Dans le droit romain, la corruption et la concussion étaient punies de la peine de mort.Dans le code pénal français de 1810, la corruption est qualifiée de crime et punie de la peine du carcan et d’une amende. En 1832, la peine du carcan, considérée comme infamante, est supprimée et remplacée par la dégradation civique. Déjà, dans le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789, il est énoncé que « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements ».Plus près de nous, quoi que remontant encore assez loin, des scandales ont provoqué des réponses législatives ciblées. L’un des plus remarquables, et qui nous reste en mémoire, est le scandale de 1889, appelé scandale des décorations, impliquant, en plein boulangisme, le gendre du Président Jules Grévy, ce dernier ayant dû démissionner. C’est à cette occasion qu’a été créé dans notre code le délit de trafic d’influence, puni de la dégradation civique pour les élus et de l’emprisonnement pour les fonctionnaires ; une nuance qui nous conduit à réfléchir. Plus tard, en 1935, l’affaire Stavisky donna lieu à la création du délit d’abus de biens sociaux.Ensuite, c’est une cascade ; je prendrai quelques années de référence, mais cela ne signifie pas qu’il ne s’est rien passé entre elles. En 1988, l’affaire de la vente d’armes à l’Iran donna lieu à l’adoption d’une loi instaurant le financement public des partis politiques. En 1990, l’affaire des marchés publics, dite Urba, fut suivie par la loi Rocard plafonnant les dépenses électorales. En 1993, la loi Sapin imposa la publicité et la mise en concurrence des marchés publics. En 1995, l’affaire dite de la villa de Saint-Tropez conduisit Édouard Balladur à faire adopter un texte de loi interdisant le financement des partis politiques par les personnes morales.Par ailleurs, un certain nombre de rapports ont fait date : rapport Vedel de 1993, rapport Rozès de 1994 et, plus près de nous, les rapports Sauvé, de 2010, et Jospin, de 2012. Tous les sujets sont passés en revue : conflit d’intérêts, prise illégale d’intérêts, favoritisme, pantouflage, commission de déontologie, incompatibilités, déclarations de patrimoine…En clair, nous ne passons pas du non-droit au droit : nous renforçons notre arsenal législatif. Simplement, les réponses apportées à ces situations scandaleuses étaient jusque-là des réponses ciblées. Il s’agissait de créer des incriminations nouvelles, de renforcer les sanctions pénales, autrement dit d’essayer de courir après un phénomène qui ne cessait de se transformer, d’essayer de rattraper l’ingéniosité des fraudeurs et des auteurs de ces actes délictueux.La démarche du Gouvernement est aujourd’hui d’une tout autre nature. Il ne s’agit plus de répondre, de réagir, mais bien de mettre en oeuvre une politique pénale qui vise, sinon à éradiquer la fraude et la corruption, du moins à les rendre plus difficiles, plus risquées, socialement stigmatisantes et financièrement très coûteuses.C’est pourquoi les présents projets de loi contiennent des réformes structurelles, que votre commission des lois a du reste consolidées.Afin de détecter l’infraction et de la poursuivre de façon efficace, nous avons décidé, tout d’abord, de créer un office central de lutte contre les atteintes à la probité. Cet office n’est pas contenu dans le projet de loi, car il ne peut être créé que par décret ; cependant, le texte en prévoit la saisine, de façon à donner aux enquêteurs les moyens d’être efficaces.Cet office sera composé d’officiers et agents de police judiciaire, mais aussi de fonctionnaires dont la spécialisation est d’une autre nature mais qui peuvent recevoir la qualification d’officiers de police judiciaire, à savoir des agents du fisc ou des douaniers ayant cette expertise.La seconde réforme structurelle vise à spécialiser le ministère public de façon à rendre efficace son action face à la fraude et à la délinquance de très grande complexité, face à leurs ramifications et à leur dissimulation. C’est pourquoi nous créons un procureur financier à compétence nationale.Il s’agit par ailleurs pour le Gouvernement de veiller à ce que les politiques pénale et fiscale soient cohérentes et bien coordonnées entre elles. Nous introduisons donc des mécanismes qui facilitent leur articulation.Nous veillons à ce que les moyens d’enquête soient rendus plus performants, nous adaptons notre arsenal répressif et, surtout, nous prenons des dispositions pour que puissent être prononcées des peines réellement dissuasives – la commission des lois a accentué cette dynamique – et que les condamnations soient effectives.Ces textes de loi nous offrent donc un dispositif global, qui permet d’armer la justice, qui fait en sorte que, de l’amont – la détection des infractions – à l’aval – l’exécution des condamnations – la justice soit efficiente et puisse exercer l’action publique.Ces dispositions, qui transforment notre arsenal, ne sont pas liées à un événement, comme l’étaient les lois que j’ai évoquées. Elles montrent bien, par leur conception et leur rédaction, qu’il ne s’agit pas de textes réactionnels.Dès le mois de juin 2012, j’ai mobilisé les services de la chancellerie, essentiellement la direction des affaires criminelles et des grâces, mais aussi le service central de prévention de la corruption, de même que le pôle économique et financier, ainsi que l’Agence de gestion et de recouvrement des avoir saisis et confisqués, l’AGRASC, de façon à travailler à un plan d’ensemble de lutte contre la fraude, la corruption et toutes autres atteintes à la probité. J’ai par ailleurs auditionné des magistrats instructeurs, des procureurs de la République ainsi que des universitaires.Le 24 octobre 2012, j’ai rendu publique la position de la France sur les préconisations de l’OCDE, précisant à cette occasion que nous accorderions aux associations de lutte contre la corruption la faculté d’exercer les droits reconnus à la partie civile. C’est aujourd’hui à peu près possible grâce à la jurisprudence, mais il est important de sécuriser cette faculté et donc de l’inscrire dans la loi.Surtout, ces projets de loi s’inscrivent dans une politique publique globale, qui consiste à assurer l’indépendance de la justice et les conditions d’impartialité de la mission de juger. Nous ainsi décidé la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, dont l’examen est en cours – le texte a déjà été voté à l’Assemblée nationale –, la réorganisation des attributions du garde des sceaux et de ses relations avec les parquets, la fin des instructions individuelles, inscrite dans le code de procédure pénale, le respect de l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature pour les nominations de magistrats du parquet, ainsi que la publication de circulaires territoriales concernant des ressorts où l’affairisme et le clientélisme prospèrent plus qu’ailleurs.Notre souci, dans cette politique globale, articulée, coordonnée, consiste à garantir aux citoyens ordinaires, notamment aux plus vulnérables, que l’autorité judiciaire exerce ses missions de façon indépendante, qu’il n’y a pas d’ingérence de l’exécutif, donc du pouvoir politique, dans la mission de la justice.Ces dispositions témoignent de la volonté résolue du Gouvernement de lutter contre la fraude et la corruption, contre toutes les fraudes et toutes les corruptions, contre les escroqueries financières et fiscales en bande organisée, la criminalité organisée.Nous ne menons pas cette lutte uniquement pour des raisons morales. En effet, ces fraudes, ces corruptions, ces atteintes à la probité, en plus d’être des fautes morales et des infractions pénales, constituent une véritable violence envers les citoyens en difficulté. C’est une violence contre ceux qui sont privés d’emploi – plus de trois millions de personnes –, contre ceux qui vivent en-deçà du seuil de pauvreté – plus de huit millions cinq cent mille personnes, dont plus de la moitié de femmes, et plus de deux millions d’enfants –, contre ceux qui se contentent du revenu de solidarité active – deux millions de personnes. C’est également une violence contre les trois millions de sans-abris et de mal-logés, contre les cinq millions de personnes interdites bancaires, contre les travailleurs pauvres, bref : contre tous ceux qui ont tant de difficultés à boucler leurs fins de mois et qui tirent le diable par la queue – pardon pour cette expression triviale, mais elle illustre bien la manière dont l’imaginaire populaire rend compte des difficultés que représente la privation de revenus. C’est une violence, enfin, contre tous ceux qui craignent le déclassement social : la situation économique est telle que cette crainte n’est pas un fantasme et devient un risque réel, au point que certains s’angoissent au sujet de l’avenir brouillé de leurs enfants et qu’ils en veulent parfois aux enfants des autres.Ces pratiques, qui sont aussi injustes en ce qu’elles favorisent les égoïsmes alors que des contribuables participent aux charges communes, fragilisent, de façon bien plus grave, le lien social et, pis encore, mettent en péril le pacte républicain. Il nous faut donc les combattre et sévir, faire en sorte de détourner de ces pratiques en les sanctionnant le plus sévèrement possible. « Corruption »vient du latin « corrumpere » qui signifie « rompre l’ensemble ». Un acte de corruption n’est donc pas seulement un acte individuel répréhensible mais une agression contre l’ensemble et contre tous.Par ces projets de loi, qui créent une compétence financière nationale, renforcent le service central de prévention contre la corruption, créent un office central de lutte contre les atteintes à la probité, nous commençons à mettre en place un dispositif complet qui nous permettra de rompre avec dix années d’impuissance volontaire.