Avant d'évoquer en détail le fond du sujet, je rappelle qu'en vertu des articles 151-2 et suivants de notre Règlement, les propositions de résolution européenne sont d'abord examinées par la commission des affaires européennes, puis renvoyées devant la commission permanente compétente au fond. C'est cette étape qui nous réunit aujourd'hui. L'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée de la proposition de résolution peut ensuite être demandée dans un délai de quinze jours et je crois savoir que nos collègues souhaitent bien voir ce texte discuté dans l'hémicycle.
La question du détachement des travailleurs à l'intérieur du marché communautaire est cruciale.
D'abord, le phénomène est important : il y aurait chaque année environ 1,5 million de travailleurs détachés par leur employeur dans un autre État membre de l'Union. La France en a accueilli près de 145 000 en 2011, un nombre multiplié par quatre depuis 2006. Encore s'agit-il là des chiffres « officiels », puisque le détachement fait normalement l'objet d'une déclaration préalable auprès de l'administration.
En réalité, les flux sont, hélas, très difficiles à évaluer tant la pratique s'éloigne des principes qui l'encadrent. Ce qui est en cause, – et la proposition de résolution insiste bien sur ce point –, c'est la directive communautaire de 1996 sur le détachement de travailleurs : adoptée avant l'adhésion des nouveaux États membres de l'ancien bloc soviétique, où le coût de la main-d'oeuvre reste très faible, elle s'avère aujourd'hui totalement inadaptée, quand elle n'est pas purement et simplement contournée.
D'une part, les règles qu'elle fixe apparaissent insuffisantes. Si la directive définit un socle minimal de règles obligatoirement applicables dans l'État membre d'accueil aux salariés détachés, socle qui couvre notamment le salaire minimum, ces règles ne s'appliquent pas aux détachements de courte durée, de moins d'un mois. Cette exception conduit, dans les faits, à la multiplication des détachements successifs de très courte durée. En outre, la directive n'exige aucune preuve d'activité substantielle dans le pays d'origine de l'entreprise qui procède au détachement, ce qui occasionne un véritable « business » d'entreprises, « s'installant » dans un pays d'Europe de l'Est, uniquement pour se spécialiser dans le détachement de salariés « low cost ».
D'autre part, la directive de 1996 n'est pas assortie de mécanismes de contrôle suffisants : tout juste prévoit-elle la mise en place de bureaux de liaison dans chaque État membre, pour permettre l'échange d'informations. Le contrôle en lui-même est donc entièrement laissé à l'initiative des États membres. L'inspection du travail en France est outillée pour lutter contre le travail illégal, mais elle ne dispose malheureusement pas des éléments suffisants, faute d'informations venues de l'État membre d'origine des salariés détachés, pour exercer un contrôle digne de ce nom.
En tout état de cause, le dispositif communautaire se révèle aujourd'hui très insuffisant – et c'est un euphémisme. C'est le bilan que dresse la proposition de résolution qui nous est aujourd'hui soumise, et que partage d'une certaine façon la Commission européenne puisqu'elle a présenté un projet de directive d'application pour remédier aux insuffisances de la directive initiale de 1996.
La nouvelle directive, en cours de négociation, propose d'encadrer la définition même du travailleur détaché afin de se prémunir contre la multiplication des détachements successifs ou contre l'existence d'entreprises qui n'exercent pas d'activité substantielle dans le pays depuis lequel elles envoient des salariés en détachement vers d'autres États membres. La nouvelle directive prévoit également de renforcer la coopération administrative entre États membres, notamment en fixant des délais de réponse aux demandes qui leur sont adressées. Elle pose aussi un cadre au contrôle effectué par les États membres sur les détachements. Elle souhaite enfin renforcer la défense des droits des salariés détachés et instaurer une responsabilité conjointe et solidaire des cocontractants en la matière.
J'en viens au contenu de la proposition de résolution, destinée à inciter l'Union à adopter des mesures plus fortes que celles prévues par le projet de directive d'application.
En premier lieu, elle préconise, comme la Commission, de mieux définir le détachement, par une série de critères qui permettront aux États membres de s'assurer à la fois de la réalité du détachement et de sa conformité aux règles communautaires.
Elle propose également un net renforcement des capacités et des moyens de contrôle des États membres, par exemple, par la mise en place d'une carte électronique du travailleur européen et d'une agence européenne du travail mobile, ou encore par l'instauration d'une « liste noire » des entreprises qui ne respecteraient pas les règles applicables au détachement, à l'instar de ce qui a été fait pour l'aviation civile. La proposition de résolution souhaite en outre que soit étendue la responsabilité conjointe et solidaire du donneur d'ordre, prévue par la proposition de directive d'application, à l'ensemble de la chaîne des sous-traitants et des secteurs d'activité, alors que le projet de directive la cantonne au secteur de la construction. En particulier, elle souhaiterait qu'une déclaration de sous-traitance soit obligatoirement effectuée par tout donneur d'ordre qui recourt à des salariés détachés.
Enfin, s'agissant de la défense des droits des salariés détachés, le projet de directive prévoit d'autoriser les syndicats à ester en justice en leur nom. La proposition de résolution suggère d'aller plus loin, en leur permettant d'agir sans l'accord du salarié, en raison de sa position particulièrement précaire.
L'ensemble de ces préconisations me semblent bienvenues dans le contexte actuel de détournement quasi systématique des règles communautaires, et l'on ne peut qu'y souscrire résolument.
Deux points spécifiques me semblent toutefois appeler des modifications.
Il s'agit, en premier lieu, du point 15 de la proposition de résolution, qui propose la mise en place d'un recours contre tout donneur d'ordre qui ferait appel à une prestation de service facturée en dessous des prix « français ». Si l'on en comprend l'intention, cette préconisation me semble inapplicable. Comment en effet déterminer le niveau des prix « français » ? Comment ensuite différencier une offre de services compétitive et une offre de services qui reposerait sur une facturation du coût de la main-d'oeuvre en deçà des minima de salaires français ? Je vous invite donc à supprimer l'alinéa 19 de la présente proposition de résolution.
En second lieu, le dernier point de la proposition de résolution engage l'Union européenne à définir un salaire minimum de référence, professionnel ou interprofessionnel, et cela, afin de garantir les conditions d'une concurrence libre et non faussée. Je souscris pleinement à cette ambition. Simplement, je vous proposerai une nouvelle rédaction de cet alinéa, qui tienne compte des disparités très fortes qui continuent d'exister entre les anciens et les nouveaux États membres, mais prenne le parti d'une telle harmonisation à terme, puisqu'elle ne peut, pour des raisons évidentes, être exigée hic et nunc.
Sous réserve de ces deux modifications substantielles et d'une série d'amendements strictement rédactionnels, je souhaiterais que la Commission adopte cette proposition de résolution, qui a le mérite de proposer de réelles solutions pour mieux encadrer la pratique du détachement intracommunautaire.
Les négociations en cours sur la proposition de directive d'application ont achoppé le 20 juin dernier, lors du dernier conseil des ministres de l'emploi, sur le contrôle du détachement confié aux États membres et sur la responsabilité conjointe et solidaire de la chaîne contractuelle. En l'état des positions en présence, – avec notamment l'existence d'une minorité de blocage du Royaume-Uni et des nouveaux États membres contre le renforcement des règles pour lutter contre la fraude au détachement –, il est essentiel que le Parlement français montre sa détermination à aller de l'avant.