Pour ce qui est de la chaleur renouvelable, il faut établir un lien entre la politique de l'ADEME et la politique forestière. Ainsi, les projets CRE, qui ne sont pas forestiers par essence, mais industriels, ont fait découvrir par le biais des appels d'offres une ressource méconnue, soulevant des problèmes de concurrence avec les panneautiers et palettiers – dans l'Ouest français, le prix des sciures et copeaux utilisés pour la fabrication des panneaux augmente à mesure que les projets CRE s'implantent. La réponse est dans le recyclage : si le bois utilisé une fois n'est pas recyclé, nous rencontrerons le même problème qu'aux xvie et xviie siècles. Une réflexion s'impose dans ce domaine.
Cette question concerne également les normes d'émission et les filtres techniques permettant d'atteindre un niveau acceptable de rejet de particules fines, car il ne faut pas que la solution d'un problème en crée un autre. L'excellent travail réalisé par M. Martial Saddier dans le domaine des foyers individuels va dans le sens de cette cohérence. Pour développer le bois, il faut dissuader l'utilisation de produits de traitement qui empêchent de brûler le bois dans de bonnes conditions. Il faut également promouvoir des outils performants assurant un niveau d'émissions acceptable par rapport aux bénéfices de l'utilisation d'un gaz naturel. Mon rapport appelle donc à une cohérence dans ce domaine.
Quant aux quotas de carbone, mieux vaut procéder aux partages nécessaires tant que leur valeur est encore faible.
Je tiens encore à souligner à propos des projets CRE qu'il importe de prendre en compte la part de l'élément logistique dans l'équation du bois-énergie. En effet, s'il est facile d'utiliser un houppier à proximité de la forêt dans le cadre de l'exploitation forestière, son transport est coûteux. Nous avons donc intérêt à utiliser les coproduits de l'exploitation forestière le plus près possible de leur lieu de production, dans des unités de taille modeste proches du massif. Les coproduits de l'industrie, quant à eux, doivent être utilisés à proximité de cette industrie, si possible en son sein même et pour ses propres besoins. Les puissances installées susceptibles de recevoir une aide, précédemment trop élevées pour permettre le fonctionnement d'installations de petite taille, ont d'ailleurs récemment connu une évolution favorable. Quant aux projets urbains, tout ce qui concerne le bois destiné au meuble, aux panneaux ou à la construction est déjà concentré naturellement dans les espaces urbains : la logistique a déjà été mise en place avec du bois à haute valeur ajoutée. Le recyclage est donc important, car il permet un double bénéfice – sur la matière et sur le transport.
Le projet d'utilisation du bois dans la centrale de Gardanne est caractéristique des problèmes de cet ordre. À défaut d'utiliser les bois de recyclage des grandes agglomérations voisines, l'approvisionnement sera bien évidemment difficile. L'idée de brûler du bois importé par bateau suscite de légitimes interrogations et appelle d'autres solutions.
Sans déflorer les sujets que j'exposerai dans dix jours au conseil d'administration de l'ONF, je rappellerai que la vente de bois, qui finançait voilà 30 ans 90 % du budget de fonctionnement de l'Office, en finance aujourd'hui moins de 30 %. En effet, le prix du bois a chuté en moyenne et les coûts de fonctionnement de l'Office ont suivi une courbe inverse qui a croisé la première voilà 25 ans. L'idée que l'on réglerait le problème en extrayant aux forêts domaniales davantage de bois, plus souvent, plus rapidement et d'une façon moins coûteuse est fausse. Il faut certes optimiser notre ressource, mais il est aussi nécessaire de trouver le financement du long terme et des autres aménités, sous peine de ne pas atteindre l'équilibre. J'espère à cet égard que le contrat d'objectifs et de performance permettra une évolution en ce sens.
Il a été rappelé que l'ONF avait connu des difficultés sociales et des drames. Ces derniers sont bien évidemment multifactoriels, mais ils impactent fortement la structure collective et interrogent nécessairement tous ceux qui en font partie. Rappeler, comme l'a fait le Président de la République, que les missions de l'Office sont des missions de service public et d'intérêt général autant que de production ne peut que contribuer à rassurer sur l'avenir : nous allons devenir ce que nous sommes – un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) chargé de la forêt publique multifonctionnelle sur le long terme. Il ne suffit cependant pas de le dire : il faut aussi trouver l'équation budgétaire adéquate, qui ne sera pas seulement résolue en vendant plus de bois.
La question de la fraude soulève celle des certifications du Programme de reconnaissance des certifications forestières (PEFC) et du Forest Stewardship Council (FSC). Il sera de plus en plus difficile de commercialiser des produits non certifiés, ce qui est une excellente chose. Sans qu'il soit question d'opposer ces certifications l'une à l'autre, la norme PEFC me semble largement aussi intéressante que la norme FSC, qui est aussi un outil commercial – ce qui fait souhaiter que la norme PEFC le devienne aussi, afin qu'un débat soit possible. En tout état de cause, la certification est une absolue nécessité.
La forêt ne recule pas et ne progresse pas non plus : sa surface n'a pas changé depuis 1912. Elle a en revanche gagné de nombreuses parcelles agricoles délaissées, ce qui est l'origine de la petite propriété forestière. Du reste, les grandes forêts se situent schématiquement dans l'Est de notre pays et les petites dans l'Ouest, à l'exception des Landes. Tous les outils que je propose pour regrouper la forêt sont simples et de nature incitative. Le remembrement forestier existe, mais est encore plus complexe que pour l'agriculture, car il porte sur des parcelles dont la rentabilité est escomptée à 35 ans. Imaginez un remembrement agricole avec des terres où le blé serait récolté tous les 50 ans ! Les outils proposés sont très transparents, comme le droit de préférence simplifié et les droits de mutation.
J'élargirai à l'industrie en général ma réponse à la question posée sur les peupleraies. L'industrie du résineux se porte un peu mieux que celle du feuillu, car les investissements ont été un peu plus importants, permettant de passer à une taille industrielle un peu supérieure : ce secteur a donc connu des gains de productivité lui permettant d'être à peu près compétitif. Ce n'est pas le cas pour les feuillus, qui sont traités par de toutes petites structures dont certaines ont ainsi été « laminées ». Les peupliers, lorsqu'on en produit, sont exportés vers l'Italie et le premier pays destinataire de nos exportations de grumes est la Belgique : il ne s'agit pas là de pays du Sud-Est asiatique à très bas coût de main-d'oeuvre, ce qui révèle un déficit d'investissement industriel en France. On constate aisément sur Internet que l'Allemagne a opéré dans le domaine des maisons en bois une évolution qui évoque celle que nous avons connue dans le domaine de l'automobile.
Historiquement, le bois s'est trouvé déclassé dans l'esprit de nos concitoyens et a été considéré comme n'ayant pas d'avenir au moment même où le contexte économique aurait permis d'investir dans cette industrie. Nous ne l'avons pas fait et avons investi dans d'autres secteurs : il faut maintenant choisir si nous voulons nous en contenter ou tenter de rattraper ce mouvement. C'est la raison pour laquelle le fonds stratégique et la BPI devraient s'orienter vers l'aval de ce secteur.
Le débat public que je propose n'est pas une enquête publique, car cette dernière intervient après la décision pour examiner la gêne que peut causer celle-ci. Un débat public aurait quant à lui pour objectif de s'assurer que la population est consciente des enjeux liés à un massif – qu'elle sait quel est ce massif, quelles sont sa partie productive, sa partie de protection et son utilité, ce qu'il contient ce qu'il pourrait contenir –, afin que les décideurs puissent ensuite décider sur la base d'informations partagées. À défaut d'une décision unanime, ce processus devrait au moins éviter les conflits provoqués par la méconnaissance. Ainsi, les questions que l'on se pose aujourd'hui à propos du projet Ersia dans la Nièvre auraient dû être envisagées plus tôt, car la situation actuelle de la forêt du Morvan est le produit des années 1950, où ont été plantés des pins Douglas désormais en âge d'exploitation.
L'un des grands problèmes de la filière est qu'une durée de 15 ans représente du très long terme pour un industriel, tandis que, pour le forestier, il est déjà trop tard pour modifier ce qui sera exploité dans 15 ans. Si nous voulons que la filière satisfasse les besoins, il faut que les produits que nous fabriquons répondent au marché. Il n'est pas choquant de devoir recourir dans un premier temps à des ressources importées pour structurer notre industrie de transformation, dès lors que nous engageons parallèlement la mobilisation de notre ressource à terme et mettons en oeuvre les connaissances techniques et les outils normatifs nécessaires pour assurer la liaison au bout de cinq à dix ans. Sans industrie, en revanche, nous ne valoriserons jamais nos bois et ne pourrons que les vendre, abandonnant à d'autres la valeur ajoutée. Il faut donc que nous disposions de l'outil de transformation, quitte à recourir à un complément pendant le temps nécessaire pour faire évoluer la forêt. Le vieux dilemme consistant à se demander s'il faut adapter l'industrie à la forêt ou la forêt à l'industrie n'est pas une bonne question : les deux démarches doivent être menées de front en nous dotant d'outils performants.
Je reste, chers collègues, à votre disposition pour revenir sur toutes les questions auxquelles je n'ai pas eu le temps de répondre ce soir. J'ajoute, dans cet esprit, que les haies évoquées par M. Jean-Louis Bricout sont une ressource pertinente à l'échelle de la proximité, mais qu'il est absurde de les utiliser pour alimenter une capitale régionale située à 200 kilomètres.
Pour conclure, je tiens à remercier tous les partenaires de la filière qui m'ont permis d'élaborer ce rapport et de saisir les contours du problème.
Je souhaiterais que les propositions de ce rapport, bien évidemment destiné à alimenter le projet de loi d'avenir, puissent aussi être mises en oeuvre, au besoin au niveau décentralisé. Si chacun trouvait dans ce rapport quelques idées qui l'intéressent, ce travail aurait atteint son but. Le document sera prochainement accessible sur le site du ministère de l'agriculture.