle est, comme vous venez de le rappeler à grand renfort de citations, l'élu sera voué à la vindicte populaire, pour des raisons qui pourraient fort bien être tout à fait étrangères à ses fonctions : pourquoi n'allez-vous pas jusqu'au bout de votre réforme en lui permettant de connaître le nom des personnes qui auront demandé à consulter ses déclarations d'intérêts et de patrimoine ? Au moins jouerait-il alors à armes égales avec ceux qui seraient si désireux de connaître ce que le Gouvernement voulait révéler à la terre entière et que la majorité ne veut faire connaître qu'à un petit nombre.
En deuxième lieu, le texte initial dispose que le rapport annuel de la Haute autorité ne pourra en aucun cas comporter d'informations nominatives. Or, la solution consistait précisément à ce que la Haute autorité procède comme la Cour des comptes, qui fournit dans son rapport annuel des informations nominatives sur les collectivités ou sur les acteurs publics qui, selon elle, n'ont pas bien assumé leurs responsabilités et devraient faire mieux ou différemment. Voulons-nous que les Français se repaissent de savoir que le conjoint de tel ou tel dispose d'une fortune personnelle, ce conjoint devenant alors un boulet pour l'élu ? Personne ne demande cela : ce que nous voulons tous, c'est que soit lavée la suspicion, c'est qu'on ne puisse plus penser qu'un acteur de la République est, du fait de son élection, susceptible de profiter de son ou ses mandats pour s'enrichir.
Pour atteindre cet objectif, il conviendrait qu'après avoir tout fait pour obtenir des intéressés les éléments justifiant l'enrichissement dont ils se seraient éventuellement rendus coupables, la Haute autorité, dont vous accroîtriez à cet effet les pouvoirs, signale – cette fois à la terre entière – que ces acteurs publics n'ont pas fourni les informations permettant de lever et de laver le soupçon. C'est ce qu'attendent les Français, et que vous ne faites pas.
Observateurs à la fois amusés et sidérés de cette pantomime à laquelle se livrent le Gouvernement et sa majorité, nous espérons que, dans les heures, les jours et les semaines qui viennent, l'avenir de ce texte nous permettra de conclure tous ensemble que, s'il faut lutter pour la transparence, il ne faut probablement pas le faire en accélérant l'adoption du dispositif élaboré sous le coup de l'émotion qu'a suscitée l'affaire Cahuzac.