La commission a auditionné M. Jean Bergougnoux, président de l'Association « Équilibre des énergies » et M. Thierry Salomon, président de négaWatt.
Nous entamons un cycle d'auditions sur la transition énergétique qui fera l'objet, au début de l'année prochaine, d'un texte dont notre commission sera saisie au fond. J'ai également constitué, au sein de cette dernière, un groupe de travail réunissant toutes les sensibilités, afin de définir un scénario qui puisse être politiquement partagé. Les deux intervenants que nous allons entendre ont d'ailleurs des approches quelque peu différentes.
M. Bergougnoux a occupé de hautes fonctions à la SNCF et à EDF ; j'ai eu l'occasion de le côtoyer au sein de la commission Champsaur, qui a longuement travaillé en amont de la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, dite « NOME ». Les autorités européennes exigeaient alors de la France qu'elle abandonnât les tarifs réglementés du gaz comme de l'électricité ; depuis, elles ont consenti leur maintien pour le gaz, pour les petits consommateurs. Cette négociation est à l'origine d'un amendement au projet de loi relatif à la consommation, amendement que notre commission a adopté la semaine dernière. Certains se sont émus de cette situation mais, sans la négociation dont je viens de parler, c'est l'ensemble des tarifs réglementés qui auraient disparu. De ce point de vue, l'accord arraché par Mme Batho est quasi inespéré.
Je connais aussi M. Salomon depuis plusieurs années – il a déjà eu l'occasion de présenter devant les groupes politiques le travail riche et structuré de son association. L'un de ses collègues, que j'avais interrogé sur le financement des scénarios de transition énergétique évoqués, m'avait répondu que cette question était l'affaire des politiques. Je crois, pour ma part, que la transition énergétique soulève des questions d'ordre technique, juridique, environnemental et financier ; elle se heurte au surplus à un contexte particulier, avec la faible croissance économique – pour ne pas dire la récession partielle – et l'exploitation du gaz de schiste aux États-Unis, qui donne une nouvelle vie au charbon. La France n'étant pas un îlot dans le monde, on ne peut ignorer ces données.
Vos deux associations, monsieur Bergougnoux, monsieur Salomon, sont à la pointe de la réflexion sur la transition énergétique ; aussi avons-nous estimé qu'elles pouvaient nous éclairer sur cette question complexe.
Présenter le scénario négaWatt en une dizaine de minutes est une gageure ; je m'efforcerai donc d'être le moins technique possible afin de vous parler des enjeux économiques et sociaux qu'il soulève, conformément au voeu formulé par le président Brottes.
Ce scénario, défini il y a une dizaine d'années, a été réactualisé en 2003, en 2006 et en 2011. Nous venons de le reprendre pour confirmer les données déjà publiées. Les personnes qui y travaillent appartiennent à des organisations de terrain – bureaux d'études, associations ou organismes internationaux – et s'expriment en leur nom propre. De nos analyses, comme des mesures effectuées, est ressorti l'idée d'un champ d'étude, celui de la demande d'énergie, en d'autres termes la consommation, ou plutôt, en l'occurrence, la non-consommation. Le terme « négaWatt » permet à cet égard de quantifier la différence entre l'énergie effectivement consommée et celle qui pourrait l'être moyennant certaines évolutions. Selon nous, la transition énergétique recouvre non seulement un objectif fixé à l'horizon 2020, 2030 ou 2050, mais aussi les moyens mobilisés et le rythme pour l'atteindre. Un scénario qui ne décrirait pas une telle trajectoire n'aurait guère de valeur. Nous proposons donc cette description année par année pour les consommations d'énergie et heure par heure pour la puissance électrique – puisque, en la matière, l'équilibre entre l'offre et la demande doit être assuré à tout moment.
La ligne directrice de notre scénario est la problématique du risque. S'agissant des gaz à effet de serre, l'impératif du facteur 4 est inscrit dans la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, dite « POPE », comme dans la loi relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement ; en réalité, le respect de cet objectif signifie l'application d'un facteur 5,3 par habitant d'ici à 2050. Sont également pris en compte les risques technologiques, qu'il s'agisse du nucléaire ou du gaz de schiste s'il est exploité un jour, ainsi que les risques économiques ou géopolitiques. L'optique est de diminuer ces risques afin d'offrir aux générations futures un paysage énergétique plus équilibré. Ce travail, effectué par une quinzaine d'experts pendant quatorze mois, suit une méthodologie en « bottom-up », fondée sur l'observation de plusieurs centaines de postes de consommation, dont une trentaine pour le tertiaire et une vingtaine pour le domestique, afin d'appréhender les besoins en termes de chaleur, de mobilité et d'électricité spécifique.
Le scénario négaWatt porte non seulement sur la demande, mais aussi sur l'offre, notamment d'énergies renouvelables, l'objectif étant qu'elles représentent 91 % des ressources en 2050 et couvrent la totalité de la production d'électricité, sachant que les principales sources de blocage se situent dans le domaine des transports et de l'agriculture. Le scénario, pour cette dernière, a été couplé avec celui baptisé « Afterres 2050 » de l'organisation Solagro : essentiellement fondé sur l'aspect alimentaire et le facteur territorial, il propose des projections sur les besoins en surfaces, dans un souci de préservation de la biodiversité et de limitation des espaces artificialisés.
Notre scénario de sortie du nucléaire se fonde sur des critères de sûreté et de répartition territoriale, et sur l'hypothèse du développement de filières industrielles en fin de cycle. La France dispose par ailleurs de réseaux d'électricité et de gaz par lesquels il est possible d'acheminer des molécules de méthane. La quantité de stockage, qu'elle soit dynamique ou statique, est déjà élevée et peut encore être augmentée ; à cet égard, nous soutenons l'idée, que nombre d'organismes et d'entreprises commencent à faire leur, y compris à l'étranger, d'une synergie entre les deux types de réseaux. Cela permettrait à la fois de produire de la chaleur, des carburants pour les véhicules et de l'électricité, via des centrales combinées à haut rendement, lesquelles assureraient de surcroît une régulation du réseau de gaz.
Notre scénario montre que l'autonomie énergétique permet de maintenir un haut niveau de services énergétiques ; il se traduit aussi par une gestion coordonnée des réseaux de gaz, d'électricité et de chaleur – c'est à ce niveau qu'intervient la gouvernance politique –, par la quasi-disparition des émissions de carbone et de gaz à effet de serre à l'horizon 2050 – ce qui va au-delà des objectifs du facteur 4 – et par un usage équilibré des sols. Ce modèle, dont nous avons voulu montrer la faisabilité, a été très peu critiqué, que ce soit sur le fond ou sur la forme.
Notre association réunissant plutôt des profils d'ingénieur, nous avons jugé préférable de faire appel à d'autres organismes pour les questions économiques et sociales. Une première étude, réalisée par le CNRS – le Centre national de la recherche scientifique – et le CIRED – le Centre international de recherche sur l'environnement et le développement – , publiée en mars 2013, porte sur l'emploi. Sa méthodologie repose sur le calcul des coûts – d'investissements et d'exploitation – par postes principaux, en affectant, au regard de ces coûts, un ratio d'emplois rapporté au secteur considéré. Cette méthode a été appliquée à une vingtaine de filières d'énergies renouvelables comme à d'autres secteurs de l'énergie, au bâtiment – le neuf comme l'existant – et aux transports. Les données ont également été mises en regard des économies d'énergie réalisées, notamment pour les énergies fossiles importées, dont la facture, encore alourdie ces derniers mois, atteint un peu plus de 65 milliards d'euros, soit à peu près le déficit de notre balance commerciale. Cette masse financière, actuellement envoyée vers les pays où nous achetons de l'énergie, serait ainsi réinjectée dans notre économie.
Nous pensions initialement que la courbe des emplois dans le secteur des énergies renouvelables diminuerait une fois la phase d'investissement terminée, mais ce n'est pas tout à fait vrai : le secteur de la biomasse, par exemple, est très créateur d'emplois. La création d'un secteur des énergies renouvelables pérenne créerait en tout état de cause de 600 000 à 700 000 emplois.
Si l'on veut éviter un effondrement des emplois dans le bâtiment – où l'on atteint actuellement des surcapacités pour les constructions neuves –, voire développer ces emplois, une mutation des métiers vers la rénovation est nécessaire. Il en va de même pour l'automobile. Cela pose bien entendu le problème de la qualification, sans oublier les effets d'internalisation de ce qui est actuellement importé. Au total, selon le CNRS et le CIRED, la mise en oeuvre du scénario négaWatt se traduirait par la création de 230 000 emplois d'ici à 2020 et de 632 000 emplois d'ici à 2030 – au-delà de ces échéances, les projections sont plus difficiles. Les résultats de la transition énergétique ne seront évidemment pas immédiats : ils supposent une préparation de plusieurs années.
Une autre étude réalisée par l'ADEME – l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie – et l'OFCE – l'Observatoire français des conjonctures économiques – montre, en se fondant sur le modèle « Three-ME », que les résultats macroéconomiques du scénario négaWatt sont positifs à moyen et à long terme sur la balance du commerce extérieur, la dette et l'emploi, et induisent un léger gain de croissance du PIB.
Une analyse comparative, menée sur les différentes trajectoires de la transition énergétique, montre également l'intérêt économique de celle-ci à court, moyen et long terme. Le rapport de ce groupe d'experts sera prochainement publié.
Il n'y a donc pas lieu de craindre la transition énergétique : bien au contraire, elle représente une chance pour l'économie française.
Comme vous l'avez rappelé, il y a l'objectif et les moyens de l'atteindre. Il importe donc que les actes législatifs, qui s'inscrivent dans le temps, ne prennent pas à revers les perspectives de long terme.
Je lis toujours avec intérêt les travaux de l'association négaWatt, qui ont le mérite d'expliciter clairement les hypothèses sur lesquelles ils se fondent. Cela dit, les objectifs qu'ils proposent vont bien au-delà du facteur 4, puisqu'il est question, me semble-t-il, de diminuer par seize les émissions de CO2 à l'horizon 2050.
D'autres émissions que celles de CO2 requièrent notre attention, à commencer par les émissions de CH4, autrement dit de méthane, notamment dans le secteur agricole. Ces émissions étant dues, selon les bonnes sources, à la fermentation entérique et à des déjections animales, j'ai calculé le niveau qu'elles représentent pour un bifteck ; depuis, appliquant le facteur 4 pour mon compte, j'ai divisé ma consommation de viande bovine par quatre, me tournant plutôt vers le poisson et le poulet. Bref, les habitudes alimentaires peuvent évoluer : l'émission de méthane de l'agriculture ne doit pas être considérée comme une donnée intangible que l'on compenserait par des économies de CO2 dans les secteurs énergétiques.
Le scénario négaWatt prend en compte la croissance démographique mais préconise d'endiguer, sans préciser comment, le phénomène de décohabitation : les maisons individuelles consommant davantage d'énergie que les appartements, il faudrait densifier l'habitat. Or les jeunes couples avec enfants, à la recherche d'espace, s'installent de plus en plus souvent à la campagne : à moins de devenir totalitaire, notre société ne peut imposer aux gens, au nom des seules économies d'énergie, des évolutions dont ils ne veulent pas.
Par ailleurs, par quels moyens le PIB augmenterait-il ? Par la construction d'équipements plus écologiques ? Ce ne serait assurément pas une source d'enrichissement pour nos concitoyens. Il faut donc partir des besoins de consommation réels. Le gaz naturel présente le double inconvénient d'émettre du CO2 et d'être importé. L'astuce, sous forme d'usine à gaz, consisterait à transformer les excédents des éoliennes en hydrogène via une électrolyse, avant d'injecter dans les réseaux de gaz le méthane obtenu par captation du CO2 – bien que l'on ait expliqué que ce captage n'est pas une solution d'avenir. Cette idée peut paraître séduisante, mais les études menées sur la filière de l'hydrogène, notamment dans le cadre du Centre d'analyse stratégique – au sein duquel j'ai présidé une mission de prospective technologique –, montrent qu'elle est extrêmement coûteuse : seuls des électrolyseurs à haute température, alimentés en permanence, peuvent produire de l'hydrogène dans des conditions acceptables. En un mot comme en cent, le scénario négaWatt ne répond pas à la question du coût.
Sur le plan macroéconomique, compte tenu de l'augmentation des prix de l'énergie et de la dégradation de la balance commerciale, ce scénario est par définition préférable au statu quo, quand bien même ne s'imposerait pas la contrainte du facteur 4 ; mais la vraie question est de savoir s'il est plus pertinent que les scénarios alternatifs. Il est bien entendu nécessaire de décarboner l'électricité, mais je ne suis pas d'accord avec M. Salomon sur les moyens d'y parvenir. À mon sens, nous ne devons pas renoncer au nucléaire, même si, avec 75 %, il représente sans doute une part trop importante de l'électricité produite.
Notre association, modeste, rassemble des fabricants de matériels et des professionnels de la filière du bâtiment, et non de grands prospectivistes ; elle s'est d'abord intéressée aux moyens de rationaliser l'énergie dans le bâtiment.
À l'horizon de 2030, nous suggérons de ramener la part du nucléaire à 50 %, le mix électrique étant composé, pour le reste, de 10 % d'énergies fossiles, soit le taux actuel, et de 40 % d'énergies renouvelables, dont 13 % d'hydraulique – niveau là encore inchangé –, une faible part de cogénération à partir de biomasse et 20 % d'éolien et de photovoltaïque. La production d'énergie éolienne a le bon goût d'être plus soutenue en hiver qu'en été, mais elle nécessite du vent et ne peut donc être une solution pour les pics de consommation. Quant à l'énergie photovoltaïque, elle est plus abondante en été qu'en hiver, et de surcroît en milieu de journée, alors que la consommation atteint son pic vers vingt heures ; elle est enfin tout aussi aléatoire que l'éolien, sur lequel on ne peut compter lorsque, en présence d'un anticyclone, les vents tombent et la température chute, provoquant ainsi une augmentation de la consommation. La production thermique classique peut parer à ces difficultés – associée à quelques centrales à combiné gaz supplémentaires –, mais elle émet davantage de CO2. On peut envisager de construire quelques stations de transfert d'énergie par pompage ou augmenter la puissance des réservoirs hydroélectriques actuels afin de compenser les fluctuations aléatoires, mais, compte tenu des coûts, cela suppose de gérer la demande. Un centre commercial dans le sud de la France est l'endroit idéal pour installer, sur les toits, un grand panneau photovoltaïque qui coûtera 100 euros par mégawattheure, alors que plusieurs petits panneaux en coûteraient 250. La production d'énergie d'un tel panneau atteindra son maximum l'été en milieu de journée, c'est-à-dire au moment précis où le centre commercial, équipé de systèmes de climatisation, consomme le plus ; aussi une bonne part de l'électricité produite sera-t-elle consommée sur place. Les abris des places de parking sont également des emplacements idéaux pour l'installation de panneaux alimentant des bornes de recharge pour véhicules électriques. En superposant ainsi les intelligences locales et nationales, le modèle décarboné que nous proposons pour 2030 est tout à fait gérable ; il passe par le développement du « logement électrique », qui, en plus d'être largement décarboné, offrira des moyens de régulation immédiats. Il faudra d'ailleurs aller plus loin et équiper le parc existant. Soit dit au passage, la puissance installée d'un ballon d'eau chaude fonctionnant à l'électricité est supérieure à la puissance développée grâce au photovoltaïque telle qu'elle est prévue dans le scénario pour 2030. Il y a donc une certaine marge de manoeuvre.
La réglementation thermique 2012 donne un avantage au gaz sur l'électricité, car celle-ci se voit appliquer un coefficient de conversion en énergie primaire de 2,58 ; en d'autres termes, lorsque le gaz dépense 50, l'électricité doit dépenser 50 divisés par 2,58. Il est tout à fait possible d'atteindre une consommation de 50 KWh par m² avec une installation électrique, mais cela nécessite des investissements d'un coût dissuasif pour les fabricants.
Les pompes à chaleur peuvent être une solution dans les logements non alimentés au gaz, mais elles coûtent cher, si bien que leurs ventes stagnent. Un primo-accédant qui paie le bâti de sa maison 100 000 euros ne va pas dépenser 10 000 euros supplémentaires pour installer une pompe à chaleur. Il pourra opter dans un premier temps pour le chauffage au bois, avant de s'en détourner, sur le conseil du promoteur, au profit du chauffage électrique. Or une isolation conçue en prévision d'un chauffage au bois est de qualité très inférieure, aux termes de la réglementation thermique 2005, à celle prévue pour un chauffage électrique. Résultat : le chauffage électrique est mal adapté à l'isolation et il fonctionne à plein régime lors des pics, alors qu'il pourrait n'être qu'un appoint si on l'associe au bois, dans le cadre d'une solution « bi-énergie ».
Le scénario négaWatt prévoit la rénovation thermique complète de 750 000 logements par an, en commençant par les bâtiments les plus anciens – ce sera néanmoins impossible pour les immeubles haussmanniens. Il avait été décidé de commencer par les bâtiments administratifs mais on comprend que l'État, au regard des coûts et de la situation des finances publiques, soit réticent. Il faut donc commencer par le plus rentable, c'est-à-dire la rénovation des 4 millions de logements – dont 700 000 chauffés à l'électricité, 1,2 million au gaz et le reste au pétrole ou au bois – considérés comme des « passoires énergétiques », en remplaçant les équipements les plus vétustes et en isolant les combles et les fenêtres. Pour les immeubles, le ravalement offre une bonne occasion d'effectuer des travaux d'isolation extérieure. De même, c'est lorsqu'un ballon d'eau chaude arrive en fin de vie qu'un consommateur sera enclin à le remplacer par un chauffe-eau thermodynamique, lequel divisera la consommation par 2,5. Bref, évitons tout dogmatisme en matière d'économies d'énergie, et veillons à ne pas prendre de décisions irréversibles, qui empêcheraient d'aller plus loin ultérieurement.
Un excellent texte a été voté sur l'identification des « passoires énergétiques » via le bonus-malus mais, grâce à M. Fasquelle, il n'est pas applicable.
Je ne siège pas encore au Conseil constitutionnel, monsieur le président…
Les développements de M. Bergougnoux m'ont semblé plus pragmatiques et équilibrés que ceux de M. Salomon. La sortie du nucléaire se traduit inévitablement par une augmentation des émissions de CO2 et l'explosion des énergies renouvelables, en particulier du parc éolien. Or, en plus des inconvénients rappelés par M. Bergougnoux, les éoliennes coûtent cher : leur facture, d'un montant de 5 milliards d'euros, va encore s'alourdir. Enfin, leur implantation anarchique a un effet désastreux sur nos paysages, lesquels contribuent, avec la gastronomie bien entendu, à faire de la France la première destination touristique du monde.
Les éoliennes en mer ne valent guère mieux, notamment au regard de la sécurité. Si aucune catastrophe n'a eu lieu dans le détroit du Pas-de-Calais, c'est parce que, jusqu'à présent, les navires accidentés se sont échoués dans le sable ; mais les blocs de béton des éoliennes constitueraient de dangereux écueils. Après avoir bétonné la côte dans les années 70, on envisage de reproduire la même erreur en mer. Bref, tout cela me semble déraisonnable.
Nous pouvons en revanche nous retrouver sur la nécessité de l'isolation, le mieux étant au demeurant de réduire la consommation d'énergie. Quoi qu'il en soit, je souhaite interroger les intervenants sur des points dont ils n'ont pas parlé, à commencer par la fiscalité : quels incitations peut-on envisager en ce domaine pour les artisans et les particuliers qui doivent réaliser des travaux chez eux ? De ce point de vue, le Gouvernement ne s'est pas engagé dans la bonne direction.
La réglementation semble par ailleurs si complexe que plus personne, des professionnels aux particuliers, ne la comprend ; j'en veux pour preuve, dans ma circonscription, des projets relatifs à la méthanisation qu'il est très difficile de faire aboutir.
Un autre projet, dans ma circonscription également, concerne la filière bois. Excellent matériau pour l'isolation comme pour l'énergie, le bois reste pourtant trop peu utilisé.
Enfin, il n'a pas été question des gaz de schiste, dont l'exploitation, aux États-Unis, permet de baisser le coût de l'énergie et de relancer l'industrie. On dit qu'il existe des réserves en France ; de fait, cette solution ne serait pas plus mauvaise que celle qui consiste à brûler du charbon importé. Quel est votre sentiment sur ce point ?
Je ne ferai pas de comparaison entre les deux interventions, d'ailleurs toutes empreintes d'un certain optimisme, même si les solutions proposées pour atteindre l'objectif sont différentes. Il est vrai que, plus on avance dans la transition énergétique, plus on en découvre les difficultés. Toutes les solutions, à commencer par l'abandon du nucléaire, présentent des inconvénients lorsqu'on les examine de près. M. Fasquelle se plaint de la défiguration des paysages par les éoliennes ; je pourrais, pour ma part, me plaindre de la dégradation des rivières par l'hydraulique. On pourrait encore s'alarmer de la dégradation de l'atmosphère par les gaz à effet de serre et des dangers du nucléaire, tant une catastrophe comme celle de Fukushima glace le sang. Nous vivons à cet égard dans une forme d'inconscience, car la multiplication des centrales provoquera forcément un accident dans notre pays. Nous ne pouvons vivre durablement avec une telle épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Les propositions de M. Salomon sont gagnantes pour la société tout entière : en plus de garantir un retour sur investissement, dans un contexte de faibles marges de manoeuvre, elles sont bénéfiques pour l'emploi.
Les solutions esquissées par les deux orateurs impliquent-elles, hormis les nécessaires économies d'énergie, un changement de nos modes de vie ? Le transport représente, avec le logement, de 60 à 70 % des émissions de CO2 : devra-t-on le réserver aux rencontres entre les hommes et le restreindre pour les marchandises, en privilégiant les productions de proximité ? Envisagez-vous un plan de relocalisation des activités humaines ? Y a-t-il un sens à ce que l'Europe exporte vers la Chine du bois qu'elle importe ensuite sous forme de meuble, ou que des moutons de Nouvelle-Zélande arrivent dans les élevages du Limousin ?
Vos solutions s'inscrivent-elles dans une perspective de croissance ou de décroissance ? Les énergies fossiles ne sont pas inépuisables et l'humanité continue de se peupler.
Je vous réitère par ailleurs, monsieur le président, ma demande de création d'une mission d'information sur les gaz de schiste. Ma circonscription est concernée par un permis en cours d'instruction, mais le sujet est évidemment national. Le Président de la République s'est engagé à interdire la fracturation hydraulique pendant toute la durée du quinquennat, conformément à la loi votée en 2010 ; mais des demandes apparaissent sur le gaz de houille, lequel peut être obtenu en vidant des poches naturelles ou d'anciennes fosses minières, ou par fracturation hydraulique.
Compte tenu de la charge de travail de notre commission, nous ne disposons pas des moyens techniques et administratifs nécessaires pour assumer une telle mission d'information pour le moment.
Pour ma part, cela ne vous étonnera pas, j'ai été davantage convaincu par M. Salomon que par M. Bergougnoux. Le travail de négaWatt a au moins le mérite d'obliger beaucoup de gens à se poser des questions qu'ils ne se posaient pas.
Je salue les propos de M. Bergougnoux sur l'autoconsommation et le stockage, comme l'avaient fait, lors de son audition, l'ensemble des membres du groupe de travail sur la compétitivité des entreprises françaises dans la transition énergétique. Je le remercie également de soutenir l'idée d'une réduction de la part du nucléaire à 50 %.
Les questions qui se posent sur le nucléaire, au demeurant, ne se limitent pas aux risques : elles concernent aussi le coût de celui-ci. Dans son dernier rapport, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) – la Commission de régulation de l'énergie –, préconise un amortissement des centrales sur cinquante ans, alors même que leur prolongation au-delà de trente ans est incertaine et qu'elle sera soumise aux recommandations de l'Autorité de sûreté nucléaire : voilà qui résume bien l'impasse qu'est devenue cette filière énergétique. Le nucléaire n'a rien d'une rente, et il en va des centrales comme des véhicules : plus elles vieillissent, plus leur entretien devient coûteux.
Vous proposez, monsieur Bergougnoux, un remplacement partiel du nucléaire par les énergies renouvelables sans prendre en compte l'efficacité énergétique ainsi obtenue : comment ce dernier critère est-il intégré dans votre scénario ? Tous les scénarios prévoient une réduction de la consommation énergétique de 20 à 50 % à l'horizon 2050, mais dans une optique de performance énergétique, et non de décroissance.
M. Fasquelle vous approuve, mais je vois mal comment il peut concilier la défense de la gastronomie française avec votre idée de diviser par quatre la consommation de viande bovine. Lorsque les écologistes vantaient les bienfaits du régime végétarien, ils étaient caricaturés en ayatollahs ; mais je note que vous allez plus loin encore. M. Fasquelle s'acharne contre les éoliennes, mais les derricks installés dans la nature pour extraire les gaz de schiste ne semblent pas lui poser de problème. J'ai du mal à comprendre.
La crise économique fait peser des contraintes, mais elle impose aussi de trouver des solutions pour créer des emplois. M. Salomon nous a rappelé, à ce sujet, les prévisions de l'ADEME s'agissant du scénario négaWatt. De fait, les énergies renouvelables et la réhabilitation thermique des bâtiments sont des filières très créatrices d'emplois – beaucoup plus que ne l'est le nucléaire, par exemple. Quel serait, monsieur Salomon, monsieur Bergougnoux, le nombre d'emplois créés dans vos scénarios respectifs ?
Votre scénario, monsieur Salomon, repose sur une politique volontariste qui doit conduire à une diminution de la demande en énergie de 65 % en 2050, mais vous n'avez pas rapporté ce chiffre à une estimation de l'évolution démographique : pourriez-vous nous préciser ce point ?
Vous présentez, monsieur Bergougnoux, la création de nouvelles stations de transfert d'énergie par pompage-turbinage (STEP) ou l'augmentation de la puissance de celles qui existent comme des solutions possibles ; or cette augmentation ne peut sans doute dépasser 5 ou 6 %, soit, au regard de la part de l'hydraulique dans le mix électrique – 15 % au maximum –, un gain d'énergie de moins de 1 %. Êtes-vous d'accord avec ces chiffres ?
La création de STEP est coûteuse ; les sites qui peuvent les accueillir sont peu nombreux et les autorisations difficiles à obtenir. Quelle est votre estimation des coûts en ce domaine ?
Nous mesurons, au fil des auditions, toute la difficulté de la transition énergétique.
La rénovation des logements, d'après le manifeste de l'association négaWatt, ramènerait la consommation à 50 kilowattheures par mètre carré et par an, conformément aux objectifs de la loi relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement. Comment obtient-on un tel résultat ? Il ne faudrait pas que l'investissement soit trop coûteux par rapport au gain.
Le recours à la méthanation, technologie encore balbutiante, n'est-il pas contradictoire avec le choix de négaWatt d'opter pour des technologies éprouvées ?
S'agissant du stockage des énergies renouvelables, que pensez-vous de l'accumulateur cinétique, autrement baptisé « volant d'inertie », dont on dit qu'il serait capable de stocker l'énergie pendant au moins une heure ?
L'un des trois chantiers prioritaires du scénario négaWatt est de « rendre le pouvoir aux territoires ». Pourriez-vous, monsieur Salomon, préciser ce point – au coeur de l'actualité parlementaire avec la nouvelle étape de la décentralisation –, de même que l'objectif de « repenser l'urbanisme » ?
Pourriez-vous aussi nous en dire un peu plus sur l'instrument fiscal unique dont vous préconisez la création ?
M. Bergougnoux et M. Salomon ont-ils des pistes pour le stockage de l'énergie ?
Enfin, M. Bergougnoux a évoqué la nécessité d'associer l'intelligence locale et l'intelligence nationale : comment y parvenir pour accélérer le développement des compteurs Linky et des réseaux intelligents ?
Les deux intervenants ont apporté un éclairage très différent, ce qui permet d'alimenter le débat.
Quelle place le scénario négaWatt accorde-t-il au bois énergie ? La réalité française ne se confond pas avec la réalité parisienne : dans beaucoup de régions, le bois est présent en abondance à proximité des villes et des zones d'habitation. Lorsque vous parlez du gaz, songez-vous au gaz naturel ou au méthane obtenu par hydrolyse ? Ne pourrait-on envisager d'utiliser directement de l'hydrogène ? Dans mon département de l'Isère, ainsi qu'en Savoie, beaucoup de recherches sont menées sur son stockage.
Les habitants de ma circonscription, monsieur Bergougnoux, préfèrent les logements bien situés, dans les petites villes, aux maisons individuelles. J'ai par ailleurs inauguré, il y a deux jours, des logements en centre-ville, bien isolés ; l'architecte m'a dit que le prix de leur bâti n'était que de 1 450 euros le mètre carré, dépendances et garage compris.
Quant au changement de nos modes de vie, il me semble nécessaire mais n'implique pas une régression.
S'agissant de l'exploitation des gaz de schiste, on ne peut comparer la France et les États-Unis : la densité démographique et l'étendue du territoire ne sont pas du tout les mêmes, et la France est plus attachée à certaines caractéristiques de son environnement. Avant d'envisager telle ou telle technique, il faut dresser un bilan global de son coût, de sa durée d'amortissement, du nombre d'emplois créés ou des économies réalisées par rapport aux importations.
La réglementation thermique 2012 est, aux dires de M. Bergougnoux, plus avantageuse pour le gaz que pour l'électricité. De fait, les élus le voient dans les logements sociaux, le gaz permet une meilleure maîtrise de la consommation, avec des factures souvent moins élevées. En tout état de cause, la transition d'un système à l'autre, par exemple avec le bois énergie, dépend beaucoup du territoire concerné : gardons-nous de toute généralisation hâtive.
L'amélioration de la performance énergétique des bâtiments ouvre des perspectives industrielles et nécessite l'acquisition de nouvelles compétences par les acteurs de la construction du bâtiment. L'Union européenne estime ainsi que 1,4 million de travailleurs supplémentaires devront acquérir des compétences d'ici à 2015.
En France, plusieurs centaines de milliers de professionnels doivent être, non seulement sensibilisés, mais aussi formés à ces enjeux. Quel rôle doit jouer la formation ? Plus précisément encore, quel type de formation préconisez-vous pour accompagner les acteurs dans l'évolution du marché ?
Je partage votre opinion, monsieur Bergougnoux : l'énergie la moins chère est celle que l'on ne consomme pas, et les économies d'énergie sont d'autant plus efficaces qu'elles sont envisagées de façon réaliste et pragmatique, loin de tout dogmatisme. J'adhère par conséquent à votre bon sens sur la transition énergétique et à votre appel aux « micro-projets », souvent subventionnés pas les collectivités. C'est le cas en Haute-Normandie, avec les soutiens apportés au photovoltaïque et au solaire thermique. Comment envisagez-vous la place de ces « micro-projets » à l'avenir ?
Quel est votre sentiment sur les centrales à charbon propre ? Cette question serait un peu provocatrice si je la posais à M. Salomon, mais s'il souhaite y répondre, je serais évidemment intéressée par son avis aussi. Nous souhaiterions qu'EDF construise une telle centrale au Havre en 2020. La technologie du charbon propre a en effet un rendement supérieur et permet le traitement des fumées.
Ma circonscription abrite un site nucléaire ; rurale, elle compte aussi beaucoup d'agriculteurs ; elle dispose d'un fort potentiel pour l'éolien, et elle est concernée par des projets sur le gaz de schiste et les parcs solaires.
Qu'en est-il de l'acceptation sociale et du coût de vos scénarios respectifs ? Nos concitoyens, en proie à des problèmes de pouvoir d'achat, acceptent très mal l'idée d'une augmentation de 10 à 12 % du prix de l'énergie. Le projet de parc solaire, dans ma commune, se heurte aux questions de biodiversité et à l'acceptation par la population, notamment au regard de son impact sur le paysage. Ailleurs, on m'explique que les éoliennes entravent les couloirs aériens empruntés par les oiseaux. Bref, je reste sceptique sur la capacité de mener vos scénarios à bien. Chaque type d'énergie a ses inconvénients, qu'il faudra sans doute accepter. Enfin, quelle est la facture énergétique de la construction de dizaines de milliers de panneaux photovoltaïques et d'éoliennes ?
La transition énergétique soulève des questions, non seulement sur la production, mais aussi sur la distribution, avec les contrats de concession, les péréquations tarifaires et les investissements dans les territoires : quel que soit le modèle retenu, elle aura un coût. Le problème se pose donc aussi bien au niveau de la compétitivité des entreprises que de la performance énergétique des bâtiments, à travers des opérations collectives ou individuelles. Par ailleurs, je ne crois pas que le gaz de schiste soit l'Eldorado annoncé, car le modèle américain est très différent du nôtre. Comment concilier vos scénarios respectifs avec les réalités de la société de consommation et les attentes des usagers ?
Les premiers travaux de la commission d'enquête sur la situation de la sidérurgie et de la métallurgie laissent apparaître que le coût et la disponibilité de l'énergie sont des facteurs importants de compétitivité, et pas seulement pour les industries électro-intensives. Comment appréhendez-vous la question du coût de l'électricité au regard de nos capacités industrielles dans la compétition européenne et mondiale ?
Où en sont, monsieur Bergougnoux, les recherches sur le stockage de l'électricité ? Peut-on espérer les voir aboutir à terme ?
Enfin, quelle est votre position sur l'avancement des recherches de la DCNS sur les hydroliennes ? Quelles sont les perspectives quant à la création de parcs ?
Quel est votre point de vue sur l'évolution des réseaux de transport et de distribution, sachant que la facture de l'« effet joule » atteint aujourd'hui 2 milliards d'euros par an ? Ce chiffrage, on s'en souvient, avait été effectué lors de l'examen du projet de loi « NOME ».
Le photovoltaïque, n'étant pas interruptible, le réseau électrique doit pouvoir accepter sa production à tout moment, ce qui n'est pas le cas pour l'éolien. Ce réseau doit donc être conçu en fonction des pics de consommation, si bien qu'il peut être surdimensionné par rapport à la demande.
On évoque souvent la nécessité de développer les réseaux, que ce soit pour acheminer l'énergie de haute tension produite par l'EPR ou celle qui provient de l'éolien off-shore. Les Allemands, rappelons-le, ont massivement investi en ce domaine. En tout état de cause, ces enjeux supposent des dépenses à court terme.
Je veux battre en brèche certaines idées reçues. Le scénario négaWatt n'implique pas la disparition des maisons individuelles : il prévoit seulement de ramener leur part de 57 % à 54 % en 2050.
Il ne préconise pas davantage de ne plus consommer de viande ; il s'agit d'inverser, dans notre régime alimentaire, les proportions respectivement occupées par les protéines animales et végétales, à savoir deux tiers et un tiers, c'est-à-dire de revenir, d'ici à 2050, à ce qu'était à peu près le régime alimentaire des années 90.
Un grand nombre de transports étant contraints, nous proposons par exemple le développement des hôtels d'entreprise ou d'autres installations écologiquement performantes, situées non loin du domicile et à proximité des dessertes de transport ; cela présenterait le double avantage de limiter les déplacements et de générer des économies d'énergie tout en créant un lien social qui peut être perturbé par le télétravail. Dans cette optique, la diminution de 10 % des transports de personnes à l'horizon 2050 ne vise, dans notre scénario, que les déplacements contraints, non ceux de loisir : il sera tout à fait possible d'emprunter sa voiture pour rendre visite à sa famille dans les zones où le transport collectif n'est économiquement pas intéressant. En d'autres termes, seul l'extravagant est visé : nos projections s'efforcent de préserver ce qu'il y a de meilleur dans nos modes de vie.
Quant au gaz et à l'électricité, il nous semble bien plus pertinent d'envisager leur synergie plutôt que leur concurrence. Le scénario négaWatt laisserait ainsi, monsieur le président, le réseau de gaz presque inchangé, y compris au regard de l'installation de postes de distribution de gaz renouvelable, prélevé sur la biomasse, ou de gaz de synthèse, obtenu par méthanation.
La France est l'un des rares pays du monde à posséder en abondance chacune des six grandes énergies renouvelables ; l'Allemagne même n'a pas cette chance. C'est là un atout dont il faut tirer profit, même si cela suppose des compromis parfois difficiles. Ces solutions, l'hydraulique l'a montré, peuvent d'ailleurs présenter un intérêt économique aussi bien qu'écologique, et par conséquent être bien acceptées par les populations. L'utilisation de nos richesses naturelles représenterait un formidable gain de compétitivité à moyen terme, car elle garantirait une stabilité des prix : ceux de l'énergie obtenue grâce à la géothermie de profondeur peuvent ainsi être anticipés plusieurs dizaines d'années à l'avance. C'est là une façon de se prémunir contre les risques dont je parlais dans mon propos liminaire, y compris les risques liés aux aléas géopolitiques. Rappelons à ce sujet que les grandes crises économiques récentes ont presque toujours été précédées d'une crise de l'énergie – ce fut encore le cas en 2008. Assurer notre équilibre énergétique aurait un effet stabilisateur sur le pouvoir d'achat et le patrimoine de nos concitoyens : le coût unitaire de l'énergie, selon toutes les projections, augmentera inéluctablement, mais le pouvoir d'achat résulte de la multiplication de ce coût unitaire par le nombre de kilowattheures consommés ; d'où l'intérêt d'une réduction de la consommation. De même, on envisage souvent la rénovation des bâtiments à partir de son coût « sec », alors qu'elle est économiquement profitable aux ménages comme aux entreprises, puisqu'elle diminue les coûts d'exploitation tout en augmentant la valeur du patrimoine. Plusieurs études réalisées en Suisse, aux États-Unis et en Allemagne montrent qu'une rénovation en profondeur valorise le bâti à hauteur de 7 à 15 %. Bref, il faut analyser cette question à partir des effets à moyen et long terme.
Les solutions que nous proposons n'induisent donc pas un changement radical de nos modes de vie : elles se traduisent par une décroissance de l'extravagant et par une croissance des services essentiels de l'énergie, qui profiterait d'abord aux 8 millions de Français en situation de précarité énergétique. La rénovation d'un bâtiment ou d'une maison a des effets bénéfiques sur le pouvoir d'achat ou l'activité économique, la santé et l'environnement.
La France s'est engagée à respecter le facteur 4, c'est-à-dire à diviser par quatre, entre 1990 et 2050, les émissions de gaz à effet de serre visés par le protocole de Kyoto. À ce jour, nous sommes loin du rythme nécessaire puisque la réduction n'a été que de 13 %. Il faut aussi savoir que le CO2 représente 69 % de ces émissions, si bien que les scénarios de décarbonation ignorent les autres, celles du méthane, des protoxydes d'azote et des gaz fluorés, comme ils ignorent l'impact des déchets nucléaires. Le facteur 4 impose une vision globale, qui réserve d'ailleurs quelques surprises : depuis 1990, on constate ainsi que les émissions de gaz fluorés ont été multipliées par deux, de même que les émissions de CO2 dans les départements et territoires d'outre-mer. Le facteur 4 signifie également, je le répète, une division par 5,3 des émissions individuelles : nous sommes loin de cette trajectoire, qu'il est du devoir de la France de respecter. Ce n'est pas impossible, à condition de nous engager résolument dans une transition énergétique dont les effets seront bénéfiques pour les entreprises comme pour les ménages.
Revenons sur terre.
M. Salomon et moi convergeons sur plusieurs points. Nous croyons tous deux à la nécessité d'économiser l'énergie de façon rationnelle, mais mon approche n'est pas dogmatique : elle se fonde sur le vécu des gens, sur les moyens dont nous disposons et sur la recherche de la plus grande efficacité énergétique par euro investi.
Je ne pense pas qu'il faille diviser par seize les émissions de CO2 : à mes yeux, le facteur 4 suffit. Je ne me fais pas non plus l'apôtre du régime végétarien ; je dis seulement que les poissons et les poulets émettent moins de méthane que les boeufs : voyez sur ce point les études du CITEPA – le Centre interprofessionnel technique des pollutions atmosphériques.
Aussi me bornerai-je au facteur 4 pour le CO2. Il existe plusieurs manières de l'atteindre. Dans le cadre des travaux préliminaires au débat sur la transition énergétique, l'Alliance nationale de coordination de la recherche pour l'énergie (ANCRE) a proposé trois scénarios : le premier, assez proche de négaWatt sans être aussi radical, repose sur la sobriété énergétique, le deuxième sur la diversification et le troisième sur la décarbonation par l'électricité. À cet égard, la réduction de la part du nucléaire à 50 % me semble offrir une diversification optimale, qui mettrait la France à l'abri d'un incident sur cette source d'énergie. Reste que la part du nucléaire varie beaucoup selon les scénarios considérés : dans le scénario de sobriété de l'ANCRE, elle est réduite à la portion congrue ; dans le scénario de décarbonation, elle est proportionnellement plus élevée qu'en 2025 et dépasse les 50 %. Toute la difficulté est donc de trouver le bon « cocktail » énergétique.
Les modes de vie évolueront forcément, ne serait-ce qu'en raison des progrès technologiques, comme Internet, grâce auxquels nous nous épargnons certains déplacements, mais aussi parce que l'augmentation du prix de l'énergie imposera des mesures d'économies. Je soutiens toute évolution naturelle, en phase avec les aspirations de la société, mais demeure sceptique sur celles qui seraient artificiellement imposées.
Vous m'avez interrogé sur la concurrence entre le gaz et l'électricité. Le délégué général de mon association a été directeur général de l'UHS – l'Union pour l'habitat social – qui était devenu le bureau des plaintes sur l'augmentation du prix du gaz. La France a importé, cette année, 1,2 million de radiateurs électriques d'appoint, que l'on utilise dans les logements mal chauffés. De fait, les gens qui ont le plus de difficulté à payer leurs factures d'électricité sont ceux qui se chauffent au bois, au fuel ou au gaz. La vague de froid du mois de février 2012 a ainsi fait exploser la facture d'électricité de ceux qui ont eu recours à ces radiateurs d'appoint, mais pas celle des gens habituellement chauffés à l'électricité, puisque l'hiver avait été normalement tempéré en moyenne.
C'est vrai, mais beaucoup de gens n'ont pas les moyens d'investir pour l'améliorer, même avec des aides qui atteindraient 80 %. En d'autres termes, il faudra bien que l'on mette de l'argent sur la table si l'on veut des résultats en ce domaine.
En général, une activité est d'autant plus créatrice d'emplois que le prix des produits est élevé ; mais ce prix affecte alors la compétitivité à l'exportation et le pouvoir d'achat des ménages : au final, un investissement non rentable détruit de la valeur.
De deux choses l'une : soit l'économie tend naturellement au facteur 4 compte tenu de l'évolution du prix mondial des combustibles, soit il lui faut des contraintes pour atteindre cet objectif, ce qui est alors pénalisant au plan macroéconomique : c'est là une réalité incontournable. Les modèles dont nous avons parlé ont seulement montré que l'action était préférable au statu quo, mais il reste à comparer leurs avantages et inconvénients respectifs.
S'agissant de l'hydraulique, l'augmentation de puissance à laquelle je songe est non pas celle de 5 ou 6 % en sus des 70 térawattheures actuels, mais celle que l'on peut obtenir en équipant des rivières. Malheureusement ces installations coûtent cher, sans parler des réticences qu'elles peuvent susciter au sein des populations. Il n'est plus envisageable, par exemple, de construire de grands lacs hydroélectriques, alors qu'ils valorisent les paysages. Quoi qu'il en soit, il existe des sites pour l'implantation des STEP. Lorsque j'étais à la tête d'EDF, je m'étais opposé au projet de station de pompage à Redenat, que soutenait Jacques Chirac, alors Premier ministre, car le coût de ce projet – 4 milliards de francs – m'apparaissait trop élevé. Cependant le site est toujours disponible, comme celui d'Orlu dans les Pyrénées.
Il est de 80 %, ce qui est globalement satisfaisant.
Pour le barrage de Grand'Maison, dans l'Isère, l'investissement n'est pas rentabilisé, et ne le sera pas avant un siècle.
L'investissement n'est peut-être guère rentable à ce stade, mais il le deviendra lorsque le système intégrera les éoliennes et les panneaux photovoltaïques.
On peut aussi augmenter la puissance des réservoirs hydrauliques existants en complétant leur équipement. Il faut néanmoins tenir compte des débits réservés. La gestion du lac de Serre-Ponçon se fait dans le cadre d'un arbitrage permanent entre les véliplanchistes et les agriculteurs : on y produit de l'électricité quand on peut…
Quant à l'association des intelligences locales et nationales, l'exemple que j'ai pris montre un synchronisme entre les besoins du centre commercial et la production photovoltaïque ; un micro « smart grid » local est même possible, pour peu que des immeubles fonctionnent à l'électricité dans le voisinage. On peut en ce sens parler d'un devoir d'imagination local, voire d'un devoir d'impertinence, comme je l'ai déclaré la semaine dernière au cours d'une visite dans le Morbihan. Reste que les microsystèmes ne peuvent vivre de façon autarcique : ils ont besoin des réseaux.
Deux modèles de réseaux s'opposent pour l'éolien. Le premier est celui de « grids » qui s'étendraient jusqu'en Norvège ou en Afrique du Nord afin de compenser les aléas des différents régimes de vent ; le second consiste à coupler la production et la distribution au niveau local.
Quant à l'exploitation du gaz de schiste, attendons de voir quel en sera l'impact au États-Unis. Le marché mondial du gaz est aujourd'hui totalement désorganisé. Les prix japonais sont deux fois plus élevés que les prix européens, lesquels sont sensiblement plus élevés que les prix américains. Les États-Unis manquent de capacités de liquéfaction ; celles-ci peuvent être créées, sous réserve que les autorités américaines jugent préférable d'exporter le gaz de schiste plutôt que de relocaliser les industries fortement consommatrices de cette énergie : loin d'être le pays du libéralisme débridé que l'on présente parfois, les États-Unis sont aussi marqués par un certain dirigisme économique. Quoi qu'il en soit, le premier importateur de gaz américain sera le Japon : cela ne bouleversera donc pas l'économie européenne du gaz.
Enfin, à supposer qu'il y ait du gaz de schiste en France, son exploitation aurait un impact très positif sur notre balance commerciale mais pas sur le prix du gaz, dans la mesure où 81 % de nos approvisionnements reposent sur des contrats de long terme. La définition d'une éventuelle stratégie dépend du niveau des ressources ; aussi serais-je favorable au moins à l'exploration, même s'il reste à savoir si elle est possible sans microfissuration.
Messieurs, je vous remercie.
La commission a ensuite examiné la proposition de résolution européenne sur la réforme des droits de plantation des vignes (n° 1086) sur le rapport de Mme Marie-Hélène Fabre.
Mes chers collègues, je vous rappelle qu'après un délai de quinze jours, la proposition de résolution qui sortira éventuellement des travaux de notre commission pourra être considérée comme définitive sans qu'il soit nécessaire de l'adopter en séance plénière.
Notre commission doit donc se prononcer aujourd'hui sur une proposition de résolution relative à la réforme des droits de plantation de vigne, adoptée par la Commission des affaires européennes le 28 mai dernier. Une résolution européenne sur le même sujet avait été adoptée lors de la précédente législature, en 2011, mais la récente évolution du débat au sein de l'Union européenne justifie le vote d'une nouvelle résolution.
Si les prix du vin ne se sont pas effondrés en Europe, et si nous ne connaissons pas une situation structurelle de surproduction alors que la consommation recule depuis plusieurs décennies, nous le devons certainement au système des droits de plantation qui a permis de mettre en place une stratégie de montée en gamme.
Mis en oeuvre en France dès 1953, le principe de la limitation des droits de plantation a été introduit en droit communautaire dans le cadre de la première organisation commune du marché (OCM) vitivinicole en 1976. Selon ce système, les plantations de vignes destinées à produire du vin ne sont autorisées que si les producteurs disposent d'un droit de plantation. Ces droits peuvent être octroyés à la suite d'un arrachage de vigne ou de droits de replantation, mais il peut aussi s'agir de droits de plantation nouvelle ou de droits prélevés sur une réserve – chaque État membre dispose d'une réserve de droits de plantations, alimentée par les droits périmés et ceux qui ont pu être achetés aux viticulteurs.
Bien que, depuis sa mise en oeuvre, le système des droits de plantation ait fait la preuve de son efficacité, en permettant le maintien de l'équilibre du marché, il a été remis en cause dans le cadre de la réforme de l'OCM de 2008. D'inspiration très libérale, cette réforme misait sur une restructuration rapide du secteur reposant sur un assainissement du marché grâce à la mise en place d'une politique d'arrachage, qui devait être suivi de la suppression des droits de plantation afin de permettre aux producteurs compétitifs de répondre librement à la demande. La fin du régime des droits de plantation au niveau de l'Union européenne devait être effective à compter du 1er janvier 2016, les États membres gardant toutefois la possibilité de les maintenir au niveau national jusqu'au 31 décembre 2018.
La suppression des droits de plantation fait peser des risques très lourds sur l'ensemble du secteur vitivinicole européen. L'augmentation excessive de la production et le déséquilibre du marché du fait de l'extension des zones viticoles constituent de réelles menaces. Un risque de détournement de notoriété en raison de la possibilité d'implantation de vignobles dans des zones d'appellation ou à proximité de ces zones pèse sur les vins à indication géographique. La menace concerne aussi la qualité des vins produits dans les États membres, la structuration de la production et, en conséquence, les équilibres territoriaux, environnementaux, économiques et sociaux qui reposent sur le secteur vitivinicole.
Mais la décision de supprimer les droits de plantation est fortement contestée. Les professionnels de la filière viticole et les élus – notamment ceux qui sont membres de l'Association nationale des élus de la vigne et du vin (ANEV), dont M. Philippe Armand Martin est coprésident – se sont battus sans faiblir depuis 2008 pour sauvegarder les droits de plantation. Les États producteurs se sont également mobilisés à l'instar de l'Allemagne, en 2010, puis de la France, en 2011. Au final, quatorze États membres, représentant la quasi-totalité des producteurs de vin, s'opposent à cette réforme. L'Assemblée nationale a également exprimé son opposition à la suppression des droits de plantation dans une résolution européenne adoptée par la Commission des affaires économiques en juin 2011. En février de la même année, le Sénat a adopté une résolution allant dans le même sens. Le Parlement européen, qui est devenu, depuis le traité de Lisbonne, co-législateur dans le domaine agricole, s'est aussi engagé en adoptant le 13 mars dernier une décision demandant le maintien des droits de plantation au moins jusqu'en 2030.
Même si elle ne rassemble pas la majorité qualifiée nécessaire au Conseil pour revenir sur la décision de 2008, l'opposition d'un si grand nombre d'États membres ne pouvait être ignorée par la Commission européenne. En janvier 2012, cette dernière a donc décidé de confier à un « groupe de haut niveau » l'organisation de discussions sur l'évaluation des droits de plantation et les effets de leur suppression. Les conclusions publiées le 14 décembre 2012 sont dans l'ensemble satisfaisantes. Le groupe de haut niveau s'est en effet prononcé en faveur du maintien d'un encadrement des plantations, à travers un nouveau régime général d'autorisations des plantations.
Alors que la constitution du groupe de haut niveau pouvait initialement être interprétée comme l'expression d'une volonté de la Commission européenne de gagner du temps, voire d'« enterrer » le dossier des droits de plantation, une sortie de crise paraît maintenant possible. Il convient de saluer à cet égard le rôle déterminant joué par la France sous l'impulsion du ministre de l'agriculture, M. Stéphane Le Foll.
Le nouveau système proposé s'appliquerait à tous les États membres, et il concernerait toutes les catégories de vin, qu'ils soient sous signe de qualité ou non. Les autorisations seraient accordées gratuitement ; elles seraient non transférables et expireraient au bout de trois ans. Un plafond des plantations serait défini au niveau de l'Union européenne. Les États membres auraient la possibilité de fixer un pourcentage inférieur au niveau national ou régional, ou spécifique à certaines catégories de vin, selon des critères objectifs et non discriminatoires. La délivrance des autorisations relèverait de la compétence des autorités nationales qui pourraient prendre en compte les recommandations des organisations professionnelles reconnues et représentatives. Si les demandes d'autorisation dépassent le pourcentage défini au niveau national, des critères de priorité objectifs et non discriminatoires définis au niveau de l'Union européenne devraient s'appliquer, éventuellement complétés par des critères nationaux obéissant aux mêmes principes. Le nouveau système s'appliquerait à compter du 1er janvier 2016 pour une durée de six ans.
Ces propositions doivent maintenant être traduites dans un texte législatif européen. La présidence irlandaise de l'Union européenne a fait le choix de les intégrer dans la réforme en cours de la PAC. Un accord politique sera recherché en première lecture d'ici à la fin de ce mois. Le Conseil « Agriculture et pêche » a pris position le 19 mars dernier en faveur d'un nouveau régime d'autorisations des plantations s'inspirant des recommandations du groupe de haut niveau. Contrairement aux propositions de ce groupe, le Conseil souhaite une entrée en vigueur du nouveau dispositif au 1er janvier 2019 pour une durée de six ans, soit jusqu'en 2024. Alors que le groupe de haut niveau n'a pas proposé de taux pour le plafond d'augmentation des plantations, le Conseil s'est prononcé en faveur d'un taux correspondant à 1 % des surfaces plantées.
La proposition de résolution européenne adoptée le 28 mai dernier par la Commission des affaires européennes de l'Assemblée, sur le rapport de Mme Catherine Quéré, répond à plusieurs objectifs.
Elle salue tout d'abord l'évolution récente du débat sur les droits de plantation au niveau de l'Union européenne.
Elle souligne ensuite les points qui devront faire l'objet d'une vigilance particulière dans les négociations. Ainsi, le dispositif devrait être applicable jusqu'en 2030 car une application jusqu'en 2021, comme le propose le groupe de haut niveau, ou jusqu'en 2024, comme le souhaite le Conseil, n'offrira pas suffisamment de stabilité et de lisibilité aux producteurs. Juridiquement, il n'est pas possible d'envisager un dispositif pérenne, mais il serait souhaitable que, par exemple, dans le cadre du bilan à mi-parcours du nouveau système, sa prolongation soit décidée au moins jusqu'en 2030. Par ailleurs, l'entrée en vigueur devrait être fixée au 1er janvier 2019, notamment pour permettre aux titulaires de droits de plantation de les exercer d'ici à cette date. Notre collègue Catherine Vautrin estimait dans son rapport de 2010 que les droits non utilisés représentaient près de 8 % environ de la surface plantée en France, ce qui correspond à la moyenne européenne. Il faudra aussi que les modalités de fixation des plafonds d'augmentation des surfaces plantées tiennent compte de critères économiques objectifs et préservent la viabilité économique de l'ensemble de la filière viticole. Les plafonds fixés par chaque État membre devront tenir compte de l'état du marché régional, national et européen. Selon les informations qui m'ont été communiquées, dans les négociations actuelles, la Commission européenne et le Conseil sont favorables à un taux de 1 % d'augmentation annuelle des surfaces plantées, tandis que le Parlement européen défend un taux de 0,5 %.
Enfin, la proposition de résolution insiste sur la nécessité de conduire la gestion des autorisations en concertation avec les organisations professionnelles viticoles, conformément à la possibilité proposée par le groupe de haut niveau.
La proposition de résolution exprime clairement la volonté d'aboutir à un nouveau système d'encadrement efficace.
Ce dossier emblématique me réconcilie avec l'Europe. Je me souviens qu'en 2010, lors d'une visite à Bruxelles d'une délégation de notre Commission, emmenée par son président de l'époque, Serge Poignant – Germinal Peiro était présent –, le Commissaire européen à l'agriculture, Dacian Ciolos, considérait que le sujet n'avait guère de chance d'évoluer positivement. Mais nous avons manifestement réussi à faire bouger les lignes, et il faut nous en féliciter ! Les élus se sont mobilisés, toutes tendances politiques confondues – dans l'opposition, nous avions voté la résolution européenne de 2011–, et cela a été payant !
In vino veritas ! En ouvrant dimanche dernier, le salon mondial des vins et spiritueux, Vinexpo, à Bordeaux, Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, a rappelé que le secteur viticole français, avec 85 000 viticulteurs et 190 000 emplois directs, avait exporté, en 2012, pour 11 milliards d'euros ! Il faut répéter ces chiffres car le vin est encore trop souvent associé aux ravages de l'alcoolisme alors que nous savons bien, par exemple, qu'il n'est pour rien dans des pratiques comme le binge drinking.
En fait, nous sommes passés du vin nourriture – que Pasteur qualifiait d'aliment – au vin plaisir. Le vin est un patrimoine culturel, paysager et gastronomique qu'il faut protéger. Que serait notre gastronomie sans vin ? La qualité des vins passe par un encadrement cohérent de régulation de l'offre. Depuis 1976, les droits de plantation avaient enrayé les excédents structurels. La requalification de certains vignobles avec des cépages améliorateurs avait également permis d'augmenter considérablement la qualité de notre production. Quelle que soit la région de France concernée, nous touchons aujourd'hui à l'excellence, et plus personne ne peut parler de « bibine », comme l'avait fait le ministre de l'agriculture, Christian Bonnet, en 1976.
L'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 13 décembre 1979 considérant que les droits de plantation étaient contraires au droit de propriété, leur existence n'a pu être envisagée de façon permanente. La réforme de 1999 a posé le principe de leur prolongation jusqu'en 2010. La réforme de l'OCM vitivinicole de 2008 prévoyait leur suppression pour 2016 – ce qui était incohérent car ces droits pouvaient être validés par les États qui le souhaitaient jusqu'en 2018. Dès 2008, le Parlement européen s'est opposé à cette évolution.
Une libéralisation ferait courir un triple risque. Les zones de production pourraient se déplacer, ce qui entraînerait un déséquilibre du marché et des détournements de notoriété. La structuration du vignoble serait bouleversée ainsi que l'équilibre des territoires de production. L'impact serait considérable sur le territoire, les paysages et la biodiversité.
J'espère que nous serons unanimes pour demander le rétablissement d'une régulation utile. Il nous appartient également de défendre les appellations d'origine et les mentions traditionnelles.
Je remercie le commissaire européen à l'agriculture, M. Dacian Ciolos, qui a mis en place le groupe de haut niveau. Si, dans un premier temps, nous avions quelques inquiétudes, nous avons été progressivement rassurés. Un degré de maturation bien connu lorsqu'il s'agit de qualité des vins a permis de mettre sur la table les propositions qu'il nous appartient désormais d'enrichir.
Les plafonds restent de la responsabilité des États. Le Parlement européen plaide pour une augmentation annuelle des surfaces plantées de 0,5 %, position que partagent la France, l'Espagne, l'Italie et l'Allemagne. Toutefois le Conseil est favorable à une progression de 1 %, et certains pays souhaitent aller au-delà. Il ne faudrait pas inonder le marché ; cela ne serait pas sans conséquence !
Les autorisations seront automatiques pour ceux qui arrachent ; elles ne seront pas comprises dans le pourcentage de nouvelles plantations défini au niveau national. La régulation se fera à ce niveau, mais par bassin viticole, avec l'avis de la profession, ce qui évitera les distorsions sur le plan national.
La prolongation du nouveau dispositif jusqu'en 2030 semble indispensable. On ne replante pas une vigne tous les ans. Elle a besoin de plusieurs années de production et d'une durée d'amortissement suffisante.
L'Assemblée débat des droits de plantation de vigne depuis 2008, et la proposition de résolution européenne, que le groupe UMP votera, s'inscrit dans la continuité de ce qui a été engagé sous la précédente législature.
En effet, le 1er juin 2011, notre Commission avait adopté une proposition de résolution européenne soutenant le régime des droits de plantation de vigne. Ce régime, tel qu'il existe depuis 1976, est indispensable à une politique viticole de qualité et constitue un instrument de régulation nécessaire.
Sans esprit polémique, notre groupe regrette que cette continuité ne concerne pas également la logique unitaire qui avait prévalu lors de la précédente législature. La proposition de résolution qui nous est soumise aurait pu être présentée par l'ensemble des députés qui se sont mobilisés sur le sujet depuis des années, quel que soit le groupe politique auquel ils appartiennent. L'actuelle majorité a choisi de présenter un texte sous le nom du seul groupe SRC ; nous le regrettons.
La réforme des droits de plantation proposée par les autorités européennes menaçait de détruire ce que nous avions mis des années à construire. Elle risquait de banaliser la production du vin et d'augmenter le nombre de délocalisations. Grâce à une mobilisation sans précédent, la Commission européenne est revenue sur sa décision. Le groupe de haut niveau mis en place par le commissaire chargé de l'agriculture est parvenu à soumettre une proposition équilibrée et juridiquement acceptable par la Cour de justice de l'Union européenne.
Il nous faut toutefois rester vigilants, notamment concernant les modalités de transition entre les deux régimes, le niveau des taux et plafonds annuels de plantations nouvelles, et la durée du dispositif. Sur ce dernier point, la mobilisation doit impérativement se poursuivre si nous voulons sauvegarder notre patrimoine vinicole, notre savoir-faire et nos emplois.
Cher collègue, je me permets de vous rappeler que la dernière fois que j'ai proposé à votre groupe le dépôt d'une proposition de résolution commune sur les farines animales, j'ai essuyé un échec !
Depuis la réforme de la politique vitivinicole de 2008, cet outil de régulation fortement structurant pour notre économie et nos terroirs risque de disparaître. La PPR est donc indispensable dans le contexte de libéralisation que nous connaissons. Je rappelle que le Sénat en a déjà adopté une et je tiens à remercier Catherine Quéré pour le travail qu'elle a accompli.
À l'automne, j'ai organisé à Bergerac une conférence à ce sujet avec Catherine Grèze, députée européenne, en présence des représentants des organisations professionnelles de la Dordogne et de M. Bobillier-Monnot, directeur de la Confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à appellations d'origine contrôlée (CNAOC). Elle a confirmé la totale solidarité des producteurs, des négociants et des élus des collectivités locales pour travailler en ce sens-là. C'est la forte mobilisation de nombreux acteurs dans toutes les régions françaises et dans d'autres États membres, ainsi que celle des organisations politiques qui a permis de faire évoluer la position des institutions européennes.
Le 14 mars, le Parlement européen a ainsi voté une proposition intéressante visant à maintenir le système actuel jusqu'à 2030, solution qui me semble la plus adaptée compte tenu des points de vue de la quasi-totalité des États membres. En revanche, la proposition qui sera discutée la semaine prochaine lors du Conseil « Agriculture » constitue un pas en avant vers la libéralisation des quotas, ce qui est regrettable. J'ai eu l'occasion de faire part de mes interrogations à ce propos au sein du groupe d'études sur la viticulture et en Commission des affaires européennes. L'option choisie n'est pas la plus protectrice pour les droits de plantation, mais elle reflète l'esprit de compromis de la France.
Nous le savons : outre que, à moyen terme, la dérégulation du secteur entraînera un phénomène de concentration des exploitations et une diminution des emplois, elle aura un impact environnemental – modification, voire dégradation des paysages, disparition probable des terroirs et des économies qui les environnent.
J'ai noté avec satisfaction l'ajout de la référence explicite au « terroir » dans l'exposé des motifs de la PPR suite à la proposition de Mme Auroi en Commission des affaires européennes. Je proposerai quant à moi un amendement concernant l'augmentation des surfaces – je souhaite que les critères pris en compte soient non seulement économiques, mais aussi environnementaux, au sens pédologique du terme – et un autre visant à faire en sorte que la gestion des autorisations par l'État soit conduite au plus proche du territoire, dans le cadre des bassins de production.
Je remercie Mme la rapporteure des précisions qu'elle a apportées sur un dispositif essentiel pour nos territoires. C'est l'ensemble d'une filière qui, en effet, était inquiet. De plus, au-delà des négociations, il importe de favoriser un compromis.
Des interrogations demeurent toutefois quant à ce mécanisme de régulation puisque le droit n'implique pas forcément une autorisation, et inversement. Il conviendra donc, comme l'a dit M. Mesquida, de continuer à travailler et à faire preuve de vigilance en ce qui concerne les questions patrimoniales et l'organisation de ce mécanisme au sein des territoires.
Comme nous l'avons constaté dans le cadre du groupe d'études sur la viticulture et grâce au travail accompli par Mme Quéré, les organisations peuvent différer selon les régions viticoles et le mécanisme envisagé doit en tenir compte, en liaison avec les représentants de la profession et de l'État. C'est important si nous voulons parvenir à mettre en place une bonne régulation sur le plan national.
La Commission en vient à l'examen de l'article unique de la proposition de résolution.
Article unique
La commission examine l'amendement CE 3 de la rapporteure.
Le futur système d'encadrement des plantations doit s'appliquer obligatoirement dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne, à l'exception de ceux ayant une production très faible, exemptés en application de la clause de minimis.
Vous visez les États membres « ayant une production de vin significative ». Qu'entendez-vous par là ?
Ceux dont la production était supérieure à 25 000 hectolitres en 2007. Les États membres ayant une production inférieure à ce seuil sont en effet exemptés du régime des droits de plantation.
Voilà qui ôte toute imprécision !
La commission adopte l'amendement à l'unanimité.
Puis elle est saisie de l'amendement CE 1 de Mme Brigitte Allain.
Il convient de tenir compte des critères environnementaux. L'augmentation des surfaces ne doit pas être automatique, comme le souligne la PPR. Elle doit être réalisée en adéquation avec la viabilité des opérateurs et en tenant compte de la santé de sols, des bassins versants ainsi que des éléments environnants – paysages, rivières, urbanisation –, car les conflits d'usages peuvent être très graves.
Cette PPR visant précisément à maintenir les périmètres des zones de plantations tels qu'ils sont, je vous prie de bien vouloir retirer votre amendement, faute de quoi j'émettrai un avis défavorable.
J'entends bien, mais il importe d'envisager s'il est ou non possible d'augmenter les plantations, y compris au sein des zones d'appellation, en fonction de critères environnementaux incluant la proximité ou non de rivières et, plus globalement, la pédologie.
Au cours des dix dernières années, des plantations ont été faites dans des zones inondables du bordelais et elles ont dû être arrachées dernièrement. Les critères environnementaux me paraissent donc aussi très importants.
L'alinéa 9 se référant à l' « équilibre du marché », seuls les critères économiques doivent à mon sens être mentionnés. En introduire d'autres à cet endroit-là reviendrait à mélanger les genres, ce qui affaiblirait notre argumentation et l'impact de la proposition.
Vous avez raison, monsieur le président. J'ajoute que la PPR prend en compte l'impact environnemental en soulignant que le vin est « d'abord l'expression d'un terroir ». Cela confirme que les périmètres de vignes sont déjà établis et que c'est sur eux que porteront les autorisations de plantations.
Nous sommes dans une logique de « régulation de marché » pour éviter que les métiers du vin ne disparaissent. Les critères de régulation peuvent difficilement être autres qu'économiques, sinon nous risquons de donner un prétexte à la Commission européenne pour restaurer un dispositif d'arrachage ou de plantations à partir d'autres critères, ce qui n'est pas notre objectif. Je me permets d'insister afin de vous convaincre de bien vouloir retirer cet amendement, madame Allain : une unanimité sur ce texte ne nous rendrait que plus forts même si, évidemment, chacun reste libre.
Sans doute aurait-on pu attirer l'attention sur l'aspect environnemental au moins dans l'exposé des motifs, mais nous en reparlerons dans quelques années… Je le répète : des dérives existent, y compris dans des zones spécifiquement viticoles. Je retire néanmoins mon amendement.
L'amendement CE 1 est retiré.
La commission examine l'amendement CE 2 de Mme Brigitte Allain.
Il me semble important d'associer cet échelon structurant qu'est le territoire dans la gestion et la gouvernance des droits de plantation. L'alinéa 12 doit donc préciser que la gestion des autorisations sera conduite, en concertation, avec les organisations professionnelles viticoles et « au sein des bassins régionaux de production ».
Les organisations professionnelles viticoles étant celles des bassins, cet amendement me semble satisfait. Je m'en remettrai toutefois à la sagesse de la Commission si vous acceptez, madame Allain, de supprimer le mot « régionaux ».
Il me semblerait préférable de préciser que la gestion des autorisations sera conduite « en concertation » avec les bassins de production, plutôt que « au sein » de ces derniers, car il ne faut pas empêcher les représentants des filières viticoles nationales de participer au débat. Et nous pourrions dès lors prévoir que la gestion se fera « en lien » avec les organisations professionnelles viticoles – et non « en concertation » avec elles.
La rédaction de l'alinéa 12 serait dès lors la suivante :
« Souhaite que la gestion des autorisations soit conduite en lien avec les organisations professionnelles viticoles et en concertation avec les bassins de production. »
Je suis d'accord.
La commission adopte à l'unanimité l'amendement CE 2 ainsi rectifié.
Puis elle adopte à l'unanimité la proposition de résolution modifiée.
Membres présents ou excusés
Commission des affaires économiques
Réunion du mardi 18 juin 2013 à 16 h 30
Présents. – Mme Brigitte Allain, Mme Marie-Noëlle Battistel, Mme Michèle Bonneton, M. François Brottes, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Daniel Fasquelle, M. Christian Franqueville, M. Jean Grellier, M. Henri Jibrayel, M. Jean-Luc Laurent, Mme Frédérique Massat, M. Jean-Claude Mathis, M. Kléber Mesquida, M. Yannick Moreau, M. Germinal Peiro, M. Hervé Pellois, M. Frédéric Roig, Mme Béatrice Santais, Mme Catherine Troallic, M. Fabrice Verdier
Excusés. - M. Jean-Claude Bouchet, Mme Jeanine Dubié, M. Joël Giraud, Mme Annick Le Loch, Mme Annick Lepetit, M. Bernard Reynès
Assistait également à la réunion. - M. Denis Baupin