Intervention de Aurélie Filippetti

Réunion du 5 juin 2013 à 12h00
Mission d'information sur les immigrés âgés

Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication :

La question de la place faite dans nos politiques culturelles aux immigrés âgés est une question cruciale : notre mission, c'est de favoriser l'accès de tous à la culture et aux oeuvres, mais aussi d'assurer une meilleure représentation de la diversité des parcours, des horizons et des sensibilités de nos concitoyens. Les richesses culturelles apportées à notre pays par les vagues d'immigration successives ne sauraient être sous-estimées.

Le ministère de la culture mesure toute l'importance de l'accès à la culture des personnes âgées immigrées ; nous ne mettons pas en oeuvre pour eux une politique spécifique, mais ils sont pleinement concernés par les politiques de droit commun, en particulier les politiques de cohésion sociale, menées au niveau interministériel. Le ministère a inscrit des propositions concrètes dans le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale ; la forte présence du ministère de la culture au sein des politiques de la ville confirme l'importance de la culture comme outil de cohésion sociale. Nous menons des actions en faveur d'une plus grande diversité des publics, notamment en termes d'âge et de genre.

Nous avons également mis en place, avec le ministère en charge des anciens combattants, un groupe de travail sur le thème de la mémoire de l'immigration.

Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre avait souligné la nécessité de renouveler l'approche des questions d'intégration. Dans un rapport remis à M. Jean-Marc Ayrault le 11 février dernier, M. Thierry Tuot a souligné les limites des politiques culturelles actuelles, et en particulier le trop fréquent cantonnement des personnes immigrées à leur culture d'origine ou à une sous-culture du divertissement. M. Tuot propose donc des actions symboliques portant sur la mémoire et l'histoire de l'immigration, comme sur la mémoire des quartiers, en lien avec les opérations de rénovation urbaine. Il formule de nombreuses propositions sur des thèmes qui font également partie de mes priorités : éducation artistique et culturelle ouverte à toute la diversité des champs de la création, éducation populaire, développement des mesures en faveur de l'égalité des chances. Il aborde enfin la question des nouveaux médias comme facteurs d'intégration. Ce rapport constitue un travail important, tout à fait cohérent avec ma volonté de promouvoir une meilleure reconnaissance de l'apport culturel des populations immigrées. Mon attention se porte notamment sur le monde du travail : la direction générale des patrimoines travaille beaucoup sur la question du patrimoine industriel, en Moselle, dans la Loire... La valorisation de ce patrimoine permet aussi de valoriser les générations de travailleurs venus d'ailleurs qui ont enrichi notre pays, économiquement, mais aussi culturellement.

La question des programmes et des manuels scolaires concerne bien sûr au premier chef le ministre de l'éducation nationale, mais il nous revient aussi de veiller à la valorisation des artistes et du patrimoine.

Nos commémorations nationales ont trop souvent laissé de côté les anciens combattants venus de nos anciennes colonies ; je souhaite plus généralement que l'on prenne en considération l'apport de toutes les populations immigrées à la construction de notre pays.

Pour remédier à ces lacunes, la Cité nationale d'histoire de l'immigration est un outil essentiel. Elle a deux missions fondamentales : constituer une collection permanente et faire vivre un réseau sur tout le territoire. La Cité a été durement attaquée entre 2007 et 2012 : avec les autres ministres concernés, j'ai souhaité la préserver des efforts budgétaires demandés aux autres institutions et lui redonner les moyens de son action ; son budget a augmenté de 130 000 euros en 2013.

Avec les ministères de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, et de l'intérieur – qui en est la première source de financement –, nous travaillons à définir, pour l'automne, une nouvelle ambition pour la CNHI. Sa première mission est de travailler sur l'histoire de l'immigration et cela doit rester sa priorité ; la tentation existe d'aller vers une histoire de la colonisation : ce serait à mon sens une erreur. La qualité de sa démarche scientifique est primordiale et doit être préservée. La Cité a également la mission d'accueillir tous les publics, afin de permettre une prise de conscience collective de l'importance des phénomènes migratoires et de leur apport positif à notre culture. Elle met en place des pratiques de médiation culturelle ; elle participe à l'opération « les Portes du temps », organisée pendant les vacances scolaires, ce qui permet à des jeunes souvent défavorisés de travailler sur la représentation de l'immigration et des parcours migratoires. La Cité contribue enfin à mieux faire connaître notre histoire. L'exposition « Vies d'exil. Des Algériens en France pendant la guerre d'Algérie 1954-1962 », dont l'un des commissaires était Benjamin Stora, a ainsi connu un très grand succès.

En matière de médias, il nous faut soutenir les pratiques culturelles émergentes, notamment dans nos banlieues ; il faut à la fois accorder une juste place aux nouveaux médias et renouveler l'offre des médias traditionnels à destination des quartiers.

La question de la langue relève du ministère de la culture. Il faut bien sûr garantir la primauté du français et donc en permettre une bonne maîtrise par tous – c'est la condition de la cohésion sociale – mais aussi favoriser la pratique et la transmission des langues d'origine.

Aujourd'hui, les immigrés âgés n'ont souvent pas accès aux dispositifs d'enseignement du français, qui sont réservés aux primo-arrivants ; seuls les cours mis en place par les communes ou les associations peuvent leur être ouverts. Or, les changements dans le code des marchés publics ont provoqué une marchandisation et fragilisé les associations, pourtant les mieux à même de répondre à la demande des immigrés âgés. Ces associations organisent des activités très diverses et nombreuses : il faut soutenir et renforcer encore leurs actions ; en particulier, il faut favoriser une meilleure formation des intervenants bénévoles. La connaissance du français est indispensable, tant pour l'accès aux droits que plus généralement pour la cohésion sociale.

Je veux souligner ici que l'apprentissage du français concerne au premier chef des femmes arrivées en France il y a trente ou quarante ans, qui ont souvent été peu scolarisées dans leur pays d'origine et qui, ici, sont restées confinées dans la sphère familiale : souvent, elles parlent mal le français, et c'est pour elles un frein considérable à l'autonomie. Les immigrés plus récents ont souvent, heureusement, été mieux scolarisés. Il faut aussi prévoir des dispositifs accessibles aux chibanis, qui connaissent le français oral mais ne maîtrisent pas la langue écrite.

Ne laissons pas de côté la question de la fracture numérique : il faut permettre l'appropriation par tous des outils numérique de base, sinon il y aura une sorte d'illettrisme numérique.

Parler mieux la langue, c'est pouvoir accéder plus facilement à l'offre culturelle ; en retour, l'offre culturelle renforce la pratique et la connaissance de la langue. Il faut ici encore travailler avec les associations, qui sont au plus près des populations concernées. Nous avons signé, en 2012, des conventions avec le Secours populaire et ATD Quart monde ; nous venons de renouveler nos conventions avec le Secours catholique, Emmaüs France, la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS), la Cimade et la Fédération nationale des associations solidaires d'action avec les Tsiganes (FNASAT)-Gens du voyage. Nous voulons favoriser l'accès à l'art et à la culture des personnes en situation de pauvreté et d'exclusion, mais aussi permettre l'expression culturelle de tous, lutter contre le racisme, la discrimination et l'intolérance.

Il s'agit bien sûr de renforcer l'égalité des chances et l'accès de tous à la pleine citoyenneté. En particulier, la culture permet de poser la question de la laïcité de façon dépassionnée.

Enfin, je voudrais citer la mission « Vivre ensemble » qui permet d'aller à la rencontre des publics peu familiers des institutions culturelles. Je souhaite soutenir cette action, notamment en direction des immigrés âgés, et il me paraît particulièrement important qu'elle se déroule sur tout le territoire de la République.

Les politiques culturelles doivent permettre de faire reculer les inégalités entre les citoyens et entre les territoires : nul ne doit être exclu et nous sommes au service de tous, où qu'ils habitent, quelle que soit leur origine, quel que soit leur milieu social. Hier, le Président de la République a inauguré le Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MUCEM), à Marseille : ce grand établissement, ouvert sur l'ensemble du bassin méditerranéen, symbolise notre communauté de destin.

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