Mission d'information sur les immigrés âgés

Réunion du 5 juin 2013 à 12h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à douze heures.

La mission d'information entend Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication.

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Madame la ministre, votre audition a pour but de mesurer ce qui a été réalisé et ce qui pourrait être entrepris pour valoriser la contribution des populations immigrées des pays tiers à l'Union européenne aujourd'hui âgées à notre histoire commune, mais aussi pour favoriser leur participation et leur contribution à la vie culturelle de notre pays. Votre intervention devant nous s'inscrit dans le droit fil du discours remarquable que vous avez prononcé le 31 août 2012 à la Cité nationale de l'histoire de l'immigration (CNHI).

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Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication

La question de la place faite dans nos politiques culturelles aux immigrés âgés est une question cruciale : notre mission, c'est de favoriser l'accès de tous à la culture et aux oeuvres, mais aussi d'assurer une meilleure représentation de la diversité des parcours, des horizons et des sensibilités de nos concitoyens. Les richesses culturelles apportées à notre pays par les vagues d'immigration successives ne sauraient être sous-estimées.

Le ministère de la culture mesure toute l'importance de l'accès à la culture des personnes âgées immigrées ; nous ne mettons pas en oeuvre pour eux une politique spécifique, mais ils sont pleinement concernés par les politiques de droit commun, en particulier les politiques de cohésion sociale, menées au niveau interministériel. Le ministère a inscrit des propositions concrètes dans le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale ; la forte présence du ministère de la culture au sein des politiques de la ville confirme l'importance de la culture comme outil de cohésion sociale. Nous menons des actions en faveur d'une plus grande diversité des publics, notamment en termes d'âge et de genre.

Nous avons également mis en place, avec le ministère en charge des anciens combattants, un groupe de travail sur le thème de la mémoire de l'immigration.

Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre avait souligné la nécessité de renouveler l'approche des questions d'intégration. Dans un rapport remis à M. Jean-Marc Ayrault le 11 février dernier, M. Thierry Tuot a souligné les limites des politiques culturelles actuelles, et en particulier le trop fréquent cantonnement des personnes immigrées à leur culture d'origine ou à une sous-culture du divertissement. M. Tuot propose donc des actions symboliques portant sur la mémoire et l'histoire de l'immigration, comme sur la mémoire des quartiers, en lien avec les opérations de rénovation urbaine. Il formule de nombreuses propositions sur des thèmes qui font également partie de mes priorités : éducation artistique et culturelle ouverte à toute la diversité des champs de la création, éducation populaire, développement des mesures en faveur de l'égalité des chances. Il aborde enfin la question des nouveaux médias comme facteurs d'intégration. Ce rapport constitue un travail important, tout à fait cohérent avec ma volonté de promouvoir une meilleure reconnaissance de l'apport culturel des populations immigrées. Mon attention se porte notamment sur le monde du travail : la direction générale des patrimoines travaille beaucoup sur la question du patrimoine industriel, en Moselle, dans la Loire... La valorisation de ce patrimoine permet aussi de valoriser les générations de travailleurs venus d'ailleurs qui ont enrichi notre pays, économiquement, mais aussi culturellement.

La question des programmes et des manuels scolaires concerne bien sûr au premier chef le ministre de l'éducation nationale, mais il nous revient aussi de veiller à la valorisation des artistes et du patrimoine.

Nos commémorations nationales ont trop souvent laissé de côté les anciens combattants venus de nos anciennes colonies ; je souhaite plus généralement que l'on prenne en considération l'apport de toutes les populations immigrées à la construction de notre pays.

Pour remédier à ces lacunes, la Cité nationale d'histoire de l'immigration est un outil essentiel. Elle a deux missions fondamentales : constituer une collection permanente et faire vivre un réseau sur tout le territoire. La Cité a été durement attaquée entre 2007 et 2012 : avec les autres ministres concernés, j'ai souhaité la préserver des efforts budgétaires demandés aux autres institutions et lui redonner les moyens de son action ; son budget a augmenté de 130 000 euros en 2013.

Avec les ministères de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, et de l'intérieur – qui en est la première source de financement –, nous travaillons à définir, pour l'automne, une nouvelle ambition pour la CNHI. Sa première mission est de travailler sur l'histoire de l'immigration et cela doit rester sa priorité ; la tentation existe d'aller vers une histoire de la colonisation : ce serait à mon sens une erreur. La qualité de sa démarche scientifique est primordiale et doit être préservée. La Cité a également la mission d'accueillir tous les publics, afin de permettre une prise de conscience collective de l'importance des phénomènes migratoires et de leur apport positif à notre culture. Elle met en place des pratiques de médiation culturelle ; elle participe à l'opération « les Portes du temps », organisée pendant les vacances scolaires, ce qui permet à des jeunes souvent défavorisés de travailler sur la représentation de l'immigration et des parcours migratoires. La Cité contribue enfin à mieux faire connaître notre histoire. L'exposition « Vies d'exil. Des Algériens en France pendant la guerre d'Algérie 1954-1962 », dont l'un des commissaires était Benjamin Stora, a ainsi connu un très grand succès.

En matière de médias, il nous faut soutenir les pratiques culturelles émergentes, notamment dans nos banlieues ; il faut à la fois accorder une juste place aux nouveaux médias et renouveler l'offre des médias traditionnels à destination des quartiers.

La question de la langue relève du ministère de la culture. Il faut bien sûr garantir la primauté du français et donc en permettre une bonne maîtrise par tous – c'est la condition de la cohésion sociale – mais aussi favoriser la pratique et la transmission des langues d'origine.

Aujourd'hui, les immigrés âgés n'ont souvent pas accès aux dispositifs d'enseignement du français, qui sont réservés aux primo-arrivants ; seuls les cours mis en place par les communes ou les associations peuvent leur être ouverts. Or, les changements dans le code des marchés publics ont provoqué une marchandisation et fragilisé les associations, pourtant les mieux à même de répondre à la demande des immigrés âgés. Ces associations organisent des activités très diverses et nombreuses : il faut soutenir et renforcer encore leurs actions ; en particulier, il faut favoriser une meilleure formation des intervenants bénévoles. La connaissance du français est indispensable, tant pour l'accès aux droits que plus généralement pour la cohésion sociale.

Je veux souligner ici que l'apprentissage du français concerne au premier chef des femmes arrivées en France il y a trente ou quarante ans, qui ont souvent été peu scolarisées dans leur pays d'origine et qui, ici, sont restées confinées dans la sphère familiale : souvent, elles parlent mal le français, et c'est pour elles un frein considérable à l'autonomie. Les immigrés plus récents ont souvent, heureusement, été mieux scolarisés. Il faut aussi prévoir des dispositifs accessibles aux chibanis, qui connaissent le français oral mais ne maîtrisent pas la langue écrite.

Ne laissons pas de côté la question de la fracture numérique : il faut permettre l'appropriation par tous des outils numérique de base, sinon il y aura une sorte d'illettrisme numérique.

Parler mieux la langue, c'est pouvoir accéder plus facilement à l'offre culturelle ; en retour, l'offre culturelle renforce la pratique et la connaissance de la langue. Il faut ici encore travailler avec les associations, qui sont au plus près des populations concernées. Nous avons signé, en 2012, des conventions avec le Secours populaire et ATD Quart monde ; nous venons de renouveler nos conventions avec le Secours catholique, Emmaüs France, la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS), la Cimade et la Fédération nationale des associations solidaires d'action avec les Tsiganes (FNASAT)-Gens du voyage. Nous voulons favoriser l'accès à l'art et à la culture des personnes en situation de pauvreté et d'exclusion, mais aussi permettre l'expression culturelle de tous, lutter contre le racisme, la discrimination et l'intolérance.

Il s'agit bien sûr de renforcer l'égalité des chances et l'accès de tous à la pleine citoyenneté. En particulier, la culture permet de poser la question de la laïcité de façon dépassionnée.

Enfin, je voudrais citer la mission « Vivre ensemble » qui permet d'aller à la rencontre des publics peu familiers des institutions culturelles. Je souhaite soutenir cette action, notamment en direction des immigrés âgés, et il me paraît particulièrement important qu'elle se déroule sur tout le territoire de la République.

Les politiques culturelles doivent permettre de faire reculer les inégalités entre les citoyens et entre les territoires : nul ne doit être exclu et nous sommes au service de tous, où qu'ils habitent, quelle que soit leur origine, quel que soit leur milieu social. Hier, le Président de la République a inauguré le Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MUCEM), à Marseille : ce grand établissement, ouvert sur l'ensemble du bassin méditerranéen, symbolise notre communauté de destin.

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Merci beaucoup de cette riche intervention, madame la ministre. Je me réjouis que vous accordiez une grande importance à la CNHI, car l'audition de son directeur général, M. Gruson, avait impressionné les parlementaires. Je souligne aussi que les associations que nous avons entendues ont beaucoup insisté sur l'importance de l'apprentissage du français pour les immigrés de longue date, notamment les femmes.

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La transmission de la mémoire de l'immigration est cruciale : l'oubli, l'invisibilité, voire la mise à l'écart des immigrés ont été souvent mentionnés au cours de nos travaux. Le rôle des politiques culturelles est donc primordial.

Vous avez largement évoqué la CNHI, dont votre ministère assure la cotutelle. M Gruson, son directeur général, nous a dit avoir essayé d'organiser des visites de la Cité en lien avec Adoma, important bailleur social, sans que ce projet ait pu aboutir. C'est un point certes mineur, mais malheureusement emblématique de la situation de relégation des immigrés âgés dans notre pays : je me permets donc de vous faire passer ce message.

Vous avez parlé d'enseignement scolaire ; il faut souligner aussi les inquiétudes dont nous ont fait part les chercheurs : ils ont du mal à faire reconnaître l'histoire de l'immigration comme un sujet noble ainsi qu'à obtenir des financements pérennes.

Si le cinéma a un peu travaillé la question de l'immigration, la télévision semble en retard sur ces sujets. Ne manque-t-il pas des émissions et des productions consacrées à ces sujets ? Ils sont peu traités par l'écriture télévisuelle, peu abordés lors des débats. Le service public de l'audiovisuel, dont vous exercez la tutelle, ne peut-il pas faire plus et mieux ?

Vous avez rappelé les propositions du « rapport Tuot » sur la conservation de la mémoire urbaine lors d'opération de rénovation. Certaines collectivités territoriales se préoccupent de préserver ces lieux et cette mémoire, mais pas toutes : il pourrait être intéressant de systématiser ces pratiques, qui permettent de mieux associer les habitants à la vie de leur quartier. L'identification de lieux de mémoire, notamment industriels, est quelque chose de très important – je pense notamment, dans mon département, à Billancourt, dont il ne reste que des vestiges : l'apport des immigrés à la vie de l'usine a été majeur.

Que pensez-vous de la proposition, formulée par l'association Génériques, de création d'une journée européenne du patrimoine de l'immigration ?

Le Haut Conseil à l'intégration est aujourd'hui à l'arrêt. Pourrait-il jouer un rôle pour financer la recherche en histoire de l'immigration, voire des projets d'écriture et de diffusion de cette histoire ?

Êtes-vous certaine qu'il faille établir une forte distinction entre héritage colonial et mémoire de l'immigration ? Certains des immigrés aujourd'hui présents dans notre pays ont été français, puis ont cessé de l'être et, pour certains, le sont redevenus. Il paraît difficile de ne pas lier l'accueil qui leur a été fait à la colonisation : même s'il faut peut-être traiter ces problèmes de façon séparée, il ne paraît pas possible de laisser de côté la question de la colonisation.

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Les vieux migrants sont des relais essentiels pour dédramatiser les questions de citoyenneté : ce ne sont pas eux qui sont les plus amers à l'égard de la France. Il est très important de leur accorder un statut social, une forte reconnaissance, car leur autorité morale leur permet de transmettre aux jeunes des valeurs morales : ils peuvent ainsi nous aider à lutter contre la violence, l'intolérance et la misogynie.

Il est donc essentiel de leur permettre d'accéder à la culture. Les cafés sociaux par exemple jouent là un rôle majeur. Il est bon aussi de les inviter dans les établissements culturels. Il devrait être possible d'aller vers eux, par exemple en organisant des animations dans les foyers où ils résident : cela permettrait de diminuer l'appréhension qu'ils peuvent ressentir vis-à-vis de nos institutions culturelles. Le ministère de la culture ne pourrait-il pas lancer des initiatives en ce sens ? Souvent, dans ces foyers, il ne se passe vraiment pas grand-chose…

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Le monde du travail, et du travail industriel en particulier, a été un lieu de rencontre et de construction d'une histoire partagée par des immigrés venus d'horizons très différents, notamment grâce au syndicalisme. Aujourd'hui, dans le Rhône, beaucoup d'anciennes usines textiles sont devenues des friches : nous pourrions en faire des lieux de mémoire. Souvent, les opérations de rénovation urbaine ont aussi arasé les mémoires : nous voudrions pourtant, nous aussi, avoir nos quartiers historiques. L'histoire de l'immigration a souvent été difficile, mais nous ne voulons pas l'oublier.

Il est effectivement indispensable de lutter contre le cantonnement et la relégation, pour redonner de l'autorité aux anciens, et pour apprendre aux plus jeunes à être fiers du parcours de leurs aînés. Le travail des centres sociaux est essentiel, mais c'est un travail de proximité. Il serait bon que la télévision comme la parole politique traitent aussi de l'immigration, en s'adressant à tous.

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Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication

Je me réjouis de ce que la mission d'information accorde une grande place aux politiques culturelles. Notre rôle est effectivement d'offrir à tous l'accès à la culture, mais aussi de faire mieux connaître et comprendre l'histoire de l'immigration.

Je prends bonne note, monsieur le rapporteur, de la difficulté que vous signalez avec Adoma.

Nous continuons de soutenir la recherche. Un appel à projets de recherche a été lancé le 15 mars 2013 sur les pratiques interculturelles dans les institutions patrimoniales. Il existe par ailleurs un groupement d'intérêt scientifique sur ce même sujet.

La création audiovisuelle n'est pas moins importante. Le cahier des charges de France Télévisions lui impose de promouvoir la diversité. Il faudrait sans doute encore renforcer cette dernière, par exemple en faisant appel à de jeunes scénaristes eux-mêmes porteurs de l'histoire de l'immigration – sans bien sûr les y cantonner.

S'agissant des propositions de M. Tuot sur la prise en considération de la mémoire des quartiers lors des opérations de rénovation urbaine, il existe effectivement des initiatives locales en ce sens. Nous pourrions inciter les acteurs de ces opérations à multiplier ce type d'actions. C'est une bonne manière de faire participer les habitants à la vie de leur quartier, mais aussi de promouvoir des pratiques artistiques.

Sur les lieux de mémoire et le patrimoine industriel, je suis entièrement d'accord avec Mme Geoffroy. Le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais est maintenant classé patrimoine mondial par l'UNESCO, et nous nous en réjouissons. Le monde du travail a été un creuset. Il a son histoire et sa culture, liées à celles de l'immigration, et il faut les mettre en valeur. Le syndicalisme a naturellement joué un rôle majeur.

Jacques Toubon avait préconisé la réalisation d'un inventaire du patrimoine industriel. Dans la loi sur le patrimoine que nous préparons, j'ai veillé à ce que le patrimoine industriel soit mis en avant.

Monsieur Vaillant, vous avez raison, les vieux migrants peuvent nous aider à apaiser cette histoire et à transmettre nos valeurs, notamment laïques.

Enfin, le lien entre immigration et colonisation est évidemment important, et je ne veux absolument pas l'occulter ; mais histoire de l'immigration et histoire de la colonisation ne sont pas réductibles l'une à l'autre. À mon sens, la CNHI doit se concentrer sur la question, déjà très large, de l'immigration. C'est d'ailleurs plutôt à elle qu'au Haut Conseil à l'intégration – dont le rôle est plutôt l'évaluation des politiques publiques – que je compte donner plus de moyens pour lancer des projets de recherche et des projets artistiques.

L'exposition « J'ai deux amours » a permis à la CNHI de montrer l'intérêt du travail des artistes contemporains sur l'immigration. C'est toute la force de la culture. Partant d'une histoire individuelle, ces artistes atteignent à l'universel. Grâce à eux, grâce à leur art, nous nous sentons tous liés par une communauté de destin.

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Merci, madame la ministre.

La séance est levée à treize heures.