La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (nos 1011, 1021, 1130, 1125) et du projet de loi organique relatif au procureur de la République financier (nos 1019, 1131).La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.
Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, monsieur le rapporteur de la commission des lois, madame la rapporteure pour avis de la commission des finances, mesdames, messieurs les députés, le 10 avril dernier, le Président de la République affirmait la nécessité d’une lutte implacable contre les dérives de l’argent, de la cupidité, de la finance occulte, et il ajoutait que « l’exemplarité de la République est la condition de son autorité ».Les deux projets de loi que je vous présente aujourd’hui nous permettent d’affronter un phénomène qui vient de loin. Certains affirment même qu’il est inhérent aux démocraties ; Michelet parlait d’ailleurs de la corruption comme d’un « mal naturel ». Pour ma part, autant je pense que la corruption est incrustée dans nos démocraties, autant je me refuse à admettre qu’elle puisse leur être inhérente.Platon et Cicéron témoignent déjà de l’existence de la corruption dans l’Antiquité. Les relations vénéneuses qui existent parfois entre le monde politique et ce mal sont contenues dans le mot même de « candidat », puisque candidatus , dans la Rome antique, renvoyait au fait de blanchir sa toge pour persuader les électeurs de son dévouement et de son désintéressement.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Dans le droit romain, la corruption et la concussion étaient punies de la peine de mort.Dans le code pénal français de 1810, la corruption est qualifiée de crime et punie de la peine du carcan et d’une amende. En 1832, la peine du carcan, considérée comme infamante, est supprimée et remplacée par la dégradation civique. Déjà, dans le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789, il est énoncé que « l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements ».Plus près de nous, quoi que remontant encore assez loin, des scandales ont provoqué des réponses législatives ciblées. L’un des plus remarquables, et qui nous reste en mémoire, est le scandale de 1889, appelé scandale des décorations, impliquant, en plein boulangisme, le gendre du Président Jules Grévy, ce dernier ayant dû démissionner. C’est à cette occasion qu’a été créé dans notre code le délit de trafic d’influence, puni de la dégradation civique pour les élus et de l’emprisonnement pour les fonctionnaires ; une nuance qui nous conduit à réfléchir. Plus tard, en 1935, l’affaire Stavisky donna lieu à la création du délit d’abus de biens sociaux.Ensuite, c’est une cascade ; je prendrai quelques années de référence, mais cela ne signifie pas qu’il ne s’est rien passé entre elles. En 1988, l’affaire de la vente d’armes à l’Iran donna lieu à l’adoption d’une loi instaurant le financement public des partis politiques. En 1990, l’affaire des marchés publics, dite Urba, fut suivie par la loi Rocard plafonnant les dépenses électorales. En 1993, la loi Sapin imposa la publicité et la mise en concurrence des marchés publics. En 1995, l’affaire dite de la villa de Saint-Tropez conduisit Édouard Balladur à faire adopter un texte de loi interdisant le financement des partis politiques par les personnes morales.Par ailleurs, un certain nombre de rapports ont fait date : rapport Vedel de 1993, rapport Rozès de 1994 et, plus près de nous, les rapports Sauvé, de 2010, et Jospin, de 2012. Tous les sujets sont passés en revue : conflit d’intérêts, prise illégale d’intérêts, favoritisme, pantouflage, commission de déontologie, incompatibilités, déclarations de patrimoine…En clair, nous ne passons pas du non-droit au droit : nous renforçons notre arsenal législatif. Simplement, les réponses apportées à ces situations scandaleuses étaient jusque-là des réponses ciblées. Il s’agissait de créer des incriminations nouvelles, de renforcer les sanctions pénales, autrement dit d’essayer de courir après un phénomène qui ne cessait de se transformer, d’essayer de rattraper l’ingéniosité des fraudeurs et des auteurs de ces actes délictueux.La démarche du Gouvernement est aujourd’hui d’une tout autre nature. Il ne s’agit plus de répondre, de réagir, mais bien de mettre en oeuvre une politique pénale qui vise, sinon à éradiquer la fraude et la corruption, du moins à les rendre plus difficiles, plus risquées, socialement stigmatisantes et financièrement très coûteuses.C’est pourquoi les présents projets de loi contiennent des réformes structurelles, que votre commission des lois a du reste consolidées.Afin de détecter l’infraction et de la poursuivre de façon efficace, nous avons décidé, tout d’abord, de créer un office central de lutte contre les atteintes à la probité. Cet office n’est pas contenu dans le projet de loi, car il ne peut être créé que par décret ; cependant, le texte en prévoit la saisine, de façon à donner aux enquêteurs les moyens d’être efficaces.Cet office sera composé d’officiers et agents de police judiciaire, mais aussi de fonctionnaires dont la spécialisation est d’une autre nature mais qui peuvent recevoir la qualification d’officiers de police judiciaire, à savoir des agents du fisc ou des douaniers ayant cette expertise.La seconde réforme structurelle vise à spécialiser le ministère public de façon à rendre efficace son action face à la fraude et à la délinquance de très grande complexité, face à leurs ramifications et à leur dissimulation. C’est pourquoi nous créons un procureur financier à compétence nationale.Il s’agit par ailleurs pour le Gouvernement de veiller à ce que les politiques pénale et fiscale soient cohérentes et bien coordonnées entre elles. Nous introduisons donc des mécanismes qui facilitent leur articulation.Nous veillons à ce que les moyens d’enquête soient rendus plus performants, nous adaptons notre arsenal répressif et, surtout, nous prenons des dispositions pour que puissent être prononcées des peines réellement dissuasives – la commission des lois a accentué cette dynamique – et que les condamnations soient effectives.Ces textes de loi nous offrent donc un dispositif global, qui permet d’armer la justice, qui fait en sorte que, de l’amont – la détection des infractions – à l’aval – l’exécution des condamnations – la justice soit efficiente et puisse exercer l’action publique.Ces dispositions, qui transforment notre arsenal, ne sont pas liées à un événement, comme l’étaient les lois que j’ai évoquées. Elles montrent bien, par leur conception et leur rédaction, qu’il ne s’agit pas de textes réactionnels.Dès le mois de juin 2012, j’ai mobilisé les services de la chancellerie, essentiellement la direction des affaires criminelles et des grâces, mais aussi le service central de prévention de la corruption, de même que le pôle économique et financier, ainsi que l’Agence de gestion et de recouvrement des avoir saisis et confisqués, l’AGRASC, de façon à travailler à un plan d’ensemble de lutte contre la fraude, la corruption et toutes autres atteintes à la probité. J’ai par ailleurs auditionné des magistrats instructeurs, des procureurs de la République ainsi que des universitaires.Le 24 octobre 2012, j’ai rendu publique la position de la France sur les préconisations de l’OCDE, précisant à cette occasion que nous accorderions aux associations de lutte contre la corruption la faculté d’exercer les droits reconnus à la partie civile. C’est aujourd’hui à peu près possible grâce à la jurisprudence, mais il est important de sécuriser cette faculté et donc de l’inscrire dans la loi.Surtout, ces projets de loi s’inscrivent dans une politique publique globale, qui consiste à assurer l’indépendance de la justice et les conditions d’impartialité de la mission de juger. Nous ainsi décidé la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, dont l’examen est en cours – le texte a déjà été voté à l’Assemblée nationale –, la réorganisation des attributions du garde des sceaux et de ses relations avec les parquets, la fin des instructions individuelles, inscrite dans le code de procédure pénale, le respect de l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature pour les nominations de magistrats du parquet, ainsi que la publication de circulaires territoriales concernant des ressorts où l’affairisme et le clientélisme prospèrent plus qu’ailleurs.Notre souci, dans cette politique globale, articulée, coordonnée, consiste à garantir aux citoyens ordinaires, notamment aux plus vulnérables, que l’autorité judiciaire exerce ses missions de façon indépendante, qu’il n’y a pas d’ingérence de l’exécutif, donc du pouvoir politique, dans la mission de la justice.Ces dispositions témoignent de la volonté résolue du Gouvernement de lutter contre la fraude et la corruption, contre toutes les fraudes et toutes les corruptions, contre les escroqueries financières et fiscales en bande organisée, la criminalité organisée.Nous ne menons pas cette lutte uniquement pour des raisons morales. En effet, ces fraudes, ces corruptions, ces atteintes à la probité, en plus d’être des fautes morales et des infractions pénales, constituent une véritable violence envers les citoyens en difficulté. C’est une violence contre ceux qui sont privés d’emploi – plus de trois millions de personnes –, contre ceux qui vivent en-deçà du seuil de pauvreté – plus de huit millions cinq cent mille personnes, dont plus de la moitié de femmes, et plus de deux millions d’enfants –, contre ceux qui se contentent du revenu de solidarité active – deux millions de personnes. C’est également une violence contre les trois millions de sans-abris et de mal-logés, contre les cinq millions de personnes interdites bancaires, contre les travailleurs pauvres, bref : contre tous ceux qui ont tant de difficultés à boucler leurs fins de mois et qui tirent le diable par la queue – pardon pour cette expression triviale, mais elle illustre bien la manière dont l’imaginaire populaire rend compte des difficultés que représente la privation de revenus. C’est une violence, enfin, contre tous ceux qui craignent le déclassement social : la situation économique est telle que cette crainte n’est pas un fantasme et devient un risque réel, au point que certains s’angoissent au sujet de l’avenir brouillé de leurs enfants et qu’ils en veulent parfois aux enfants des autres.Ces pratiques, qui sont aussi injustes en ce qu’elles favorisent les égoïsmes alors que des contribuables participent aux charges communes, fragilisent, de façon bien plus grave, le lien social et, pis encore, mettent en péril le pacte républicain. Il nous faut donc les combattre et sévir, faire en sorte de détourner de ces pratiques en les sanctionnant le plus sévèrement possible. « Corruption »vient du latin « corrumpere » qui signifie « rompre l’ensemble ». Un acte de corruption n’est donc pas seulement un acte individuel répréhensible mais une agression contre l’ensemble et contre tous.Par ces projets de loi, qui créent une compétence financière nationale, renforcent le service central de prévention contre la corruption, créent un office central de lutte contre les atteintes à la probité, nous commençons à mettre en place un dispositif complet qui nous permettra de rompre avec dix années d’impuissance volontaire.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Cette impuissance volontaire a été organisée et s’est traduite par le démantèlement de structures de services, par des coupes budgétaires et des réductions d’effectifs. Par exemple, les brigades spécialisées ont perdu trente-sept enquêteurs spécialisés en quatre ans. Onze magistrats officiaient dans la section financière de Paris en 2007 ; ils n’étaient plus que huit en 2011. Nous avons interrogé les services d’enquête au mois de janvier : il leur manquait soixante-dix enquêteurs. J’ai dû mobiliser Manuel Valls, le ministre de l’intérieur, qui a donné des consignes et pris des dispositions, de façon à renforcer le corps des enquêteurs spécialisés et à pouvoir les mettre à la disposition des parquets et des magistrats instructeurs afin qu’ils conduisent les procédures. Concernant celles-ci, il y avait, en 2003, au pôle d’instruction de Paris une centaine d’informations judiciaires ; en 2011, il n’y en avait plus que neuf : le démantèlement a été tout à fait efficace.Nulle polémique ici : il s’agit de constater des faits et pas seulement des statistiques. Des discours parfaitement assumés sont d’ailleurs venus les étayer, sur la dépénalisation du droit des affaires et sa déjudiciarisation. Ces discours visaient à priver la justice des moyens de poursuivre cette délinquance économique et financière.
Par la suite, on nous a annoncé la suppression des juges d’instruction, qui n’a été évitée que grâce à une mobilisation générale. La conséquence de tout ceci, malheureuse pour nous tous, a été de voir la France classée au vingt-deuxième rang mondial dans le classement de Transparency International.Les effets ont été certains et nous ne pouvons douter de l’efficacité des mesures prises, même si nous la déplorons profondément. Ces dispositions doivent être totalement neutralisées. Tel est le sens de notre action que vous êtes venus renforcer dans ce texte de loi. Sans quoi, nous allons droit vers une rupture avec la société et nos concitoyens. Nous devons mettre un terme à cette scission entre, d’un côté, des citoyens éclairés et, de l’autre, des élites corrompues ; entre, d’un côté, des citoyens irrationnellement émotifs et, de l’autre, des élites éclairées. La démocratie n’est pas la réciprocité des mépris.Nous devons rappeler que nous possédons un bien commun – les institutions – sur le fonctionnement duquel nous devons veiller. Elles doivent être solides, justes, mais aussi protectrices et surtout « décentes », au sens où Avishai Margalit emploie ce terme. Une société décente est une société qui n’humilie pas ses citoyens. Or la corruption avilit ceux qui la pratiquent et humilie les citoyens. Nous voulons y mettre un terme pour restaurer la confiance des citoyens dans nos institutions et en eux-mêmes également, car tout cela fragilise la société dans son ensemble.Le texte relatif à la lutte contre la fraude fiscale comporte une vingtaine d’articles, dont un tiers est dû au travail de votre commission. Parmi les douze premiers, trois concernent très directement le ministère de l’économie et des finances et je laisserai à Bernard Cazeneuve le soin de les présenter en détail. Sachez déjà que les articles 3, 10 et 11 modifient le code général des impôts et le livre des procédures fiscales et qu’ils comportent un certain nombre de dispositions relatives à l’utilisation de sources dont l’origine serait illicite, dans l’état actuel de notre droit, et d’autres sur l’extension du champ des techniques d’enquêtes spéciales et une aggravation des peines de prison et des amendes. M. le ministre du budget vous en parlera plus savamment.À l’article 1er comme je l’avais annoncé en octobre 2012, nous attribuons aux associations qui luttent contre la corruption les droits reconnus à la partie civile. À l’article 2, nous étendons le champ de compétences de l’Office central de lutte contre les atteintes à la probité – actuellement Office central de lutte contre la délinquance –, ce qui permettra de rompre une entrave qui pèse notamment sur les parquets, lorsqu’il existe, en plus de la fraude fiscale, un constat de blanchiment d’argent : cet office central pourra intervenir par sollicitation.Les articles suivants visent essentiellement à aligner le régime des personnes morales sur celui des personnes physiques en ce qui concerne les possibilités de saisie du patrimoine entier, des saisies en valeur, des saisies de meubles ou d’immeubles, de saisie des contrats d’assurance-vie au bénéfice de l’État, mais également pour faciliter l’entraide pénale internationale en matière de saisie des avoirs criminels. Votre commission des lois a introduit un certain nombre de dispositions remarquables, grâce à l’excellent travail effectué par le rapporteur de la commission des lois, M. Yann Galut, ainsi que par la rapporteure pour avis de la commission des finances, Mme Sandrine Mazetier, et grâce aux amendements de MM. Raimbourg et Le Bouillonnec.Ce travail de très grande qualité vous a d’ailleurs permis d’introduire un contentieux supplémentaire, relatif à la fraude à la TVA – ce fameux « carrousel » – et au marché du CO2, dont nous avons pris connaissance dans les années 2009-2010. Le Gouvernement est entièrement favorable à ces dispositions. Vous avez fortement alourdi les amendes ; modifié les délais de prescription ainsi que les modalités de décompte de la prescription ; introduit des dispositions pour alléger les peines réservées aux personnes qui facilitent le travail de la justice ; fait en sorte que la publicité sur la commission des infractions fiscales soit améliorée ; introduit également quelques autres dispositions qui concernent plus directement le ministère du budget.Dans la loi organique, vous avez ajouté un article 2, qui vise à spécialiser les magistrats instructeurs de la juridiction de Paris. Vous prévoyez que ceux-ci fassent l’objet d’une nomination par décret du Président de la République sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Le Gouvernement partage votre souci de spécialisation. D’ailleurs, je ne vous cache pas que nous en avons beaucoup débattu et que j’ai beaucoup échangé avec les magistrats instructeurs et les procureurs sur ce sujet, puisque la question s’était très rapidement posée à nous. Toutefois, si nous pensons que les magistrats doivent être spécialisés, nous craignons que ces dispositions intégrées dans la loi – et donc dans l’ordonnance de 1958 – n’introduisent un élément de rigidité.En effet, il serait bon que le même magistrat puisse être compétent sur une procédure qui rassemblerait des éléments de criminalité organisée, de matière économique et financière et de fraude fiscale. Nous aurions souhaité éviter cette rigidité. Une habilitation est possible, puisqu’un dispositif semblable existe déjà pour les JIRS, les juridictions inter-régionales spécialisées. Nous pensons que les juges d’instruction et les juges du siège peuvent faire l’objet d’habilitations par le premier président de la cour d’appel. La spécialisation se mettrait ainsi à la disposition des procédures, tout en conservant une souplesse qui éviterait de cloisonner des contentieux. L’expérience montre en effet que parfois les trois contentieux que je citais peuvent se retrouver dans une seule procédure. Pour cette raison, je propose que nous continuions à discuter, afin que ces dispositions ne soient pas maintenues.Les articles suivant ces douze premiers modifient le code de procédure pénale ainsi que le code de l’organisation judiciaire, puisque nous allons supprimer les pôles économique et financier et confier aux JIRS la délinquance et la criminalité de grande complexité, en plus de celles de très grande complexité. Ce parquet financier à compétence nationale aura une compétence d’attribution, soit une compétence concurrente, sur les atteintes à la probité, la corruption d’agents publics, la fraude fiscale complexe ou en bande organisée et sur le blanchiment de toutes ces infractions. Il aura également une compétence exclusive en matière de délits boursiers. Cette réorganisation de nos juridictions spécialisées renforce leur cohérence et, souhaitons-le, l’efficience et la diligence dans l’instruction des procédures.Tel est donc en substance, dans sa cohérence et son articulation, dans sa lisibilité, l’instrument global que le Gouvernement vous propose pour lutter contre toutes les corruptions. Cette lutte est une obligation morale, mais également une nécessité au service de la cohésion sociale : il s’agit d’un acte de confiance à l’égard des citoyens, afin que nous puissions obtenir leur confiance en retour. Pierre Mendès-France disait que la vigilance continuelle des citoyens est nécessaire, non seulement sur les affaires de l’État, sur celles des collectivités territoriales, mais aussi sur celles des associations et des coopératives, parce que, lorsque cette vigilance est défaillante, le Gouvernement, tout comme les corps organisés et les fonctionnaires, assurait-il, sont soumis à des pressions de toutes sortes, se retrouvent en proie à ces pressions et parfois cèdent aux tentations de l’arbitraire. Nous voulons éviter cela et, à défaut de rendre les hommes vertueux, faire en sorte que les institutions protègent les intérêts des citoyens.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.
Madame la ministre, mesdames et messieurs les députés, madame la rapporteure pour avis, monsieur le rapporteur, puisque Mme Taubira vient de faire un panorama cursif on ne peut plus complet des sujets dont nous aurons à débattre pendant quelques heures, je voudrais – précisément pour laisser la place au débat – aller à l’essentiel sur les sujets qui relèvent de ma compétence.Le texte que nous abordons ensemble s’inscrit dans le contexte très particulier du redressement de nos comptes publics. Puisque c’est dans cette enceinte comme au Sénat que l’on débat, année après année, des lois de finances, nous savons les efforts auxquels les Français sont appelés pour réussir le redressement de nos comptes dans un contexte de crise qui n’est pas sans leur imposer des souffrances. Par conséquent, il serait tout à fait absurde, incongru et injuste d’appeler les Français à contribution – car nous ne pouvons pas redresser nos comptes publics sans un effort collectif – et, dans le même temps, de laisser à l’écart de notre vigilance toutes celles et tous ceux qui, parfois depuis de nombreuses années, ne remplissent pas leur devoir de citoyen, en oubliant de s’acquitter de leurs impôts.Dans la crise, plus qu’à tout autre moment, le fait de s’acquitter de ses impôts est non seulement une manière d’accomplir son devoir de citoyen, mais aussi de garantir que les patrimoines de ceux qui n’ont rien, c’est-à-dire les services publics et la protection sociale, pourront être financés dans des conditions qui garantiront la pérennisation de notre modèle social.C’est la raison pour laquelle il est important que nous débattions de ces textes dont la garde des sceaux vient de rappeler excellemment le contenu à l’instant, et avec le souci de l’efficacité pour que ces sommes détournées depuis de très nombreuses années, parfois même depuis des décennies, puissent enfin être perçues par l’État au bénéfice de l’intérêt général et de la communauté nationale.Je voudrais beaucoup insister sur le fait que les premiers résultats, en matière de recouvrement d’impôts depuis longtemps détournés, sont là. Je vais donner quelques chiffres et rappeler quelques-unes des actions dans lesquelles nous sommes engagés depuis plus de douze mois.Tout d’abord, de 2011 à 2012, le nombre des droits et pénalités ayant vocation à être recouvrés par l’État est passé de 16 milliards d’euros à 18 milliards d’euros, augmentant donc de près de 2 milliards d’euros.Ces 2 milliards supplémentaires sont très significatifs. Lorsque l’on regarde la structure des 18 milliards, il apparaît qu’environ 14,3 milliards correspondent à des droits et 3,7 milliards à des pénalités. Notre objectif, à travers les dispositions nouvelles dont nous allons débattre, est d’aller plus loin dans le recouvrement des impôts dus à l’État, dans le cadre de la lute contre la fraude fiscale, en nous dotant des outils adéquats.Qu’avons-nous fait et que nous reste-t-il à faire ?Depuis un an, il a été pris un certain nombre de dispositions nouvelles, en loi de finances rectificative comme en loi de finances initiale, et à travers d’autres textes dont votre assemblée a eu à débattre. Ces dispositions se sont révélées très utiles pour lutter efficacement contre la fraude fiscale. Je veux en rappeler quelques-unes.Tout d’abord, pour ce qui concerne les particuliers, a été décidé en loi de finances rectificative pour ceux qui détiennent des comptes à l’étranger dont la traçabilité des sommes n’est pas susceptible d’être établie, que lesdits comptes seront taxés à hauteur de 60 %, taxation qui viendra s’ajouter aux nombreuses pénalités et autres impôts dont les contribuables indélicats sont redevables.Nous avons également décidé de prendre de nouvelles dispositions concernant les entreprises. Désormais, il n’appartiendra plus à l’administration fiscale de faire la démonstration des raisons pour lesquelles de grandes entreprises ont procédé à des transferts vers des filiales créées à l’étranger et éventuellement à des mouvements avec celles-ci : ce sera aux entreprises elles-mêmes de s’en expliquer.Nous avons également, grâce à la loi bancaire et aux amendements que vous avez adoptés, pris des dispositions nouvelles qui rendent beaucoup plus transparente l’activité du secteur financier et bancaire. Je pense à l’obligation de déclaration par les banques de toutes leurs filiales à l’étranger, de la description du contenu de l’activité de celles-ci et des mouvements qui transitent par elles. Je pense aussi à l’obligation faite désormais aux banques de rendre compte devant TRACFIN des mouvements suscitant la suspicion et susceptibles de faire l’objet d’investigations dès lors qu’ils sont portés à la connaissance de l’administration.S’ajoute à ces dispositions nouvelles qui concernent les particuliers, les entreprises et les banques, l’action résolue engagée par le Président de la République au plan international et au plan européen, action qui nous conduit à resserrer le dispositif afin que les fraudeurs aient la conviction qu’ils ne pourront plus échapper à la vigilance des États, qui coopèrent désormais entre eux. Je vais prendre, là aussi, quelques exemples en rappelant plusieurs des sujets que nous avons mis sur le métier et qui constituent autant d’étapes de notre agenda.Tout d’abord, la France souhaite que l’Union européenne, qui affirme très souvent sa vocation à être un marché intérieur, n’oublie pas que ses États doivent coopérer entre eux lorsqu’il s’agit de lutter contre la fraude fiscale. Quel serait le sens d’un grand marché au sein duquel nous n’avancerions pas sur le chemin de l’harmonisation fiscale et sociale ? Nous devons profiter des travaux en cours sur la directive « épargne » et la quatrième directive « blanchiment » pour harmoniser davantage notre fiscalité. À cet égard, les travaux menés sous l’autorité du commissaire Semeta sur l’harmonisation de la fiscalité de l’épargne constituent une première étape que nous devons approfondir en étant à l’avant-garde, résolus et déterminés.Mais la France doit aussi profiter des discussions et des négociations en cours pour rendre possibles des conventions harmonisées d’échanges automatiques d’informations au sein de l’Union européenne. Cela permettrait de garantir à chaque État qu’il sera en situation de savoir exactement quels sont les avoirs de ses ressortissants déposés sur des comptes à l’étranger. Il importe que les conditions soient établies pour que l’Union élabore – car cela aura encore plus de force et de sens politiques – une liste des États et territoires non coopératifs européens, afin de montrer l’ambition de l’Europe, en tant qu’espace politique et pas seulement en tant que grand marché, de lutter contre la fraude fiscale.Il importe également que mandat soit donné à l’Union européenne, dès lors que ces conventions auront été signées, pour qu’elle puisse négocier avec les pays tiers des conventions de type FATCA, à l’instar de ce qu’ont fait les États-Unis avec plusieurs de leurs voisins. Nous disposerons alors, avec les conventions automatiques d’échanges d’informations, le dispositif FATCA et la liste des États et territoires non coopératifs, d’un ensemble de dispositions valant arsenal de lutte contre la fraude fiscale au plan européen mais aussi au plan international.Outre les dispositions nationales et européennes, des initiatives internationales ont été prises à l’occasion du récent G8. Nous avons en effet progressé – moins que nous ne l’aurions souhaité mais plus que si nous n’avions pas été à l’avant-garde – sur l’élaboration de mesures destinées à mettre en place le registre des sociétés dites trusts, lesquelles contribuent à l’opacité et accompagnent incontestablement les fraudeurs…
…dans leurs intentions parfois malveillantes.Voilà quels ont été le contexte, les orientations et les actions, mais il faut aujourd’hui aller plus loin.Avant d’évoquer plusieurs sujets qui concernent plus particulièrement la matière fiscale, je veux remercier tous ceux qui, dans vos commissions, ont mené un travail extrêmement utile et approfondi pour amender le texte sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, le rendant plus efficient et meilleur encore. Je sais gré aux deux rapporteurs, Sandrine Mazetier et Yann Galut, pour la qualité de leurs propositions et la précision de leurs amendements. J’évoquerai tout à l’heure quelques-uns des apports dont ils sont les auteurs et qui contribueront à faire de cette loi un texte meilleur qu’il ne l’aurait été si le Gouvernement n’avait pas entendu leurs suggestions.Je veux remercier également Éric Alauzet, qui a mené avec son groupe un travail très important sur un certain nombre de questions ; je pense notamment à tout ce qui est de nature à sensibiliser au rôle éminent joué par les organisations non gouvernementales pour que la transparence, la vérité et le combat ne s’arrêtent jamais sur ces sujets hautement politiques à propos desquels les citoyens doivent donc pouvoir exprimer leurs aspirations et leurs interrogations.Je tiens aussi à remercier le groupe GDR, notamment Nicolas Sansu, qui a fait un travail extrêmement important pour que nous puissions progresser dans l’efficience des contrôles en cours dans le cadre de la relation qui doit se nouer avec les entreprises. En outre, je sais à quel point le groupe RRDP a su exprimer sa sensibilité et ses opinions sur un certain nombre de sujets, et nous aurons l’occasion, tout au long du débat, d’analyser ses propositions.Et puis je tiens à remercier également l’opposition, qui a parfois émis des suggestions intéressantes dont il faut tenir compte. Sur les grands textes qui doivent permettre à notre pays de progresser, il n’est pas toujours nécessaire d’entretenir des guerres, même si, en matière fiscale, nous ne sommes pas d’accord sur tout et qu’il y a bien des sujets où il faudra le temps long de l’histoire pour nous permettre de progresser les uns vers les autres. Mais c’est l’intérêt du débat démocratique.Quels sont les progrès apportés par ce projet de loi ?Tout d’abord, la garde des sceaux l’a dit il y a quelques instants, nous voulons mettre en place un dispositif complet et cohérent permettant, du contrôle à l’investigation, et jusqu’à la répression, aux administrations en charge de la lutte contre la fraude fiscale d’agir ensemble. Il est d’usage dans ce pays, les récents articles de presse rendant compte de nos réflexions dans la perspective de ce débat en témoignent, d’opposer les administrations entre elles ; certaines auraient vocation à réprimer plus que d’autres, celles dont la proximité avec les questions économiques les conduirait à être moins indulgentes. Mais une telle opposition ne correspond pas à la réalité des pratiques.Depuis deux mois et demi que je prépare, en très étroite liaison avec le ministre de l’économie et des finances et la garde des sceaux, ce texte qui vous est présenté, j’ai pu mesurer l’excellence des services qui sont sous la responsabilité du ministre de l’économie et sous la mienne.Sur tous les sujets qui concernent la lutte contre la fraude fiscale et contre ceux qui cherchent à échapper au droit, sur toutes les questions qui justifient les contrôles, j’ai constaté un haut niveau de professionnalisme et de compétences techniques, nécessaire lorsqu’il s’agit de débusquer la fraude, surtout lorsqu’elle est hautement sophistiquée. Je rends hommage aux services de Bercy pour la qualité de leur implication et pour leur haut niveau de compétences techniques, et aussi au grand sens moral et à la grande intégrité de tous ceux qui se dévouent quotidiennement au service public, qui ont la culture de l’impôt, au sens le plus noble du terme, et la volonté que le droit passe en ayant à l’esprit un grand principe de la République : l’affirmation de l’égalité des citoyens devant l’impôt.Je tiens aussi à dire à quel point nous sommes conscients, la garde des sceaux et moi-même, du rôle éminent joué par les magistrats lorsqu’il s’agit de sanctionner la fraude après qu’elle a été constatée et même, depuis l’arrêt Talmon, le blanchiment de fraude fiscale. La justice va se trouver dotée de moyens nouveaux pour être plus efficiente. La garde des sceaux vient de dire, avec la passion qu’on lui connaît, à quel point elle entendait que, sur ces matières comme sur toutes les autres, la justice puisse agir en toute indépendance. Plutôt que d’opposer les administrations les unes aux autres, nous avons décidé de les articuler les unes aux autres…
…pour ne laisser aucun interstice, aucune place, aucun espace aux fraudeurs, toujours tentés de jouer sur les dissensions, les frottements qui peuvent exister entre les administrations pour trouver une porte de sortie. Ils n’en trouveront pas parce que nous avons décidé de ne pas leur en laisser la possibilité, décidé d’agir ensemble par une articulation des compétences de nos services et de nos administrations, conjuguée sur le mode de l’excellence. Il s’agit d’être efficace, de traquer les fraudeurs avec détermination pour que nul n’échappe à la sanction lorsqu’il a oublié de se conformer au droit. C’est cela, la République, lorsqu’elle a décidé de rattraper ceux qui, par inadvertance ou volontairement, ont choisi d’oublier les règles.Comment allons-nous faire ? Nous allons tout d’abord donner de nouveaux moyens d’enquête fiscale à la police judiciaire pour lutter contre l’utilisation de comptes à l’étranger, de sociétés écrans et contre le blanchiment de fraude fiscale. Il faut que, dans le respect des règles qui nous conduisent à toujours trouver l’équilibre entre le contrôle, la répression et les libertés publiques, nos services puissent intervenir efficacement, en recourant le cas échéant à des écoutes ou à des infiltrations, pour débusquer les fraudeurs qui utilisent les moyens sophistiqués que l’on sait.Nous avons aussi décidé de permettre à l’administration d’utiliser tous les moyens à sa disposition pour aller au bout de ses investigations, notamment toutes les listes, tous les éléments transmis de façon licite par la justice, y compris lorsque la source de ces éléments n’est pas licite.Nous avons décidé également d’organiser la saisie des biens, y compris l’assurance-vie, de ceux, personnes physiques ou morales, qui se seront laissés aller à la fraude fiscale. L’arsenal répressif et la peine appliquée doivent être suffisamment dissuasifs pour que les fraudeurs ne soient pas tentés de continuer leur action funeste.Nous avons aussi décidé, parce que c’est important, de mieux articuler le rôle de l’administration fiscale et celui de la justice.
Ainsi nous complétons la composition de la commission des infractions fiscales, actuellement formée de magistrats de la Cour des comptes et du Conseil d’État, et nous prévoyons que ses travaux et les critères à partir desquels elle examine le millier de dossiers qui lui sont transmis chaque année par l’administration fiscale avant leur examen par la justice soient restitués devant la représentation nationale dans un rapport annuel.De même, lorsque, dans le cadre d’une enquête, la justice découvrira des éléments de fraude fiscale dont elle saisira notre administration, elle aura la garantie d’obtenir de cette dernière, dans un délai précis, une restitution des actions que nous avons engagées pour mettre fin à la fraude constatée.Vous le voyez, pas un sujet n’a échappé à la vigilance du Gouvernement et du Parlement dans le texte que nous examinons.Je veux remercier encore une fois les rapporteurs, pour les propositions qu’ils nous ont faites sur des sujets aussi divers que la composition de la commission des infractions fiscales, la transparence de son activité, le rééquilibrage de son rôle et de ses missions.Je sais gré aux députés – je pense notamment à Yann Galut – d’avoir présenté des amendements visant à protéger les lanceurs d’alerte qui donnent des informations et à envisager un statut de repenti.Je veux remercier Éric Alauzet pour ses propositions sur le rôle particulier joué par les organisations non gouvernementales, et le groupe GDR pour cet amendement qui permet à l’administration fiscale, lorsqu’elle effectue des contrôles inopinés dans des entreprises, de saisir, lors de ces contrôles, des éléments comptables, de manière à ce que rien ne puisse lui échapper.Ce projet de loi, mesdames, messieurs les députés, est un grand texte. Il doit nous permettre de progresser résolument dans la lutte contre la fraude fiscale, avec la volonté de redresser nos comptes publics – un objectif que nous poursuivons avec détermination – dans un souci de justice et de citoyenneté, pour que chacun contribue par l’impôt au fonctionnement des services publics et à la préservation de la protection sociale.C’est dans cet esprit, qui est en réalité celui de la République, que nous avons travaillé. Il nous renvoie à ce que la République peut produire de meilleur lorsqu’elle décide de rassembler ses forces pour endiguer des comportements qui portent atteinte à son intégrité et à la force de ses valeurs.C’est dans cet esprit que nous présentons ce texte, avec la garde des sceaux. Je forme le voeu que le débat que nous aurons aujourd’hui soit à la hauteur de l’ambition que nous portons collectivement.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Yann Galut, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai l’honneur de prendre la parole en tant que rapporteur de deux textes extrêmement importants relatifs respectivement à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et à la création du procureur de la République financier.Les ministres ont rappelé que le contexte international, depuis la crise de 2008, a rendu la fraude fiscale intolérable pour nos démocraties, nos pays et leurs populations.Alors que nous sommes aux responsabilités depuis un an, comment accepter que 40 à 80 milliards d’euros échappent à la richesse nationale pour se réfugier, sur des comptes offshore, dans des paradis fiscaux lorsque nous demandons à nos concitoyens de participer, comme l’a indiqué M. le ministre du budget, à l’effort national de redressement de nos comptes publics ? Ce vol de l’État français ne peut plus être accepté.Au demeurant, tous les pays sont victimes de ce phénomène : au niveau européen, la fraude est estimée à 1 000 milliards d’euros. Dès lors, comment accepter l’argument, que l’on entend parfois, selon lequel la fraude fiscale internationale serait due à ce que l’on a appelé l’enfer fiscal français ? Comment l’accepter quand on sait que l’Allemagne est en première ligne dans le combat contre l’évasion fiscale ? L’Angleterre, l’Italie, l’Espagne participent à ce combat. Et que dire du mouvement international, né en 2008 aux États-Unis ? Ce pays serait-il un enfer fiscal ?C’est en effet avec l’affaire UBS qui a éclaté aux États-Unis, en 2008, qu’est née une prise de conscience internationale et une législation essentielle, que nous espérons reprendre grâce à l’action du Gouvernement : le fameux FACTA, qui instaure un échange automatique d’informations entre les États-Unis et la Suisse.Cette prise de conscience internationale, nous devons la traduire dans les faits en France. À cet égard, je tiens à saluer la volonté dont a fait preuve le Gouvernement dès sa nomination. Souvenez-vous : Jean-Marc Ayrault, avait fait, à cette tribune, dans son discours de politique générale de juillet 2012, de la fraude fiscale l’une des priorités du nouveau gouvernement.Cette priorité s’est traduite dans l’action menée par Mme la garde des sceaux dès octobre 2012 et dans les premières mesures qui ont été présentées. Je salue la pugnacité du rapporteur général du budget, M. Christian Eckert
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Par ses amendements et ses interventions, il a permis la création des premiers dispositifs en la matière.Au vu du contexte et de la nécessité de redresser nos comptes publics, l’examen de ces textes s’imposait. D’autres événements, que vous connaissez aussi bien que moi, ont permis d’accélérer le processus. Quant à la mobilisation liée à offshore leaks , elle a participé de cette lutte internationale.Le fait que le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale soit porté par Mme la garde des sceaux et par M. le ministre du budget témoigne de la mobilisation du Gouvernement et va nous permettre d’être efficaces. Pris dans sa globalité, ce texte est complet dans son aspect pénal tout en apportant de premières réponses budgétaires.Le Gouvernement a déjà donné des indications et Sandrine Mazetier, rapporteure pour avis, qui prendra la parole après moi, détaillera certaines mesures. En adoptant ce texte, mes chers collègues, vous créerez des instruments juridiques qui permettront aux services d’enquête d’être extrêmement efficaces.L’un des points importants du texte est la création d’un délit de fraude fiscale en bande organisée. Cette notion va permettre à nos services de police – dont je salue la compétence –, aux services de la douane judiciaire – dont j’ai pu constater l’efficacité – et à la justice de mener les enquêtes, dans le respect de la loi bien sûr. Il s’agit de lutter contre cette délinquance spécifique complexe, en ayant les moyens d’identifier les infractions et, surtout, de les porter à la connaissance de la justice.Nous renforçons donc de manière très importante les moyens juridiques de nos services d’enquête, pour leur permettre d’aller jusqu’au bout de leurs enquêtes. C’était une demande de ces services qui, parfois, se trouvaient complètement bloqués. N’oublions pas que cette fraude internationale complexe est le fait de réseaux structurés, composés de trusts, d’intermédiaires, intervenant dans différents pays. La notion de bande organisée permettra donc à nos services d’enquête d’être extrêmement efficaces.En outre – et c’est une nécessité, un message politique fort – les sanctions, tant pénales que financières, seront beaucoup plus sévères. Nous renforçons donc à la fois les moyens d’enquête et les sanctions pénales, pour envoyer un message très fort sur notre volonté d’éradiquer la fraude fiscale internationale.Par ailleurs, nous autorisons – et c’est important – l’utilisation des fichiers volés. Il y a eu une divergence de jurisprudence entre la chambre pénale et la chambre commerciale de la Cour de cassation en la matière. En adoptant cette législation, nous mettrons fin à cette problématique juridique et nous permettrons à l’administration fiscale, à la justice pénale et aux services de police d’utiliser ces fichiers volés.On nous dit que c’est de la délation, que notre démarche est liberticide. Mais nous sommes parfois confrontés à l’opacité totale et au secret bancaire, dont la violation est, je vous le rappelle, un crime dans certains pays ! Dans ces cas-là, nous devons pouvoir répondre avec de nouvelles armes judiciaires.Du reste, l’utilisation des fichiers dits volés est autorisée dans d’autres démocraties. Ce que nous faisons aujourd’hui, c’est mettre nos moyens de lutte contre l’évasion fiscale au niveau de ceux utilisés dans d’autres démocraties. L’Allemagne utilise les fichiers volés ; elle va même plus loin que nous : elle les achète.
L’Espagne et les États-Unis les utilisent également. Notre démarche n’est donc pas liberticide ; nous cherchons à répondre avec efficacité à cette délinquance qui utilise tous les moyens.Comme cela a été rappelé, nous améliorons également la saisie et la confiscation des sommes litigieuses concernant les assurances-vie.Nous renforçons donc sensiblement les pouvoirs de la justice.Pour ce texte, nous avons pu bénéficier du travail mené en commun – au-delà même de la majorité, puisque l’opposition a parfois formulé des remarques intéressantes – par tous les députés.Je veux saluer le travail de mon collègue Yves Goasdoué qui, par nombre d’amendements, a permis l’amélioration du projet de loi.Nous avons en effet introduit des éléments importants par voie d’amendement. Je vous en signalerai quelques-uns.Nous avons, tout d’abord, voulu sécuriser la question de la prescription : son délai commencera à courir à partir de la découverte des faits contestés.
Bien sûr, il existait une jurisprudence, très importante, que nous saluons, mais il ne s’agit que d’une jurisprudence. Et rappelez-vous qu’elle a été remise en question. Certains parlementaires ont voulu la remettre en cause par des propositions de loi ou des amendements. En tout cas, si elle était peut-être sécurisée au niveau de la Cour de cassation, ce n’était pas forcément le cas dans la loi. Avec ce texte, nous gravons dans le marbre de la loi les règles applicables en matière de prescription.Nous avons aussi introduit ce qu’on pourrait appeler un statut du repenti. Quand certaines personnes, qui ont participé à l’infraction, collaborent avec les services d’enquête, avec la justice, elles pourront bénéficier soit, dans certaines circonstances, très encadrées, d’une immunité pénale, soit d’une réduction de peine. Ce type de mesures existe pour d’autres infractions sanctionnées par le code pénal. Ce n’est donc pas une nouveauté en soi.Sur proposition d’Yves Goasdoué et de l’ensemble des députés socialistes, ainsi que d’Éric Alauzet – dont je veux également saluer le travail, non seulement en commission des finances mais aussi en commission des lois –, nous avons créé un statut de lanceur d’alerte. Comment, en effet, imaginer que des salariés d’entreprise qui constatent fraude fiscale ou corruption puissent être inquiétés, licenciés, qu’ils puissent voir leur vie brisée ? Avec Sandrine Mazetier, nous avons reçu certains d’entre eux, qui nous ont dit ce qu’ils avaient subi. C’est pourquoi nous avons décidé de créer ce statut, très important pour nous ; je remercie Yves Goasdoué de sa contribution à cet égard.Vous l’avez indiqué, madame la garde des sceaux : nous créons aussi un parquet financier national. C’est vrai, c’est un nouvel objet juridique. C’est vrai, certains s’interrogent. Mais ce parquet national donnera à la lutte contre la fraude fiscale et contre la corruption une vraie lisibilité. Il lui offrira aussi des garanties en termes de moyens ; j’y reviendrai. Ce sera un interlocuteur privilégié, qui, à terme, aura sa propre légitimité. Certes, on le sait, ce sera peut-être compliqué au départ, mais je partage entièrement la volonté du Président de la République de créer ce parquet financier national. C’est un signe extrêmement fort de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.Madame la garde des sceaux, vous le savez, nous pouvons faire les meilleurs textes – et celui-ci en est un excellent –, il faudra aussi renforcer les moyens. Vous avez rappelé quelle avait été leur évolution au cours de la législature précédente. Je tiens à abonder dans votre sens, car, quand vous ajoutez un deuxième service, qui lutte contre la délinquance astucieuse, la baisse des moyens de ces magistrats spécialisés est encore plus importante. Là réside donc l’une de nos priorités.Saluons, pour terminer, celles et ceux qui furent aussi des lanceurs d’alerte, qu’ils soient journalistes, comme Antoine Peillon, magistrats, comme Charles Prats, dirigeants d’ONG, comme Mathilde Dupré. Nous les avons rencontrés, avec Sandrine Mazetier. Cela fait des années et des années qu’ils luttent.Je n’oublie pas les fonctionnaires de Bercy, qui sont en première ligne. Je veux saluer, vraiment, leur engagement. Nous avons rencontré les policiers et les agents du ministère des finances qui se sont regroupés dans cette fameuse police fiscale ; nous avons vu leur passion et leur détermination à lutter contre ce fléau. Nous avons rencontré, monsieur le ministre du budget, le service national de la douane judiciaire, qui nous a expliqué ce scandale qu’est l’escroquerie à la TVA. Ces gens passionnés, qui ne comptent pas leurs heures, sont en première ligne pour faire rentrer l’argent. Et je ne parle pas, madame la garde des sceaux, de ces magistrats qui sont, eux aussi, en première ligne, pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. Je veux vraiment les saluer, comme les services du ministère de l’intérieur qui travaillent sur la problématique des repentis. Cette mobilisation voulue par le Gouvernement mais qui requiert des fonctionnaires, souvent critiqués, nous offre une illustration de ce pour quoi nous luttons.Ce texte nous permettra d’aller encore plus loin, accompagnés par le Gouvernement. C’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à débattre et à adopter ces projets de loi.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.
La parole est à Mme Sandrine Mazetier, rapporteure pour avis de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre du budget, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « nul citoyen n’est dispensé de l’honorable obligation de contribuer aux charges publiques ». C’est ce principe, inscrit à l’article 101 de la Constitution de l’an I que ce projet de loi sert et rappelle. De même, il accomplit la promesse du candidat Hollande au Bourget : « Tous ceux-là, les délinquants financiers, les fraudeurs, les petits caïds, je les avertis : ceux qui ont pu croire que la loi ne les concernait pas, le prochain président les prévient, la République, oui, la République vous rattrapera ! »C’est cette détermination du Gouvernement à lutter contre la fraude et l’évasion fiscales et à les sanctionner sévèrement que porte ce projet de loi, dont nous avons l’honneur, Yann Galut et moi-même, d’être les rapporteurs.L’enjeu est considérable ; vous l’avez, monsieur le ministre du budget, madame la garde des sceaux, rappelé. Yann Galut évoquait même le montant de 1 000 milliards d’euros à l’échelle européenne, avancé par les organisations syndicales de Bercy ou les plateformes d’ONG qui luttent contre les paradis fiscaux et judiciaires. En 2012, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, les redressements fiscaux ont atteint dix-huit milliards d’euros, soit presque le montant du crédit d’impôt compétitivité emploi, ou encore un cinquième du déficit public. Retrouver les sommes qui manquent au budget de l’État, c’est donc participer au rétablissement de la puissance financière publique.À l’échelle internationale, le changement est en marche.Longtemps tolérée, l’opacité financière apparaît désormais pour ce qu’elle est : un moyen de faciliter la prédation de ressources qui manquent cruellement aux finances publiques de tous les pays, ce qui est insupportable dans la crise.Une vraie dynamique est à l’oeuvre au niveau européen et international pour en finir avec le secret bancaire, les paradis fiscaux et l’évasion fiscale et restaurer la pleine disposition de l’impôt par la puissance publique.La France est à la pointe de cette évolution internationale. Elle a donné des impulsions fortes en multipliant les initiatives : à l’OCDE au mois de novembre dernier, au sein des travaux de la Commission européenne dès le mois d’avril, lors du Conseil européen du 22 mai, où le Président de la République a insisté pour que cette question soit à l’agenda européen, et encore lors du G8 qui s’est tenu en début de semaine et où tous se sont engagés sur la voie de l’échange automatique d’informations. Je veux, à cet égard, dire à nos amis britanniques que l’échange automatique, c’est bien, que la fin du secret bancaire, c’est très bien, mais que la fin du secret des trusts, c’est encore mieux ; nous les attendons sur ce sujet. Je veux saluer l’énergie que met Pierre Moscovici à faire en sorte que s’impose un FATCA européen et que ce standard s’impose à l’échelle de la planète, car, passer de l’échange d’informations à la demande à l’échange automatique, c’est une avancée absolument décisive dans la lutte contre les paradis fiscaux, le secret bancaire et, j’y insiste, le secret des trusts.Cette cristallisation est telle, ce mouvement tellement irréversible, que Daniel Lebesgue, président de Transparency International, a pu dire qu’on avait plus avancé en quelques semaines que ces vingt dernières années.
Les parlementaires ont un rôle décisif à jouer. À l’instar du Sénat, qui a produit l’excellent rapport Bocquet, notre assemblée s’est, elle aussi saisie, de ces questions : dans la loi bancaire d’abord, comme le ministre du budget le rappelait à l’instant, mais aussi à travers deux missions qui travaillent simultanément, l’une, à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir, sur la fraude fiscale des personnes physiques – présidée par le président Carrez et dont le rapporteur n’est autre que le rapporteur général Christian Eckert – et l’autre sur l’optimisation fiscale des entreprises, présidée par Éric Woerth, et dont le rapporteur est Pierre-Alain Muet.Mais, d’ores et déjà, ce projet de loi répond à certaines des problématiques évoquées lors des auditions de ces missions et resserre l’ensemble des mailles du filet de la lutte contre la fraude fiscale : du recueil de l’information et de la détection aux moyens d’investigation, du périmètre d’intervention du juge au niveau des sanctions, considérablement renforcées, et jusqu’au recouvrement, qui touche désormais l’assurance-vie, refuge bientôt obsolète des fraudeurs voulant organiser leur insolvabilité.
Le travail parlementaire a consolidé et élargi les propositions du Gouvernement pour améliorer la puissance du dispositif. Comme ceux adoptés en commission des lois, qu’évoquait à l’instant Yann Galut, les amendements adoptés en commission des finances, à l’initiative de tous les groupes de la majorité, sont déterminants.Ils permettent une meilleure transparence des procédures engagées par l’administration fiscale en matière de poursuites pénales, en prévoyant un rapport d’activité de la trop méconnue commission des infractions fiscales. Ils consolident l’articulation primordiale entre la justice et l’administration fiscale, colonne vertébrale du projet de loi organique et de ce projet de loi.L’article 2 consacre dans la loi la jurisprudence de l’arrêt Talmon de 2008, qui permet déjà à tout magistrat de se saisir pour blanchiment de fraude fiscale et qui entamait déjà sérieusement ce que d’aucuns appellent le monopole de Bercy. La loi acte définitivement la fin de ce monopole. La commission des finances a néanmoins adopté un amendement complémentaire de votre rapporteure pour avis : tout magistrat, juge ou procureur, signalant une présomption de fraude fiscale sera désormais informé des suites données à son signalement par l’administration fiscale dans les six mois et jusqu’au terme de la procédure.De nombreux amendements adoptés donnent de nouveaux moyens d’investigation et de contrôle pour détecter et caractériser la fraude, et j’en remercie, entre autres, Nicolas Sansu et le groupe GDR.L’article 3 permet à la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale de disposer de techniques spéciales d’enquête : écoutes, infiltrations, gardes à vue de quatre jours. L’article 10 rétablit l’équilibre des armes entre les dissimulateurs et ceux qui nous défendent ; je veux parler des agents de l’administration fiscale, des policiers, des douaniers, qui pourront désormais exploiter des informations quelle qu’en soit la source.Le texte du projet de loi excluait les visites domiciliaires. À l’unanimité, la commission des finances a offert cette possibilité au fisc et aux douanes ; elle a également autorisé les perquisitions informatiques, et prévu des moyens pour contrer les techniques d’obstruction au contrôle utilisées par certaines entreprises.Je remercie tous les groupes qui ont voté en commission pour l’amendement que j’ai proposé afin de soumettre à une obligation de déclaration les transferts d’or ou de jetons de casinos à l’étranger. Ces biens étaient jusqu’ici considérés comme des marchandises, et n’étaient donc pas soumis à une telle obligation.Je félicite le groupe écologiste pour l’excellent amendement qu’il a déposé, et qui sera examiné dans les heures qui viennent, à propos des cartes prépayées. J’avoue être un peu déçue qu’aucun amendement ne propose d’étendre ces dispositions aux pierres précieuses ou aux oeuvres d’art – je donne ces exemples pour coller à l’actualité –, mais gageons que les sénateurs auront autant d’imagination que nous…
Sourires.
Par ailleurs, la commission des finances, à l’initiative des députés écologistes, a allongé le délai de prescription de la fraude fiscale, qui passe de trois à six ans, donnant ainsi plus de marge de manoeuvre à la puissance publique pour poursuivre et recouvrir les montants dus. Certains souhaitaient rendre la fraude fiscale imprescriptible. Nous jugeons cela franchement excessif, comparé aux crimes qui sont aujourd’hui frappés d’imprescriptibilité. Il ne faut pas relativiser ces crimes.Enfin, la majorité est très satisfaite que soit considérée comme circonstance aggravante le fait de frauder en bande organisée ou au moyen de comptes ouverts à l’étranger, et non plus seulement dans une poignée d’États inscrits sur une liste limitative.Sommes-nous pour autant des députés comblés ? Eh bien non, monsieur le ministre, car cela n’existe pas !
Sourires.
Nous voulons aller, comme toujours, plus loin, plus fort, plus vite : c’est notre rôle !Certains élus de la République, dont je suis, tout comme le rapporteur, Yann Galut, et tous ceux qui siègent sur les bancs de la majorité, s’étranglent quand ils entendent un ancien conseiller de l’Élysée aujourd’hui député UMP affirmer sur un plateau de télévision que « toutes les grandes fortunes négocient leurs impôts », ou encore quand le groupe UMP dépose – comme il y a quelques semaines – une proposition de loi d’amnistie fiscale. Cela témoigne de moeurs d’un autre âge, celles que décrivait, sous l’Ancien régime, Jean de La Fontaine : « selon que vous êtes puissant ou misérable, les jugements de cour vous feront blanc ou noir. »
Eh bien, ce texte, qui marque l’an I de la présidence de François Hollande, doit permettre l’inscription dans la loi d’une doctrine nationale sur les transactions et les remises gracieuses pratiquées par l’administration fiscale, avec la garantie de l’égalité de traitement de tous devant l’impôt, devant la sanction, mais aussi devant la transaction. D’ailleurs, les maigres informations que nous avons pu recueillir montrent qu’il y a quand même un rapport de un à trente entre le nombre de transactions conclues en Loire-Atlantique et dans les Alpes-Maritimes ! Il y a là un petit problème.Les cellules opaques, les traitements VIP, le dégrisement à la tête du client, c’est fini ! Maintenant, c’est l’État de droit, le droit commun, le tarif connu d’avance. Tous doivent partager la certitude que Michel Audiard exposait en ces termes – je le cite avec humour, en m’excusant d’avance de la verdeur de cet aphorisme – : « Les conneries, c’est comme les impôts, on finit toujours par les payer un jour ».
Sourires et applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et écologiste.
Plus sérieusement, chacun doit aussi savoir que l’impôt n’est pas une sanction. Payer son dû à la nation, y compris avec des intérêts de retard, n’est ni dégradant, ni infamant.
Cela vaut toujours mieux qu’une vie de tourment pour soi-même, ses enfants et ses petits-enfants.Une grande démocratie reconnaît le droit à l’erreur et à la réparation. Une authentique république garantit l’égalité de traitement. C’est ce chemin que vous proposez d’emprunter, monsieur le ministre. Cela devrait inciter rapidement un certain nombre de personnes à régulariser des situations anciennes, avant que les dispositions de ce projet de loi ne prennent toute leur ampleur.J’ajoute, pour que les choses soient bien claires, que je proposerai un amendement visant, en complément aux propositions de Yann Galut sur les lanceurs d’alerte, à donner toute sa force à la circonstance aggravante de bande organisée. Il s’agit de créer un statut de repenti permettant d’alléger la sanction pénale de toute personne permettant d’identifier ses complices de fraude fiscale en bande organisée.Nous voulons aller plus loin, et avancer dès l’examen de ce texte sur la question des pratiques, certes légales, mais profondément illégitimes et scandaleuses, d’optimisation fiscale des grands groupes. Des multinationales ayant pignon sur rue – ou présentes sur internet – échappent à quasiment toute fiscalité, dans quelque État que ce soit. Tous les groupes de la majorité, peu ou prou, ont déposé des amendements pour s’attaquer à ces pratiques cyniques, néfastes pour nos sociétés et ruineuses pour nos économies. Je compte sur vous, monsieur le ministre, pour avancer sur cette question, dès aujourd’hui.J’entends certaines critiques s’exprimer, au motif que ce texte serait liberticide.
Certains demandent même au Gouvernement de le retirer ! Pourtant, même en cherchant bien, je n’ai pas trouvé de motion du Conseil national des barreaux demandant aux gouvernements précédents le retrait des nombreuses lois liberticides examinées dans cet hémicycle pendant dix ans !
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et écologiste.
Ceux-là, je les renvoie à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui proclame que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. » Or la fraude, la délinquance fiscale, nuisent gravement à autrui.
Qu’ils aillent demander aux SDF, aux chômeurs en fin de droits, aux petits retraités, aux femmes employées à temps partiel subi, aux petits agriculteurs, aux smicards, aux classes moyennes et à tous ceux qui, en nourrissant leurs enfants, en se chauffant, en s’habillant, payent la TVA, c’est-à-dire payent l’impôt, si leur avidité, leur cupidité, leur égoïsme ou celui de leur clients ne sont pas une nuisance d’une extrême violence et d’une extrême brutalité !
En introduction à son ouvrage Les batailles de l’impôt , Nicolas Delalande cite le secrétaire au trésor de Franklin Roosevelt, Henry Morgenthau, qui soulignait déjà, en 1937, la gravité des problèmes soulevés par la fraude et l’évasion fiscale. Il écrivait ainsi que « les impôts sont le prix à payer pour une société civilisée. Trop de citoyens veulent la civilisation au rabais. » Eh bien, nous récusons cette civilisation au rabais, et même le chaos que certains organisent en même temps que l’évasion de leurs capitaux. Nous voulons la civilisation, la justice, l’égalité, la société décente dont parlait Christiane Taubira tout à l’heure, c’est-à-dire la République. Nous voulons la République universelle, celle que Victor Hugo évoquait en plantant l’arbre de la liberté place des Vosges.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et GDR.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, monsieur le président de la commission des lois, le texte que nous soumet le Gouvernement a pour objet de lutter contre la fraude fiscale. C’est évidemment un objectif auquel tous, à l’UMP, nous souscrivons. Ce texte comporte deux volets. le premier vise à renforcer les poursuites et la répression, et à améliorer les procédures fiscales. Le second volet crée le procureur financier.Sur le premier volet, l’UMP vous apportera son approbation et son concours. Elle le fera parce qu’il améliore – certes, souvent à la marge – des mesures de lutte contre la fraude fiscale qui ont été adoptées entre 2007 et 2012. Elles ont plus particulièrement été prises dans le cadre de lois de finances votées en 2009 et 2012. C’est le cas de quatre articles de ce projet de loi, que j’ai relevés.Il s’agit d’abord de l’article 2 : désormais, la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, qui a été créée par la loi de finances rectificative du 30 décembre 2009, pourra être saisie directement par le juge. Il ne sera plus nécessaire de saisir l’administration fiscale, à Bercy. Vous réduisez ainsi les délais et facilitez les démarches. Ce changement ne nous paraît pas anecdotique ou anodin, mais enfin c’est un changement minime par rapport au véritable coup de tonnerre qu’avait représenté la mise en place de cette procédure judiciaire par notre collègue Éric Woerth. Il avait à l’époque doté des agents des services fiscaux de pouvoirs judiciaires, question qui avait été très largement discutée et contestée, y compris à gauche de cet hémicycle !J’observe d’ailleurs, mes chers collègues, que le parti socialiste avait voté contre ce texte. Maintenant, vous le renforcez : en matière pénale, madame la garde en sceaux, cela s’appelle un repentir actif. Pourvu que le Gouvernement en fasse souvent preuve ! Le parti socialiste avait pris, à l’époque, une décision négative sur ce texte, qu’aujourd’hui il bonifie. Nous portons cette prise de conscience à son crédit.Il s’agit ensuite de l’article 3. Là encore, c’est le collectif budgétaire du 30 décembre 2009 qui avait alourdi les peines applicables en matière de fraude fiscale. Je rappelle que la dernière loi ayant aggravé ces peines avait été proposée par Valéry Giscard d’Estaing, en 1977. Par la suite, en quinze années de gouvernement socialiste, personne, ni à la chancellerie, ni à Bercy, ni ailleurs, n’a eu cette idée lumineuse !Aujourd’hui, alors que les peines maximum sont de cinq ans d’emprisonnement et de 750 000 euros d’amende lorsque l’infraction a été commise à l’aide d’artifices particuliers, par exemple en organisant un réseau utilisant des comptes à l’étranger, vous nous proposez de passer à sept ans et deux millions d’euros d’amende. Nous avons naturellement demandé, en commission, combien de personnes ont été condamnées aux peines maximum prévues en matière de fraude fiscale, puisque vous estimez nécessaire de les relever. Il faut que les Françaises et les Français le sachent : une seule personne, en France, est aujourd’hui incarcérée en raison de cette incrimination ! Puisque vous proposez de relever ces sanctions, je le répète : une seule personne a été condamnée à de la prison ferme pour des faits de fraude fiscale ! Certes, on peut imaginer que le relèvement des peines fera peur, que la perspective de passer non plus cinq ans mais sept ans en prison, ou de payer 2 millions d’euros plutôt que 750 000 euros, diminuera les velléités de fraude. Cela paraît, encore une fois, très clairement anecdotique.
Cela vous permettra de communiquer, de dire que vous faites le nécessaire et que vous déployez des moyens appropriés. Écoutez, madame la garde des sceaux, s’il en est ainsi, nous communiquerons avec vous : nous ferons savoir que nous sommes favorables à l’adoption de ce texte.
Mais j’observe encore que le parti socialiste avait voté contre ces dispositions du collectif budgétaire du 30 décembre 2009, modifiant les dispositions de la loi de 1977, dont je répète qu’elles nous paraissent bienvenues.Il s’agit, troisièmement, de l’article 5. Vous proposez de renforcer le système de confiscation des assurances-vie, car un arrêt de la Cour de cassation vous met un peu en difficulté. Vous avez, très clairement, raison de le faire. Cependant, monsieur le ministre, il aurait été à mon avis plus équitable de dire, au cours de votre intervention, que ce dispositif a été créé à l’initiative de votre prédécesseur par la loi du 9 juillet 2010. Aujourd’hui vous le reprenez en le modifiant à la marge : il eût été juste de rendre à César ce qui est à César, et à votre prédécesseur ce qui lui revient !Il s’agit enfin de l’article 6. Vous avez voté contre la loi du 27 mars 2012, qui a permis la saisie de biens dont l’auteur d’infractions n’est pas propriétaire mais dont il a la libre disposition. À l’époque, vous aviez voté contre, au motif que ce système était liberticide. Aujourd’hui, vous acceptez ce système et vous cherchez à l’adopter aux nécessités. C’est là votre troisième reniement : pour cela, Saint Pierre a été crucifié à Rome, la tête en bas.
Épargnez-moi ce sort !
Sourires .
Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, nous ne vous souhaitons rien de tel ! Mais se renier trois fois en présentant un seul texte, cela fait beaucoup !Bref, nous vous accompagnerons sur ce premier texte : nous voterons pour. Beaucoup d’amendements ont été déposés sur ces articles, dont certains provoqueront des débats au sujet de la défense des libertés : je pense notamment aux amendements concernant les avocats, la dénonciation et les lanceurs d’alerte. Ces amendements ne sont pas anodins : ils susciteront un débat qui ne manquera pas d’être particulièrement intéressant.Le second volet du texte crée le procureur financier. Or, j’ai été frappé, ces dernières semaines, par les articles rédigés par les syndicats de magistrats, qu’il s’agisse de l’Union syndicale des magistrats, du Syndicat de la magistrature ou de l’Association des procureurs, dont le président a publié un article dans Le Monde : tous estiment que ce texte pose de véritables problèmes. Sur ce second volet, l’UMP ne vous suivra pas, madame la garde des sceaux, et ce pour trois raisons.Premièrement, nous pensons que, par leur nature même, les infractions fiscales sont complexes, transversales, protéiformes, diverses. Parfois, ces infractions particulièrement lourdes et très organisées sont révélées dans les parquets des départements de France à l’occasion d’affaires totalement anodines, qui n’apparaissent pas initialement comme incluses dans un dispositif très large. Nous considérons donc, pour notre part, que donner à ces parquets des compétences beaucoup plus larges et transversales serait beaucoup plus efficace.La deuxième raison de nos réserves a trait à la limite des compétences de ce procureur financier. Je citerai l’exemple boursier. Vous n’avez pas donné à ce procureur financier des compétences lui permettant de connaître des affaires d’investissements sans agrément, de démarchage illégal, de déclaration de franchissement de seuil. Comment cela va-t-il se passer entre le procureur de la République de Paris qui, en matière boursière, restera compétent pour ces infractions et le procureur financier qui, lui, ne le sera pas ? La limite des compétences nous paraît floue. Ce sera source de complexité, voire de nullité, de procédures, en tout cas de procédures dilatoires.La troisième raison est tirée de la pratique. Souvent, la collégialité est censée régler les problèmes, mais, parfois, elle en crée. En effet, les magistrats ne sont pas toujours d’accord et s’opposent sur le fond. Dans des affaires sensibles, il est même arrivé que des magistrats s’adressent des courriers, parfois en recommandé, parce qu’ils ne s’entendent pas sur la stratégie et la procédure. Nous pensons que, dans des affaires compliquées, associer deux procureurs de la République peut créer plus de difficultés que cela n’apporte de réponse. Certes, le procureur général sera censé arbitrer. Mais lorsque l’on sait comment cela se passe à Bordeaux, je ne suis pas certain que ce soit une bonne solution !C’est la raison pour laquelle, madame la garde des sceaux, nous vous disons très clairement que, si vous renoncez à ce parquet financier, nous voterons ce texte, car les quatorze premiers articles ne soulèvent pas de difficultés majeures. En revanche, si vous maintenez ce dispositif, qui ne nous paraît pas bienvenu, nous nous prononcerons contre.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’histoire s’accélère. La conjoncture internationale n’a jamais été aussi favorable, au point que ce sont les libéraux eux-mêmes qui passent à l’offensive. Les Anglais, en la personne de David Cameron, s’attaquent à l’évasion fiscale, ce qui, au passage, rend totalement incompréhensibles les résistances exprimées ici ou là par certains de nos collègues de l’opposition. C’est à l’évasion fiscale, la plus lourde des fraudes fiscales, qu’ils s’attaquent. C’était impensable il y a encore quelques mois.Cette accélération est tout simplement due à l’impasse budgétaire à laquelle tous les pays occidentaux sont confrontés, car l’incapacité à collecter l’impôt, notamment des grandes entreprises, participe au creusement de la dette. Il s’agit de renflouer les caisses, qui sont vides. Eh oui, les libéraux ne dédaignent pas l’impôt, même s’ils en ont organisé le sabordage en ne réagissant pas à l’imagination débordante des conseillers fiscaux de tout poil et en faisant preuve d’une complaisance coupable.L’État anglais, comme les autres, voit se réduire ses marges de manoeuvre après qu’il a essoré les dépenses publiques. En Angleterre, le manque à gagner imputé à la fraude et aux paradis fiscaux est estimé à 17 milliards d’euros par an, notamment en raison des montages fiscaux offshore . Les recettes fiscales fondent comme neige au soleil. « Trop d’impôt tue l’impôt », aiment à dire les libéraux.
Au Royaume-Uni, on prend conscience, aujourd’hui, que trop de libéralisme tue l’impôt…
…et que trop de laxisme réglementaire vide les caisses.Alors, David Cameron passe à l’action. Il prend l’initiative à l’occasion de la présidence irlandaise de l’Union européenne et propose de mettre en application l’échange automatique d’informations entre les banques des différents pays en l’imposant, tout d’abord, aux dix territoires d’outre-mer britanniques et dépendances de la couronne. Ce sont des noms qui font rêver les adeptes du tourisme fiscal : Jersey, Îles Vierges, Îles Caïmans… Que fera la France avec Monaco et Andorre ?Voilà donc plusieurs semaines que l’Europe s’est mise en mouvement, la France montrant l’exemple avec la loi de séparation bancaire : un amendement d’origine parlementaire prescrit la transparence des banques et des sociétés multinationales ; un autre, du Gouvernement, proposé par Pierre Moscovici et adopté par notre Parlement il y a quelques jours, anticipe le FATCA européen, une première en Europe.
« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Je dis : en Europe, car c’est bien au président Obama qu’il convient de rendre hommage, lui qui a enclenché le mouvement en 2010, dans l’indifférence générale, et qui rend les choses possibles en Europe et dans le monde. Si les États-Unis l’ont fait, alors pourquoi pas ne le ferions-nous pas ?Les plus critiques, les plus incrédules doivent se rendre à l’évidence : ce n’est pas pour rire. Les bastions fiscaux vont tomber les uns après les autres. La Suisse elle-même sera concernée.Éveline Widmer-Schlumpf, conseillère fédérale en charge de l’économie, a annoncé la décision du gouvernement suisse d’accepter que l’échange automatique de renseignements soit érigé à l’avenir en norme internationale, et ce avec le soutien de la puissante Association suisse des banquiers, prononçant par là-même l’abandon des accords bilatéraux – le fameux Rubik – que la Suisse pensait pouvoir encore imposer voici seulement quelques semaines C’est la fin du secret bancaire qui se joue ici, pas moins !Cette loi française contre la fraude et la grande délinquance économique et financière apparaît désormais comme une évidence. Elle doit remplir deux objectifs précis, comme vous l’avez souligné, madame la garde des sceaux. Le premier est moral, éthique. II revient, en effet, à chaque citoyen, plus que jamais en période de crise, d’honorer sa charge. C’est le contrat républicain qui est en jeu et le consentement à l’impôt de l’ensemble de nos concitoyens.Si les plus riches échappent à l’impôt, alors pourquoi les Français devraient-ils y consentir ? Bref, c’est une question de justice.
Le second objectif est clairement un objectif de rendement. Il concerne l’équilibre des comptes publics et la résorption de la dette pour redonner de l’air à l’économie et créer de l’emploi, puisque toutes nos actions vont dans cette direction. Dans la mesure où le taux de l’impôt ne pourra pas beaucoup augmenter, où la baisse de la dépense publique devra être mesurée pour ne pas s’exposer à l’austérité, nous ne devons pas manquer l’occasion.Cette loi peut être notre ultime planche de salut, en assurant un meilleur rendement de l’impôt existant. Il suffit, pour en mesurer l’enjeu, de mettre en parallèle les 50 milliards d’impôts manquant tous les ans – entre 30 et 80 selon les estimations, dont les deux tiers liés aux entreprises – avec les 50 milliards que notre pays doit économiser à l’échéance de 2017-2018 pour rééquilibrer ses comptes. Plus d’évasion fiscale : plus de dette ! Je ne veux pas exonérer totalement les États des efforts d’économie qu’ils ont à réaliser, mais il revient à celles et ceux qui portent une grande part de responsabilité dans l’aggravation de la dette d’y remédier.Très concrètement, le projet de loi doit assiéger les fraudeurs. Il doit contraindre les fuyards, lesquels doivent se sentir encerclés, cernés, au point d’y réfléchir à deux fois avant d’embarquer pour des aventures exotiques ou de refuser de quitter ces pays exotiques.L’ampleur des peines constitue le premier signal : sept ans de prison et 500 000 euros d’amendes.Surtout, ce sont toutes les mesures qui rendront possible et probable l’application de ces peines qui donneront à la loi toute sa force dissuasive et toute sa crédibilité. Je le dis à cet instant, car l’enjeu est bien de contraindre chacun à payer ses impôts pour, je le répète, rééquilibrer les comptes publics. C’est sur ce critère que l’efficacité de la loi devra être évaluée.Le renforcement des moyens d’investigation de la brigade nationale de répression de la délinquance, les sanctions frappant l’incitation des conseillers fiscaux, la transparence imposée aux montages financiers opaques, l’épée de Damoclès des révélations d’un repenti, les différents dispositifs de saisie des avoirs, la protection des lanceurs d’alerte, l’allongement du délai de prescription, la déclaration de non-détention de compte à l’étranger – que je proposerai en défendant un amendement à ce sujet – : toutes ces dispositions ont une fonction de dissuasion et d’encouragement au retour, à condition que l’administration dispose des moyens adaptés. Je pense, notamment, à l’administration fiscale, qui a, malheureusement, perdu beaucoup de moyens ces dernières années, au point que l’on peut se demander s’il n’y aurait pas une collusion – involontaire, dirons-nous – entre celles et ceux qui prônent, à travers le libéralisme, la réduction de la dépense publique, donc des moyens de contrôle, pour que chacun puisse vaquer à ses occupations sans être dérangé.J’insisterai sur deux points.Premier point : les lanceurs d’alerte. L’objectif est précisément de protéger les personnes informant les autorités de l’existence d’une fraude dont ils ont été les témoins dans le cadre de leur activité professionnelle. Il convient, toutefois, d’éviter deux écueils. Le premier serait de galvauder ce statut. Il faut s’en tenir à cet objectif premier, qui est la protection des salariés, afin qu’ils ne subissent pas de discrimination ou de sanctions professionnelles. Le second écueil serait d’assimiler le témoignage des lanceurs d’alerte à une délation. Bien entendu, on pourra jouer avec les mots, selon qu’on a l’objectif de soutenir ou, au contraire, d’empêcher leur exercice. Mais invoquer la délation paraît, en l’espèce, totalement déplacé. En effet, ce statut de lanceur d’alerte ne fait qu’étendre l’obligation déjà imposée aux fonctionnaires par l’article 40 du code de procédure pénale, qui dispose que « tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit, est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République. »Il faut se rappeler que nous parlons de délinquants fiscaux, qui participent ou organisent, qui plus est en bande organisée, la dissimulation et la soustraction à l’impôt de sommes parfois énormes, qui mettent en danger le pacte républicain, qui contribuent à l’avilissement de certaines élites égoïstes, au dénigrement d’élus complaisants, au déséquilibre des comptes publics. Il n’est donc pas sérieux – permettez-moi de vous le dire, chers collègues de l’opposition – de ramener ce qui constitue un acte civique de salut public à un acte de délation. Je trouve votre attitude pour le moins inappropriée, voire irresponsable, alors que, là où ils sont au pouvoir en Europe, vos amis politiques s’engagent de manière déterminée contre l’évasion fiscale. Il revient donc au législateur de requalifier certaines pratiques, dont celles des conseillers fiscaux.Second point : les trusts. Nous devons décrypter les montages complexes destinés à effacer les traces, alors que fleurissent les sociétés cachées dans des pays cachés, selon l’adage : « Pour vivre heureux vivons cachés ». Nous devons mettre ces opérations au grand jour. Nous débattrons de ce point lors de l’examen de quelques amendements du groupe écologiste.Cette affaire des trusts est un sujet important sur lequel le G8 s’est d’ailleurs penché avec attention, lorsqu’a été évoqué l’échange automatique d’informations. Personne ne doit plus pouvoir se cacher derrière ces montages opaques permettant la fraude fiscale et la dilution de la responsabilité.Sur l’ensemble de ces sujets, cette loi sera l’occasion de réaliser de grandes avancées, dans le même mouvement que l’Union européenne ou le G8, ce week-end.Nous abordons ce débat de manière sereine et déterminée, conscients de la gravité des actes que cette loi veut éradiquer et certains d’aller dans la bonne direction.Je veux, pour conclure, témoigner de notre confiance au début de ce débat et souligner la qualité de notre collaboration avec Mme la garde des sceaux, M. le ministre Mme la rapporteure pour avis, Sandrine Mazetier, et M. le rapporteur Yann Galut, ainsi qu’avec les services de M. le ministre des finances, avec lesquels nous avons pu travailler de façon très précise pour donner encore plus de puissance à cette loi.Pour sauver les comptes publics, pour renouer avec les citoyens, nous avons rendez-vous avec la justice fiscale !
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur les bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, madame et monsieur les rapporteurs, l’examen, en discussion commune, des deux projets de loi déposés par le Gouvernement, l’un relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, l’autre créant un procureur de la République financier, vient après l’examen, à marche forcée, des deux projets de loi relatifs à la transparence de la vie publique. Cet ensemble est censé former un tout cohérent et doter notre pays d’un arsenal législatif adapté en matière de lutte contre la corruption économique.Après la prévention des conflits d’intérêts des parlementaires et des élus locaux, voilà la lutte contre l’évasion fiscale complétée par la création d’un parquet financier à compétence nationale, distinct du parquet de Paris.Au-delà de l’échelle des sanctions prévue dans le texte et sensiblement renforcée par la commission – l’augmentation des peines étant considérée comme revêtant une vertu pédagogique et dissuasive, ce qui reste à démontrer – le dispositif de lutte contre la corruption tel qu’il est soumis à notre examen appelle plusieurs remarques et interrogations de la part du groupe RRDP, auxquelles le Gouvernement et les rapporteurs ne manqueront pas de répondre.Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale, modifié en commission sans réel débat, introduit différents mécanismes augmentant les pouvoirs et les mécanismes de contrôle ainsi que les possibilités de communication de documents en cas de recherche ou de répression d’une infraction.De nombreuses dispositions relatives aux procédures fiscales et douanières ont été introduites en commission. C’est notamment le cas de l’obligation, pour l’Autorité de contrôle prudentiel, de communiquer sur demande de l’administration fiscale tout document ou information qu’elle détient dans le cadre de ses missions, sans pouvoir opposer le secret professionnel. Cette Autorité de contrôle est chargée de l’agrément et du contrôle des établissements bancaires et des organismes d’assurance, et veille à la préservation de la stabilité financière et à la protection des clients des banques, des assurés et bénéficiaires des contrats d’assurance.On peut légitimement se demander si cette disposition est compatible avec celles de la loi sur la séparation et de régulation des activités bancaires, ou si, dans le cadre du sauvetage en urgence d’une banque, la relation de confiance indispensable entre l’administration et la banque, ne risque pas d’être altérée.D’une manière plus générale, la liste des documents, pièces ou informations transmissibles à l’administration sans que leur origine illégale puisse lui être opposée ne doit pas pouvoir faire l’objet de copies sous forme de fichiers, sous peine d’atteinte aux libertés individuelles. Attention, mes chers collègues, à ne pas transformer le fisc en hydre tentaculaire ! La prise de copies est réservée à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, et doit être strictement encadrée par la loi.Le groupe RRDP estime que, si le renforcement des moyens administratifs de lutte contre la fraude fiscale est indispensable, la fuite des capitaux et l’optimisation illégale prenant une ampleur plus scandaleuse de jour en jour, il ne doit pas faire de l’administration fiscale un État dans l’État.Quant à la protection générale donnée aux lanceurs d’alerte à l’initiative de nos collègues, je rappelle les observations dirimantes exprimées par mes collègues Roger-Gérard Schwartzenberg et Alain Tourret lors de l’examen du projet de loi relatif à la transparence de la vie publique ainsi que lors de l’examen du présent texte en commission : attention à ne pas revenir sur les principes fondateurs de notre droit pénal ! Les lanceurs d’alerte à la française seront-ils des délateurs ou des dénonciateurs ? Au-delà de la querelle sémantique, je voudrais rappeler que s’abriter derrière l’article 40 du code de procédure pénale, très faiblement utilisé comme l’ont rappelé tant la Chancellerie que le service central de prévention de la corruption, peut nous emmener sur un chemin que nous risquons de regretter. La pratique des lettres anonymes est déjà suffisamment utilisée en matière de dénonciation au fisc pour qu’il soit besoin d’en rajouter.Je voudrais maintenant dire quelques mots du procureur de la République financier, dont la création par la loi organique a rappelé au Gouvernement qu’il convenait d’intégrer la nouvelle procédure de traitement des infractions financières à la loi ordinaire, motivant ainsi sa rectification treize jours après son dépôt. Voilà un bel exemple de la précipitation dans laquelle le législateur, Gouvernement et Parlement confondus, travaille actuellement. Intervention du Président de la République le 3 avril, présentation d’une communication du Premier ministre en conseil des ministres le 10 avril, adoption des projets de loi en conseil des ministres le 24 avril 2013 – et, naturellement, engagement de la procédure accélérée, pratique dont nous dénonçons la répétition. L’entropie législative nous guette, madame et monsieur les ministres !Les critiques portant sur la nouvelle architecture judiciaire pour le traitement de la délinquance économique et financière ne manquent pas. La création d’un procureur national, placé sous la tutelle hiérarchique du procureur général de Paris qui aura ainsi en charge deux procureurs, est pour le moins originale. Je ne rappellerai pas les réserves émises par le Conseil d’État, qui craint des conflits de compétences ou de moyens avec le parquet de Paris. En écho, le premier avocat général à la Cour de cassation estime que la création d’un parquet national autonome soulève de sérieuses interrogations, tandis que l’extension des compétences du parquet de Paris, qui existe déjà en d’autres domaines, n’appelle pas de réserves.La garde des sceaux l’a rappelé, les trente-six pôles économiques et financiers seront remplacés par les huit juridictions interrégionales spécialisées, les JIRS, qui verront ainsi leur champ de compétences considérablement élargi. L’exposé des motifs indique de façon lapidaire : « l’extension de leur champ de compétence devra s’accompagner d’une réflexion sur le renforcement de leurs moyens ». Si la centralisation des moyens juridictionnels, qui n’est pas synonyme de compétence exclusive sauf pour les délits boursiers, est souhaitable, la solution consistant à placer deux procureurs auprès de la même juridiction est hétérodoxe. Le président de la conférence des procureurs, il est vrai procureur de Nanterre et donc responsable de l’un des principaux pôles financiers, plaide pour une juridiction autonome. Des difficultés, voire des conflits au sein de l’organisation judiciaire sont à redouter. Des questions se posent donc.Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les rapporteurs, la concentration des moyens et de l’expertise nécessaires à la lutte contre la délinquance financière que cette réforme suppose suffiront-ils vraiment ? D’avance, je vous remercie pour les réponses que vous apporterez à ces interrogations.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, cette semaine, les dirigeants du G8 se sont mis d’accord sur une liste d’objectifs, notamment sur une plus grande transparence concernant les sociétés écrans et sur le renforcement des échanges automatiques d’informations entre les services fiscaux des différents pays.Même si le communiqué final ne contient aucun engagement ferme en vue, par exemple, de créer un registre des véritables propriétaires des entreprises qui serait mis à la disposition de la justice et des services fiscaux, le Président de la République, François Hollande, a indiqué qu’un grand pas a été fait, tout en reconnaissant qu’on aurait pu aller plus loin.Nous portons pour notre part une appréciation quasi identique sur les textes qui nous sont présentés aujourd’hui, qui font un grand pas en aggravant le régime des peines applicables et en renforçant de manière significative les capacités de contrôle de l’administration fiscale et, plus largement, l’ensemble des moyens de lutte contre la fraude aux finances publiques. Face à l’opacité et au secret, il est clair que l’État a besoin d’utiliser des moyens accrus, y compris l’utilisation des listes, quelle que soit leur provenance.Toutefois, nous aurions pu aller plus loin, notamment en matière de lutte contre les paradis fiscaux et les structures de fructification du patrimoine telles que les trusts, qui prospèrent y compris à nos portes. À quelques encablures de Cherbourg – n’y voyez pas malice, monsieur le ministre !
Sourires
– Jersey compte ainsi quarante-sept succursales de banques internationales et plusieurs centaines d’administrateurs de fonds, de cabinets comptables et de bureaux d’avocats, qui ont sous gestion 220 milliards d’euros d’actifs financiers.En matière de lutte contre les paradis fiscaux, le maître mot est aujourd’hui la transparence. Or, si la transparence est nécessaire, elle n’est pas suffisante. Par exemple, un échange automatique de données existe déjà entre la France et la Belgique. Cela a-t-il pour autant permis de limiter l’expatriation fiscale de groupes français ou de Français très fortunés en Belgique ? Les exemples du groupe Bernard Arnault ou d’un très célèbre acteur fournissent la réponse.La transparence et les échanges d’informations ne mettront pas miraculeusement fin aux paradis fiscaux. Ils ne permettront pas à eux seuls d’abattre ces immeubles de cinq étages qui abritent 12 000 entreprises, comme Ugland House aux îles Caïman. À intervalles réguliers, les gouvernants des grandes puissances annoncent la main sur le coeur, avec parfois un petit haussement d’épaules : « Les paradis fiscaux, c’est terminé ». Ce fut le cas en Grande-Bretagne en 2009, puis en 2011 à Cannes, et le 22 avril dernier. Au bout du compte, les choses n’avancent que très lentement, sans que nous enregistrions pour l’heure de résultats significatifs, mis à part le fait que la question a fait son chemin dans le débat public à la faveur de plusieurs phénomènes.D’abord, les scandales impliquant des empires financiers et industriels qui dégagent des milliards d’euros ou de dollars de bénéfices et échappent à l’impôt. Je pense aux géants de l’économie numérique : les filiales commerciales d’Apple, AOI et Apple Operations Europe, ont déclaré 30 milliards de dollars de bénéfices entre 2009 et 2012 et n’ont pourtant reversé aucun impôt à aucun État sur les cinq dernières années. Songeons également aux scandales Google, Starbucks ou Amazon.Le deuxième de ces phénomènes est le contraste saisissant entre les plans d’austérité imposés aux peuples et l’enrichissement sans frein d’une caste de privilégiés. Au risque d’être un peu brutal, c’est la confiscation du pouvoir par les dirigeants de Goldman Sachs. C’est une véritable confusion des postes, qui confine parfois à la collusion. Elle est aujourd’hui intolérable.Ce capitalisme financier qui prend directement en main le destin des peuples, sans égard pour leurs conditions d’existence, nous en avons constaté les conséquences dramatiques lors des événements survenus récemment au Bangladesh. C’est la réalité d’une dérive de l’oligarchie financière.Enfin, le dernier élément déclencheur a été, bien sûr, l’affaire Cahuzac.Chacun a finalement pris conscience de l’influence démesurée et de plus en plus grande des puissances d’argent. Ce phénomène s’est amplifié ces trente dernières années, quand le choc pétrolier a fait craindre aux détenteurs de capitaux de voir leurs marges diminuer. Une véritable guerre a dès lors été menée contre le travail. Elle a été théorisée dans ce qu’il est convenu d’appeler le néolibéralisme. Tout devait désormais aller au capital, aux dividendes, aux intérêts bancaires.Un nouveau partage de la valeur ajoutée s’est fait sur le dos des salariés, des retraités, du service public. Il a été imposé à coup de traités européens, de libre concurrence, de dérégulation financière, d’attaques répétées contre la législation du travail.Dans le même temps, banques et multinationales ont multiplié les outils financiers et les schémas les plus sophistiqués pour aspirer les ressources. Ils ont développé une spéculation effrénée sur les monnaies, sur les valeurs mobilières, sur les matières premières. Les cinquante plus grands groupes européens, au premier rang desquels les banques, ont créé au fil des ans pas moins de 5 848 filiales, dans les centres offshore .C’est dans ce cadre que les paradis fiscaux ont pris une place grandissante et que se sont développés les circuits financiers opaques. Ils ne sont pas une déviance marginale du système, ils en sont le coeur.Oui, les institutions bancaires, en lien avec les multinationales et les cabinets de conseil, ont imaginé des schémas géniaux pour que leurs clients, particuliers ou personnes morales, échappent à l’impôt.On ne peut plus accepter les distinctions scolastiques entre fraude fiscale et évasion fiscale, comme s’il y avait un bon et un mauvais évitement fiscal. Pour nous, c’est l’évitement fiscal sous toutes ses formes qu’il faut combattre. C’est la source qu’il convient de tarir.C’est d’abord une question de justice, de respect de la Déclaration des droits de l’homme qui fait un devoir à chacun de s’acquitter de ce qu’il doit en fonction de sa capacité contributive. Le consentement à l’impôt et, au-delà, notre pacte républicain, sont à ce prix.C’est ensuite une exigence budgétaire. Les études les plus sérieuses, menées dans le cadre de commissions parlementaires comme celle du sénateur Éric Bocquet, ou émanant d’universitaires reconnus comme Christian Chavagneux, voire de la plateforme associative de lutte contre la fraude fiscale, font état de 60 à 80 milliards d’euros de moins-values de recettes fiscales pour notre pays. C’est considérable ! Et des chiffres du même ordre sont estimés pour tous les pays européens, soit un total de 1 000 milliards d’euros à l’échelle du continent.Face à de tels enjeux et de tels chiffres, on peut légitimement s’interroger sur la prétendue nécessité de dégrader notre système de retraite solidaire pour économiser 7 milliards, de corseter les budgets des hôpitaux et des collectivités territoriales, ou même de geler le point d’indice des fonctionnaires.La lutte contre l’évasion et la fraude fiscale est un combat décisif pour toute la gauche et les progressistes, un combat qui permettrait la conquête de nouveaux progrès sociaux, un nouvel équilibre des richesses source d’efficacité économique.Les textes qui nous sont proposés ce soir s’intéressent centralement à la poursuite et à la répression des fraudes avérées. C’est une étape indispensable, mais les quelque 2,5 milliards d’euros de recettes supplémentaires que le Gouvernement attend de ces mesures souligne la nécessité d’élargir le débat à l’optimisation fiscale dans son ensemble, aux questions telles que les frais de transferts. Sur ces sujets, nous sommes nombreux à gauche à attendre des avancées, et je ne doute pas que nos débats le permettront.Bien sûr, pour être efficaces, nombre de décisions ne pourront se prendre qu’au niveau européen et international, mais nous considérons que la France doit continuer de jouer un rôle moteur, faire preuve de davantage d’audace. Peut-être faudrait-il aussi que nous n’ayons plus de petits cailloux ou de petits rochers dans notre soulier pour avancer.C’est pourquoi nous regrettons avec d’autres que le présent projet de loi n’offre pas plus de souplesse sur le plan procédural. Nous regrettons également que la mise en oeuvre de ce texte ne s’accompagne pas de moyens renouvelés en personnel et en matériel. Car vous pouvez échanger toutes les informations du monde, si le personnel manque pour les traiter, cela sera dramatique. La direction générale des finances publiques a perdu plus de 15 % de ses effectifs en dix ans. Nous espérons que le projet de loi de finances pour 2014 sera à la hauteur des annonces de ce jour, avec un renforcement considérable des effectifs affectés à la lutte contre la fraude fiscale.Il faut enfin ouvrir un débat plus large sur les moyens dont nous nous dotons pour nous attaquer à la source de la gangrène financière qui ronge nos économies et nourrit la spéculation et les trafics.C’est ce qui justifie entre autres notre souhait d’une véritable séparation bancaire et notre volonté de doter notre pays d’un arsenal de dispositions contre les produits spéculatifs les plus toxiques, tous ces instruments qui font de l’ingénierie financière l’adversaire et non l’alliée de l’économie réelle.C’est également ce qui, à notre sens, exige que l’on redonne au pouvoir politique le pouvoir de création monétaire. Car, si la Banque centrale européenne est indépendante du pouvoir politique et donc du peuple, elle ne l’est ni des banques ni des marchés financiers, et ce n’est pas le moindre des paradoxes que de la voir aujourd’hui contribuer par l’injection massive de liquidités à la reconstitution d’une bulle spéculative qui, un jour ou l’autre, éclatera.Nous sommes enfin face à la nécessité de construire une coopération fiscale européenne mutuellement avantageuse. En clair, si rien ne change en matière d’harmonisation fiscale, l’optimisation fiscale qui permet de favoriser la filiale irlandaise ou luxembourgeoise perdurera, tout comme la course au moins-disant salarial.Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est porteur de propositions concrètes et dans une volonté constructive que notre groupe aborde ce débat. Nous en approuvons les dispositions et la philosophie, et je veux saluer le travail des deux rapporteurs, leur grande ouverture d’esprit et l’écoute attentive dont ils ont fait preuve.
Nous porterons des amendements visant à améliorer la rédaction du texte et à formuler des propositions en matière de lutte contre les carrousels à la TVA, le blanchiment, l’opacité des schémas d’optimisation fiscale.
Ces amendements soulignent notamment l’importance qu’il y a à tirer collectivement tous les enseignements des différents rapports parlementaires qui ont ou ont eu pour thème l’évasion et la fraude fiscales internationales.Les députés et sénateurs du Front de gauche ont pris et continuent de prendre une part active à la rédaction de ces rapports, qui ont débouché sur la formulation de propositions concrètes et novatrices.
Je veux aussi saluer les associations qui, avec obstination, portent ce débat jour après jour depuis des dizaines d’années.Il n’est pas possible de répondre aux défis actuels en se bornant à réinstaller, même en bon état de marche, les outils précédents pour reproduire les mêmes schémas.L’histoire est émaillée de véritables ruptures face à l’ordre établi. Faisons en sorte que 2013 marque une rupture avec l’arrogance et la domination des forces de l’argent.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance, ce n’est rien d’autre que le rétablissement du principe d’égalité devant l’impôt.Un signal fort est manifestement lancé. Le simple fait d’inscrire ces textes à notre ordre du jour, d’en détailler le contenu, d’en dire la force, d’en faire la publicité, amène aujourd’hui, selon les médias, de nombreux fraudeurs à se rapprocher des services fiscaux pour ne pas avoir à subir les rigueurs des lois qui nous sont proposées. C’est dire si les conseils de ces contribuables ont conscience de la redoutable efficacité des mesures envisagées.Ces mesures peuvent être amendées, elles le seront très certainement. J’ose simplement espérer qu’elles seront appréciées pour ce qu’elles sont : le signe d’une réelle volonté, non pas d’en finir avec la fraude – car on n’en a jamais fini avec la fraude – mais de lutter sans merci, sans faiblesse, avec des moyens juridiques et humains à l’échelle du fléau que nous avons collectivement, à droite comme à gauche, à combattre.
Le rétablissement du principe d’égalité de tous devant l’impôt, c’est aussi le redressement des comptes de la nation, argument auquel le ministre du budget sera naturellement sensible : 18 milliards d’euros, c’est grosso modo ce qui peut être récupéré chaque année au titre du contrôle fiscal ; entre 60 et 80 milliards d’euros, selon les modèles mathématiques, c’est ce qui échappe à la nation, du fait de l’évasion fiscale.Ce manque à gagner équivaut au rendement actuel de l’impôt sur le revenu, ou à trois ans de financement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ! C’est une perte fiscale d’autant plus inacceptable que le contexte financier impose à chacun un effort exceptionnel. Ce que nous pourrons récupérer sur les droits frauduleusement éludés, c’est autant de moins que nous aurons à demander aux contribuables honnêtes, c’est-à-dire à l’immense majorité des Français qui déclarent jusqu’au dernier euro et ne doivent pas se sentir visés par ce texte.Les lois de finances rectificatives pour 2012 et la loi bancaire ont ouvert la voie pour les particuliers et pour les entreprises, s’agissant des déclarations de filiales. Les projets de loi dont nous parlons s’inscrivent dans cette nouvelle dynamique de moralisation. Ils comportent plusieurs dispositions majeures, qui traduisent une plus grande sévérité à l’égard de la délinquance économique et financière.En réalité, c’est simple : il s’agit de casser l’équilibre entre bénéfice et risque, équilibre dans lequel s’inscrit tout fraudeur, en créant une insécurité telle que le jeu n’en vaudra plus la chandelle.La mise en difficulté des fraudeurs passe d’abord par l’extension des voies de déclenchement de l’enquête en cas de fraude fiscale ou d’atteinte à la probité. On a évoqué la possibilité pour les associations de se constituer partie civile. Je pense également à la création du statut de lanceur d’alerte, portée par le groupe socialiste et par notre collègue Éric Alauzet.Il ne faut pas sous-estimer cette avancée. Bien entendu, l’alerte lancée de mauvaise foi, avec l’intention de nuire ou en ayant connaissance, même partiellement, de l’inexactitude des faits sera sanctionnée. Soyons très précis : il ne s’agit pas d’un encouragement à la délation ; il s’agit d’encourager des actes citoyens, libres, accomplis à visage découvert, sans contrepartie financière, en donnant la possibilité aux personnes qui, dans leurs fonctions professionnelles, ont connaissance d’un délit ou d’un crime d’en faire part aux autorités de la République, sans craindre de perdre leur emploi ou de voir leur carrière brisée net. Cela permettra aussi d’éviter les révélations faites à demi-mot, qui empoisonnent le climat sans permettre pour autant à la justice de faire son oeuvre !
C’est un ajout parlementaire, voté par la commission des lois, et j’espère que le Gouvernement voudra bien s’y rallier, quitte à le sous-amender. Nous avons besoin d’ouvrir le dispositif et de protéger les sources.La mise en difficulté des fraudeurs passe aussi par le renforcement des moyens d’enquête – cela a été largement développé. Le projet de loi ordinaire renforce considérablement les moyens d’action de l’administration fiscale, de la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, dont il faut saluer ici la compétence. Il renforce aussi les pouvoirs des magistrats.La délinquance économique et financière change de visage et utilise de nouveaux instruments, de plus en plus complexes – trusts, enchevêtrements de comptes à l’étranger et j’en passe. Il était temps de réagir !Ainsi, le projet de loi étend, en matière de fraude fiscale aggravée, la possibilité de recourir aux techniques spéciales d’enquête, autorise l’administration fiscale à utiliser les informations obtenues de manière illicite et allonge les délais de prescription.Par ailleurs, le projet de loi organique crée un parquet national spécialisé dans la poursuite pénale des affaires complexes de corruption et fraude fiscale. Au vu de la complexification des affaires, il devenait indispensable de créer une instance ad hoc centralisant des moyens et des compétences spécifiques. Ce parquet permettra de centraliser les affaires particulièrement sensibles et complexes ; il pourra être l’interlocuteur des JIRS sur tout le territoire et, j’en suis certain, celui du futur procureur européen.La mise en difficulté des fraudeurs passe enfin par l’aggravation des peines encourues. Il s’agit ici de maximiser les risques encourus par les fraudeurs, en les rendant supérieurs au bénéfice escompté de l’infraction. Les fraudeurs doivent hésiter ; l’hésitation doit retenir le vice…Le projet de loi prévoyait déjà une accentuation significative des peines d’emprisonnement et d’amende, les amendements adoptés en commission des lois renforcent encore ces dispositifs.Je voudrais terminer mon intervention en m’adressant à tous les bancs de notre assemblée. Ils sont clairsemés cet après-midi, mais n’imaginons pas que ce soit la marque du désintérêt de nos concitoyens. Ceux-ci ont fort bien compris que lutter avec fermeté contre la fraude fiscale et la grande criminalité financière ferait rentrer de l’argent dans les caisses, autant d’argent que nous n’irions pas leur demander.N’ayons donc pas la tentation de la posture ; n’ayons pas la tentation de dire : « c’est trop » ou « c’est trop peu ». Nous ne pouvons pas vous proposer des quantums de peines au-delà du raisonnable. Nous ne pouvons pas vous proposer la fin du monopole des poursuites de Bercy, car cela serait totalement contre-productif au regard des capacités d’absorption du contentieux fiscal par notre appareil judiciaire, compte tenu de son format et de sa faible spécialisation.Saisissez cette loi ! Elle ne peut être parfaite, mais elle est le marqueur d’une volonté farouche. Cette volonté se résume en quelques mots : ne plus être contraints de faire payer les plus humbles et les plus honnêtes de nos concitoyens pour les turpitudes organisées de quelques-uns, qu’ils soient particuliers ou personnes morales.Si la représentation nationale, dans sa grande majorité, pouvait soutenir les deux textes qui nous sont soumis, nous enverrions au pays un beau message, un message clair, le message d’une nation unie pour plus de justice fiscale, plus de moralité et plus de sincérité dans l’action publique.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, après avoir longuement débattu, depuis le début de la semaine, de deux projets de loi sur la transparence de la vie publique, nous commençons aujourd’hui l’examen de deux autres projets de loi, qui font également partie du paquet « post-affaire Cahuzac » du Gouvernement.Tentative de rédemption ? tentative de diversion ? En tout état de cause, des textes examinés dans la foulée de cette triste affaire, préparés à chaud et auxquels l’ensemble des groupes politiques auraient pu, et dû, être associés, mais ne l’ont pas été.
Des lois de circonstance, pour ceux qui n’avaient pas de mots assez durs pour dénoncer l’urgence dans laquelle légiférait la précédente majorité.Il s’agit à présent – et je salue le travail accompli par les deux rapporteurs – de la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, d’une part, et de la création d’un procureur de la République financier, d’autre part, ces deux volets étant naturellement liés.La lutte contre la fraude fiscale est en effet un sujet politique et médiatique de premier plan depuis quelques mois, mais c’est depuis longtemps une préoccupation majeure de nos concitoyens, pour qui la fraude doit être combattue avec la plus grande fermeté.Il est vrai que le Gouvernement s’est retrouvé face à un fraudeur bien particulier : le ministre du budget en personne !
Mais il n’est pas le seul, et le climat détestable des affaires démontre que la lutte contre la fraude est un objectif qui doit être poursuivi par l’ensemble des forces politiques.Nous sommes donc bien loin de la « République exemplaire » promise par le candidat Hollande, une promesse supplémentaire bafouée…
Avec ces projets de loi, vous avez ouvert une nouvelle page, celle de la « République délétère », confondant parfois à dessein agitation et efficacité, transparence et voyeurisme, parlant de la faute d’un homme mais jetant la suspicion sur l’ensemble des élus !
Les mots du Président de la République, à l’occasion de l’affaire Cahuzac, ont été justes. Cette affaire fut effectivement – je le cite – « un outrage fait à la République ».Qu’est-ce que la République, mes chers collègues ? La République, ce sont les citoyens français que nous représentons, ces citoyens français qui, il y a quelques mois à peine, en avril plus précisément, se sont sentis lésés et trahis.Avec la crise, alors que le chômage explose depuis de longs mois, que le pouvoir d’achat diminue, que les Français n’arrivent plus à boucler leurs fins de mois, ces pratiques sont devenues absolument intolérables et ont renforcé le sentiment d’injustice de certains de nos concitoyens, qui ont trop souvent l’impression que certains sont là pour jouir de leurs droits tandis que les autres doivent assumer leurs devoirs.
Ce sentiment de défiance de nos concitoyens s’est traduit dans les sondages et s’est malheureusement étendu à la classe politique dans son ensemble.À l’époque, monsieur le rapporteur général, 77 % des Français jugeaient ainsi que leurs élus et les dirigeants politiques étaient « plutôt corrompus ». Ce chiffre a un arrière-goût amer de « tous pareils, tous pourris » que nous ne pouvons tolérer.Il est de notre devoir de démontrer le contraire à nos électeurs en nous montrant irréprochables afin de mériter leur confiance.Si nous y échouons, la montée des extrêmes menacera la société française, comme nous avons encore pu le constater dimanche dernier en Lot-et-Garonne, et régulièrement dans les urnes depuis de longues années.C’est en définitive l’adhésion au pacte de solidarité nationale qui permet de protéger les plus fragiles mais elle s’en trouvera fragilisée si nous ne faisons rien.En ce sens, nous appelons de nos voeux la moralisation de la vie publique et le renforcement de la lutte contre la fraude même si, reconnaissons-le, ces thèmes ne sont ni nouveaux ni révolutionnaires.La majorité précédente, rappelons-le, avait déjà pris des mesures très importantes dans cette direction.
Elle avait ainsi créé une police fiscale dotée de pouvoirs de police judiciaire, obligé les banques établies en France à communiquer des informations – le ministre du budget le sait –, créé un fichier national des évadés fiscaux, renforcé la coopération intra-européenne contre les fraudes « carrousel » à la TVA. La garde des sceaux ne vient-elle pas d’ailleurs de déclarer qu’avec ce texte « nous ne passons pas du non-droit au droit ? »Bien entendu, il nous apparaît absolument essentiel de muscler la lutte contre la fraude fiscale et de faire preuve de la plus grande fermeté à l’encontre de ceux qui ont triché.
Nous souhaitons que, dans le respect des droits fondamentaux, soient renforcés les moyens de la justice, de la police et de l’administration fiscale qui luttent contre la fraude et les réseaux de blanchiment.Il conviendrait par ailleurs d’adapter les procédures de lutte contre les fraudes patrimoniales et les fraudes à la TVA, et de renforcer le régime répressif de la fraude fiscale.Selon Bercy, la fraude fiscale représenterait un manque à gagner de 50 à 70 milliards d’euros par an pour l’État. C’est inacceptable.Or, la lutte contre cette fraude ne permet aujourd’hui de récupérer que 16 milliards par an, ce qui est insuffisant.Nous devons faire mieux, garantir que plus personne ne passe entre les mailles du filet. Chacun sait - n’est-ce pas, monsieur le rapporteur général ? - que la page est blanche et que beaucoup reste à faire.
Les projets de loi dont nous débattons aujourd’hui nous posent cependant deux problèmes majeurs.Il nous paraît tout d’abord indispensable de faire sauter le verrou de Bercy. Je ne pense pas que le rapporteur y soit particulièrement opposé : il me semble même qu’il avait employé ces termes au cours d’un débat que nous avons eu à la télévision en présence d’un éminent magistrat, le procureur Éric de Montgolfier.Nous le savons, la fraude fiscale, à la différence des autres délits, ne peut être poursuivie d’office par le procureur de la République, lequel ne peut déclencher l’action publique que si l’administration fiscale a préalablement déposé une plainte.Vous voyez, monsieur le rapporteur général, que nous ne restons pas au milieu du gué.Ce mécanisme nous paraît incompréhensible, alors même que le Gouvernement s’apprête à créer un procureur de la République financier ! Sur ce point, je ne vous comprends plus.Ce procureur serait donc placé sous la tutelle de l’administration fiscale pour tout ce qui concerne la poursuite de la fraude fiscale grave et organisée.Nous ne voyons ni transparence ni indépendance dans ce système. J’imagine que Mme Mazetier aura des choses à nous dire à ce sujet. Sous couvert d’efficacité, vous maintenez le monopole de Bercy sur les affaires de fraude fiscale. Ces propos ne sont pas nouveaux, je les ai tenus en commission des finances, madame la rapporteure.
L’indépendance de la justice doit être l’un des piliers de la lutte contre la fraude, afin que plus aucun citoyen ne puisse penser que certains seraient protégés par le bouclier du ministère du budget.
Espérons que le Gouvernement et la majorité nous soutiendront !Notre deuxième critique porte sur la création même du procureur de la République financier et les moyens qui lui sont dévolus.Il est d’ailleurs évident que ce point a posé problème au Gouvernement, comme l’a rappelé tout à l’heure Annick Girardin. Le Conseil d’État a en effet émis un avis défavorable en la matière. Ces dispositions heurtent de front l’idéal de justice que nous défendons, madame la garde des sceaux, et que le Gouvernement, malgré toutes ses promesses, bafoue.Nous avons déposé un amendement pour replacer enfin la justice au coeur de la lutte contre la fraude, pour qu’elle soit au moins informée par Bercy des régularisations en cours. Je ne crois pas que les pouvoirs du ministre du budget s’en trouveraient amoindris.C’est donc par lettre rectificative que le procureur de la République financier a fait son apparition, ce qui témoigne de la confusion et de la précipitation dans lesquelles le Gouvernement a préparé ces textes.
Le Gouvernement a donc dû revoir ses ambitions à la baisse, mais le dispositif demeure bancal. Ce procureur, contrairement aux déclarations du Gouvernement, ne sera pas plus indépendant que n’importe quel autre procureur de France, nommé selon les mêmes modalités.Pis, sa compétence est nationale et il sera sous la responsabilité du procureur général de Paris dont la compétence est régionale.Nous ne pouvons que désapprouver la nouvelle usine à gaz qui s’annonce, car la création d’un tel poste ne peut que s’avérer contre-productive. J’espère que vous nous convaincrez du contraire, madame la garde des sceaux.Face à une délinquance multiforme dans laquelle s’imbriquent étroitement délinquance économique et financière, fraude fiscale et criminalité organisée, la réponse ne peut être la division des autorités chargées des enquêtes et de la poursuite.Nous craignons que la justice ne soit déstabilisée, entraînée par une déperdition de l’information, éclatée entre les deux parquets qui pourraient entrer en conflit.Face à la capacité d’adaptation permanente des fraudeurs, à leur imagination sans fin, la justice doit être dotée de vrais moyens pour réagir avec efficacité. La dispersion serait la pire des solutions.Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, les députés UDI soutiennent sans réserve l’objectif de lutte contre la fraude fiscale. J’espère que nous serons entendus lors de la discussion des amendements.
C’est donc par lettre rectificative que le procureur financier de la République a fait son apparition, ce qui témoigne de la confusion et de la précipitation dans lesquelles le Gouvernement a préparé ces textes.
Plusieurs lois visant à lutter contre la fraude fiscale en France ont été discutées dans cet hémicycle, mais elles n’ont pas réussi à mettre fin à l’inflation des boîtes aux lettres à George Town, aux îles Caïmans, ou à la nouvelle passion française pour les fondations belges. Autant dire que ces lois utiles n’ont pas, à ce stade, produit tous leurs fruits.Je veux croire, pourtant, que cette nouvelle loi sera différente, par la démonstration politique, peut-être aussi par le résultat politique que nous en attendons.La démonstration politique de cette loi contre la fraude fiscale porte un nom : puissance de l’État. Le résultat ambitieux que nous lui fixons est clair : restaurer la souveraineté de la France dans le Far West qu’est devenue la mondialisation en matière fiscale.La lutte contre la fraude fiscale relève désormais d’une guerre mondiale. Pour la première fois depuis un an, depuis quelques mois, les plus grandes instances internationales, les plus grands pays, se sont saisis de la lutte contre les paradis fiscaux. Pour reprendre les termes de Pierre Moscovici, des « pas de géants » ont été accomplis au cours des six derniers mois.Les efforts de lutte contre la fraude fiscale avaient jusqu’à présent butté contre les intérêts particuliers des États : d’un côté, des déclarations tonitruantes sur l’éradication des paradis fiscaux - y compris en France -, de l’autre le laisser-faire et le chacun pour soi, voire la tentation de profiter du système à son seul profit.C’est quand ces mêmes États ont compris qu’ils étaient en train de scier la branche sur laquelle ils étaient assis, que les choses ont enfin bougé. C’est quand ces États ont compris que se battre pour attirer à tout prix les contribuables les plus fortunés ou les entreprises les plus profitables revenait à habituer ces contribuables ou ces entreprises à ne plus trouver normal de payer l’impôt là où il est dû, que la situation a évolué.C’était les accoutumer à échapper à l’effort de financement des biens publics dont ils profitent, depuis les systèmes d’éducation jusqu’aux routes bien entretenues.Bref, la mondialisation « version Far West » a fini par se retourner contre la souveraineté même des États qui se croyaient plus malins qu’elle. La guerre est donc déclarée, et cette loi marque un tournant.Rappelons tout d’abord les mesures déjà prises avec la loi bancaire.L’offensive a été lancée lorsque nous avons décidé que les grandes multinationales devraient désormais rendre publics leur chiffre d’affaires, leurs profits, leurs bénéfices et leurs effectifs.Elle s’est poursuivie lorsque nous avons été les premiers en Europe, je dis bien les premiers, à décider que les mécanismes FATCA américains s’appliqueraient désormais dans notre pays au fur et à mesure de la conclusion des accords internationaux.Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, nous devons persévérer dans cette voie. Je sais que vous y avez travaillé et que vous poursuivez cet objectif.Un cinquième des filiales des plus grandes entreprises européennes sont encore implantées dans les paradis fiscaux. Autant dire que, cette fois, la guerre est déclarée et que les scandales ne s’arrêteront certainement pas à Amazon ou Starbucks.En France, le principe de la territorialité régit l’impôt pour les sociétés, celles-ci recourant parfois aux trusts ou, surtout à ce stade, aux prix de transfert pour le contourner.Nous devons aujourd’hui mener une grande bataille contre la manipulation des prix de transfert. À l’heure du tout-numérique ou du tout-brevet, tout bien ou presque peut être transformé en élément incorporel. À l’heure de l’instantané, placer ces centres de profit aux Pays-Bas ou en offshore est l’affaire de trois clics.Le groupe socialiste défendra un amendement qui vise à contraindre les grandes entreprises à prouver leurs prix de transfert par la production d’une comptabilité analytique : c’est la seule façon, la seule manière de lutter contre la manipulation des prix de transfert.
Le vent a tourné mais, si la puissance et la souveraineté de notre pays devaient être mises à mal par de nouvelles attaques, par un nouveau scandale, c’est toute la confiance de nos concitoyens en l’État qui s’en trouverait ébranlée.Monsieur le ministre, soyez souverain, soyez puissant, montrez que l’impunité fiscale des multinationales est bel et bien terminée en donnant un avis favorable à nos amendements.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Dans le cadre de la procédure accélérée, notre Assemblée est appelée aujourd’hui, en première lecture, à se prononcer sur un projet de loi particulièrement attendu par nos concitoyens, relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.Selon les chiffres récents annoncés par le ministère du budget - je parle sous votre contrôle, monsieur le ministre - l’évasion et la fraude fiscales entraîneraient chaque année pour notre pays des pertes estimées entre 60 et 80 milliards d’euros. Au niveau européen, ce sont quelque 1 000 milliards d’euros qui échapperaient annuellement aux États de l’Union.Qu’elle soit le fait d’entreprises ou de particuliers, cette fuite de capitaux, dans un contexte où il est demandé aux Français et plus généralement aux Européens de se « serrer la ceinture » n’est pas seulement inacceptable : elle est immorale.Le précédent gouvernement l’avait bien compris, lui qui s’est attaqué à cette problématique à bras-le-corps dès 2008…
…et les premiers jours de la crise financière, en donnant à l’administration fiscale les moyens de lutter contre les fraudes les plus complexes, en développant de nouveaux outils, en améliorant le cadre de son action contre les paradis fiscaux,…
…en renforçant la capacité d’enquête de la direction générale des finances publiques,…
…ou encore en promouvant une coopération nouvelle, plus efficace, entre les services de l’État.
Extension du champ de compétence de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale ou des techniques spéciales d’enquête ; création d’une circonstance aggravante pour les fraudes les plus graves ; augmentation des sanctions pour la fraude fiscale complexe ; confiscation définitive des contrats d’assurance-vie ou encore saisie des avoirs criminels : les dispositifs prévus par le présent projet de loi viennent, pour la plupart, ajuster ou renforcer l’arsenal juridique de lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière impulsé par le précédent gouvernement, ce que je ne peux naturellement qu’approuver.Encore une fois, au moment où son successeur accentue la pression fiscale sur les Français, l’accent mis sur la lutte contre la fraude fiscale me semble une voie bien plus juste que celle de la hausse des prélèvements obligatoires.Reste que ce projet de loi – comme celui relatif à la transparence de la vie publique – survient au lendemain d’un scandale dans lequel notre assemblée se sera trouvée aux premières loges, et répond ainsi à une certaine conjoncture sans toutefois en tirer pleinement toutes les leçons, puisqu’on nous livre aujourd’hui, dans le cadre de la procédure accélérée, un texte a minima.L’ultramarin que je suis regrette, par exemple, que ce texte ne propose aucun dispositif novateur ou particulier pour nos territoires d’outre-mer.C’est aussi un texte qui omet de faire sauter un verrou en maintenant le monopole de l’autorité politique, en l’occurrence de Bercy – lui-même tenu par l’avis conforme de la commission des infractions fiscales pour déclencher les poursuites en matière de fraude fiscale.Une autorité politique qui garderait par ailleurs la main sur d’autres aspects : je pense notamment à l’action associative en matière de lutte contre la corruption, puisque c’est non pas la Haute Autorité, sur des critères objectifs, mais le ministère de l’intérieur qui délivrera les agréments à ces associations, sésame qui leur permettra d’agir en justice.Le Gouvernement a déposé le 7 mai dernier une lettre rectificative au projet de loi, prévoyant la création d’un parquet financier à compétence nationale, distinct du parquet de Paris, compétent en matière de lutte contre la corruption et la fraude fiscale et dirigé par le procureur de la République financier, dont la création est prévue par un projet de loi organique : il me semble plus que paradoxal de créer ce procureur de la République financier avec une compétence en matière de fraude fiscale, si celui-ci ne devait être que le scribe de Bercy.Paradoxal, donc, et d’une complexité inopportune : pourquoi en effet vouloir venir complexifier le paysage institutionnel judiciaire, alors qu’en matière de lutte contre la délinquance financière les huit juridictions interrégionales spécialisées ou la section financière du parquet de Paris, notamment, offrent de bons résultats et mériteraient plutôt de voir leurs moyens renforcés ? Enfin, l’ultra-spécialisation des magistrats et la verticalité de la nouvelle architecture judiciaire ainsi proposée apparaissent inadaptées à la prise en charge de ces affaires complexes, modernes, aux multiples ramifications transversales…Chers collègues, c’est donc un avis partagé que j’émettrai sur ce texte, qui comprend des éléments à mon sens positifs et nécessaires en matière de renforcement des mesures de lutte contre la fraude fiscale, mais qui, comme l’a dit notre collègue Étienne Blanc, est assorti d’un volet créant un parquet financier dont je doute de l’opportunité comme de l’efficacité.
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, la lutte contre la fraude fiscale est avant tout une exigence morale. Mais elle est aussi une exigence financière. Au moment où nos concitoyens, comme nos petites entreprises, sont accablés d’impôts, il est insupportable de savoir que de gros contribuables comme certaines multinationales s’exonèrent de toute règle commune.Pis encore, il est insupportable de savoir que des criminels détournent par la fraude à la TVA - dixit la Cour des comptes - entre 10 et 15 milliards d’euros chaque année.C’est pourquoi l’unanimité de la représentation nationale devrait se faire sur un tel sujet. La commission des affaires étrangères m’a chargé, avec mon collègue Alain Bocquet, de préparer un rapport sur les paradis fiscaux. Même si nous ne rendrons celui-ci qu’en septembre, nous avons, depuis six mois, reçu bon nombre de personnalités et enquêté dans certains paradis fiscaux. La gravité de la situation est toujours sous-estimée. L’ampleur des détournements, liée à une mondialisation financière hors de contrôle, menace la survie même des États démocratiques.Notre pays, quelle que soit la qualité des fonctionnaires qui oeuvrent à la lutte contre les fraudeurs, n’a pas à être fière de la faiblesse des moyens consacrés à la criminalité financière, ni de la tolérance implicite qui a régné pendant tant d’années à l’égard de ceux qui volent le peuple français. Car c’est bien de cela qu’il s’agit.Votre projet de loi va dans le bon sens. Bien entendu, je le voterai, même s’il n’est pas encore, à mon avis, à la hauteur des défis qui sont devant nous.Il contient des mesures techniques utiles, qui confortent des dispositions prises par le Gouvernement précédent. Vous voulez faire croire que, tout à coup, la France se mobilise. C’est vrai, il y a une réelle mobilisation. Mais vous n’allez pas fondamentalement au bout de votre logique. Les amendements de votre majorité constituent parfois des progrès, notamment sur les lanceurs d’alerte. Mais pourquoi ne pas aller plus loin ?Vous avez l’occasion historique, au moment où les États-Unis d’Amérique montrent le chemin avec la loi FATCA, au moment où l’Angleterre libérale se mobilise avec, par exemple, le recrutement de 700 enquêteurs pour mettre un terme aux « carrousels » de TVA – ils y ont réussi –, au moment où même un petit État comme la Belgique a mis en place une cellule de coordination entre l’autorité judiciaire et l’autorité fiscale, qui a mis fin à un milliard par an de fraude à la TVA : au même moment, vos services à Bercy nous expliquent qu’on est en train de réfléchir au logiciel et à la structure qui permettront de croiser uniquement les fichiers du fisc.Je vous demande, monsieur le ministre, madame la garde des sceaux, d’aller plus loin. Votre majorité a bien dû y penser, elle a dû se ranger, en fin de compte, aux arguments du pouvoir : pourquoi ne pas faire sauter ce monopole d’Ancien Régime, insupportable dans un État démocratique ? N’avons-nous pas payé suffisamment cher, en termes de discrédit politique, le fait que le ministre par qui doit passer toutes les demandes de poursuite avait lui-même un compte à l’étranger ? Et vous ne voulez pas faire sauter ce verrou ?Si vous voulez vraiment lutter contre la fraude fiscale, si vous voulez qu’en France, comme aux États-Unis, les voleurs aient peur et puissent s’attendre à de vraies peines de prison, vous devez faire sauter ce verrou, faire sauter la commission des infractions fiscales. Vous allez, et c’est un peu symbolique de l’action de votre Gouvernement, changer sa composition . Belle victoire, mais qui ne changera rien ! Car depuis dix ou quinze ans, il y a toujours, comme par hasard, mille affaires qui sont traitées par la CIF. Et si vous cherchez les peines de prison, il n’y en a quasiment pas.Vous allez rendre les peines plus dissuasives. Bravo ! Mais vous maintenez le verrou qui empêchera de saisir la justice, et vous maintenez la faiblesse des moyens.J’ai deux questions à vous poser, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre.Il contient des mesures techniques utiles qui confortent des dispositions prises par le Gouvernement précédent. Vous voulez faire croire que, tout à coup, la France se mobilise. C’est vrai, il y a une réelle mobilisation. Mais vous n’allez pas fondamentalement au bout de votre logique. Les amendements de votre majorité constituent parfois des progrès, notamment sur les lanceurs d’alerte. Mais pourquoi ne pas aller plus loin ?D’abord, je voudrais avoir des informations précises sur l’accord que vous avez signé ou que vous vous apprêtez à signer avec l’administration américaine sur le FATCA. D’après ce que j’ai compris, nous livrerons aux États-Unis des renseignements qu’ils nous livreront pas pour les citoyens français qui ont des comptes à Miami ou ailleurs. Il n’y aura pas de réciprocité… Je voudrais savoir si c’est exact.Ensuite, j’aimerais que vous puissiez nous donner les éléments qui permettraient de traduire dans les faits votre volonté, que je ne nie pas, de lutter contre la fraude fiscale. Souvent, vous accusez le Gouvernement précédent, ce que j’avais fait moi aussi, d’avoir démuni les pôles financiers. Mais, chose curieuse, les magistrats des pôles financiers, que j’ai reçus, m’expliquent que, depuis un an, il n’y a pas vraiment eu de renforcement en greffiers, en inspecteurs, en juges. J’aimerais qu’après cette première année de mise en route vous donniez enfin des moyens aux pôles financiers. Il ne suffit pas de créer un poste de procureur pour que la justice de notre pays ait les moyens d’agir.Je voudrais également poser une question au ministre du budget. Il faut lutter contre la fraude fiscale mais, en même temps, il faut se poser la question de la pression fiscale. Si vous réussissez à reprendre de l’argent aux voleurs dans les « paradis » fiscaux qui minent nos États, qu’allez-vous en faire ? Vous servirez-vous de cet argent pour baisser les impôts insupportables qui pèsent sur nos petites entreprises, pour alléger le fardeau fiscal ou pour continuer une mauvaise politique économique ? Autrement dit, la lutte contre la fraude fiscale est certes très positive, et rien n’excuse la fraude, mais nous ne pouvons pas continuer à avoir les impôts les plus élevés dans tous les domaines par rapport à nos partenaires européens.C’est un peu symbolique de l’action de votre gouvernement, vous allez changer la composition de la CIF. Belle victoire, mais qui ne changera rien ! Car depuis dix ou quinze ans, il y a toujours, comme par hasard, 1 000 affaires qui sont traitées par la CIF. Et si vous cherchez les peines de prison, il n’y en a quasiment pas.Vous allez augmenter la dissuasion des peines, bravo ! Mais vous maintenez le verrou qui empêchera de saisir la justice et nous garderons la faiblesse des moyens.Dernière question : allez-vous enfin prendre des mesures contre Monaco, Andorre, le Liechtenstein, le Luxembourg ? Comment croire ces États quand ils affirment vouloir la transparence financière, alors que vous savez pertinemment qu’ils ne font aucun effort de transparence sur les trusts et les sociétés qui cachent les véritables bénéficiaires des comptes ou des sociétés offshore ?
Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.
Rires.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, la fraude fiscale existe depuis qu’existe l’impôt. Elle a souvent pris, par le passé, le visage de la résistance populaire à la perception de l’impôt injuste.Injuste parce que, sous l’Ancien Régime, la contribution aux charges publiques ne frappait principalement que le tiers état, la noblesse et le clergé en étant largement exemptés.Injuste parce que la contribution aux charges publiques se confondait souvent avec l’entretien des ces deux ordres parasites qui vivaient aux crochets de la majorité du peuple des campagnes et des villes.Le consentement à l’impôt par les représentants du peuple réunis dans une Assemblée nationale fut une des grandes causes de la Révolution française et, à tout le moins, un des objectifs politiques des dirigeants révolutionnaires, qui trouva sa traduction dans deux articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.L’article 13 dispose que : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »L’article 14 proclame que : « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »Ce changement de paradigme issu de la Révolution française allait progressivement changer la nature de la relation à l’impôt.L’impôt devant être réparti entre tous les citoyens à raison de leurs facultés, la contribution des riches et du capital à la ressource publique devenait une évidence qui allait cependant susciter des résistances, des résistances de classe.Cette question fut de plus en plus prégnante au fur et à mesure que se développèrent l’impôt progressif et l’État-providence, qui furent les deux grands piliers de la construction de l’égalité dans notre République.Depuis, la question de la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales est devenue celle de la lutte de la République contre la volonté d’une partie de la bourgeoisie d’échapper aux taxes et aux impôts.Bien évidemment, il existe une fraude fiscale populaire, qui doit, comme toute fraude, être combattue, mais les sommes qu’elle représente sont sans commune mesure avec l’extraordinaire industrie de l’évasion, de la fraude, de l’optimisation fiscales et du blanchiment d’argent qui s’est développé par et pour les riches.Quand, dans les années vingt, fut révélé le scandale de la Banque commerciale de Bâle, on ne découvrit dans la liste des fraudeurs aucun ouvrier, mais des généraux, de hauts prélats, des membres des bonnes familles françaises.Pendant les Trente Glorieuses, cette question revêtit une importance moindre, car l’expansion issue de la croissance assurait les ressources nécessaires pour permettre de garantir l’expansion des services publics et la progression des salaires.La lutte contre la fraude fiscale est à nouveau d’actualité aujourd’hui en raison de la nécessité dans laquelle se trouvent les États d’obtenir des ressources pour assurer simultanément la réduction de l’endettement public, le financement de la croissance et la réduction des inégalités issues de trente années de politique libérale ayant gravement échoué partout dans le monde. Encore fallait-il que cette nécessité rencontrât une volonté politique. C’est chose faite, je l’espère, par le projet de loi, par ce beau projet de loi de gauche ! Certes, des mesures ont déjà été prises au cours des dernières années, en particulier la création et la montée en puissance de Tracfin, mais jamais à un tel point ni avec une volonté politiquement coordonnée et assumée.Une telle volonté ne pouvait venir que de la gauche, car en France c’est la gauche qui porte ce combat. La gauche crée l’impôt sur les grandes fortunes quand la droite le supprime et organise un bouclier fiscal pour protéger les très riches tout en hurlant contre l’assistanat. La gauche se bat pour la juste contribution des riches aux charges publiques quand la droite préfère stigmatiser les classes populaires et opposer les ouvriers aux chômeurs tout en versant des larmes de crocodile sur les exilés fiscaux tels que Gérard Depardieu.
En ce sens, le projet de loi doit être salué, défendu et voté massivement, car il constitue une avancée notable dans la lutte contre la fraude fiscale. Il ne règle pas tout, mais pourra et devra être enrichi lors de nos débats dans les deux assemblées. Il ne règle pas tout, car il ouvre un cycle et ne le clôt heureusement pas. Un considérable travail d’expertise parlementaire a été réalisé depuis des années. Je voudrais saluer en particulier le travail de notre collègue Bocquet. Nous avons également la chance de pouvoir nous appuyer sur le travail et la mobilisation d’associations dynamiques comme le Secours catholique, le CCFD ou encore ATTAC, regroupés dans la plateforme de lutte contre les paradis fiscaux. Nous disposons encore de travaux universitaires de pointe, tels ceux de Christian Chavagneux, qui ont accéléré la prise de conscience progressive de l’opinion publique grâce au travail d’information des médias. Bref, nous avons tout en mains pour conduire une lutte de fond contre ce qui est devenu le scandale de ce siècle naissant.La fraude fiscale, l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale reposent sur trois piliers qu’il faut affronter simultanément : les capitaux cherchant à s’évader, les techniques pour les déplacer et les acteurs du déplacement tels que les banques, les cabinets de conseils, les avocats et les lieux d’accueil des capitaux. Un tel combat sera difficile, car il touche à l’essentiel, c’est-à-dire la richesse, qu’il nous faut mieux répartir entre les différentes classes sociales, entre le Nord et le Sud. Mais nous disposons d’une arme puissante et irrésistible pour celles et ceux qui ne rechignent pas à l’employer. Nous disposons du soutien de l’opinion publique ulcérée par cette injustice majeure. Nous disposons de la force du droit si nous savons l’adapter aux évolutions des techniques de fraude, d’évasion et d’optimisation fiscale.Par ce projet de loi, le Gouvernement ouvre une ère nouvelle dans la lutte contre la fraude fiscale. Il en faudra d’autres très bientôt, ainsi que des mesures nouvelles et fortes. Mais, et c’est le plus important, le pli est enfin pris. Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce n’est qu’un début, continuons le combat !
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre du budget, mes chers collègues, le Premier ministre a fait état, lors du conseil des ministres du 10 avril, de la détermination du Gouvernement en matière de transparence de la vie publique et de renforcement des moyens de lutte contre la grande délinquance économique et financière et les paradis fiscaux, conformément à la demande du Président de la République de « s’attaquer à la racine de la défiance de l’opinion, qui demande des garanties sur l’intégrité de ceux qui exercent des responsabilités politiques et une plus grande efficacité dans la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale ».C’est donc un honneur de procéder aujourd’hui à l’examen puis au vote du texte ambitieux d’un gouvernement qui a décidé de s’attaquer frontalement à l’un des plus anciens, violents et, hélas, juteux sports nationaux et internationaux. Le projet de loi, par son ampleur et par les leviers qu’il met en oeuvre, est une première historique dans la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. « Quand la fraude construit une maison, elle la détruit », dit un proverbe malinké, qui résume fortement et en peu de mots ce qu’est la fraude fiscale et ce qu’elle coûte en argent mais aussi en cohésion à notre pays, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre. Aux propos honteux de certains ministres de l’ancien gouvernement dénonçant le « cancer de l’assistanat », nous répondons aujourd’hui en nous attaquant à la fraude fiscale, à l’évasion fiscale, aux montages financiers, à la grande délinquance financière et à toute une criminalité en col blanc qui, en réalité, n’a jamais beaucoup intéressé l’ancienne majorité.En cette période si difficile de crise mondiale, ce sont les classes moyennes et les plus démunis qui ont payé les conséquences du laxisme de la droite, les Français ne l’oublieront pas. Nous voyons les choses différemment. Rappelons que notre actuel ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg, a mené avec Vincent Peillon une mission d’information sur le blanchiment en 2002. Il écrivait dans une tribune publiée par Le Monde en avril 2009 que « les gouvernements de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy ont pris appui avec une constance tout idéologique sur les paradis fiscaux pour rendre naturelle la nécessité de ne pas frapper les profits au motif qu’ils risqueraient de s’exiler… dans les paradis fiscaux. La rhétorique de l’exil fiscal n’a fait que conforter ces territoires qui ont gagné, au fil du temps, des alliés dans toute l’Europe des gouvernements libéraux. » Il poursuivait : « Ces milliards perdus par pur aveuglement idéologique, ce sont ceux qui nous manquent aujourd’hui pour financer nos plans de relance, redistribuer du pouvoir d’achat, stimuler l’investissement industriel et limiter notre dette publique. » Ces propos, prémonitoires, sont toujours vrais.La nouvelle majorité fait aujourd’hui preuve de courage. Elle n’a pas peur de prendre à bras-le-corps la fraude aux impôts de nos concitoyens. Délit de fraude fiscale en bande organisée, alignement des peines pour les personnes morales sur celles applicables aux personnes physiques, utilisation des informations d’origine illicite comme la liste HSBC, création d’un procureur national financier par une majorité qui n’entravera pas la justice mais entend au contraire lui donner plus de moyens : il y a là autant de mesures nouvelles et fortes que la France attendait depuis longtemps. Elle qui avait accumulé du retard rejoint aujourd’hui le groupe de tête des pays en lutte contre ce type de fraude.Merci, madame la ministre et monsieur le ministre, de votre travail. Merci à nos rapporteurs. Je salue également le travail des commissions qui ont renforcé et enrichi le texte en y insérant des mesures sans précédent. Des associations anti-corruption pourront se constituer partie civile plus facilement grâce à l’ajout du blanchiment et du recel de corruption dans la liste des infractions leur permettant d’ester en justice. Le montant des amendes pénales prononcées contre les personnes morales pourra être porté à 10 % de leur chiffre d’affaires moyen annuel des trois dernières années en matière correctionnelle et 20 % en matière criminelle. Les peines encourues en matière d’atteintes à la probité et de corruption seront aggravées. La règle jurisprudentielle du report du point de départ d’une infraction dissimulée au jour de son constat sera inscrite dans la loi, dans des conditions permettant l’exercice des poursuites. Le délai de prescription du délit de fraude fiscale sera porté à six ans. C’est un grand pas en avant dans ce que nous devons désormais appeler par son nom : une véritable guerre contre la fraude fiscale, contre la grande délinquance économique et financière, contre un vol continu, inlassable et répété qui gangrène notre pays.Une telle guerre ne sera pas une mince affaire. Elle n’en est pas moins essentielle. Nous ne pouvons pas demander des efforts supplémentaires à nos concitoyens en des temps de crise difficiles et anxiogènes si nous ne redoublons pas d’efforts pour récupérer les 60 à 80 milliards d’euros que nous coûte chaque année le banditisme en col blanc ! C’est insensé ! Les Français ne le comprendraient pas. Un tel montant représente environ quatre fois le déficit des retraites dont nous allons débattre prochainement. Demander toujours aux mêmes de faire des efforts est injuste. C’est aussi de cela que procèdent la défiance grandissante des Français envers leurs représentants politiques ainsi que le vote extrême. Voilà ce que le Président de la République et le Gouvernement ont décidé de faire. Nous mènerons cette guerre avec eux !
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre du budget, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, les deux projets de loi que nous examinons aujourd’hui traduisent une priorité qui est au coeur de l’État de Droit : renforcer l’efficacité de la lutte contre la corruption et la fraude fiscale et remédier aux insuffisances de la législation en matière de lutte contre la délinquance financière. En effet, comment construire une société si les citoyens ont le sentiment qu’ils ne sont pas tous égaux devant la justice et l’impôt et si chacun pense que certains peuvent éviter sans conséquence de contribuer à la solidarité nationale à proportion de leurs facultés, voire, comme il a été dit récemment, de négocier le montant de leurs impôts avec l’administration fiscale ?En la matière, pourtant, nous revenons de loin. L’impulsion donnée par la puissance publique au cours des dix dernières années a consisté à déserter très largement une telle politique publique. Les mécanismes de prévention et de détection de la délinquance économique et financière ont été délégitimés, l’arsenal répressif a volontairement été empêché de s’adapter et les autorités d’enquête ont été réduites, voire réduites au silence. Il suffit de se souvenir de la tentative avortée de suppression des juges d’instruction, qui traitent la quasi-totalité des infractions d’atteinte à la probité, de la remise en cause de la jurisprudence sur la prescription des délits dissimulés comme les abus de biens sociaux, ou encore de la volonté affichée de dépénaliser le droit des affaires.Contre de telles évolutions, notre majorité s’efforce aujourd’hui de bâtir un corpus législatif cohérent et ambitieux. Il permettra à la justice de lutter avec plus d’efficacité contre des infractions qui causent un préjudice économique à la nation bien plus important que toutes les autres formes de criminalité et qui tarissent la confiance des citoyens à la fois en leur personnel politique, en leurs élites économiques mais aussi en la capacité de l’État à faire respecter la loi et l’égalité devant elle. La cohérence caractérise les projets de loi que nous avons examinés. Ils répondent à une même préoccupation : rénover la vie publique et promouvoir une République exemplaire et transparente.Par le projet de loi constitutionnelle réformant le Conseil supérieur de la magistrature, nous ambitionnons de renforcer les garanties d’indépendance de la nomination des procureurs et, corollairement, l’indépendance de la justice tout entière. Par le projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et d’action publique, nous empêchons toute ingérence de l’exécutif dans le déroulement des procédures pénales afin de ne pas laisser place au soupçon qui mine la confiance des citoyens en l’institution judiciaire. Enfin, par la loi sur la transparence de la vie publique, nous mettons en place un cadre rénové de lutte contre les conflits d’intérêts. Ce texte, j’en suis convaincu, restaurera la confiance des citoyens en leurs représentants.Les deux projets de lois sur lesquels nous sommes amenés à nous prononcer aujourd’hui s’inscrivent résolument dans la même perspective. Ils compléteront les dispositifs nouveaux et rendront plus efficace la lutte contre la fraude fiscale et contre les infractions relatives à la moralité publique. Je veux d’ores et déjà souligner les deux principales avancées qu’ils comportent à mes yeux. La première consiste à donner à certaines associations de lutte contre la corruption la possibilité de mettre en mouvement l’action publique. Il s’agit là d’une avancée fondamentale. Combien de fois avons-nous été témoins, sous l’ancienne majorité, de la révélation d’affaires par la presse sans qu’aucune enquête ne soit ouverte par le parquet ? Aujourd’hui, chacun peut s’en convaincre à la lecture de la presse, la pratique a déjà beaucoup évolué. Il convient désormais de créer un nouvel instrument juridique afin de graver les progrès dans le marbre de la République. Demain, même si le ministère public refuse d’ouvrir une enquête, les associations agréées pourront l’y contraindre. Voilà qui sera de nature à ôter tout soupçon sur la bonne marche de la justice !La seconde avancée, c’est la création d’un parquet financier qui aura vocation à centraliser toutes les affaires importantes relatives à la moralité publique et à la fraude fiscale. J’y vois la perspective d’un gain en efficacité grâce à la mobilisation de magistrats spécialisés et en rapidité grâce à la mobilisation de moyens plus importants. Confortée par la réforme du statut du parquet et l’absence d’instructions individuelles, l’action d’un tel procureur ne laissera place à aucun doute sur son indépendance et sur l’étendue de ses marges de manoeuvre.Outre ces dispositions nouvelles, le travail législatif a permis de renforcer le projet de loi. J’en veux pour preuve l’adoption par notre commission des lois d’un amendement visant à offrir plus de protection aux lanceurs d’alertes. Autrement dit, nul ne pourra faire l’objet de discrimination professionnelle pour avoir alerté les autorités sur une fraude qu’il a constatée. Comme vous le voyez, mes chers collègues, voter le texte, ce n’est rien de moins que remobiliser la puissance publique pour la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance financière, améliorer l’état du droit et corollairement conforter l’État de droit.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites sur le contexte et l’utilité du texte qui nous est soumis aujourd’hui. Pour ma part, je vais donc plutôt en évoquer certains détails - car, comme chacun le sait, c’est dans ces détails qu’est le diable.
Sourires.
Comme on l’a déjà dit, ce texte a été substantiellement enrichi par les travaux des commissions, qui y ont introduit de nouveaux articles. Ainsi, notamment à l’initiative de notre rapporteur, dont je salue l’implication ainsi que la qualité de son travail, plusieurs dispositions ont été introduites afin de renforcer les échanges et la coopération entre la justice et l’administration fiscale, et de développer les outils juridiques dont disposent les services de contrôle fiscal.Je souhaite m’arrêter un instant sur une disposition introduite dans le texte sur ma proposition, tendant à instaurer un devoir de communication de l’Autorité de contrôle prudentiel auprès de l’administration fiscale. Il s’agit, là encore, de renforcer les moyens de lutte contre la fraude, alors que les activités du secteur bancaire et financier présentent des risques élevés en matière d’optimisation et d’évasion fiscale, comme l’ont montré plusieurs affaires récentes sur lesquelles j’ai travaillé, et au sujet desquelles j’aurai l’occasion de m’exprimer dans les toutes prochaines semaines. Dans le cadre de ses missions, l’ACP recueille des informations permettant de démontrer les manquements graves dans les procédures internes des banques et d’accéder à des documents susceptibles de présenter un intérêt fiscal. J’espère que cette disposition, même légèrement amendée, subsistera dans le texte.Par ailleurs, je voudrais souligner, comme l’ont fait Sandrine Mazetier et Karine Berger, la nécessité de progresser sur la question de l’optimisation fiscale des entreprises et de sa surveillance – je pense notamment aux prix de transfert. À ce titre, j’ai cosigné un certain nombre d’amendements visant à renforcer la lutte contre ces pratiques. C’est là, me semble-t-il, un point que nous ne pouvons pas éluder, et auquel nous devons nous attaquer dès le présent projet de loi. Certes, toute oeuvre humaine reste perfectible, et nous aurons certainement d’autres occasions d’améliorer encore ce texte, notamment à l’issue des deux missions d’information qui ont été lancées par la commission des finances – l’une rapportée par votre serviteur sous la présidence de Gilles Carrez, l’autre rapportée par notre collègue Pierre-Alain Muet sous la présidence d’Éric Woerth.Enfin, je souhaite vous interroger, monsieur le ministre, sur les déclarations que j’ai relevées, ce matin encore, à propos de la transaction. Il nous paraît essentiel de déterminer clairement, que ce soit par des dispositions figurant dans ce texte ou sous la forme de précisions que vous voudrez bien nous apporter, comment l’administration fiscale, sous votre autorité, établit les transactions. Je me demande d’ailleurs toujours s’il ne serait pas opportun d’abandonner cette appellation qui laisse à penser qu’il y aurait des échanges, des trocs, des négociations entre les contribuables et l’administration fiscale. Au sujet de ces questions de transparence, il serait bon que vous clarifiiez les choses, afin que l’on n’ait pas l’impression que de vraies fausses cellules de dégrisement sont en place et que des cadeaux peuvent être faits à des contribuables – qui, pour moi, n’ont pas à échapper aux pénalités qu’ils encourent.J’aurai prochainement l’occasion de souligner l’intérêt de la disposition permettant l’exploitation de données obtenues d’une façon qu’il est convenu de qualifier d’illicite. Nous pourrons ainsi éviter certains problèmes qu’a rencontrés l’administration fiscale, notamment lors de l’exploitation des données provenant de la liste HSBC. Dans le cadre d’investigations sur cette procédure, j’ai évoqué cette question avec le directeur général des finances publiques, et ai mesuré, en cette occasion, à quel point cet élément - que l’adoption du texte permettrait de gommer - a pu gêner l’administration fiscale dans l’exploitation des données fournies par M. Falciani.On a pu lire beaucoup de choses dans la presse à ce sujet ces dernières semaines. Je veux donc confirmer que j’ai mené un certain nombre d’investigations auprès de vos services, monsieur le ministre – je salue d’ailleurs la transparence dont a fait preuve l’administration fiscale en cette occasion. J’aurai l’occasion, en accord avec le président Carrez, de présenter prochainement un rapport à la commission des finances qui, si elle en autorise la publication – je l’espère, puisque c’est le cas habituellement –, permettra de lever un certain nombre de doutes et de tordre le cou à des contrevérités que j’ai pu relever au cours des investigations auxquelles j’ai procédé.Pour conclure, à mon tour, je remercie tout le monde, en particulier ceux qui m’ont remercié précédemment.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous allons examiner aujourd’hui marque une nouvelle étape dans la reconquête de notre souveraineté fiscale, une étape décisive. Cette souveraineté, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen l’assied aussi sur « indispensable contribution commune », rappelant que chaque citoyen « contribue en raison de ses facultés ». Ce principe est un principe clef pour la France et pour la démocratie.Depuis quelques années, on assiste à une perte de souveraineté nationale, européenne, et même démocratique, pourrait-on dire, parce qu’on perd cette capacité à faire respecter ce principe fondamental de la démocratie, contenu dans l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Mme la garde des sceaux a rappelé, à juste titre, que ces fraudes et corruptions ne datent pas d’aujourd’hui, puisqu’elles avaient déjà cours sous la Rome antique. Cependant, la grande différence entre la situation actuelle et celle de la Rome antique, c’est que les moyens d’évasion fiscale sont aujourd’hui à la fois plus sophistiqués et plus beaucoup puissants.La liste serait longue des dispositifs qui conduisent à la perte démocratique que j’ai évoquée, depuis les multinationales qui transfèrent du revenu fiscal dans des places offshore jusqu’à la fraude fiscale opérée au moyen de valises de billets qui vont se cacher dans des paradis fiscaux. Il est donc urgent de reprendre la main pour que la levée de l’impôt réponde à l’objectif de justice que nous nous sommes fixé.Cette reconquête, un grand nombre de pays ont commencé à l’engager : je pense notamment à l’initiative lancée par l’OCDE sur l’érosion des bases fiscales, dite BEPS, ainsi qu’à celle lancée en Europe contre la fraude fiscale. Les dirigeants politiques internationaux se disent désormais décidés à lutter efficacement contre la fraude et l’évasion fiscale. Dans cette bataille, la France joue un rôle moteur, mes chers collègues : c’est le Gouvernement et le Parlement français qui ont commencé à introduire dans la loi bancaire des dispositions issues de la loi FATCA, ont inscrit dans cette même loi bancaire le principe de la publication de données financières par pays et ont enfin proposé, dans le cadre de la loi de finances 2013, de réduire la déductibilité des intérêts d’emprunt de l’impôt sur les sociétés. Sur ce point, nous avons rattrapé notre retard, notamment sur l’Allemagne, qui avait instauré cette disposition dès 2008 pour « dissuader » les prêts qui ne servent que de courroie de transmission pour permettre la sortie de profits d’un pays à l’autre – je tiens cela de l’administration fiscale allemande, que nous avons rencontré à Berlin avec M. le rapporteur général, il y a quelques jours.Enfin, c’est le gouvernement français qui a remis la lutte contre la fraude fiscale et les paradis fiscaux à l’agenda européen, ce dont nous pouvons être très fiers.Aujourd’hui, l’objectif du présent projet de loi est de renforcer notre arsenal juridique, ce qui aura évidemment des incidences sur le plan économique. Plusieurs orateurs avant moi ont abordé les prix de transfert, cette pratique permettant de transférer du résultat d’un pays à l’autre, notamment pour les multinationales. Avec ce texte, nous avons l’occasion de franchir un pas supplémentaire dans la bonne direction. Naturellement, l’administration fiscale opère déjà un certain nombre de contrôles sur ces prix de transfert, mais il doit être possible d’aller un peu plus loin en demandant, comme le proposent des amendements que nous avons déposés, qu’une information exhaustive soit transmise à l’administration fiscale.
On peut aussi imaginer – ce sera peut-être pour un peu plus tard – la mise en oeuvre d’une comptabilité analytique qui serait de nature à faciliter la lecture de ces prix de transfert.
La reconquête que doit permettre cette loi est cruciale si nous voulons atteindre les objectifs que nous nous sommes assignés. Comme vous le savez, mes chers collègues, Pierre Mendès France disait que la démocratie est un état d’esprit. Pour ma part, je pense que la démocratie passe par la reconquête de notre souveraineté, une souveraineté nationale et européenne, mais aussi une souveraineté fiscale.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, en décidant de franchir une nouvelle étape dans le combat contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, la majorité a fait le choix de la cohérence. Les deux projets de loi à l’ordre du jour de nos débats ne traduisent pas en effet une intention isolée. Ils sont la déclinaison de deux ambitions fortes que nous portons pour la France : rétablir l’autorité de l’État et redresser les comptes de la Nation. Après une décennie de fiascos, ces objectifs sont tout aussi indispensables que titanesques.Tel est le cap fixé par le Président de la République, n’en déplaise à ceux qui s’obstinent à ne pas vouloir en trouver. Rétablir l’autorité de l’État, c’est considérer que nul ne peut s’affranchir impunément de la loi et du droit. Ce principe, nous l’avons illustré en matière de lutte contre la délinquance et la criminalité, en préférant l’action de fond à la gesticulation, en redonnant des moyens aux forces de l’ordre, et en proposant de nouveaux modes d’organisation de leur action, notamment avec la création des zones de sécurité prioritaires.Alors que ce travail de construction commence à porter ses fruits, nous ne pouvons être porteurs d’un message contradictoire devant nos concitoyens, en perpétuant le laxisme et la complaisance qui ont trop longtemps caractérisé l’action publique à l’égard des délinquants financiers et des contribuables qui se jouent des règles de notre fiscalité. Doter l’État d’un nouvel arsenal légal, permettant de mieux détecter et combattre ce type d’agissements frauduleux, alourdir les sanctions et le régime répressif à l’encontre de ceux qui se rendent coupables de tels actes, c’est avant tout une question de justice et d’équité vis-à-vis de tous les Français.Nous avons aussi entrepris de redresser les comptes publics de la Nation.
Non pour céder à un quelconque souci d’esthétisme comptable, pas davantage pour simplement répondre à une injonction bruxelloise. Mais les Français doivent savoir que l’état dégradé de nos finances publiques menaçait notre souveraineté et notre indépendance. Pour échapper au sort qui frappe certains de nos voisins, pour cesser de faire porter sur les épaules des générations futures le fardeau des erreurs du passé et de l’inaction, nous avons entrepris un effort sans précédent et mobilisé tous les leviers permettant de remettre notre pays à flot, en appelant principalement ceux de nos concitoyens qui pouvaient le plus à participer à cette exigence de redressement.Dans ce contexte, au-delà de la justification morale, il n’est plus financièrement imaginable de se désintéresser des quelque 60 à 80 milliards d’euros dissimulés chaque année au fisc. En contribuant au recul des phénomènes de fraudes fiscales, par la force dissuasive de la sanction et par le renforcement des moyens d’investigation, en introduisant de nouveaux mécanismes facilitant le recouvrement des créances publiques, les projets de loi que nous examinons aujourd’hui répondent donc à un impératif d’efficacité budgétaire, dont nous serions bien mal inspirés de nous passer. Sans présumer des retombées financières que le budget de l’État pourra véritablement en tirer, le fait que 5 000 contribuables français se soient déjà signalés spontanément aux autorités pour régulariser leur situation fiscale atteste des effets que nous pouvons espérer de l’application de ces textes.La lutte contre la fraude fiscale ne dépend cependant pas que de notre détermination. Lorsque le Président de la République a esquissé les lignes d’une plus grande exigence de coopération à l’échelle internationale et européenne sur la question de la fraude et de l’évasion fiscales, ceux qui y avaient toujours renoncé l’ont moquée. L’idée de cette collaboration renforcée a pourtant cheminé dans les esprits. Certes, le contexte y est pour beaucoup, aucun État ne pouvant plus aujourd’hui se priver d’un tel puits de ressource.Mais, dans le cadre de ce combat, l’initiative, l’impulsion de la France sous la houlette du chef de l’État ont très largement contribué à inscrire ces thématiques à l’ordre du jour du dernier Conseil européen et du G8.Tout comme les textes que nous examinons aujourd’hui, il s’agit d’un pas important sur le chemin de la lutte contre cette forme d’égoïsme ruineux pour notre société que constitue la fraude fiscale
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, la lutte contre la fraude fiscale est un sujet par essence fédérateur, qui mobilise la commission des finances depuis maintenant plusieurs années. Il est vrai que la situation des finances publiques, notamment depuis la crise financière de 2008 et la crise des dettes souveraines, nous impose d’accroître l’efficacité de la collecte de l’impôt. Dans ce contexte, c’est vers la collecte de l’argent caché, de l’argent volontairement soustrait à l’État de façon illégale, que nous nous tournons aujourd’hui.Je n’ignore pas que l’urgence de ce projet de loi est liée à ce que M. Yann Galut a pudiquement nommé tout à l’heure « un événement récent », par allusion, j’imagine, à cette affaire qui a ébranlé gravement la crédibilité du Gouvernement et même du Président de la République.De fait, madame la garde des sceaux, on comprend mieux votre précipitation lorsqu’on songe que c’est le ministre du budget lui-même, chargé par le Premier ministre de porter la parole de la morale financière, qui, il y a quelques mois, s’est retrouvé dans le rôle du fraudeur. Et pas de n’importe quel fraudeur, puisqu’il n’est pas question ici d’une erreur malheureuse dans la comptabilité d’une entreprise, donnant lieu à un redressement, ce qui peut concerner nombre d’acteurs économiques : il s’agit de capitaux placés secrètement en Suisse puis transférés à Singapour pour masquer leur origine ou leur existence même. Surtout, un membre du Gouvernement est concerné.Reconnaissez-le humblement : étant empêtrés dans l’affaire Cahuzac, vous avez conçu ce projet de loi, avant toute chose, comme une réponse au problème politique qu’elle soulève.Madame la ministre, monsieur le ministre, vous savez ce qu’est un tabou : quelque chose qui ne veut pas dire son nom mais qui occupe tous les esprits. Lorsqu’on agit sous l’empire d’un tabou, on fait tellement attention à ne jamais prononcer son nom que l’on en devient obsédé, et que l’on perd le vrai sens du débat, puis le sens des réalités.
Mon propos est très nuancé et très sobre au regard de la réalité de la situation. Mieux vaut dire les choses telles qu’elles sont.L’affaire Cahuzac a déjà conduit à la rédaction de deux projets de loi dans la précipitation. C’est une méthode de communication gouvernementale comme une autre, je le reconnais, mais je veux tout de même vous mettre en garde contre les dangers de la réflexion de court terme et sa contre-productivité, tant sur le plan de l’efficacité que sur celui des effets rétroactifs très négatifs qu’elle peut susciter.Ne croyez pas que je me borne à pointer un doigt accusateur. Je sais à quelles difficultés vous êtes confrontés. L’ironie du sort fait que nous débattons de ce sujet entre les deux tours de l’élection législative partielle dans la circonscription de l’ancien ministre du budget : le réel ne cesse jamais de s’imposer à l’empire du tabou !Écoutant tout à l’heure le discours indigné et moralisateur de la rapporteure pour avis, je ne pouvais m’empêcher de penser que ses imprécations – je le regrette pour vous, chère collègue – perdaient largement de leur crédibilité par le fait que Jérôme Cahuzac, animé par la même ferveur, avec le talent qu’on lui connaît par ailleurs, avait prononcé les mêmes mots dans ce même hémicycle et dans la salle de la commission des finances.On est en droit de se dire que les procédures actuelles sont insuffisantes, puisqu’une personne aussi illustre que le ministre du budget peut dissimuler une fraude de cette importance, y compris au Président de la République, au Premier ministre et à l’administration fiscale tout entière pendant plusieurs années – bien que je nourrisse de sérieux doutes à ce sujet.
Alors, oui, il faut légiférer, il faut agir, mais je devrais dire qu’il faut continuer à agir et à légiférer, tant nous nous sommes nous-mêmes mobilisés sur ce sujet avant mai 2012.Mettons de côté vos problèmes de crédibilité politique et concentrons-nous sur le sujet qui doit nous animer : prévenir la fraude fiscale et, surtout, rapatrier dans les caisses publiques les sommes détournées.Pour cela, et pour répondre aux accusations des médias et des Français, vous faites l’erreur de redoubler de leçons de morale, aussi paradoxal que cela puisse paraître, et vous jouez la carte de la répression tous azimuts.Au lieu de faire preuve de pragmatisme, en instituant également des dispositifs incitatifs, vous préférez manier le bâton et brandir l’arsenal du tout répressif. Vous répétez en boucle : « Pas d’amnistie, pas d’amnistie ! » Mais d’amnistie, il n’a jamais été question, pas plus pour l’avenir que par le fait du Gouvernement précédent, comme vous voulez le faire croire.
Et la proposition de loi de Mme Boyer ?
Vous savez très bien que c’est faux, monsieur le rapporteur. Vous mélangez tout. La cellule fiscale mise en place en 2009 par Bercy, à notre initiative, n’a jamais eu pour fonction d’absoudre les exilés fiscaux comme vous voulez le faire croire. Cette cellule permettait, dans un esprit pragmatique, à l’instar de tous les dispositifs mis en place par nos voisins européens, de procéder, à l’égard des contribuables se déclarant,…
…à des remises de pénalités – des remises, pas des suppressions ! – et à un plafonnement des intérêts de retard.
Ce n’est pas malin de dire cela !
Veuillez écouter calmement, monsieur le ministre, je vous en prie : vous êtes devant la représentation nationale et devez accepter la critique.
Mais la mauvaise foi, c’est plus difficile.
Comme l’a rappelé notre collègue Girardin, c’est une pratique largement éprouvée chez nos voisins allemands : nous avons pu le constater il y a deux semaines en rencontrant la commission des finances du Bundestag et les services du ministère allemand des finances.Chez nous, grâce à ce dispositif, l’État avait récupéré 1,2 milliard d’euros à travers le recouvrement d’impôts, de pénalités et d’intérêts de retard, et 7,3 milliards d’euros avaient été rapatriés dans notre pays.Cette cellule présentait également l’avantage d’unifier le traitement de tous les contribuables qui souhaitaient régulariser leur situation, alors qu’auparavant il appartenait à chaque centre des impôts de faire preuve ou non de magnanimité.
Il est d’autant plus regrettable de fermer la porte à de tels dispositifs que les menaces sur le secret bancaire incitent justement les Français à se mettre en règle. Avec un peu plus de pragmatisme, l’État pourrait récupérer rapidement plusieurs milliards de capitaux.
La réalité, que vous feignez d’ignorer, est complexe, et la précipitation, pas plus que les formules incantatoires, ne peuvent servir de méthode.La grande majorité des contribuables concernés – 85 % d’entre eux, comme l’a rappelé notre collègue Gilles Carrez –, ne sont pas de purs fraudeurs. Souvent, ils détiennent des comptes à l’étranger, parce qu’ils ont vécu à l’étranger ou parce que ces comptes leur ont été transmis de manière passive par héritage. Si nous ne les incitons pas à se déclarer ou si nous ne recourons qu’à la menace, nous n’atteindrons pas nos objectifs.Par ailleurs, il existe, reconnaissez-le, un risque de glissement de la dénonciation vers l’esprit de délation, ce qui entamerait la confiance pourtant indispensable entre les banques et les services de Bercy. La réflexion à ce sujet n’a pas été menée à son terme.Vous aggravez l’échelle des peines d’emprisonnement, ce qui est un bel exemple de formule incantatoire. En effet, vous le savez bien, le nombre des peines d’emprisonnement ferme pour fraude fiscale est extrêmement faible : comme l’a rappelé M. Étienne Blanc, un seul citoyen est emprisonné aujourd’hui pour ce motif.Avec la création d’un parquet financier, vous complexifiez encore plus l’architecture judiciaire. Vous favorisez la segmentation des compétences là où l’appréhension des phénomènes de fraude fiscale et de corruption nécessiterait une approche globale et une meilleure coordination des services.Obnubilés par votre volonté répressive et par le désir de communiquer sur le sujet, vous passez totalement à côté d’une question essentielle : celle du renforcement de l’effectivité du contrôle fiscal grâce à des équipes plus nombreuses et à une approche totalement différente, fondée non pas sur le contrôle et la suspicion mais sur l’audit.En conclusion, madame la ministre, monsieur le ministre, votre projet de loi n’est pas à la hauteur des enjeux et n’aura aucune efficacité. Le pire, je le crains, est qu’il soit potentiellement contre-productif
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.
Madame la présidente, madame et monsieur les ministres, madame et monsieur les rapporteurs, chers collègues, le projet de loi dont nous débattons a pour objet de lutter contre la délinquance économique et financière et la fraude fiscale.Il s’assigne trois objectifs : simplifier et rationaliser, centraliser, et par ce biais, nous l’espérons, dissuader et réprimer plus efficacement.Tandis que le projet de loi organique relatif au procureur de la République financier créé un parquet financier à compétence nationale, le projet de loi objet de notre examen détermine ses compétences. Une compétence d’attribution lui est reconnue en premier lieu pour les atteintes à la probité, la corruption, les conflits d’intérêts, le détournement de fonds publics, le favoritisme et autres actions de même nature et les infractions de corruption d’agent public étranger. Cette compétence concerne également les délits de fraude fiscale complexe et de fraude fiscale commise en bande organisée. Elle s’étend enfin au blanchiment de l’ensemble de ces infractions. Le procureur de la République financier exercera également une compétence exclusive en matière de délits boursiers.La création de ce nouveau parquet ayant suscité des interrogations, il convient de la mettre en perspective avec la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.La nomination du procureur de la République financier sera en effet soumise à l’avis conforme de ce dernier, comme c’est le cas pour les magistrats du siège.Il convient également de faire état des progrès en cours concernant la carrière des magistrats du parquet vis-à-vis d’un exécutif qui, dans le passé, les a sollicités à propos d’affaires mêlant intérêts politiques et économiques.Par ailleurs, le projet de loi supprime les pôles économiques et financiers créés par la loi de 1975 dans les tribunaux de grande instance, et dont le mode de fonctionnement est assez inégal du fait de la disparité des réalités économiques et financières sur le territoire.Ils seront remplacés par les juridictions interrégionales spécialisées en matière économique et financière, composées essentiellement de magistrats spécialisés dans la criminalité organisée et compétentes pour les procédures d’une grande complexité. Le procureur financier à compétence nationale connaîtra, quant à lui, des procédures d’une très grande complexité.L’honnêteté conduit à reconnaître que des interrogations pourraient surgir dans la pratique quant à la répartition des compétences entre les juridictions de droit commun, les juridictions spécialisées et le procureur financier. Bien qu’il soit difficile d’appliquer des critères objectifs, l’expérience et des règles de fonctionnement claires devraient permettre de prévenir le plus de difficultés possible.Par ailleurs, la réforme modifie certaines dispositions pénales en matière fiscale et qualifie de circonstance aggravante de la fraude fiscale, le fait de la commettre en bande organisée : la fraude fiscale aggravée est désormais passible de sept années d’emprisonnement et d’une amende pénale de 2 millions d’euros. Il est à noter également que l’utilisation de techniques spéciales d’enquête sera autorisée. L’ensemble de ces dispositions contribuera à faire évoluer le système actuel en garantissant la qualité de son fonctionnement.J’en viens maintenant à la question de la lutte intergouvernementale contre la fraude et le dumping fiscaux. Les ambitions exprimées en la matière doivent être concrétisées aux plans européen et international.Lors de son audition en commission, le ministre chargé du budget a rappelé plusieurs initiatives prises ou soutenues par le Gouvernement.Je citerai également l’initiative de l’OCDE visant à établir un programme de travail sur la lutte contre la planification fiscale agressive des entreprises. Il ne s’agit ni plus ni moins que de lutter contre les montages complexes, mais légaux, qui permettent aux multinationales d’échapper totalement ou partiellement à l’impôt en localisant leurs profits là où le fisc est le plus clément. Nombre de multinationales ne paient effectivement que 4 à 5 % d’impôt sur les bénéfices, alors que le taux moyen dans les pays de l’OCDE est compris entre 23 et 24 % et que la TVA a augmenté, au cours des dernières années, dans 25 des 33 pays de l’OCDE.Par ailleurs, le Gouvernement a demandé la mise en place d’une véritable politique européenne de lutte contre les paradis fiscaux et pour la transparence.En conclusion, permettez-moi de vous faire part d’une double proposition, à la suite de l’intervention de Valérie Rabault, qui a réfléchi aux perspectives qui s’offrent à nous.Dans la cadre de la réflexion engagée en matière de lutte contre l’évitement de l’impôt, il convient de porter une attention particulière à la proposition – que, personnellement, je soutiens – de l’économiste Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, qui a suggéré le 27 mai dernier que les États concluent un accord international sur l’imposition des bénéfices des sociétés.Par ailleurs, la Chambre des communes, dans un récent rapport sur les grands cabinets d’audit, a constaté des pratiques qui ne relèvent pas seulement de la planification fiscale acceptable, mais qui flirtent avec l’illégalité. Aussi propose-t-elle un code de bonne conduite, dont l’application conduira à s’interroger sur d’éventuelles mesures contraignantes.Notre assemblée doit, elle aussi, se pencher sur ce phénomène car, si la répression est nécessaire, la dissuasion est indispensable. Il nous faut donc poursuivre notre action
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’on dit qu’en France échapper à l’impôt est un sport national. C’est faux, car c’est devenu un sport international. La compétition est féroce : des coupes d’Europe se déroulent le plus souvent en Irlande, en Autriche, au Luxembourg, et un grand prix spécial se déroule du côté des îles Caïmans et des Bermudes.Deux logiques s’opposent très clairement. L’État, représenté par le pouvoir politique issu d’une souveraineté qui s’exprime au niveau national, procède à la collecte régalienne de l’impôt auprès d’individus et d’entreprises qui lui sont rattachés par l’application des critères de la nationalité ou de la territorialité, dans un contexte profondément mondialisé, où les marchandises mais aussi les flux financiers, les capitaux et les opérations comptables se défient des frontières.Or la reprise en main du politique, après des années néfastes d’un laisser-aller aveugle à l’échelle de la planète, était nécessaire. Dans le combat contre la fraude fiscale, la France n’est pas seule, vous le savez : elle inscrit son engagement dans un mouvement initié au niveau international qui semble trouver, enfin, une impulsion particulièrement dynamique en ce moment.Le projet de loi soumis à notre examen concerne la fraude fiscale des particuliers, mais traite aussi, plus incidemment, de certaines pratiques des entreprises. C’est sur ce dernier point que j’aimerais insister, car le débat parlementaire permettra, je l’espère, de poser les premiers jalons d’un travail qui s’amorce.Après la crise de 2008 et la recherche de marges budgétaires obligeant l’État à fournir un effort de redressement des comptes publics sans précédent, les écarts ne peuvent plus être tolérés. Comment l’opinion publique pourrait-elle accepter d’être sollicitée par le biais d’augmentations d’impôt si elle a l’impression que l’effort n’est pas partagé et que les plus riches sont préservés ? Cela paraîtrait injuste et contre-productif eu égard aux efforts demandés. Au demeurant, il s’agit bien d’une question de réappropriation et de réaffirmation de la souveraineté fiscale.En outre, les groupes concernés tirent souvent des marges commerciales très importantes des pratiques d’optimisation fiscale, ce qui participe d’un manque à gagner crucial pour les ressources publiques. Il suffit à ce titre de rappeler que les entreprises du CAC40 sont imposées en moyenne à 8 % au titre de l’impôt sur les sociétés, alors que les PME le sont en moyenne à 22 % car elles ne bénéficient pas des compétences des grands groupes en matière d’optimisation fiscale. Les dérogations fiscales utilisées par les sociétés privent l’État français de quelque 66 milliards d’euros de recettes annuelles.Enfin, le coût est social. On le dit moins, mais ces pratiques sont utilisées alors que les mêmes groupes emploient parfois relativement peu de salariés et qu’ils le font dans des conditions souvent précaires et très soumises aux aléas conjoncturels de la situation économique.Le travail qui a été engagé suppose, pour être mené à bien, de parvenir à tracer une ligne de frontière entre optimisation et fraude fiscale. Denis Healey, ancien chancelier de l’Échiquier, c’est-à-dire ex-ministre des finances britannique, estimait déjà dans les années soixante-dix que la frontière entre la légalité de l’optimisation et l’illégalité de la fraude avait « l’épaisseur d’un mur de prison ». Si un tel mur peut être plus ou moins épais selon la prison dans laquelle on se trouve, il reste que les dirigeants des entreprises Google, Amazon et Starbucks ont passé quelques moments un peu désagréables devant la commission parlementaire des comptes publics présidée par l’énergique députée travailliste Margareth Hodge lorsque cette dernière a décidé de faire primer la « morale fiscale » – ce sont ses termes – sur les calculs d’optimisation des bénéfices.On peut comme elle s’étonner que le groupe Starbucks n’ait connu qu’une seule année d’exercice bénéficiaire – l’année 2006 – alors que les cafés de cette chaîne sont implantés partout dans le monde.Les méthodes de détournement du paiement de l’impôt sont ainsi souvent ingénieuses : transférer des royalties au siège d’un groupe plutôt que dans le pays de domiciliation de la filiale pour rémunérer l’utilisation d’une marque ou utiliser le design des magasins, rétribuer des méthodes de production standardisées au niveau du groupe, payer les revenus vers une juridiction nationale plus favorable, ou encore localiser officiellement les services commerciaux et les relations avec la clientèle dans certains pays alors que les équipes réelles se trouvent à quelques kilomètres du centre des impôts. L’optimisation utilise les failles, oublis et imprécisions des textes de loi.Comment contrer ces pratiques ? Deux solutions peuvent être envisagées : le dumping fiscal, qui entraîne à terme l’érosion des marges au détriment de la redistribution et du partage équitable des richesses ; la réponse politique responsable, collective, fondée sur les atouts véritables des économies de chacun des pays dans la compétition internationale, qui consiste à déjouer ces comportements en localisant la réalité des activités par l’utilisation d’une comptabilité transparente pays par pays.En France, le Gouvernement s’emploie à poursuivre les mêmes objectifs que ceux qui sont annoncés au niveau international au sein du G8, du G20 et de l’OCDE avec la collaboration des députés, puisqu’une partie de ces questions pourra être traitée par le biais des amendements déposés par des collègues ; je pense en particulier à ceux de Karine Berger, Valérie Rabault et Sandrine Mazetier.L’obligation de transmission systématique, y compris hors contrôle fiscal, de la documentation relative à la politique des prix de transfert pourra être élargie et complétée.J’espère que nous pourrons nous féliciter des avancées présentes dans ce texte, qui devrait recueillir un large consensus dans cet hémicycle. Il s’agit de faire un premier geste important, de poser une première pierre à l’édifice de lutte contre l’optimisation fiscale des grands groupes. On sait que les initiatives nationales et isolées auraient un impact sans doute limité, voire contreproductif. Il ne s’agit en aucun cas de s’attaquer à la solidité de nos entreprises nationales, mais plutôt de s’inscrire dans un mouvement plus global auquel la France travaille activement.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, le principe d’égalité devant l’impôt est un élément fondateur de notre pacte républicain. Il découle de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Celui-ci dispose que « [La contribution commune] doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » Le principe d’égalité fiscale répond au devoir de solidarité. À ce titre, l’impôt est non pas une charge mais une contribution solidaire dont le sens est d’assurer la participation de chacun, en fonction de ses moyens, à la solidarité de notre pays.La fraude fiscale atteint entre 60 et 80 milliards d’euros par an. Elle apparaît ainsi comme un délit majeur qui bafoue les principes républicains de solidarité. C’est contre cela que cette loi s’élève. Chaque année, un volume d’argent considérable échappe à l’État, c’est-à-dire à tous les Français.Avec ce texte, conformément aux orientations du Président de la République, qui en a fait une priorité, nous allons renforcer l’efficacité de la lutte contre la corruption et la fraude fiscale et, plus généralement, contre la grande délinquance économique.Ainsi, nous marquons une plus grande sévérité et une plus grande détermination en renforçant l’efficacité des outils de lutte contre l’évasion fiscale. Nous créons un délit de fraude fiscale en bande organisée. Cela va permettre l’utilisation de moyens d’investigation extrêmement puissants comme les infiltrations, les écoutes, les filatures ou les gardes à vue prolongées. Le texte permet une autre avancée : face au secret bancaire et à l’opacité des paradis fiscaux, nous permettons à nos services d’enquête et à la justice de recueillir des informations en exploitant des fichiers volés, comme c’est déjà le cas aux États-Unis et dans plusieurs pays européens.Force est de constater que, sur ces questions, les sentiments de l’opinion publique ne sont plus les mêmes. L’économie financiarisée ne tourne plus rond. À l’heure où des efforts sont demandés à tous, il n’est plus tolérable que certains cherchent à se dérober à leurs obligations citoyennes les plus élémentaires.Oui, l’époque appelle à plus de sévérité. Il ne peut y avoir, d’un côté, une délinquance tolérable, une délinquance en col blanc qui serait acceptable ou qui pourrait être élevée au rang de sport national et, de l’autre, une délinquance plus noire, celle des sans-grade, celle de ceux qui n’ont rien et envers qui il faudrait être implacable.Forcément, il s’agit d’un premier pas. J’estime que ce nouveau cadre doit lancer un mouvement fort dans toute l’Europe pour changer le système. Aujourd’hui, il convient d’engager une action vers plus de transparence, vers un arsenal juridique et des moyens permettant une meilleure lutte contre la fraude fiscale. Cette bataille sera difficile, longue et nécessitera une mobilisation forte face à ceux qui ont tout et qui veulent toujours plus.Cette loi s’inscrit également dans un cadre plus global. Elle vient compléter la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, qui a ouvert la voie pour les particuliers et les entreprises en renforçant le contrôle des établissements bancaires afin qu’ils ne dissimulent plus leurs activités dans les paradis fiscaux.Notre Gouvernement s’est engagé dans une oeuvre ambitieuse de redressement des comptes publics. Cette politique ne peut être comprise et acceptée que dans un esprit de justice où chacun est appelé à payer sa juste part.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à Mme Claudine Schmid, dernière oratrice inscrite dans la discussion générale.
Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, chers collègues, la fraude et l’évasion fiscales ne sont pas des exceptions françaises. La lutte qui est menée contre elle est récurrente ; tous les Gouvernements se sont engagés à les combattre.À l’occasion d’affaires qui défrayent la chronique, de nouvelles mesures sont proposées, discutées et votées. Je doute cependant que par ce projet de loi vous résorbiez la fraude et l’évasion.En ce qui concerne tout d’abord la fraude fiscale, ce projet ne prévoit aucune mesure concrète et spécifique pour mettre fin à la fraude à la TVA, qui est la plus importante puisqu’elle serait évaluée – je parle sous votre contrôle, monsieur le ministre – à environ 30 milliards d’euros par an. Quelle mesure prenez-vous pour y remédier ?Quant à l’évasion fiscale, il faudrait, pour être efficace, prendre des mesures dont l’objectif serait de ne pas encourager les contribuables à la pratiquer. Les sanctions pénales ne devraient être étudiées que dans un second temps. En effet, si elles étaient vraiment efficaces, la récidive, même en droit commun, n’existerait pas.La mesure la plus efficace est la baisse des impôts. Or, je doute que les mesures prises par les Gouvernements successifs – fin du bouclier fiscal, modification des droits de donation, taxes sur les hauts revenus, contribution exceptionnelle sur la fortune et j’en passe – contribuent à faire diminuer l’évasion fiscale. Une politique fiscale compétitive est la mesure la plus idoine pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscales.Ce projet de loi, telle une guillotine, sera le coup de grâce. Certains de ceux contre lesquels vous voulez lutter auront toutefois un moyen d’échapper au couperet : partir pour s’installer hors de France.
Murmures sur les bancs du groupe SRC.
Les présumés coupables quitteront la France avec leur savoir, leur capital et, surtout, leur envie d’entreprendre. Ils créeront des emplois et paieront leurs impôts ailleurs. Nous aurons tout perdu. Nos voisins en bénéficieront – ils ont d’ailleurs déjà commencé à le faire.Un autre point m’interpelle dans ce projet de loi : il n’y est pas question du règlement du passé ; or l’avenir ne peut pas se construire sans que nous l’abordions. Il est temps que nous le fassions. De nombreuses personnes, que vous qualifiez de « fraudeurs », ne sont que les héritiers de notre histoire.
« Oh ! » sur les bancs du groupe SRC.
Ce sont ceux que vous appelez, monsieur le ministre, les fraudeurs passifs.Vous conseillez aux fraudeurs de prendre contact avec l’administration fiscale. Alors pourquoi ne pas rouvrir officiellement une cellule de régularisation, pour un temps déterminé, à des conditions acceptables pour tous ? Ce serait une procédure simple, rapide et sans frais pour percevoir des ressources bienvenues et, pourquoi pas, retrouver la confiance de nos compatriotes.Je m’étonne aussi que ce texte ne reflète pas une vision de politique étrangère, d’autant plus que, la réunion du G8 qui vient de se tenir l’a confirmé, la France n’est pas la seule à connaître ce phénomène qui vient de loin, Mme la garde des sceaux l’a rappelé.
La loi doit être accompagnée de négociations avec d’autres États. Il y va de l’intérêt de la France et il convient de ne pas faire peser la suspicion sur nos voisins, qui ne sont pas responsables de tous nos maux. Je parle ici du projet de loi, tel qu’il est rédigé, puisqu’il semble que la France serait, dans le cadre du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, en train de négocier un arrangement discret pour contourner le processus législatif habituel.Pour terminer, je constate que le texte qualifie la fraude fiscale de délit en bande organisée. Je m’étonne de cette pénalisation mais, puisque vous en avez décidé ainsi, je suis impatiente d’entendre votre avis sur la prescription ; nous y viendrons lors de la discussion de l’article 3.Vous comprendrez donc que si je peux être en accord avec le titre du projet de loi, je ne le suis pas avec le contenu tel qu’il est présenté.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
La discussion générale est close.La parole est à M. le ministre délégué.
Mesdames et messieurs les députés, je voudrais vous remercier pour votre contribution à ce débat très utile. Ma gratitude va en particulier aux rapporteurs, Mme Mazetier et M. Galut, pour le travail qu’ils ont réalisé. Leurs interventions témoignent de leur investissement sur ces textes. Les amendements qu’ils présenteront sur les points qu’ils viennent d’évoquer permettront d’améliorer les projets de loi. Je veux aussi remercier très chaleureusement M. le rapporteur général du budget
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
, qui a appelé notre attention sur des questions extrêmement sensibles.
Elles sont importantes : comment s’opèrent les transactions – si transaction il y a – au sein de l’administration de Bercy ? Quelles sont les conditions dans lesquelles la mise en conformité au droit des fraudeurs peut s’opérer ? Comment peut-on garantir la transparence de ces relations ? Comment le Gouvernement entend-il procéder pour que le Parlement dispose de toutes les informations auxquelles il doit avoir accès ?Je veux saluer une nouvelle fois les porte-parole des autres groupes, M. Alauzet, Mme Girardin et M. Sansu, qui ont apporté des éclairages utiles. Ils ont insisté sur la nécessité de poursuivre l’action à l’international et au sein de l’Europe. Ils ont également souligné la nécessité d’une plus grande transparence sur les conditions dans lesquelles les entreprises peuvent procéder à l’optimisation de leur fiscalité, tant la frontière est parfois ténue entre optimisation et fraude fiscale. Cela appelle des moyens supplémentaires pour lutter efficacement contre cette dernière.Les interventions des orateurs de l’opposition étaient très contrastées. Certains sont attachés à la dimension technique du texte et souhaitent sincèrement le faire progresser. Je les remercie. D’autres, plus polémiques, ont fait la preuve que dans l’opposition, même sur des matières sur lesquelles il ne serait pas absurde que nous cheminions ensemble, la volonté de casser le texte, peut-être avant même de l’avoir lu, l’a emporté sur tout autre type de considération.Je voudrais maintenant entrer dans le détail des choses, en évoquant quatre grandes idées, développées par les orateurs des différents groupes.Pour ce qui concerne l’action que nous conduisons à l’international, je le redis, les choses ont considérablement évolué au cours des derniers mois, particulièrement des dernières semaines. L’action de la France n’est pas étrangère à cette évolution très forte des esprits au sein de l’Union européenne. Ce qui s’est passé au G8 ces derniers jours a montré à quel point la parole portée par la France était entendue de nos partenaires du G8 et de nos partenaires européens. Si nous progressons dans l’échange automatique d’informations, ce n’est pas seulement parce que les États-Unis ont fait peser avec le dispositif FATCA une pression jusqu’alors inédite sur les pays, c’est aussi parce que la France a souhaité que, sur les plans européen et international, les conventions d’échange automatique d’informations, harmonisées, deviennent la règle, garantissant ainsi pour chaque pays la possibilité d’être informé des avoirs détenus à l’étranger par ses ressortissants.Nous devons bien entendu formaliser tout cela au sein de l’Union européenne d’ici l’automne. Si nous parvenons à conclure ces conventions – beaucoup d’entre vous nous ont incités à ne pas lâcher prise –, nous pourrons alors mandater l’Union européenne pour qu’elle signe ces conventions avec les pays tiers. Nous disposerons alors d’un maillage étendu, qui nous permettra d’agir plus efficacement contre la fraude et la grande délinquance financière.Dans le même esprit, nous ferons en sorte que des listes d’États et de territoires non coopératifs soient élaborées au niveau européen. La liste que nous publierons en France ne sera rien d’autre qu’un moyen d’atteindre notre objectif, une liste européenne, car c’est à ce niveau que nous pouvons agir de la manière la plus pertinente et la plus efficace.Le deuxième sujet sur lequel des orateurs, parmi lesquels M. Nicolas Dupont-Aignan, sont intervenus est ce que l’on appelle le monopole, ou le verrou, de Bercy. J’ai trouvé dans votre argumentation, monsieur Dupont-Aignan, une forme de paradoxe que je veux soulever, non pas pour le plaisir du débat, mais pour que nous progressions ensemble vers plus d’efficacité, l’objectif que nous nous sommes fixé avec Mme la garde des sceaux.Votre argumentation consiste à dire que le même nombre de dossiers, un millier environ, sont transmis chaque année à la commission des infractions fiscales sans que, pour autant, une peine d’emprisonnement soit jamais prononcée. C’est tout de même paradoxal : outre qu’elle applique, sous forme de pénalités et d’amendes, des sanctions qui ont valeur de peine au sens pénal à plusieurs milliers de contribuables, l’administration fiscale propose que l’on poursuive devant les tribunaux près de 1 000 contribuables tous les ans. Ces dossiers sont transmis à la commission des infractions pénales pour qu’elle les transmette à la justice. Cette dernière fait son travail – excellemment d’ailleurs – dans des conditions difficiles parce qu’elle ne dispose pas, à ce jour, de moyens suffisants. Il se trouve que les peines prononcées ne sont pas à la hauteur de ce que vous souhaitez. Que vous imputiez cela non pas au manque de moyens dont dispose la justice mais à l’administration fiscale est quelque peu singulier.Les services de Bercy travaillent avec une absolue rigueur pour que la justice puisse poursuivre. La garde des sceaux a très bien expliqué quels étaient les moyens que nous allions mobiliser dans le cadre de ce projet de loi afin que la justice soit en situation de faire son travail. Pourquoi faudrait-il que l’administration fiscale justifie l’absence de poursuites, alors que l’on a obéré la justice ?Nous agissons aujourd’hui avec sévérité. Lorsque nous appliquons des pénalités, qui ont valeur pénale, elles sont lourdes. Je souhaite rappeler que la peine la plus élevée que nous ayons imposée à un contribuable indélicat était de 68 millions d’euros. Seuls 10 % des dossiers que nous transmettons à la commission des infractions fiscales ne sont pas transmis à la justice. Dans les autres cas, la justice poursuit dans des conditions d’indépendance absolue, indépendance à laquelle la garde des sceaux et moi-même tenons particulièrement.Comme l’a dit Christiane Taubira, nous souhaitons augmenter les moyens de la justice pour qu’elle puisse agir. Nous ne sommes pas dans une opposition justice contre administration fiscale. La question n’est pas celle du verrou de Bercy. Il n’y a pas de verrou à Bercy.
À Bercy, les portes et les fenêtres sont grand ouvertes. D’ailleurs, je veux encore renforcer cette transparence. Je souhaite rendre compte chaque année devant le Parlement de la manière dont l’administration fiscale travaille.
Cela ne s’est jamais produit au cours des dernières années ; je ne le dis pas pour vous incriminer, je ne veux pas que ce débat alimente de mauvaises polémiques mais qu’il fasse progresser la lutte contre la fraude fiscale. J’ai l’intention de rendre compte annuellement des conditions dans lesquelles l’administration fiscale travaille, le nombre de dossiers qu’elle traite, le nombre de dossiers qu’elle redresse, les peines qu’elle applique, les conditions dans lesquelles elle les applique, la manière dont les transactions s’opèrent.Je ferai ainsi taire cette idée – reprise par un parlementaire de l’opposition –, selon laquelle les puissants pourraient venir devant l’administration négocier leurs impôts. C’est le contraire de notre conception de l’égalité des Français devant l’impôt. La République, ce n’est pas cela ! On ne peut, lorsque l’on est puissant, négocier ses impôts comme on l’entend. Non, la République est un système dans lequel l’égalité des Français face à l’impôt et à la charge publique est garantie ! En tant que ministre du budget, je suis fier de la manière dont travaille mon administration, je suis conscient du haut niveau de technicité et de compétence des fonctionnaires de Bercy et, plus encore, convaincu de leur très haut niveau d’intégrité. Je n’accepte pas qu’un député, investi d’une légitimité démocratique, laisse entendre devant la représentation nationale que les contribuables peuvent traiter avec mes services à leur guise.
Cela n’a rien à voir avec le monopole, monsieur Dupont-Aignan ! Vous tenez un raisonnement absurde ! Bercy est une administration qui applique, lorsque des fraudes sont constatées, et dans un laps de temps très court, des peines massives !
Elle le fait dans des conditions de transparence absolue. C’est précisément la raison pour laquelle j’entends rendre compte annuellement devant votre assemblée de la manière dont les fonctionnaires de Bercy, qui sont irréprochables…
…et professionnels, travaillent. Le troisième sujet dont je veux traiter est celui de la mise en conformité au droit des fraudeurs qui ont oublié d’acquitter leurs impôts. Il s’agit d’une question essentielle.
Si certains parlementaires ont tenu des propos mesurés, d’autres, comme M. Censi – dont je regrette l’absence – et M. Vigier, se sont montrés beaucoup plus polémiques…
…affirmant que la seule manière de régulariser était de le faire dans la transparence et que le Gouvernement précédent s’y était attaché.
Permettez-moi de vous dire que ce n’est pas tout à fait la réalité. Que s’est-il passé au cours des dernières années et qu’allons-nous faire ? Je veux être extrêmement précis et rigoureux, car les propos que je vais tenir seront inscrits au compte rendu et ils engagent le Gouvernement.La mise en conformité au droit de la situation des contribuables fraudeurs doit suivre des principes simples. D’abord, le droit commun : le Parlement vote des lois, qui définissent des pénalités applicables à ceux qui ont enfreint le droit fiscal ; le droit commun doit s’appliquer dès lors que des personnes qui ont fraudé de façon active ou passive veulent se mettre en conformité au droit. Ensuite, la transparence : ceux qui viennent devant l’administration fiscale pour se mettre en conformité au droit ne doivent pas le faire par le truchement de leur conseil, bénéficiant ainsi d’un anonymat injustifié, mais à visage découvert devant l’administration, du début de la procédure jusqu’à sa fin ; nous devons rendre les conditions dans lesquelles nous appliquerons les amendes et les pénalités qui résultent du droit commun publiques devant la représentation nationale et devant l’opinion, en rendant au Parlement un rapport annuel.
Ni anonymat ni opacité au Parlement !
Enfin, aucune amnistie. M. Censi est certainement oublieux des dispositions relatives à ces matières que ses collègues ont pu présenter. Des parlementaires de l’UMP, notamment Mme Valérie Boyer, ont ainsi déposé une proposition de loi visant à l’amnistie totale des fraudeurs …
…accompagnée d’un petit bonus, un avantage fiscal à hauteur de 5 % des sommes que ces mêmes fraudeurs, après avoir été amnistiés, investiraient dans des entreprises françaises !
C’est pourtant ce qui a été proposé par les amis de M. Censi, qui morigénait tout à l’heure les ministres que nous sommes pour ce que nous avons l’intention de faire, et qu’il ne connaît pas encore.Je vais vous dire ce que nous allons faire. Les fraudeurs qui souhaitent régulariser leur situation se rendront soit devant l’administration fiscale de leur territoire soit devant la direction nationale des vérifications de situations fiscales, à Bercy, qui fait depuis longtemps ce travail de mise en conformité des contribuables au droit. C’est le droit commun : la régularisation ou la mise en conformité au droit doit se faire auprès des services constitués à cet effet et non auprès de cellules ad hoc spécifiquement constituées pour accueillir des visiteurs VIP qui, depuis des années, ont oublié d’acquitter leurs impôts.Ensuite, je publierai ce soir une circulaire dans laquelle seront indiqués les barèmes à partir desquels s’opérera la mise en conformité au droit.
Les règles du droit commun sont les suivantes. Lorsque vous êtes attrapé par l’administration fiscale sans vous être présenté devant elle, vous vous voyez appliqué des pénalités, de 80 ou 40 % selon les conditions dans lesquelles vous avez procédé à la fraude dont vous êtes l’auteur. Il est normal que les barèmes s’appliquant à ceux qui viennent d’eux-mêmes devant l’administration soient moins sévères que ceux s’appliquant aux fraudeurs attrapés dans le cadre d’un contrôle.Le droit commun, je le rappelle, prévoit la possibilité pour l’administration de procéder à une modulation des amendes et peines applicables aux contribuables venant se régulariser d’eux-mêmes. Comme je ne veux pas que ce soit à la tête du client, que cela se passe dans des conditions opaques, je vais publier un barème. Pour les fraudeurs passifs s’appliquera un taux de 15 % de pénalités ; pour les fraudeurs actifs, un taux de 30 %. C’est donc une invitation à venir devant l’administration fiscale, car les taux sont de 40 % si les personnes sont attrapées. Ces contribuables acquitteront des amendes que, jusqu’à présent, ils n’acquittaient pas : de 1,5 % par an pour les fraudeurs passifs, de 3 % pour les fraudeurs actifs.Chaque année, le Parlement connaîtra précisément les conditions dans lesquelles ces barèmes ont été appliqués : combien de fraudeurs se sont présentés, quels barèmes leur ont été appliqués, quelles sommes ont été récupérées.
À tout moment, le président de la commission des finances et le rapporteur général pourront contrôler, sur pièce et sur place, les conditions dans lesquelles s’exercent ces procédures de mise en conformité au droit. Voilà ce que nous proposons. C’est d’une transparence complète, c’est l’application du droit commun, et c’est une possibilité pour le Parlement d’exercer ses pouvoirs de contrôle sur l’administration fiscale.
Que l’on me dise si c’est la même chose que ce qui a été pratiqué par le passé !
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Je ne me souviens pas que cela ait été la règle.Voilà ce que je souhaitais vous dire concernant quelques-uns des sujets sur lesquels vous nous avez interpellés. Le débat autour des amendements sera l’occasion, sur bien d’autres questions évoquées, d’apporter des précisions utiles.
Je tiens à remercier les deux rapporteurs, Yann Galut et Sandrine Mazetier, ainsi que les orateurs. Indépendamment du travail très consistant conduit en commission, les interventions ont été un plus : il n’y a pas eu de répétition des débats de commission qui ont abouti à l’adoption de dispositions nouvelles, mais des analyses qui permettent de rendre plus lisible encore l’effort que nous sommes en train d’accomplir avec ces deux projets de loi.En tant qu’ancienne parlementaire, je suis toujours très sensible à la qualité du travail parlementaire, et j’ai vraiment le sentiment que, depuis le début de l’après-midi, nous travaillons sur le fond, pour continuer à améliorer le texte et à alerter, car il ne s’agit pas seulement d’introduire des mesures législatives ou des prolongements réglementaires, il faut aussi voir comment nous allons nous-mêmes évaluer les effets et l’efficacité du dispositif que nous mettons en place. J’ai perçu tout cela dans vos interventions et je vous en remercie chaleureusement.Pour l’essentiel, les questions étaient adressées à Bernard Cazeneuve, qui vient d’y répondre de manière exhaustive. Je remercie les orateurs de l’opposition et je vais à mon tour répondre à un certain nombre d’interrogations et d’interpellations.Au Gouvernement aussi, nous avons eu le souci de travailler très sérieusement ce texte. En plus des séances techniques que nous tenons depuis plusieurs semaines avec nos administrations et cabinets – je rappelle qu’au niveau de la chancellerie nous sommes depuis plusieurs mois sur ce plan d’ensemble de lutte contre toutes les atteintes à la probité – ainsi que des réunions interministérielles, des réunions ont eu lieu entre Bernard Cazeneuve et moi, avec la solidité de notre amitié.J’avais en effet des interrogations et des exigences fortes, comme vous, et j’ai voulu vérifier jusque dans le détail le plus ténu la manière dont nous garantissons à la fois le respect de l’état de droit, le message clair que frauder est une faute inexcusable qui mérite des sanctions, et l’efficacité des dispositifs que nous mettons en place. Nos échanges ont été très profonds et très vifs, pour nous assurer que nous avions la même préoccupation politique, à savoir qu’à un moment si difficile pour nos concitoyens, ces fautes impardonnables ne bénéficieront d’aucune clémence, et que nous donnerons à l’État les moyens de réduire l’effort demandé aux Français. Il est impératif que les Français croient à leur institution judiciaire, c’est-à-dire qu’ils soient vraiment convaincus que toute infraction est sanctionnée. Nous sanctionnons ces infractions avec la sévérité qu’appelle le moment que nous vivons.Un certain nombre d’interpellations me conduisent à vous apporter des informations sur le fonctionnement de l’institution judiciaire et à répondre à plusieurs inquiétudes.La fraude fiscale, le blanchiment, la criminalité organisée sont des infractions dont la complexité, souvent, ne se révèle pas immédiatement mais en cours de procédure. Nous y avons pensé, et c’est pourquoi nous attribuons au parquet financier à compétence nationale une compétence d’attribution concurrente. Cela permet, lorsqu’une procédure a débuté dans une juridiction interrégionale spécialisée, qu’elle soit transférée en cours de route au procureur financier à compétence nationale. Le fait que la compétence soit concurrente évite la nullité des procédures commencées à la JIRS.Il s’agit là d’un problème permanent, auquel les JIRS sont déjà confrontées. Parfois, les pôles économiques et financiers traitent d’une procédure au cours de laquelle apparaissent des ramifications avec la criminalité organisée, et dont la complexité dépasse donc les moyens du pôle ; il y a alors transmission à la JIRS. Cela pourra toujours se faire.La juridiction de Paris pose la question particulière de l’existence de deux procureurs de la République, mais tous deux sont placés sous l’autorité hiérarchique du procureur général. Il appartiendra à ce dernier d’arbitrer, en cas de difficulté entre les deux à se mettre d’accord. Je suis persuadée que les procureurs feront l’effort de regarder les procédures de suffisamment près pour décider si c’est l’actuel procureur de Paris, qui couvre notamment le pôle économique et financier, ou le procureur financier à compétence nationale qui doit en hériter. Je fais le pari que, pour la bonne organisation de l’institution judiciaire, le bon fonctionnement du service public de la justice, et surtout l’efficacité de l’action judiciaire, ils sauront se répartir les procédures.En tout état de cause, il appartiendra au procureur général d’arbitrer. Pour ma part, en qualité de garde des sceaux, je leur adresserai une circulaire générale et impersonnelle – pas d’intrusion dans un dossier pénal – qui indiquera les critères à partir desquels la répartition peut se faire. Je le fais déjà dans un certain nombre de territoires. Vous savez qu’en Corse et à Marseille, notamment, nous avons créé des comités stratégiques régionaux, que je préside. Je réunis régulièrement les procureurs généraux de la Corse, d’Aix-en-Provence et de Paris. Ils ont d’eux-mêmes adopté des critères permettant de répartir les dossiers, pour que les procédures soient traitées dans la juridiction la plus capable de le faire avec diligence et efficacité.La situation n’est pas complètement inédite, nous ne serons pas dans l’inconnu. Entre la Corse, Aix-en-Provence et Paris, il y a déjà des compétences concurrentes : des procédures traitées au pôle économique et financier de Bastia peuvent ainsi être transférées à la JIRS de Marseille ou même monter à Paris. Nous savons le faire et nous prendrons toutes les dispositions pour qu’un tel fonctionnement soit possible.Les pôles économiques et financiers, créés par la loi de 1975, sont supprimés par ce projet de loi. Des mesures transitoires sont évidemment prévues pour que les procédures en cours puissent aller à leur terme. Par ailleurs, nous réorganisons les JIRS, qui hériteront des procédures de grande complexité et non plus seulement de très grande complexité.Monsieur Dupont-Aignan, vous avez fait état de témoignages de magistrats de pôles économiques et financiers. Il faudrait me dire lesquels. Les pôles économiques et financiers – c’est ce qui nous conduit à les supprimer – sont extrêmement disparates, car les tissus économiques, les contentieux le sont. Nous avons quelques pôles significatifs, comme celui de Nanterre, où sont localisés 85 000 sièges d’entreprises. Le pôle de Bastia était quant à lui tombé un peu en sommeil ; nous l’avons réactivé et renforcé depuis un an.Je vous informe que j’ai mis des effectifs en surnombre dans plusieurs pôles, dont ceux de Bastia et de Marseille, et que nous commençons à avoir des résultats significatifs, notamment sur les saisies d’avoir criminels, que j’annoncerai avec beaucoup de plaisir dans peu de temps. C’est le mérite des magistrats sur le terrain, des juges d’instruction, des procureurs, des greffiers.S’agissant de la question des effectifs, nous avons estimé les besoins, pour le parquet financier à compétence nationale, à une trentaine de magistrats pour le parquet, une dizaine de juges d’instruction, six juges du siège et trois conseillers pour la cour d’appel, en sachant que, l’appel étant le deuxième niveau d’instance, nous ne sommes pas dans l’urgence pour l’ouverture de ces derniers postes.S’agissant du reste, nous allons créer, dès le projet de loi de finances pour 2014, les trente postes de magistrats, en sachant que cette juridiction va monter en puissance. Parmi les procédures en cours, nous en avons identifié environ 260 dont une centaine à peu près devrait être transférée à ce parquet à compétence nationale. Grâce aux regroupements prévus dès la loi de finances pour 2014, nous devrions parvenir à équiper ce nouveau parquet.Nous avons un réel problème concernant les effectifs des magistrats. Malgré les efforts consentis par le Gouvernement pour les créations de postes – nous disposons d’une vraie capacité de création de postes et j’en ai déjà créé –, nous rencontrons deux problèmes.Premièrement celui du temps de la formation, même s’il est vérifié que nous pouvons déplacer des magistrats – j’ai fait le choix du surnombre sur un certain nombre de contentieux et de juridictions pour résoudre des situations complexes et être plus efficaces. J’ai d’ailleurs interrogé Manuel Valls au sujet de ce problème du recrutement, qui se pose également pour la police et la gendarmerie. Chez elles, le délai de formation est moins long puisque, de la décision de recruter par le ministère de l’intérieur au recrutement effectif, il s’écoule une douzaine de mois. La formation des magistrats dure quant à elle trente et un mois. Nous avons des promotions en cours de formation et prêtes à arriver bientôt, mais nous rencontrons un second problème.En effet, des postes disponibles ne sont pas pourvus – 328 exactement. Ils sont vacants dans nos juridictions – or je veille à équilibrer la répartition des postes sur l’ensemble du territoire par le biais du Conseil supérieur de la magistrature – parce que 3 % des magistrats environ sont actuellement dans des organismes divers, mis à disposition ou en détachement, et non pas dans leurs juridictions. J’ai demandé à la direction des services judiciaires de recenser précisément et de façon exhaustive ces magistrats,…
…de regarder la durée de leur détachement, parce qu’il semble que certains sont détachés depuis plus de quinze ans – je m’interroge ainsi sur la nécessité d’éventuels modules de…
…formation pour leur retour en juridiction. Les postes étant là, il n’est pas besoin d’en créer, mais ils ne sont pas pour autant pourvus par les hommes et les femmes nécessaires. S’ensuivent des délais d’audiencement plus longs subis par les justiciables dans le traitement de leurs affaires.Le deuxième grand problème, également structurel, va se poser avec le départ de 1 400 magistrats à la retraite pendant le quinquennat, car ces départs n’ont pas été anticipés. Nous sommes en train de mettre les bouchées doubles de façon à ne pas nous retrouver dans cinq ans avec 1 400 magistrats en moins. Même si la situation ne risque pas d’être exactement celle-là, cela signifie tout de même que les promotions de l’ENM ne suffiront pas en l’état à pourvoir les postes. Nous créons des concours complémentaires et organisons des recrutements afin d’être en capacité de pourvoir ces postes pour que nos juridictions fonctionnent normalement.Voilà l’essentiel des informations que je tenais à vous donner sur le fonctionnement des juridictions et sur ce parquet financier à compétence nationale. Je reste bien entendu à votre disposition pour toute précision au cours de l’examen des articles et des amendements.
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et les grandes délinquances économiques et financières.
Cet amendement vise à ne pas exiger d’agrément pour les associations qui esteraient en justice, dès lors qu’elles sont déclarées régulièrement. Vu le domaine concerné – la lutte contre la corruption –, il semble excessif qu’elles soient obligées de disposer d’un agrément délivré par le pouvoir exécutif. Nous souhaiterions donc laisser cette possibilité à toutes les associations anti-corruption régulièrement déclarées depuis cinq ans.
Avis défavorable. L’exigence d’un agrément est nécessaire pour limiter le risque des plaintes infondées par des associations dont l’unique objet serait de déstabiliser des élus ou des agents publics. Le risque de refus arbitraire d’agrément paraît virtuel, puisqu’une décision de refus devra être motivée et sera susceptible d’un recours pour excès de pouvoir.
Je comprends la préoccupation de M. Alauzet, car en matière de fraude fiscale, de corruption et de délinquance économique et financière, plus on fluidifie le système meilleur il sera, plus on facilite le déclenchement de l’action et mieux c’est. Néanmoins, le Gouvernement émet un avis défavorable parce qu’il est de règle que toutes les associations qui peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile disposent d’un agrément. Celui-ci n’est pas donné de façon arbitraire. Plus tard, je proposerai un amendement qui me permettra de donner des informations sur la réforme du service central de prévention de la corruption. Nous proposerons que cet agrément soit donné sur avis de ce service central de prévention de la corruption. Mais, en matière de consommation ou d’environnement, toutes les associations qui peuvent se constituer partie civile bénéficient d’un agrément. Ce n’est donc pas un obstacle rédhibitoire, mais une garantie de sérieux et d’efficacité de l’action que peut déclencher cette association.
L’amendement n°47 est retiré.
Il s’agit du même thème. Au regard du domaine concerné, il nous semble que si nous choisissons de soumettre les associations de lutte contre la corruption à un agrément pour pouvoir ester en justice, les critères de délivrance de cet agrément doivent être précis et objectifs. Aussi proposons-nous de définir dans la loi trois critères de délivrance de cet agrément : la régularité de la déclaration depuis cinq ans ; l’inscription de la corruption dans les statuts ; la définition de l’activité principale de l’association autour de la corruption.
Cet amendement pose la question du risque de refus arbitraire d’agrément par le ministère de la justice. Néanmoins, la réponse apportée ne me paraît pas adaptée. Le refus d’agrément peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir : si le refus n’est pas justifié, il pourra être annulé. Par ailleurs, confier la compétence pour la délivrance de l’agrément à une haute autorité pour la transparence de la vie publique n’est pas adapté, puisque son domaine de compétence est plus restreint que celui de la corruption. C’est pourquoi l’avis de la commission est défavorable.
Monsieur Alauzet, vous dites vous-même qu’il s’agit d’un amendement de repli. Permettez-moi de vous préciser que les conditions que vous proposez sont des conditions déjà satisfaites. La seule difficulté de cet amendement, c’est que vous proposez que ce soit la haute autorité administrative indépendante qui délivre l’agrément. Or cela nous pose problème. Cette haute autorité administrative indépendante a en effet des compétences en matière administrative : il y aurait là un risque de confusion entre un agrément pour ester en justice, donc juridique, et cette haute autorité administrative indépendante. Les conditions que vous évoquez sont les conditions habituelles : les cinq ans ; un objet social correspondant ; une activité liée à cet objet social.Nous continuons à penser – je vous le dis dès maintenant pour n’avoir pas à me répéter au moment de l’amendement relatif au SCPC – qu’il est bon que ce soit un organisme qui soit fortement lié à la corruption et doté de capacités d’investigation qui puisse émettre un avis – nous ne savons pas encore si cet avis sera consultatif ou conforme. Cela n’est pas le cas en général, mais c’est une procédure accordant la transparence qui permet un recours contre cette décision. Le SCPC, qui est pour l’instant accueilli à la direction des affaires culturelles… pardon, des affaires civiles et du sceau…
Sourires.
Je crois que cela me ferait le plus grand bien d’aller au théâtre ou au concert ce soir, mais j’aurai grand plaisir à passer la nuit avec vous, je l’avoue.
Sourires.
Nous travaillons à détacher le SCPC du ministère de la justice. Si nous y parvenons, ce sera donc un organisme détaché du ministère de la justice qui émettra un avis sur l’agrément de ces associations qui, comme le disait le rapporteur, disposent déjà d’une capacité de recours.
Nous verrons à l’usage si ce système est fluide ou soulève encore des questions. Je retire donc mon amendement.
L’amendement no 48 est retiré.
L’article 1er est adopté.
Cet amendement vise à créer dans notre droit pénal un délit d’enrichissement illicite, délit dont nous parlons beaucoup dans cette enceinte – peut-être devrais-je plutôt dire, d’ailleurs, « délit d’enrichissement injustifié ». Ce serait une arme puissante dans le domaine que nous traitons aujourd’hui.Cette création s’est heurtée plusieurs fois à des objections réelles du Gouvernement auxquelles je n’ai rien à opposer, car la loi pénale doit toujours être retouchée avec prudence. Je sais que vous me direz certainement que l’arsenal juridique existe déjà au travers du délit de non-justification de ressources ; que l’on pourrait évoquer l’inconstitutionnalité au titre de la rupture d’égalité devant la loi pénale ; ou que ce dispositif inverserait la charge de la preuve.Tout ceci ne nous convainc pas tout à fait. Tout d’abord, la rupture d’égalité s’apprécie en fonction des raisons qui la fondent ; or ici les raisons sont simples, puisqu’elles se résument aux prérogatives de puissance publique. De plus, il n’existe en réalité aucune inversion de la charge de la preuve : c’est toujours l’accusation qui doit prouver que les justifications qui lui sont fournies ne sont pas suffisantes. En revanche, madame la ministre, je vous concède que ce sont de vraies fragilités que le président Urvoas a relevées. Il est fragile de créer un délit non intentionnel ; de surcroît, la loi pénale étant d’interprétation stricte, la notion d’augmentation substantielle mériterait d’être précisée.Si le Gouvernement se donnait cette voie de réflexion sur la création d’une infraction intentionnelle d’absence de fourniture de justifications, vous pourriez considérer, madame la ministre, qu’il s’agit d’un amendement d’appel.
Cet amendement avait été accepté par la commission, et j’y suis favorable. Il répond en effet à une recommandation de la convention des Nations unies sur la corruption et à un besoin réel d’une meilleure garantie de la probité des élus et des agents publics. De plus, il ne me semble pas soulever de problème juridique majeur. Il est conforme au principe de l’égalité des délits et des peines. L’élément matériel est constitué par le fait de ne pas pouvoir justifier une évolution importante de son patrimoine, lorsque l’on occupe une fonction dans laquelle on est susceptible de commettre un délit de corruption ou de trafic d’influence.Il est également conforme au principe d’égalité puisqu’un grand nombre d’incriminations supposent une qualité préalable que seule certaines personnes peuvent remplir. Le principe d’égalité n’interdit pas en effet de traiter de façon différente des personnes qui sont dans des situations différentes. Enfin, cet amendement n’instaure pas de présomption de culpabilité, contrairement à ce qui a été soutenu lors de son examen en commission, il a seulement pour objet de soumettre à l’obligation de justifier du caractère licite d’une augmentation de patrimoine les personnes qui remplissent deux conditions, à savoir être un élu ou une personne dépositaire de l’autorité publique, et avoir connu une augmentation patrimoniale excessive au regard de leurs revenus.L’adoption de cet amendement serait un signal fort en termes de renforcement de l’obligation de probité des élus et des agents publics. Je sais, madame la ministre, que vous êtes extrêmement attentive à cet objectif. Je soutiens la proposition de mon excellent collègue Yves Goasdoué par principe de solidarité et du fait que nous avons travaillé la main dans la main, ainsi qu’avec Sandrine Mazetier, pour améliorer ce projet de loi. L’avis est donc bien sûr favorable.
Monsieur Goasdoué dit que c’est un amendement d’appel et M. le rapporteur émet un avis non seulement favorable mais presque hagiographique… Quelle abondance d’atouts !En termes d’élan, je partage le souci qu’un élu ou une autre personne dépositaire de l’autorité publique soit en capacité de justifier toute augmentation de patrimoine, ce qui me semble tomber sous le sens. Mais la notion d’augmentation patrimoniale excessive ne me paraît pas suffisamment précise pour satisfaire au principe de légalité des délits et des peines. On m’a alerté sur un risque d’inconstitutionnalité, et je crois qu’il est réel.Certes, le message de cet amendement est puissant : il n’y aura pas de complaisance, de connivence, de tolérance ou de clémence injustifiée pour des personnes dépositaires de l’autorité publique qui s’enrichiraient et seraient incapables d’en expliquer la cause. Je ne pense pas en effet qu’on puisse gagner au loto à son insu ! Peut-être est-il possible d’avoir reçu un héritage mais de l’ignorer, faute d’avoir ouvert le courrier qui l’annonçait… Mais reconnaissons que c’est une hypothèse extrême. Je propose donc que d’ici l’examen du projet de loi au Sénat, nous travaillions sur votre proposition, quitte à préciser ce qu’il faut entendre par « une augmentation excessive de son patrimoine au regard de ses revenus ». Vous avez compris que je suggère le retrait.
L’amendement no 17 n’est pas adopté.
L’article 1er bis est adopté.
La parole est à M. Nicolas Sansu, pour soutenir l’amendement no 74 , qui vise à insérer un article additionnel après l’article 1er bis .
Le code pénal prévoit aujourd’hui que le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l’infraction. Il disposera désormais, si le Sénat vote conforme cet article, que l’amende pour les personnes morales sera soit du quintuple de celle encourue par une personne physique, soit « du dixième du chiffre d’affaires moyen annuel de la personne morale prévenue, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus au jour de l’audience de jugement ». Nous accueillons très favorablement cette mesure car le fait d’exprimer le montant de l’amende en pourcentage du chiffre d’affaire nous semble en effet le seul moyen de nature à exercer un effet dissuasif sur les grandes entreprises.Mais l’objet du présent amendement est de combler une lacune car si le nouvel article augmente le quantum de l’amende encourue par les personnes morales en cas de première infraction, laissant au juge le soin de choisir entre deux types de peine, rien de tel en matière de récidive : nous proposons donc, par souci de cohérence, de modifier l’article L. 132-12 qui concerne la récidive en laissant au juge cette même alternative.
Je trouve que c’est un excellent amendement car cette proposition de modification est cohérente avec l’adoption de l’article 1er bis qui permet de condamner les personnes morales à une amende égale à 10 % de leur chiffre d’affaires annuel moyen en matière correctionnelle et à 20 % en matière criminelle.
Monsieur le député Sansu, l’avis du Gouvernement est favorable pour les raisons exposées par M. le rapporteur. Il s’agit en effet d’un amendement qui met en cohérence la sanction des personnes morales en cas de récidive légale avec l’amende qui est déjà prévue par le législateur.
L’amendement no 74 est adopté.
L’article 1er ter est adopté.
Je suis saisie d’un amendement de coordination, no 32, de M. le rapporteur.
L’amendement no 32 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L’article 1er quater, amendé, est adopté.
Avec cet amendement, M. de Courson et moi-même entendons modifier le code pénal pour mettre fin à l’impunité du trafic d’influence visant un agent public étranger.Je rappelle qu’à l’automne dernier, l’OCDE rendait un rapport sur la mise en oeuvre par la France de la convention contre la corruption d’agents publics étrangers, avec un constat dont chacun reconnaîtra le caractère cinglant : depuis l’entrée en vigueur de la convention, cinq condamnations seulement ont été prononcées. Parmi les causes de cette inefficacité, le rapport mentionnait l’absence d’incrimination du trafic d’influence visant un agent public étranger. De plus, lorsqu’il s’agit de remonter jusqu’à celui-ci, on sait qu’il y a souvent des interventions directes. Cette personne ne peut donc être atteinte. Nous voulons, madame la ministre, qu’il n’y ait pas deux types d’individus : ceux qui entrent dans le droit commun et ceux qui peuvent y échapper. Je rappelle que cette convention est déjà ancienne puisqu’elle date de 2005. Il nous semble qu’un tel amendement trouverait pleinement sa place dans ce projet de loi.
Cet amendement a reçu le soutien d’associations engagées de longue date dans la lutte contre la corruption, et il rejoint dans sa philosophie quelques uns de ceux qu’a déposés le groupe UDI et un grand nombre de ceux du groupe écologiste, ce que je tiens à souligner. Comme l’a dit notre collègue Vigier, son objet est de mettre en conformité notre droit avec la convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics. Je rappelle que cette convention établit des normes juridiquement contraignantes tendant à faire de la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales une infraction pénale et prévoit un certain nombre de mesures visant sanctionner efficacement cette infraction.Dans son rapport, l’OCDE a pointé le fait qu’en France, même si des mesures ont été prises dans le cadre de la loi de novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption, il n’existe pas d’incrimination du trafic d’influence par un agent public étranger. Selon l’association Sherpa, pour ne citer qu’elle, la corruption dans les marchés publics représenterait, à l’échelle mondiale, une perte pour les États de l’ordre de 400 milliards de dollars chaque année.On ne saurait trop multiplier les mesures de lutte contre de telles pratiques illicites. Notre amendement n’est peut-être pas si simple à adopter tel quel, mais c’est un amendement d’appel, vous l’aurez compris, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre du budget.
La commission a rendu un avis défavorable, même si je pense qu’il soulève une vraie question. Il est important et utile que nous attirions collectivement l’attention du Gouvernement sur cette problématique. Mais il faut l’inscrire dans une démarche beaucoup plus globale. C’est pourquoi, à ce stade, nous avons pensé qu’il fallait laisser du temps à la réflexion pour aller beaucoup plus loin.
Vous le savez, notre pays a toujours été extrêmement actif dans l’élaboration de conventions destinées à lutter contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales. C’est ainsi que la France a fait ratifier une convention de l’OCDE en 2000, sous le Gouvernement de Lionel Jospin. C’est également le Gouvernement de Lionel Jospin qui a proposé le texte devenu la convention des Nations unies contre la corruption, dite convention de Merida, signée en 2003 et que la France a ratifiée en 2005, sous la présidence de Jacques Chirac – vous y avez d’ailleurs fait vous-même référence, monsieur Vigier.Avec le projet de loi qu’il vous présente, le Gouvernement a souhaité renforcer à plusieurs titres l’effectivité de la lutte contre la corruption, que ce soit en consacrant la possibilité pour les associations concernées de se porter parties civiles ou par la création d’un parquet spécialisé qui permettra de concentrer les moyens de l’autorité judiciaire pour le traitement de tels dossiers.Vous savez que le Président de la République et le Premier ministre ont annoncé dès le mois d’avril la création, au sein du ministère de l’intérieur, d’un office central de lutte contre la corruption et la grande délinquance économique et financière, ce qui va permettre au parquet de s’appuyer, pour les enquêtes judiciaires, sur les meilleures expertises de l’ensemble des services administratifs compétents. Notre détermination à lutter contre la délinquance économique et financière est donc totale.Cela étant, le Gouvernement ne peut être favorable à l’adoption dès maintenant de l’amendement que vous présentez. La question de l’incrimination du trafic d’influence n’est en effet que l’un des aspects de la stratégie globale qu’il convient de mettre au point pour répondre le mieux possible aux phénomènes transfrontaliers de corruption. Il nous faut également étudier la possibilité d’introduire en droit français une obligation de conformité pour les entreprises en matière de lutte contre la corruption et l’amélioration de la procédure du plaider coupable, et peut-être aussi s’interroger sur l’introduction de la compétence extraterritoriale des juridictions françaises en matière de corruption internationale, sur le modèle de ce que pratiquent déjà les pays anglo-saxons. C’est un ensemble de questions légitimement soulevées par la société civile, à travers notamment des associations comme Sherpa, à laquelle vous avez fait référence, monsieur Sansu, et Transparency International, de grandes associations dont je salue l’action. Par ailleurs et surtout, seule une action concertée au plan international visant à harmoniser les dispositifs existants permettrait des avancées déterminantes. Or, vous le savez, l’incrimination de trafic d’influence n’a pas d’équivalent dans la législation pénale de nombreux États.Le Gouvernement pense donc qu’une mesure d’incrimination de trafic d’influence international prise isolément de l’ensemble des autres mesures envisageables et d’une réflexion internationale à conduire dans le cadre de l’OCDE n’est pas la voie la plus efficace pour agir.Pour ces raisons, je suis d’avis que cette question devrait être approfondie dans un cadre plus global. Le rapport d’étape que la France devra faire en octobre prochain devant le groupe de travail compétent de l’OCDE serait l’occasion d’exposer une approche d’ensemble dont le Parlement pourrait avoir à connaître à ce moment-là. Je vous demande donc de retirer vos amendements. à défaut, j’appellerai à leur rejet.
Monsieur le ministre, vous ne m’avez pas convaincu. Vous évoquez un cadre plus global, mais lequel ? Il faut avancer. Vous ne pouvez pas reprocher à l’opposition de ne pas vouloir être constructive et vous donner tous les moyens adéquats. Vous avez certainement en tête comme moi un certain nombre de scandales qui ont éclaboussé des étrangers et, sous prétexte de leur impunité, on a mis plusieurs années, parfois quinze ans, à intervenir. Or on ne peut pas laisser cela se passer ainsi, c’est aussi l’image de la France qui est écornée dans ces affaires. Je ne comprends pas votre demande de retrait car cet amendement vous donnerait la possibilité d’aller plus loin, et vous avez certainement noté que c’est notre souci comme le vôtre, monsieur le ministre. Acceptez que votre opposition puisse faire quelques propositions ! Nous nous appuyons sur le rapport de l’OCDE que j’ai mentionné, et accordez-moi tout de même que les résultats parlent d’eux-mêmes : uniquement cinq cas ont donné lieu à des poursuites.
Le refus du Gouvernement est incompréhensible. C’est une manoeuvre dilatoire pour repousser à la Saint-Glinglin un amendement qui est évident, demandé par toutes les organisations et toutes les ONG. Cela n’apporte pas de la crédibilité à la démarche de la France en matière de lutte contre la corruption.
Après l’intervention des deux parlementaires, je voudrais apporter des précisions concernant l’action de la France à l’international. En ce domaine, nous avons toujours agi de manière à permettre à notre pays d’affirmer ses positions au sein d’instances internationales – je pense à l’OCDE – et de le faire dans un cadre où l’ensemble des pays sont placés dans une situation identique dès lors que le droit international évolue.C’est d’ailleurs cette position qui nous a permis d’obtenir des succès en l’an 2000 et en 2003. Si je propose que nous continuions à agir de la sorte, ce n’est pas pour faire une manoeuvre dilatoire : nous sommes en train d’agir sur le plan international partant du point fort de l’expérience acquise en 2000 et en 2003 pour aller plus loin. Comme ce que nous avons déjà fait a témoigné du succès de notre démarche, il n’y a pas de raison de changer de méthode.Je ne propose pas de renvoyer tout cela, comme vous l’avez dit monsieur Dupont-Aignan, à la Saint-Glinglin, dont je ne sais pas d’ailleurs à quelle date elle se situe dans le calendrier qui vous sert de référence.
Je vous propose de traiter ce sujet devant la représentation nationale dès lors que les démarches que nous avons accomplies seront couronnées de succès comme l’ont été les précédentes.
Cet amendement vise à exclure les infractions qui relèvent des questions de corruption ou celles qui sont réprimées par le code électoral de la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité. Celle-ci présente deux inconvénients : d’une part, la procédure de reconnaissance préalable de culpabilité ne fait que rarement l’objet de publicité et l’amendement propose de permettre de donner un peu de visibilité à ces affaires ; d’autre part, il s’agit d’éviter que ces procédures donnent lieu à des atténuations de peine.Notons que cette inclusion des délits de corruption était l’une des principales critiques portées à cette procédure du plaider-coupable lors de sa création. C’est peut-être le moment d’y mettre fin.
La loi du 13 décembre 2011 sur la répartition des contentieux a étendu le champ d’application de la CRPC à tous les délits alors qu’elle n’avait été initialement créée que pour les délits punis d’une peine maximum de cinq ans. Son extension en 2011 la rend donc applicable à des infractions qui peuvent paraître trop graves pour une telle procédure telles que les infractions de corruption.Néanmoins, exclure a priori toute possibilité de recours à la CRPC en matière de corruption serait, de notre point de vue, sans doute excessif. C’est pour cela que nous sollicitons Mme la garde de sceaux : peut-être pourrait-elle, par le biais d’une instruction générale, demander aux parquets de ne pas recourir à cette procédure pour les affaires d’une certaine importance ?C’est pour cette raison que la commission est défavorable à cet amendement dont on peut pourtant saluer l’intention.
Monsieur le député Alauzet, je commence à être contrariée contre moi-même de ne pas vous dire oui ce soir.
Pour ne rien vous cacher, à l’époque de l’adoption de cette disposition, j’y étais hostile et je le demeure sur le plan éthique. Étant garde des sceaux, je n’irai pas plus loin.Je me suis déplacée dans des juridictions et j’ai interrogé sur la CRPC et la CRPC déferrement, deux dispositifs que j’ai l’intention de faire évaluer prochainement. Pour ce qui concerne la CRPC, il se trouve que l’OCDE elle-même, dont vous connaissez le niveau d’exigence, a considéré que la diversité des réponses pénales qui étaient apportées dans les affaires de corruption était un atout de la France. En tout cas, elle a estimé favorablement cette diversité de réponses pénales, y compris la CRPC.En ce qui me concerne, je suis prête à faire droit à la demande du rapporteur, c’est-à-dire à donner une instruction générale et impersonnelle pour qu’en matière de corruption, la CRPC soit réservée aux affaires n’ayant entraîné que peu de préjudices subis ou infligés et peu de troubles à l’ordre public.De plus, je propose de mener une évaluation au bout de six mois ou un an, en faisant remonter des parquets les procédures qui auraient fait l’objet de la CRPC pour voir si ce sont effectivement des affaires présentant un faible intérêt en termes de préjudice et de troubles à l’ordre public.Cependant, l’appréciation que porte l’OCDE sur l’efficacité du dispositif judiciaire et pénal de la France me conduit à aborder cela avec précaution, d’autant plus que j’ai interrogé plusieurs juridictions, plusieurs parquets et juges d’instruction sur le fonctionnement de la CRPC.Rappelons que le juge intervient dans cette procédure qui n’est pas un arrangement conclu sur un coin de table. Le juge intervient et il faut que le conseil soit présent, il me semble, pour que la décision soit validée. La procédure offre certaines garanties et je suppose que c’est pour cela que l’OCDE l’a trouvée correcte.Cela étant, il est vrai que la possibilité de recourir à la CRPC pour des faits de corruption me gêne aussi actuellement.Quoi qu’il en soit, je suis prête à prendre cette circulaire et à l’évaluer au bout d’un an maximum.
Je vais maintenir cet amendement qui aura une vertu de sentinelle par rapport à tout ce qui vient d’être dit.
Pour le groupe UMP, je voudrais donner un avis très négatif sur cet amendement. Je rappelle que la CRPC n’est pas systématique et automatique, que les magistrats apprécient : le procureur de la République, tout d’abord, qui regarde la nature des faits, puis le juge lorsqu’il homologue la peine, qui peut considérer que les faits sont trop graves pour utiliser ce type de procédure.Le caractère systématique que vous voulez introduire est absolument contre-productif. C’est vraiment un sujet sur lequel il faut laisser leur liberté aux magistrats du siège et du parquet.C’est la raison pour laquelle, en ce qui me concerne, je ne voterai pas cet amendement.
L’amendement no 49 n’est pas adopté.
L’article 2 est adopté.
J’ai déposé cet amendement suite à des rencontres fréquentes notamment avec les services des douanes judiciaires. Ils m’ont expliqué que lorsqu’ils saisissent une forte somme d’argent – un million d’euros dans le coffre d’une voiture, ce qui arrive paraît-il, même si cela semble peu banal – il est très difficile d’utiliser la qualification de blanchiment, en raison de la définition juridique actuelle de cette infraction.En effet, l’article 324-1 du code pénal est un dispositif exigeant qui implique pour l’accusation d’accumuler les preuves alors même que l’on est en présence de trafics douteux, car il faut, en l’état d’une jurisprudence assez intense et complexe, que les éléments constitutifs de l’infraction principale soient établis, même si aucune poursuite ni condamnation à ce titre n’est exigée et que l’infraction de blanchiment ait une certaine autonomie par rapport à l’infraction principale.Suivant l’exemple de certains de nos voisins, notamment la Belgique, et suivant les prescriptions du 6 de l’article 9 de la convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et du financement du terrorisme, dont le Sénat vient d’autoriser la ratification et qui va être soumise à l’Assemblée, cet amendement vise à s’assurer qu’une condamnation pour blanchiment est possible sans qu’il soit nécessaire de prouver de quelle infraction principale il s’agit.L’objectif est d’en faciliter la poursuite sans avoir à apporter la preuve de l’infraction sous-jacente dès lors que l’on est en présence de sommes d’origine illicite, étant à la personne poursuivie de donner une explication convaincante sur le caractère licite des sommes d’origine douteuse.En un mot, il s’agit d’un renversement total de la charge de la preuve, ce qui serait d’un précieux recours pour lutter contre la criminalité organisée et la grande fraude fiscale.
M. Dupont-Aignan et M. Bocquet travaillent ensemble depuis quelques mois et on commence à voir quelques bribes des conclusions de la commission d’enquête. C’est très bien.Comme l’a expliqué notre collègue Dupont-Aignan, cet amendement s’intéresse au blanchiment et vise à renverser la charge de la preuve, notamment dans le cas des trafics. Comme dans plusieurs de nos amendements communs, nous proposerons de suivre l’exemple belge. Je ne sais pas si c’est parce que les frères Bocquet habitent à proximité, mais c’est ainsi. Cela permettre plus fondamentalement d’anticiper sur la transposition de l’article 9 de la convention du Conseil de l’Europe qui a été adoptée au Sénat.L’enjeu d’un tel assouplissement n’est pas mince. Rappelons qu’une étude de l’OCDE estime que le blanchiment représenterait en France près de 11 % du PIB, ce qui est considérable. TRACFIN n’évoque cependant qu’un montant de transmission en justice de 524 millions d’euros en 2010 et seulement 400 dossiers transmis par an à la justice sur plus de 19 000 déclarations de soupçon recensées. Voyez la modification s’il y avait renversement de la charge de la preuve.Ces chiffres ne peuvent que nous alarmer sur le besoin de faciliter les poursuites dans les cas de blanchiment. C’est pourquoi nous proposons cet amendement qui, je le répète, a été élaboré par les deux responsables de la commission d’enquête actuellement en cours.
Je dois vous avouer que je me suis beaucoup interrogé sur cet amendement.
Dans un premier temps de ma réflexion personnelle, j’y étais plutôt favorable.
Avec notre collègue Bocquet, vous faites un travail très intéressant dont vous allez rendre les conclusions dans les semaines qui viennent.Nous avons tous été marqués, parlementaires que nous sommes, par nos rencontres sur le terrain avec des membres de la police fiscale ou du service national des douanes judiciaires. En ce qui concerne ces deux services, je tiens à le redire, nous n’avons pu voir que de l’excellence, de la compétence et une volonté de lutter avec efficacité contre la corruption et la fraude fiscale.Ce que vous proposez est paradoxalement un vrai bouleversement en ce qui concerne la charge de la preuve, et je pense que nous devons nous laisser le temps de la réflexion et de l’étude approfondie pour améliorer la rédaction que vous avez proposée.Dans quelques semaines, vous allez rendre votre rapport et être amenés à faire des propositions. Nous devrons revenir sur la philosophie de l’amendement que vous proposez.À ce stade, je rends un avis défavorable, mais nous devons continuer le travail.
J’entends moi aussi la préoccupation portée par cet amendement mais, d’une part, il soulève un problème de proportionnalité, d’autre part, il semble que notre droit actuel lui apporte des réponses.Je sais la qualité des rapports parlementaires, en général.Lorsqu’en plus les rapports parlementaires sont issus d’une mission portée par des députés de sensibilités différentes, les exigences, la rigueur du questionnement, la confrontation des points de vue leur donnent encore plus de force. Les préconisations de ce rapport nous conduiront donc certainement à travailler plus au fond sur ces sujets.On m’a donné une recension des possibilités qu’offre déjà notre droit pour répondre à votre préoccupation. Citons par exemple la confiscation élargie, qui concerne les délits punis de plus de cinq ans d’emprisonnement, ou la jurisprudence de la Cour de cassation – même si la jurisprudence ne suffit pas forcément – qui permet de sanctionner le blanchiment sur la seule base d’une infraction sous-jacente, même lorsque celle-ci n’a pas fait l’objet d’une condamnation ; la confiscation est alors possible. Citons encore le délit de non-justification de ressources.Nous ne sommes donc pas démunis, dans notre droit, pour répondre. Il n’empêche que vous demandez sans doute d’aller plus loin. Prenons peut-être le temps et attendons le rapport que vous mettrez à notre disposition prochainement. Le Gouvernement en fera son miel, et nous pourrons aller plus loin, mais de façon sécurisée juridiquement.J’émets donc un avis défavorable.
Je remercie M. le rapporteur et Mme la ministre de considérer que cet amendement tendrait à donner singulièrement plus de force à l’État face à des trafiquants et des criminels.Je maintiens l’amendement mais je prends acte de la volonté du Gouvernement de traiter cette question.Pour préparer cet amendement, je me suis moi-même plongé dans la jurisprudence. Il y a des livres entiers d’interprétation, et il faut bien comprendre que, lorsque les forces de police, lorsque les douanes sont confrontées à des criminels très bien outillés, avec de grands cabinets d’avocats, lorsque l’administration dispose d’un recueil de cinquante pages de jurisprudence très aléatoire, il y a urgence, je vous le dis très clairement, à donner les moyens à l’Etat d’agir. Il est face à des criminels organisés qui, eux, ont tous les moyens.C’est, de manière générale, cette disproportion entre les moyens de l’État et les moyens des criminels qui fait que nous sommes souvent à la traîne. Je maintiens donc cet amendement, par considération pour le travail que nous menons avec M. Bocquet, qui n’est pas là, et je demande vraiment au Gouvernement de donner les moyens à ceux qui luttent au quotidien sur le terrain.
Je salue moi aussi les propos de M. le rapporteur et de Mme la ministre. Le connaissant bien, je pense que M. le rapporteur a presque acquiescé en repoussant nos amendements. C’est ainsi.Cette lutte contre le blanchiment marquerait vraiment un pas décisif. Peut-être faudra-t-il changer le texte pendant la navette, peut-être y aura-t-il des améliorations, mais, si on avait l’audace de donner au Gouvernement ce petit coup de pouce ce soir, ce serait un grand pas dans la lutte contre le blanchiment et contre tous les trafics. Ce serait vraiment une très, très belle chose.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :Suite du projet de loi relatif à la fraude fiscale et du projet de loi organique relatif au procureur de la République financier.La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures cinq.
Le Directeur du service du compte rendu de la séancede l’Assemblée nationaleNicolas Véron