Intervention de Patrick de Schrynmakers

Réunion du 19 juin 2013 à 11h00
Commission d'enquête chargée d'investiguer sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Patrick de Schrynmakers, ancien secrétaire général de l'Association européenne de l'aluminium, AEA :

Pour la production d'aluminium primaire, ce qui reste de Pechiney est encore à la pointe des procédés actuellement utilisés, mais je ne sais pour combien de temps encore.

Cependant, apparaissent de nouvelles façons de produire de l'aluminium que celle inventée en 1885, même s'il faudra toujours de l'électricité pour ce faire. Il existe deux axes de recherche dans ce domaine. Le premier porte sur les anodes, qu'on utilise pour la réduction de l'alumine : jusqu'ici en carbone, elles pourraient devenir inertes – la Russie prétend qu'elle disposera de cette technologie en 2015, ce dont je doute. Le second – que l'on appelle, je crois, la carboréduction – permettrait d'avoir des unités moins grandes tout en ayant un bien meilleur rendement et une consommation énergétique moindre : il s'agirait d'utiliser des fours électriques comme ceux employés pour produire des alliages et du carbure de calcium. Je ne suis donc pas pessimiste sur l'avenir de l'aluminium.

S'agissant de la transformation, le maintien de la chaîne de valeur était l'atout principal de Pechiney. Cela dit, Constellium continue à poursuivre une partie de la recherche de ce dernier sur les applications. L'aluminium s'allie toujours avec d'autres métaux, dans des proportions allant de 3 à 8 % généralement, pour avoir une bonne ductilité ou bien pénétrer dans les moules. Or la force de Péchiney était une organisation régionale permettant de développer les alliages les plus aptes à mettre en valeur le potentiel de l'aluminium. Je rappelle, à cet égard, qu'en Italie, qui est un des plus grands recycleurs d'aluminium au monde, les bassins de production sont régionalement organisés avec les industries.

Si Constellium a décidé de vendre les filages de Ham et Saint-Florentin, essentiellement destinés au secteur du bâtiment – la concurrence est telle qu'il est difficile pour la France de garder des positions dans ce domaine –, il conserve heureusement les secteurs de l'aéronautique, de l'automobile et de l'emballage, qui sont en croissance et d'avenir.

Cela étant, je n'ai jamais compris que la France vende Péchiney à Alcan, alors que sa taille était selon moi suffisante.

Prévaut malheureusement le principe selon lequel il faut se concentrer sur son coeur de métier. L'industrie de l'aluminium, qui a pendant des années maîtrisé l'ensemble de la chaîne de valeur, a ainsi fait l'objet d'une concentration importante qui se résorbe actuellement.

Quant à la Chine, elle est bien obligée de faire semblant de respecter nos normes. Au cours des douze ans où j'ai dirigé l'AEA, je l'ai vue adopter de plus en plus celles-ci. Mais j'ai eu beaucoup de difficultés à imposer des normes mondiales. Cela dit, je ne pense pas que les normes soient la façon adéquate de protéger une industrie : l'innovation est beaucoup plus utile à cet effet. C'est la raison pour laquelle l'Italie, qui est dans une situation moins favorable que la France, se défend pas mal dans ce domaine, grâce notamment à des groupements entre les producteurs et les utilisateurs, voire les clients.

En ce qui concerne les questions d'ordre sanitaire, il y a deux catégories de terroristes intellectuels. La première est constituée par des chercheurs, qui inventent des dangers pour trouver des financements à leurs recherches – nous avons nous-mêmes financé beaucoup d'études dans ce domaine. Or, en dehors de personnes ayant une déficience très grave de la moelle épinière, on ne connaît pas de cas où l'aluminium ait pénétré jusqu'au cerveau. Il faut savoir que 8 % de la croûte terrestre est formée d'aluminium, ce qui en fait le composant le plus abondant après l'oxygène et le sable ; nos légumes en contiennent de même que le thé, qui en concentre plus que tous les autres aliments : tous les Anglais sont-ils pour autant malades ?

La deuxième catégorie est constituée par nos concurrents. L'aluminium fait en effet de l'ombre à l'acier ou au cuivre. Or la plupart des câbles, par exemple, qui sont nécessaires au développement des énergies renouvelables, sont en aluminium, ce qui les rend plus légers et moins chers.

Quant au principe de précaution, que d'idioties commet-on en son nom ! Quand comprendra-t-on qu'à force de ne plus vouloir prendre le moindre risque, on est en train de s'appauvrir et de retourner à la préhistoire ?

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