Intervention de Thierry Salomon

Réunion du 18 juin 2013 à 16h00
Commission des affaires économiques

Thierry Salomon, président de l'association « négaWatt » :

Présenter le scénario négaWatt en une dizaine de minutes est une gageure ; je m'efforcerai donc d'être le moins technique possible afin de vous parler des enjeux économiques et sociaux qu'il soulève, conformément au voeu formulé par le président Brottes.

Ce scénario, défini il y a une dizaine d'années, a été réactualisé en 2003, en 2006 et en 2011. Nous venons de le reprendre pour confirmer les données déjà publiées. Les personnes qui y travaillent appartiennent à des organisations de terrain – bureaux d'études, associations ou organismes internationaux – et s'expriment en leur nom propre. De nos analyses, comme des mesures effectuées, est ressorti l'idée d'un champ d'étude, celui de la demande d'énergie, en d'autres termes la consommation, ou plutôt, en l'occurrence, la non-consommation. Le terme « négaWatt » permet à cet égard de quantifier la différence entre l'énergie effectivement consommée et celle qui pourrait l'être moyennant certaines évolutions. Selon nous, la transition énergétique recouvre non seulement un objectif fixé à l'horizon 2020, 2030 ou 2050, mais aussi les moyens mobilisés et le rythme pour l'atteindre. Un scénario qui ne décrirait pas une telle trajectoire n'aurait guère de valeur. Nous proposons donc cette description année par année pour les consommations d'énergie et heure par heure pour la puissance électrique – puisque, en la matière, l'équilibre entre l'offre et la demande doit être assuré à tout moment.

La ligne directrice de notre scénario est la problématique du risque. S'agissant des gaz à effet de serre, l'impératif du facteur 4 est inscrit dans la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, dite « POPE », comme dans la loi relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement ; en réalité, le respect de cet objectif signifie l'application d'un facteur 5,3 par habitant d'ici à 2050. Sont également pris en compte les risques technologiques, qu'il s'agisse du nucléaire ou du gaz de schiste s'il est exploité un jour, ainsi que les risques économiques ou géopolitiques. L'optique est de diminuer ces risques afin d'offrir aux générations futures un paysage énergétique plus équilibré. Ce travail, effectué par une quinzaine d'experts pendant quatorze mois, suit une méthodologie en « bottom-up », fondée sur l'observation de plusieurs centaines de postes de consommation, dont une trentaine pour le tertiaire et une vingtaine pour le domestique, afin d'appréhender les besoins en termes de chaleur, de mobilité et d'électricité spécifique.

Le scénario négaWatt porte non seulement sur la demande, mais aussi sur l'offre, notamment d'énergies renouvelables, l'objectif étant qu'elles représentent 91 % des ressources en 2050 et couvrent la totalité de la production d'électricité, sachant que les principales sources de blocage se situent dans le domaine des transports et de l'agriculture. Le scénario, pour cette dernière, a été couplé avec celui baptisé « Afterres 2050 » de l'organisation Solagro : essentiellement fondé sur l'aspect alimentaire et le facteur territorial, il propose des projections sur les besoins en surfaces, dans un souci de préservation de la biodiversité et de limitation des espaces artificialisés.

Notre scénario de sortie du nucléaire se fonde sur des critères de sûreté et de répartition territoriale, et sur l'hypothèse du développement de filières industrielles en fin de cycle. La France dispose par ailleurs de réseaux d'électricité et de gaz par lesquels il est possible d'acheminer des molécules de méthane. La quantité de stockage, qu'elle soit dynamique ou statique, est déjà élevée et peut encore être augmentée ; à cet égard, nous soutenons l'idée, que nombre d'organismes et d'entreprises commencent à faire leur, y compris à l'étranger, d'une synergie entre les deux types de réseaux. Cela permettrait à la fois de produire de la chaleur, des carburants pour les véhicules et de l'électricité, via des centrales combinées à haut rendement, lesquelles assureraient de surcroît une régulation du réseau de gaz.

Notre scénario montre que l'autonomie énergétique permet de maintenir un haut niveau de services énergétiques ; il se traduit aussi par une gestion coordonnée des réseaux de gaz, d'électricité et de chaleur – c'est à ce niveau qu'intervient la gouvernance politique –, par la quasi-disparition des émissions de carbone et de gaz à effet de serre à l'horizon 2050 – ce qui va au-delà des objectifs du facteur 4 – et par un usage équilibré des sols. Ce modèle, dont nous avons voulu montrer la faisabilité, a été très peu critiqué, que ce soit sur le fond ou sur la forme.

Notre association réunissant plutôt des profils d'ingénieur, nous avons jugé préférable de faire appel à d'autres organismes pour les questions économiques et sociales. Une première étude, réalisée par le CNRS – le Centre national de la recherche scientifique – et le CIRED – le Centre international de recherche sur l'environnement et le développement – , publiée en mars 2013, porte sur l'emploi. Sa méthodologie repose sur le calcul des coûts – d'investissements et d'exploitation – par postes principaux, en affectant, au regard de ces coûts, un ratio d'emplois rapporté au secteur considéré. Cette méthode a été appliquée à une vingtaine de filières d'énergies renouvelables comme à d'autres secteurs de l'énergie, au bâtiment – le neuf comme l'existant – et aux transports. Les données ont également été mises en regard des économies d'énergie réalisées, notamment pour les énergies fossiles importées, dont la facture, encore alourdie ces derniers mois, atteint un peu plus de 65 milliards d'euros, soit à peu près le déficit de notre balance commerciale. Cette masse financière, actuellement envoyée vers les pays où nous achetons de l'énergie, serait ainsi réinjectée dans notre économie.

Nous pensions initialement que la courbe des emplois dans le secteur des énergies renouvelables diminuerait une fois la phase d'investissement terminée, mais ce n'est pas tout à fait vrai : le secteur de la biomasse, par exemple, est très créateur d'emplois. La création d'un secteur des énergies renouvelables pérenne créerait en tout état de cause de 600 000 à 700 000 emplois.

Si l'on veut éviter un effondrement des emplois dans le bâtiment – où l'on atteint actuellement des surcapacités pour les constructions neuves –, voire développer ces emplois, une mutation des métiers vers la rénovation est nécessaire. Il en va de même pour l'automobile. Cela pose bien entendu le problème de la qualification, sans oublier les effets d'internalisation de ce qui est actuellement importé. Au total, selon le CNRS et le CIRED, la mise en oeuvre du scénario négaWatt se traduirait par la création de 230 000 emplois d'ici à 2020 et de 632 000 emplois d'ici à 2030 – au-delà de ces échéances, les projections sont plus difficiles. Les résultats de la transition énergétique ne seront évidemment pas immédiats : ils supposent une préparation de plusieurs années.

Une autre étude réalisée par l'ADEME – l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie – et l'OFCE – l'Observatoire français des conjonctures économiques – montre, en se fondant sur le modèle « Three-ME », que les résultats macroéconomiques du scénario négaWatt sont positifs à moyen et à long terme sur la balance du commerce extérieur, la dette et l'emploi, et induisent un léger gain de croissance du PIB.

Une analyse comparative, menée sur les différentes trajectoires de la transition énergétique, montre également l'intérêt économique de celle-ci à court, moyen et long terme. Le rapport de ce groupe d'experts sera prochainement publié.

Il n'y a donc pas lieu de craindre la transition énergétique : bien au contraire, elle représente une chance pour l'économie française.

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