Intervention de Patrick de Schrynmakers

Réunion du 19 juin 2013 à 11h00
Commission d'enquête chargée d'investiguer sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie françaises et européennes dans la crise économique et financière et sur les conditions de leur sauvegarde et de leur développement

Patrick de Schrynmakers, ancien secrétaire général de l'Association européenne de l'aluminium, AEA :

Je crains que vous n'ayez raison…

S'agissant des accords commerciaux avec les États-Unis, l'Europe fait en permanence des tentatives dans ce domaine. Un accord a d'ailleurs été conclu avec le Canada, de même qu'avec de nombreux pays. La plupart du temps, il s'agit d'accords de libre-échange avec une abolition graduelle des protections douanières. J'ai beaucoup oeuvré dans mes fonctions à l'EAA à harmoniser les normes entre les États-Unis et l'Europe, mais il y a une différence considérable entre ces deux pays s'agissant de la protection de l'industrie, pour laquelle ceux-ci sont extrêmement réactifs. De même, il existe encore outre-Atlantique des gens qui prennent des risques : ce n'est plus guère le cas en Europe, ce qui est dommage.

Ces accords tendent à réduire les distorsions de concurrence pour donner autant de chance à chaque partie.

Madame Bonneton, selon moi, il faut protéger l'ensemble de la chaîne de valeur, même si on n'a guère d'autre solution que de protéger les produits finis pour l'instant. En tout état de cause, plus courte est la distance entre le producteur de la matière première et l'utilisateur final, plus on a de chances d'avoir une adéquation entre les produits et les attentes des consommateurs.

S'agissant de Rio Tinto, l'AP 60 n'est pas suffisamment testé selon moi pour marcher sans le moindre problème au Canada. On a souvent eu le cas de dispositifs fonctionnant à petite ou moyenne échelle et ayant plus de difficultés à grande échelle. Cela dit, je ne serais pas étonné de voir Rio Tinto, dont la vocation première est d'être une société minière, se dégager de plus en plus de la production d'aluminium primaire.

Par ailleurs, je rappelle que la rentabilité a quasiment toujours été plus grande pour le métal primaire et, éventuellement, le métal recyclé, celle de la transformation ayant souvent été le parent pauvre. La concentration de la chaîne de valeur dans le passé est liée au fait que les producteurs ont pensé qu'en maîtrisant celle-ci, ils allaient accélérer le développement du marché de l'aluminium, qui croissait très vite. Mais les marchés financiers ont fait pression pour que les grands groupes industriels se recentrent sur leur coeur de métier, ce qui est à l'origine des démantèlements constatés. Cela étant, certaines sociétés ont essayé de nouer des alliances dans ce domaine – Sapa, qui représente ainsi aujourd'hui 20 % du filage européen va s'allier avec Norsk Hydro, qui correspond à une part équivalente.

Quant à Trimet, qui produit plus de métal recyclé que de métal primaire, j'ai visité son usine plusieurs fois et ai tendance à penser qu'elle ne cherche pas le profit à tout prix. J'ai beaucoup d'estime pour son président, dont je pense qu'il a une vision industrielle sur le long terme. Le fait qu'il ait survécu avec un coût de l'énergie électrique dans son pays beaucoup plus élevé qu'ici montre qu'il a eu l'intelligence d'établir un véritable dialogue avec le gouvernement et les producteurs d'énergie électrique pour trouver des solutions d'avenir – ce qui est, selon moi, du meilleur augure. Je pense que si Trimet reprend le site de Saint-Jean-de-Maurienne, ce n'est pas pour piller sa technologie, mais peut-être à la condition d'établir un partenariat avec EDF permettant de partager les bons et les mauvais moments. Tout dépendra de son contrat d'énergie électrique : si l'entreprise arrive à négocier un contrat intéressant avec EDF, elle pourrait même transférer une partie de sa production d'Allemagne en France.

En outre, il y a entre les ouvriers et le patronat de Trimet une dynamique que je n'ai vue nulle part ailleurs et qu'il est impossible de trouver dans les grands groupes.

Cela étant, si l'objectif de Rio Tinto est de garder le centre de recherche, préparez-vous à trouver des repreneurs pour Dunkerque ! (boutade).

Je rappelle que vous êtes parmi le pays européens un de ceux qui exportent le plus d'énergie, notamment vers l'Italie – qui est un des États du continent où l'électricité est vendue le plus cher.

Comme je l'ai dit, l'environnement législatif n'offre aucune vision d'avenir aux producteurs d'énergie. Cela ne les pousse pas à investir, mais à maximiser le profit à court terme en augmentant les prix. Je ne sais pas si c'est ce que fait EDF, mais la tentation doit être grande…

Monsieur Liebgott, l'inconvénient de la plupart des produits composites est double. D'abord, ils n'offrent pas une vision suffisante sur le long terme sur leurs caractéristiques. Je ne serai pas le premier passager du nouveau Boeing par exemple, car je pense qu'on ne maîtrise pas assez ce qui va se passer dans la structure de l'avion lorsqu'il sera frappé par la foudre. On ne peut recréer les mêmes conditions aussi facilement avec les matériaux composites qu'avec les matériaux homogènes comme l'aluminium. Deuxièmement, dans l'état actuel des technologies, il est pratiquement impossible de séparer les fibres de carbone des « thermodurs », qu'on emploie pour les lier.

Je crains qu'à vouloir chercher à tout prix des produits plus légers, on n'aille trop loin. Quant au magnésium, s'il est plus léger que l'aluminium, il n'est pas aussi facile à produire, ni aussi abondant. Cela étant, la poudre d'aluminium, comme toutes les poudres, est dangereuse : elle est utilisée comme carburant pour les fusées et elle est le composant principal des feux d'artifice – comme des têtes d'obus jadis. Aucun matériau n'est parfait.

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