Intervention de Gilles Savary

Réunion du 26 juin 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Savary, co-rapporteur de la Commission des affaires européennes :

De façon très classique, nous avons engagé nos travaux à l'occasion de la procédure de révision de la directive « détachement ». Au gré de nos auditions – des acteurs de terrain surtout –, nous avons pris conscience que le phénomène dépassait très largement le cadre fixé initialement, celui de la simple révision d'une directive.

Le problème doit être envisagé avec beaucoup de discernement car les principaux pays qui détachent ne sont pas forcément à l'Est de l'Europe. La France se classe troisième, derrière l'Allemagne et la Pologne. Il faut donc faire preuve de prudence même si les flux sont socialement asymétriques – nous détachons plutôt des commerciaux et des ingénieurs tandis que nous accueillons surtout des ouvriers – car le détachement a toujours été conçu pour offrir une respiration aux acteurs économiques. La directive « détachement » a correspondu à une époque à une rationalisation bienvenue, favorable à l'essor de l'échange marchand international.

Ce qui doit aujourd'hui nous alarmer, c'est la mise en place de stratégie d'optimisation sociale systématique, comme jadis en matière fiscale. Les flux de détachements deviennent autonomes et tendent à se disjoindre de l'échange matériel. Le détachement fait l'objet d'un « business » et aller chercher le travailleur « low cost » devient un but en soi. Modifiée ou non, la directive « détachement », restera un outil largement insuffisant pour canaliser de tels comportements. Si on ne réagit pas, le phénomène prospérera comme l'optimisation fiscale que l'on a trop tardé à prendre au sérieux. Nous sommes donc au début d'une histoire qui pourrait se révéler dévastatrice pour l'emploi et contribuer à l'exacerbation des sentiments xénophobes ou europhobes.

Si l'optimisation sociale tendait à devenir massive, ce que les dernières tendances laissent augurer, les comptes sociaux seraient directement affectés puisque les détachés n'acquittent pas leur sécurité sociale dans le pays qui les accueille. Ils bénéficient déjà d'emblée d'un « discount » sur le coût du travail.

Le phénomène doit donc impérativement être encadré et c'est la raison pour laquelle nous avons débordé le cadre du simple commentaire de la directive en cours de révision pour faire des propositions plus audacieuses. La France serait fondée à les porter à Bruxelles assez vite, dans le contexte, ou non, de la révision de la directive. Elle y trouverait sans doute des alliés.

Les contournements des règles de détachement sont massifs. À côté des comportements illicites, on trouve des procédés licites, quand les détachements sont inférieurs à un mois ou que des entreprises françaises créent des sociétés « boîte aux lettres », qui n'ont d'autre but que de recruter localement du personnel à bas coût pour l'envoyer en France. On voit ainsi se développer un trading de main-d'oeuvre qui ressemble beaucoup à ce que la crise de la viande de cheval a révélé : nous avons ainsi découvert que des sociétés chypriotes envoyaient des travailleurs de l'Est dans les pays de l'Ouest.

On a également observé des non-détachements internes. Des entreprises implantées dans les pays de l'Est envoient du personnel local chez nous, en France, mais « oublient » de suivre les procédures déclaratives, alors que le détachement est pourtant parfaitement licite.

On trouve ensuite toutes sortes de contournement : défaut de déclaration – deux cas sur trois, selon les estimations –, et détachement effectif sans déclaration d'aucune sorte. Il s'agit alors d'une fraude puisque, dans ce cas, non seulement les cotisations sociales sont au niveau de celles du pays d'origine, mais le salaire aussi, avec des effets dévastateurs.

Enfin, le contrôle est extrêmement difficile. C'est pourquoi nous avons proposé des sanctions très lourdes, comme la « liste noire », car nous avons la conviction que les contrôles ne seront jamais faciles, surtout si l'on en reste à des bureaux de liaison interadministratifs. Quand on embauche, pour une campagne de vendanges de huit jours, cent personnes de cinq ou six nationalités différentes, le temps de vérifier les identités, de téléphoner aux bureaux de liaison des pays d'origine, elles se sont égayées dans la nature et on n'a plus aucune chance de les rattraper. Les inspecteurs du travail expliquent que, pour obtenir un résultat, ils auraient besoin d'au moins un mois, au détriment de leurs autres tâches. Il faut donc des mesures beaucoup plus fortes. Tel est le sens de notre proposition.

L'alinéa 15 que Richard Ferrand propose de supprimer à cause de l'expression « les prix français » nous a été inspiré par le patronat qui se trouve, sur ce thème, en phase avec les syndicats. La formulation est malheureuse et j'accueille volontiers son amendement, mais il s'agissait de permettre aux branches professionnelles d'attaquer un donneur d'ordre qui a manifestement choisi un maître d'oeuvre à bas coût, même si ce choix est licite. Cette affaire a trouvé un début de régularisation juridique parce que le Gouvernement vient d'obtenir que, dans la directive « marchés publics », elle-même en cours de révision, un soumissionnaire puisse être récusé dès lors que ses prix seraient anormalement bas, du fait de conditions salariales anormalement basses. Déjà des recours sont formés devant les tribunaux français à ce sujet. La Fédération du bâtiment et des travaux publics des Pyrénées-Atlantiques a ainsi attaqué la Chambre des métiers de Bayonne qui a employé une entreprise « low cost » !

Pour conclure, le point 21 propose un salaire minimum de référence, dont j'ai toujours été un militant, mais, ayant passé dix ans au Parlement européen, je sais combien la route sera longue. L'idée est d'enclencher une procédure plus rapide pour les branches déstabilisées par l'absence de salaire minimum – je pense bien sûr au secteur de l'abattage dans lequel l'Allemagne emploie des travailleurs bulgares ou roumains à 2, 3 ou 4 euros de l'heure – où des mesures unilatérales de rétorsion pourraient être prises si les prix tombaient en deçà d'un plancher à définir.

Notre travail se poursuit au sein de la Commission des affaires européennes.

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