Intervention de Thierry Salomon

Réunion du 18 juin 2013 à 16h00
Commission des affaires économiques

Thierry Salomon, président de l'association « négaWatt » :

Je veux battre en brèche certaines idées reçues. Le scénario négaWatt n'implique pas la disparition des maisons individuelles : il prévoit seulement de ramener leur part de 57 % à 54 % en 2050.

Il ne préconise pas davantage de ne plus consommer de viande ; il s'agit d'inverser, dans notre régime alimentaire, les proportions respectivement occupées par les protéines animales et végétales, à savoir deux tiers et un tiers, c'est-à-dire de revenir, d'ici à 2050, à ce qu'était à peu près le régime alimentaire des années 90.

Un grand nombre de transports étant contraints, nous proposons par exemple le développement des hôtels d'entreprise ou d'autres installations écologiquement performantes, situées non loin du domicile et à proximité des dessertes de transport ; cela présenterait le double avantage de limiter les déplacements et de générer des économies d'énergie tout en créant un lien social qui peut être perturbé par le télétravail. Dans cette optique, la diminution de 10 % des transports de personnes à l'horizon 2050 ne vise, dans notre scénario, que les déplacements contraints, non ceux de loisir : il sera tout à fait possible d'emprunter sa voiture pour rendre visite à sa famille dans les zones où le transport collectif n'est économiquement pas intéressant. En d'autres termes, seul l'extravagant est visé : nos projections s'efforcent de préserver ce qu'il y a de meilleur dans nos modes de vie.

Quant au gaz et à l'électricité, il nous semble bien plus pertinent d'envisager leur synergie plutôt que leur concurrence. Le scénario négaWatt laisserait ainsi, monsieur le président, le réseau de gaz presque inchangé, y compris au regard de l'installation de postes de distribution de gaz renouvelable, prélevé sur la biomasse, ou de gaz de synthèse, obtenu par méthanation.

La France est l'un des rares pays du monde à posséder en abondance chacune des six grandes énergies renouvelables ; l'Allemagne même n'a pas cette chance. C'est là un atout dont il faut tirer profit, même si cela suppose des compromis parfois difficiles. Ces solutions, l'hydraulique l'a montré, peuvent d'ailleurs présenter un intérêt économique aussi bien qu'écologique, et par conséquent être bien acceptées par les populations. L'utilisation de nos richesses naturelles représenterait un formidable gain de compétitivité à moyen terme, car elle garantirait une stabilité des prix : ceux de l'énergie obtenue grâce à la géothermie de profondeur peuvent ainsi être anticipés plusieurs dizaines d'années à l'avance. C'est là une façon de se prémunir contre les risques dont je parlais dans mon propos liminaire, y compris les risques liés aux aléas géopolitiques. Rappelons à ce sujet que les grandes crises économiques récentes ont presque toujours été précédées d'une crise de l'énergie – ce fut encore le cas en 2008. Assurer notre équilibre énergétique aurait un effet stabilisateur sur le pouvoir d'achat et le patrimoine de nos concitoyens : le coût unitaire de l'énergie, selon toutes les projections, augmentera inéluctablement, mais le pouvoir d'achat résulte de la multiplication de ce coût unitaire par le nombre de kilowattheures consommés ; d'où l'intérêt d'une réduction de la consommation. De même, on envisage souvent la rénovation des bâtiments à partir de son coût « sec », alors qu'elle est économiquement profitable aux ménages comme aux entreprises, puisqu'elle diminue les coûts d'exploitation tout en augmentant la valeur du patrimoine. Plusieurs études réalisées en Suisse, aux États-Unis et en Allemagne montrent qu'une rénovation en profondeur valorise le bâti à hauteur de 7 à 15 %. Bref, il faut analyser cette question à partir des effets à moyen et long terme.

Les solutions que nous proposons n'induisent donc pas un changement radical de nos modes de vie : elles se traduisent par une décroissance de l'extravagant et par une croissance des services essentiels de l'énergie, qui profiterait d'abord aux 8 millions de Français en situation de précarité énergétique. La rénovation d'un bâtiment ou d'une maison a des effets bénéfiques sur le pouvoir d'achat ou l'activité économique, la santé et l'environnement.

La France s'est engagée à respecter le facteur 4, c'est-à-dire à diviser par quatre, entre 1990 et 2050, les émissions de gaz à effet de serre visés par le protocole de Kyoto. À ce jour, nous sommes loin du rythme nécessaire puisque la réduction n'a été que de 13 %. Il faut aussi savoir que le CO2 représente 69 % de ces émissions, si bien que les scénarios de décarbonation ignorent les autres, celles du méthane, des protoxydes d'azote et des gaz fluorés, comme ils ignorent l'impact des déchets nucléaires. Le facteur 4 impose une vision globale, qui réserve d'ailleurs quelques surprises : depuis 1990, on constate ainsi que les émissions de gaz fluorés ont été multipliées par deux, de même que les émissions de CO2 dans les départements et territoires d'outre-mer. Le facteur 4 signifie également, je le répète, une division par 5,3 des émissions individuelles : nous sommes loin de cette trajectoire, qu'il est du devoir de la France de respecter. Ce n'est pas impossible, à condition de nous engager résolument dans une transition énergétique dont les effets seront bénéfiques pour les entreprises comme pour les ménages.

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