Intervention de Jean Bergougnoux

Réunion du 18 juin 2013 à 16h00
Commission des affaires économiques

Jean Bergougnoux, président de l'association « équilibre des énergies » :

Je lis toujours avec intérêt les travaux de l'association négaWatt, qui ont le mérite d'expliciter clairement les hypothèses sur lesquelles ils se fondent. Cela dit, les objectifs qu'ils proposent vont bien au-delà du facteur 4, puisqu'il est question, me semble-t-il, de diminuer par seize les émissions de CO2 à l'horizon 2050.

D'autres émissions que celles de CO2 requièrent notre attention, à commencer par les émissions de CH4, autrement dit de méthane, notamment dans le secteur agricole. Ces émissions étant dues, selon les bonnes sources, à la fermentation entérique et à des déjections animales, j'ai calculé le niveau qu'elles représentent pour un bifteck ; depuis, appliquant le facteur 4 pour mon compte, j'ai divisé ma consommation de viande bovine par quatre, me tournant plutôt vers le poisson et le poulet. Bref, les habitudes alimentaires peuvent évoluer : l'émission de méthane de l'agriculture ne doit pas être considérée comme une donnée intangible que l'on compenserait par des économies de CO2 dans les secteurs énergétiques.

Le scénario négaWatt prend en compte la croissance démographique mais préconise d'endiguer, sans préciser comment, le phénomène de décohabitation : les maisons individuelles consommant davantage d'énergie que les appartements, il faudrait densifier l'habitat. Or les jeunes couples avec enfants, à la recherche d'espace, s'installent de plus en plus souvent à la campagne : à moins de devenir totalitaire, notre société ne peut imposer aux gens, au nom des seules économies d'énergie, des évolutions dont ils ne veulent pas.

Par ailleurs, par quels moyens le PIB augmenterait-il ? Par la construction d'équipements plus écologiques ? Ce ne serait assurément pas une source d'enrichissement pour nos concitoyens. Il faut donc partir des besoins de consommation réels. Le gaz naturel présente le double inconvénient d'émettre du CO2 et d'être importé. L'astuce, sous forme d'usine à gaz, consisterait à transformer les excédents des éoliennes en hydrogène via une électrolyse, avant d'injecter dans les réseaux de gaz le méthane obtenu par captation du CO2 – bien que l'on ait expliqué que ce captage n'est pas une solution d'avenir. Cette idée peut paraître séduisante, mais les études menées sur la filière de l'hydrogène, notamment dans le cadre du Centre d'analyse stratégique – au sein duquel j'ai présidé une mission de prospective technologique –, montrent qu'elle est extrêmement coûteuse : seuls des électrolyseurs à haute température, alimentés en permanence, peuvent produire de l'hydrogène dans des conditions acceptables. En un mot comme en cent, le scénario négaWatt ne répond pas à la question du coût.

Sur le plan macroéconomique, compte tenu de l'augmentation des prix de l'énergie et de la dégradation de la balance commerciale, ce scénario est par définition préférable au statu quo, quand bien même ne s'imposerait pas la contrainte du facteur 4 ; mais la vraie question est de savoir s'il est plus pertinent que les scénarios alternatifs. Il est bien entendu nécessaire de décarboner l'électricité, mais je ne suis pas d'accord avec M. Salomon sur les moyens d'y parvenir. À mon sens, nous ne devons pas renoncer au nucléaire, même si, avec 75 %, il représente sans doute une part trop importante de l'électricité produite.

Notre association, modeste, rassemble des fabricants de matériels et des professionnels de la filière du bâtiment, et non de grands prospectivistes ; elle s'est d'abord intéressée aux moyens de rationaliser l'énergie dans le bâtiment.

À l'horizon de 2030, nous suggérons de ramener la part du nucléaire à 50 %, le mix électrique étant composé, pour le reste, de 10 % d'énergies fossiles, soit le taux actuel, et de 40 % d'énergies renouvelables, dont 13 % d'hydraulique – niveau là encore inchangé –, une faible part de cogénération à partir de biomasse et 20 % d'éolien et de photovoltaïque. La production d'énergie éolienne a le bon goût d'être plus soutenue en hiver qu'en été, mais elle nécessite du vent et ne peut donc être une solution pour les pics de consommation. Quant à l'énergie photovoltaïque, elle est plus abondante en été qu'en hiver, et de surcroît en milieu de journée, alors que la consommation atteint son pic vers vingt heures ; elle est enfin tout aussi aléatoire que l'éolien, sur lequel on ne peut compter lorsque, en présence d'un anticyclone, les vents tombent et la température chute, provoquant ainsi une augmentation de la consommation. La production thermique classique peut parer à ces difficultés – associée à quelques centrales à combiné gaz supplémentaires –, mais elle émet davantage de CO2. On peut envisager de construire quelques stations de transfert d'énergie par pompage ou augmenter la puissance des réservoirs hydroélectriques actuels afin de compenser les fluctuations aléatoires, mais, compte tenu des coûts, cela suppose de gérer la demande. Un centre commercial dans le sud de la France est l'endroit idéal pour installer, sur les toits, un grand panneau photovoltaïque qui coûtera 100 euros par mégawattheure, alors que plusieurs petits panneaux en coûteraient 250. La production d'énergie d'un tel panneau atteindra son maximum l'été en milieu de journée, c'est-à-dire au moment précis où le centre commercial, équipé de systèmes de climatisation, consomme le plus ; aussi une bonne part de l'électricité produite sera-t-elle consommée sur place. Les abris des places de parking sont également des emplacements idéaux pour l'installation de panneaux alimentant des bornes de recharge pour véhicules électriques. En superposant ainsi les intelligences locales et nationales, le modèle décarboné que nous proposons pour 2030 est tout à fait gérable ; il passe par le développement du « logement électrique », qui, en plus d'être largement décarboné, offrira des moyens de régulation immédiats. Il faudra d'ailleurs aller plus loin et équiper le parc existant. Soit dit au passage, la puissance installée d'un ballon d'eau chaude fonctionnant à l'électricité est supérieure à la puissance développée grâce au photovoltaïque telle qu'elle est prévue dans le scénario pour 2030. Il y a donc une certaine marge de manoeuvre.

La réglementation thermique 2012 donne un avantage au gaz sur l'électricité, car celle-ci se voit appliquer un coefficient de conversion en énergie primaire de 2,58 ; en d'autres termes, lorsque le gaz dépense 50, l'électricité doit dépenser 50 divisés par 2,58. Il est tout à fait possible d'atteindre une consommation de 50 KWh par m² avec une installation électrique, mais cela nécessite des investissements d'un coût dissuasif pour les fabricants.

Les pompes à chaleur peuvent être une solution dans les logements non alimentés au gaz, mais elles coûtent cher, si bien que leurs ventes stagnent. Un primo-accédant qui paie le bâti de sa maison 100 000 euros ne va pas dépenser 10 000 euros supplémentaires pour installer une pompe à chaleur. Il pourra opter dans un premier temps pour le chauffage au bois, avant de s'en détourner, sur le conseil du promoteur, au profit du chauffage électrique. Or une isolation conçue en prévision d'un chauffage au bois est de qualité très inférieure, aux termes de la réglementation thermique 2005, à celle prévue pour un chauffage électrique. Résultat : le chauffage électrique est mal adapté à l'isolation et il fonctionne à plein régime lors des pics, alors qu'il pourrait n'être qu'un appoint si on l'associe au bois, dans le cadre d'une solution « bi-énergie ».

Le scénario négaWatt prévoit la rénovation thermique complète de 750 000 logements par an, en commençant par les bâtiments les plus anciens – ce sera néanmoins impossible pour les immeubles haussmanniens. Il avait été décidé de commencer par les bâtiments administratifs mais on comprend que l'État, au regard des coûts et de la situation des finances publiques, soit réticent. Il faut donc commencer par le plus rentable, c'est-à-dire la rénovation des 4 millions de logements – dont 700 000 chauffés à l'électricité, 1,2 million au gaz et le reste au pétrole ou au bois – considérés comme des « passoires énergétiques », en remplaçant les équipements les plus vétustes et en isolant les combles et les fenêtres. Pour les immeubles, le ravalement offre une bonne occasion d'effectuer des travaux d'isolation extérieure. De même, c'est lorsqu'un ballon d'eau chaude arrive en fin de vie qu'un consommateur sera enclin à le remplacer par un chauffe-eau thermodynamique, lequel divisera la consommation par 2,5. Bref, évitons tout dogmatisme en matière d'économies d'énergie, et veillons à ne pas prendre de décisions irréversibles, qui empêcheraient d'aller plus loin ultérieurement.

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