Permettez-moi de commencer par une citation : « C'est dire que la forêt a toujours occupé dans la géographie agraire de notre pays une place essentielle. Se dessinant en grand massifs ou déchiquetée en boqueteaux, c'est un élément fondamental du paysage français. Parure et vêtement de notre terre, selon l'expression du promeneur solitaire, modératrice du climat, régulatrice du régime des eaux, source d'air purifié pour les citadins, lieu de refuge pour les animaux rebelles aux servitudes domestiques, elle remplit en outre une fonction économique essentielle. » Ces phrases, tirées de l'introduction d'un rapport de M. Leloup approuvé par le ministre de l'agriculture le 18 mai 1945, sont – pour ceux qui douteraient encore – une belle affirmation de la multifonctionnalité de la forêt.
Depuis lors, plusieurs dizaines de rapports ont été produits sur la forêt et le bois, comme celui que Mme Marie de l'Estoile a rendu au Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur l'état de la forêt française, descriptif précis et dynamique de l'ensemble de la forêt, outre-mer compris. Je pourrais citer également le rapport de M. Jean Puech et celui, antérieur, de M. Jean-Louis Bianco, ainsi que celui du Pôle interministériel de prospective et d'anticipation des mutations économiques (PIPAME) sur les usages modernes du bois. Ce sont là autant de documents sur lesquels mon propre travail s'est appuyé.
Les questions qui se posent de prime abord sont assez simples.
Tout d'abord, la forêt française, les produits forestiers et les usages de ces produits – du papier au bois de construction, en passant par les panneaux de particules et le bois-énergie – sont très diversifiés. Il faut aussi souligner que notre territoire possède résineux et feuillus, ces derniers étant caractéristiques de la forêt française.
Mon rapport n'aborde pas la forêt outre-mer, dont les problématiques sont soit déjà couvertes par les constats et propositions exprimés, soit si particulières qu'elles exigeraient une prise en compte spécifique que je n'avais pas le temps de développer.
Face à la diversité que je viens d'évoquer, on peut se demander s'il existe vraiment une seule filière bois, et non pas plusieurs.
Se plaçant, selon les critères employés – comme la surface des forêts, le volume de bois sur pied ou l'accroissement annuel – entre le deuxième et le quatrième rang des puissances forestières européennes, la France présente pour le bois une balance du commerce extérieur en déséquilibre chronique, avec un déficit annuel de 6,5 milliards d'euros, deuxième déficit après celui qui est lié au pétrole. Tous les rapporteurs qui ont travaillé sur cette question se sont interrogés sur ce phénomène.
J'en ai pour ma part tiré une conclusion très simple : l'enjeu est de l'ordre de 60 000 emplois, si l'on considère que, dans notre industrie, 1 milliard d'euros de déficit correspond en moyenne à 10 000 emplois environ. Le déficit est le signe qu'un marché n'est pas fourni : immédiatement au-dessus du consommateur, le transformateur final ne fournit pas le produit demandé. Les chiffres montrent du reste la part importante de l'énorme secteur du meuble dans ce déficit, dont le siège représente à lui seul près du tiers.
Il nous faut donc revoir notre manière d'aborder le problème de la forêt, en partant de l'aval et en nous demandant comment faire en sorte que notre industrie fournisse les produits qu'attendent les consommateurs et que la dynamisation produite par cette valorisation à l'aval remonte vers l'amont au profit de l'entretien la forêt et d'une mobilisation correcte des bois.
Cette situation, qui dure depuis des décennies, ne peut durer davantage, compte tenu des déséquilibres nouveaux qui se manifestent.
Le premier de ces déséquilibres est le changement climatique, qui est désormais une réalité à laquelle les forestiers doivent s'adapter. De fait, le forestier qui plante aujourd'hui un arbre ou engage une action de sylviculture s'expose au risque de ne pas voir le fruit de ses efforts, car il n'est pas certain d'obtenir dans 50 ans le bois qu'il en espérait. Face au changement climatique, la forêt joue par ailleurs elle-même un rôle central en tant que puits de carbone.
Le deuxième déséquilibre tient au retour à l'usage du bois comme énergie. Historiquement, en effet, toutes les réglementations forestières ont visé à équilibrer la pression du bois-énergie par rapport au bois d'oeuvre – le roi voulait des bateaux, tandis que les paysans voulaient se chauffer et les industriels fabriquer de la chaux, de la porcelaine ou de l'acier. Ce vieux conflit pourrait renaître du fait de l'utilisation énergétique de la biomasse.
Un autre problème est celui de l'usage des sols. Considérer la forêt comme une variable d'ajustement dans la compétition entre l'urbanisation et l'espace agricole n'est pas une politique de la forêt. Il y a une novation à constater que la forêt, qui s'est étendue depuis la fin de la Première Guerre mondiale par la reprise de terres désertées par l'agriculture, pourrait être à nouveau en balance dans des conflits d'usage des sols.
En outre, depuis la disparition, voici une dizaine d'années, du Fonds forestier national (FFN), le renouvellement de la forêt n'est plus financé et le rythme de replantation comme celui des travaux forestiers se sont considérablement ralentis.
Enfin, la multifonctionnalité est aujourd'hui remise en cause, car chaque usager revendique pour l'usage de la forêt qui l'intéresse le plus – qu'il s'agisse de la production de bois, des loisirs, de la biodiversité ou de son rôle de puits de carbone – une certaine prééminence par rapport aux autres usages : ce qui était auparavant un équilibre assez naturel devient aujourd'hui objet de débats et de conflits. C'est là encore un point qui doit être réglé pour que la forêt puisse continuer de remplir d'une manière optimale ses différentes fonctions.
Après avoir consulté l'ensemble de la filière de la forêt, notamment les représentants des propriétaires publics ou privés et les acteurs de la première et de la deuxième transformations, que je tiens d'ailleurs à remercier pour les connaissances dont ils m'ont fait bénéficier, il semble qu'un nouveau cercle vertueux est possible.
Il s'agit tout d'abord d'orienter l'exigence climatique au bénéfice de la forêt. Celle-ci fixant le carbone et le bois-structure assurant le maintien du carbone ainsi capté, l'optimisation de la production de bois est bénéfique au climat, et donc à la forêt elle-même. Il n'y a pas d'opposition entre la forêt biodiversité, la forêt climatique et la forêt productive. Un équilibre est possible et le bois est une chance pour le climat.
Nous devons ensuite développer les usages de la forêt et leur valorisation afin que la ressource elle-même soit valorisée et que les financements nécessaires à son entretien et au maintien de ses différentes fonctions soient assurés.
Pour trouver ces nouveaux équilibres, des axes forts sont nécessaires. Il convient d'investir dans l'industrie avec les outils existants du redressement productif, mais également à l'aide d'un fonds stratégique bois-forêt spécifique, dont une part serait orientée vers l'industrie afin de valoriser le bois, notamment les feuillus.
Il convient aussi de développer les usages hiérarchisés du bois. Le bois-structure – qui, comme je viens de le rappeler, maintient le carbone capté –, peut ensuite être déchiqueté et utilisé en fibres sous forme de papier ou de panneaux, avant de faire l'objet d'une utilisation thermique : on peut ainsi utiliser trois fois le même bois, ce qui est très vertueux sur les plans économique et écologique – à condition toutefois que les usages techniques et les traitements des bois, ainsi qu'une réglementation adaptée, permettent d'employer comme combustibles des bois préalablement utilisés sous d'autres formes.
Il nous faut également moderniser le marché du bois. S'il est facile, en effet, de connaître le prix d'une grume d'une essence de bois donnée, celui des bois transformés est entouré d'une opacité qui évoque davantage les marchés agricoles d'antan que le marché moderne de la filière agroalimentaire d'aujourd'hui. Il faut assurer une forme contractuelle d'approvisionnement, avec une bonne remontée des valeurs vers l'amont. En effet, si la filière ne survit qu'en sous-payant la matière première, le déséquilibre est structurel : on n'innove pas assez parce qu'on n'a pas besoin de valoriser une matière précieuse et on ne l'achète pas assez cher, de telle sorte que le forestier, public ou privé, n'a pas les moyens d'assurer le renouvellement de sa ressource.
Face à une propriété morcelée, il nous faut également mobiliser la ressource.
Il faut également donner une réponse à la société sur la gestion multifonctionnelle et ouvrir le débat, car le fait de restreindre à quelques personnes « compétentes » le choix des orientations relatives à la forêt et au bois entraînera nécessairement des conflits à répétition chaque fois qu'un usage se développera. Il faut donc partager en amont et, bien entendu, moderniser le processus de décision pour que les choix puissent être partagés et acceptés. Le recours à un débat public préalable sera au coeur de mes propositions dans ce domaine.
Il faut encore relever le défi que représente l'exploitation des feuillus, qui comptent pour plus de la moitié de la forêt française. Le hêtre, présent à toutes les pages des catalogues de meubles, se vend en France au prix du bois de chauffage : il y a là une perte significative de valeur ajoutée, de valeur pure et simple et de technicité.
Nous devons également veiller sur notre commerce extérieur. Le fait que nous exportions des grumes et importions des produits finis prouve certes que notre sylviculture est performante, mais il s'agit également d'une perte de la valeur ajoutée, des coproduits et des emplois afférents. Un exportateur de grumes devrait au moins contribuer au renouvellement de la ressource valorisée hors de nos frontières. Il ne s'agit pas ici de revenir sur le système du FFN, mais de bien préciser qu'une grume quittant notre territoire avec ses coproduits et sa valeur ajoutée potentielle empêche le retour d'une partie de sa valeur vers la forêt et qu'il convient de compenser cette perte pour la filière.
À l'inverse, lorsque nous importons des produits finis, il nous faut, par une responsabilité élargie des producteurs, discriminer les produits présentant une mauvaise recyclabilité, dont la fin de vie sera traitée de la pire des façons – par enfouissement et en renonçant à la valorisation qui manquera à l'équilibre d'ensemble des usages du bois.
Ces quelques propositions pourraient permettre de saisir les opportunités qu'offre le bois en termes d'emploi, en prêtant une grande attention aux qualifications, aux rémunérations et aux conditions de travail – tant pour les travaux forestiers pénibles que pour les métiers de seconde et de première transformation – et en veillant à ce que les formations générales dans les domaines de l'ingénierie, de la conception et de la mise en oeuvre des matériaux prennent en compte les caractéristiques spécifiques de cette filière. Ces propositions visent essentiellement à un cadre réglementaire plus adapté, plus compréhensible et mieux partagé avec la population et la société. Face aux réglementations relatives à la forêt, à l'environnement, à la faune, au milieu aquatique et à l'urbanisme qui se superposent au coeur ou aux confins de la forêt, il serait bon qu'un document intègre ces contraintes diverses au niveau des massifs ou au niveau régional, permettant à l'activité forestière de connaître ses limites, à l'instar de ce que permet le schéma de cohérence territoriale (SCOT), qui intègre les contraintes urbanistiques fixées par tous les schémas régionaux et départementaux préexistants.
La fiscalité forestière est vertueuse : favorable et adaptée, elle bien venue tant sur le plan patrimonial qu'en termes de revenus, mais cette dépense fiscale doit, pour avoir une justification publique, être réservée aux forêts qui produisent – qu'il s'agisse de bois ou d'aménités sociales ou environnementales.
Par ailleurs, l'impôt sur le foncier non bâti n'étant pas mis en recouvrement pour les montants inférieurs à 12 euros, le manque à gagner est chaque année de l'ordre de 30 à 40 millions d'euros. On pourrait donc imaginer par exemple de procéder à ce recouvrement tous les quatre ou cinq ans, afin de dépasser le seuil de recouvrement et d'éviter que cette ressource n'échappe au financement nécessaire des forêts publiques, notamment communales ou domaniales.
En outre, l'investissement réalisé sous forme d'achat de forêt permet de bénéficier d'un régime très favorable d'imposition sur les successions et sur la fortune. Ce dispositif est justifié par l'intérêt général, mais la dépense fiscale ne serait pas moins justifiée au profit de l'investissement d'un même montant sur le cycle forestier à long terme afin de pouvoir réaliser les travaux nécessaires à l'entretien de la forêt. Je propose donc d'ouvrir le régime fiscal patrimonial de la propriété forestière à des investissements de long terme dans la production forestière, afin d'éviter l'augmentation quasi-continue des prix de l'hectare liée au maintien de l'attractivité fiscale de l'investissement forestier. Compte tenu des déficits que nous connaissons, orienter ces sommes vers la production et la transformation du bois ne serait pas une mauvaise idée.
Actuellement, l'habitat bénéficie des fonds carbone. Au cas où le prix de la tonne de carbone – actuellement très bas – atteindrait un certain seuil, une part significative de ces fonds pourrait être réservée à la forêt et à ce fonds stratégique. Il conviendrait par ailleurs, en attendant que le marché des quotas vienne régler ce problème, d'officialiser la pratique des entreprises qui recourent aujourd'hui au mécénat comme outil fiscal pour investir dans les compensations carbone de leurs activités.
Bon nombre de travaux forestiers s'apparentant à des travaux agricoles, une harmonisation des taux de TVA serait la bienvenue. De fait, le contrôle est difficile en forêt, ce qui en fait un terrain propice à des travaux non déclarés. Le bois de chauffage, ressource renouvelable, devrait lui aussi bénéficier d'un taux identique à celui du gaz, qui ne l'est pas. Si une harmonisation n'était pas possible, le produit supplémentaire devrait pouvoir être budgétairement affecté à des dépenses en faveur de la forêt.
Il nous faut également moderniser les outils fonciers – ce point est détaillé dans le rapport et je ne m'y attarderai pas ici. Les biens vacants et sans maître, le morcellement, le droit de préférence et les droits de mutation pour les petites transactions sont autant de points à revoir et simplifier.
Nous devons aussi permettre et faciliter les aménagements forestiers pour la forêt publique, souvent aussi morcelée que la forêt privée. De nombreuses communes possèdent en effet de petites forêts qu'il serait bon de les inciter à soumettre à une gestion commune.
Le fonds stratégique pourrait recevoir l'ensemble des contributions que j'ai évoquées, soit un montant annuel de l'ordre de 100 millions d'euros qui correspond à peu près à celui du FFN, mais qui pourrait être orienté par parties égales entre l'amont et l'aval de la filière.
Les questions d'assurance sont particulièrement importantes pour le Sud-Ouest, qui a souffert des tempêtes. La perte de récoltes ne pouvant être assurée, l'aléa climatique important dissuade l'investissement forestier. Il est donc nécessaire d'imaginer une garantie portant sur la reconstitution plutôt que sur la perte d'exploitation. De fait, s'il est impossible d'assurer le risque correspondant à la perte d'une forêt de 40 ou 50 ans, il est envisageable d'assurer, en cas de destruction – dans les Landes, par exemple –, le montant des travaux de replantation.
Dans le domaine de la formation, il nous faut prendre garde aux pertes de compétences en matière forestière. Il faut également veiller à développer les compétences nécessaires dans la filière bois et à valoriser la recherche.
Il importe aussi de lever les freins imposés par les différentes réglementations. Dans notre pays, la norme est souvent l'ennemie de l'innovation. Si elle est rassurante et nécessaire, elle est souvent aussi tatillonne et sans doute pourrions-nous nous inspirer des pratiques qui ont cours dans des pays voisins où la tradition du bois est plus forte que chez nous.
Dans un pays qui aime les symboles, il conviendra de promouvoir quelques réalisations symboliques qui attirent l'attention des décideurs et de ceux qui veulent s'orienter professionnellement. Je rappelle à ce propos que les premières études de matériau réalisées sur le bois ont été réalisées par l'aéronautique, où l'on a observé que le bois utilisé pour les hélices d'avion présentait des caractéristiques d'élasticité proches de celles de l'acier. Le bois sert également à fabriquer des pylônes pour les lignes à haute tension et on obtient avec ce matériau des portées exceptionnelles pour les ponts.
Il faudra également mettre en place des politiques structurées par essence, notamment pour le hêtre, car il n'est pas acceptable que 60 % de la ressource forestière quitte notre territoire avec une valeur ajoutée minimale. Je tiens à citer aussi le robinier faux acacia, bois naturellement de classe 4 sans traitement, que j'ai baptisé « teck français ». Les magnifiques terrasses en robinier que l'on trouve aujourd'hui sont fabriquées en Belgique avec du bois slovène : je préférerais qu'elles soient fabriquées en France avec du bois français.