Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, garantir l'intégrité des élus, comme plus largement, celle des responsables publics est une exigence républicaine. Dans le contexte de crise que nous connaissons, redonner confiance au peuple constitue plus que jamais un impératif démocratique.
Comme le Gouvernement nous le propose, aujourd'hui, la restauration de ce lien de confiance passe nécessairement par une plus grande transparence de la vie publique. En effet, la mise en place d'un dispositif de prévention des conflits d'intérêts, l'amélioration de leur détection et de leur contrôle, le renforcement des mesures tendant à la transparence financière et des dispositifs répressifs constituent autant de gages de l'impartialité de tous ceux qui exercent des responsabilités publiques.
Dans notre pays, le débat sur les conflits d'intérêts est récurrent et l'absence de définition précise de cette notion a souvent été soulignée. Ces dernières années, la commission « Sauvé » de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique et la commission « Jospin » de rénovation et de déontologie de la vie publique ont formulé de pressantes recommandations dont certaines sont reprises par les projets de loi que nous examinons. C'est ainsi que l'article 2 du projet de loi ordinaire, reprenant la proposition de la commission « Jospin » définit, pour la première fois dans un texte de cette portée, la notion de conflit d'intérêts. Il s'agit d'une avancée importante, car cette définition, améliorée par la commission des lois, permettra de donner une base juridique solide à la prévention des conflits d'intérêts, afin de préserver l'intérêt général en évitant que la personne exerçant un mandat électif ou une fonction publique soit influencée dans ses choix par ses intérêts personnels, afin d'empêcher tout enrichissement personnel ou celui de proches, enfin, pour éviter toute suspicion et ainsi maintenir la crédibilité des acteurs publics et de leurs décisions.
Sur cette base, les deux projets de loi fixent une série d'obligations pour empêcher concrètement les conflits d'intérêts. Les incompatibilités applicables tant aux élus qu'aux agents publics ont été renforcées et précisées. L'obligation de déport ou la décharge de fonctions est mise en place à l'égard des membres du Gouvernement, des membres des autorités administratives indépendantes, des titulaires de fonctions exécutives locales et des agents chargés d'une mission de service public. Les membres du Gouvernement et les membres des autorités indépendantes intervenant dans le domaine économique devront confier à un tiers le soin de gérer, sans droit de regard de leur part, les instruments financiers qu'ils détiennent. Enfin, les règles de pantouflage sont durcies puisque, alors qu'aujourd'hui, seuls les fonctionnaires ont interdiction de rejoindre une entreprise avec laquelle ils ont été en relation du fait de leurs fonctions, le projet de loi ordinaire prévoit l'extension de cette interdiction aux ministres ainsi qu'aux titulaires de fonctions exécutives locales.
La prévention des conflits d'intérêts passe aussi par la généralisation des déclarations d'intérêt et de patrimoine dont le dépôt deviendra obligatoire. Nous nous félicitons, pour notre part, des améliorations adoptées par la commission des lois, laquelle a précisé le contenu des déclarations de situations patrimoniales et des déclarations d'intérêt et porté de trois à cinq ans la période rétrospective pour la déclaration d'intérêt des membres du Gouvernement.
Concernant la publicité des déclarations de patrimoine des membres du Parlement et des présidents d'exécutifs locaux, la commission des lois a opté pour un droit de consultation ouvert à tout citoyen inscrit sur les listes électorales. Cette solution équilibrée concilie nécessaire transparence et respect de la vie privée. Ce n'est d'ailleurs pas la publicité de la déclaration du patrimoine qui garantit l'intégrité, car cela n'empêche pas que la déclaration soit mensongère. Ce qui garantit l'intégrité, c'est la transparence du contrôle de la déclaration. Il importe de s'assurer que l'élu ne s'est pas anormalement enrichi pendant l'exercice de son mandat. C'est pourquoi on ne peut que se réjouir de la mise en place d'une nouvelle Haute autorité de la transparence de la vie publique, qui devient, en quelque sorte, la clé de voûte du mécanisme de contrôle de l'intégrité des responsables publics. Celle-ci remplacera la commission pour la transparence financière de la vie publique, créée en 1988, qui, il faut bien le dire, n'a jamais disposé des moyens de contrôler et de sanctionner efficacement. La question principale est bien de savoir, ici, si cette nouvelle Haute autorité aura les moyens de lutter efficacement contre les conflits d'intérêts et les défaillances des élus. Sans moyens humains et matériels pour mener à bien ses missions, elle ne serait qu'une coquille vide. De ce point de vue, les modifications apportées par la commission des lois vont assurément dans le bon sens puisqu'elles renforcent ses moyens de contrôle.
L'ouverture de la Haute autorité à des personnalités qualifiées nommées par les présidents des deux assemblées après avis conforme des commissions des lois à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés nous paraît opportune. Elle permettra de compléter les compétences juridiques des magistrats élus par des connaissances pratiques et obligera, en raison des conditions de majorité requise, le pouvoir de nomination à proposer des personnalités dont l'impartialité sera reconnue au-delà des clivages partisans. La Haute autorité se voit également dotée de l'autonomie financière et de la possibilité d'adopter son organisation interne et ses procédures par un règlement général. Elle sera, en outre, chargée d'agréer, sur la base de critères objectifs, les associations de lutte contre la corruption pouvant la saisir. S'agissant des moyens qui lui seront octroyés, la commission des lois a, là aussi, étendu ses pouvoirs de manière significative. En effet, l'administration fiscale devra lui transmettre les copies des déclarations d'impôt demandées dans un délai maximal de soixante jours. La Haute autorité aura la possibilité de demander l'exercice par l'administration fiscale de son droit de communication à l'ensemble des entreprises et organismes sur lesquels ce droit peut s'exercer et non pas aux seuls établissements financiers. Elle pourra aussi demander à l'administration fiscale la mise en oeuvre des procédures d'assistance administrative internationale. Le pouvoir d'injonction de la Haute autorité a également été renforcé en ce qu'il est étendu à tous les responsables publics. Pour autant, si nous soutenons pleinement l'extension des pouvoirs de la Haute autorité, nous souhaiterions aussi qu'elle dispose des moyens d'enquête propres comme la plupart des autorités administratives indépendantes qui disposent de telles prérogatives. Lorsque nous discuterons des articles, nous présenterons un amendement en ce sens.
S'agissant, par ailleurs, du durcissement des sanctions applicables aux élus, nous considérons qu'il s'inscrit parfaitement dans l'objectif de lutte contre les conflits d'intérêts. Nous souscrivons ainsi à l'extension du champ du délit de pantouflage à l'ensemble des responsables publics, au renforcement des peines réprimant le délit de prise illégale d'intérêts ainsi qu'à la peine complémentaire d'inéligibilité pour les élus et responsables publics coupables de délit contre la probité publique ou de fraude fiscale.
Enfin, nous nous réjouissons de la consolidation de la protection des lanceurs d'alerte et de l'introduction dans le projet de loi de dispositions réformant le financement des partis politiques. Elles permettront de répondre aux problèmes posés par les micropartis tout en préservant le pluralisme politique.
C'est pour toutes ces raisons que les députés du Front de gauche approuvent ces deux projets de loi, lesquels comportent des avancées majeures en faveur de la prévention et de la lutte contre les conflits d'intérêts.