Intervention de Annie Le Houerou

Réunion du 26 juin 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnie Le Houerou :

En tant que représentante du groupe socialiste, je félicite Gilles Savary, Chantal Guittet et Michel Piron, de s'être saisis d'un problème qui a des répercussions catastrophiques sur l'emploi et met en difficulté notre système de protection sociale. Et je remercie également notre rapporteur de son excellent plaidoyer pour que la France soit le moteur d'une prise en charge de cette question par la Commission européenne. Celle-ci demeure en effet trop timide, et ses propositions sont très en deçà des besoins réels.

La libre circulation des travailleurs inscrite dans les traités implique l'abolition de toute discrimination entre les travailleurs des États membres en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. Toutefois, le droit communautaire ne prévoit pas d'harmonisation des droits des travailleurs mobiles et n'envisage qu'une coordination des régimes juridiques internes, ce que nous déplorons.

Selon la définition, rappelée par notre rapporteur, du travailleur détaché, celui-ci travaille dans un État membre différent du sien parce qu'il y a été affecté provisoirement par son employeur, dans le cadre d'une mission. Mais, comme le droit européen n'oblige pas les États membres à fixer un salaire minimum, ni les entreprises à exercer une activité substantielle dans leur pays d'origine, ni ne limite les détachements dans le temps, on trouve donc des entreprises « boîtes aux lettres » dans les pays où le droit social est a minima. La directive de 1996 prévoit que le droit du travail applicable au travailleur détaché est celui du pays d'accueil, sauf pour les missions de courte durée, le système de sécurité sociale restant toujours celui du pays d'origine. De plus, la Cour de justice de l'Union européenne fait une application très stricte de la directive en considérant que tout ce qui va au-delà des exceptions prévues par la directive est une entrave au principe de libres prestations de services et de libre circulation des travailleurs.

Pourtant, on constate une concurrence déloyale dans les secteurs de la construction, du bâtiment et des travaux publics, de l'agriculture et de l'agroalimentaire. L'arrivée massive de travailleurs « low cost » déstabilise des filières productives entières. La directive, qui avait pour objectif de protéger les travailleurs et les marchés du travail des États membres, a eu l'effet inverse dans un marché européen obéissant à un grand libéralisme, et tend à provoquer un alignement vers le bas du droit social. La conséquence de l'exploitation abusive de cette réglementation a entraîné chez nous deux fléaux, économique et social : la désindustrialisation, qui frappe notamment l'agroalimentaire en Bretagne, et le chômage.

Il doit être mis fin à ces pratiques de dumping social destructrices d'emplois et d'activités. La France n'est pas la seule dans cette bataille, les Belges notamment dénoncent ce système par lequel par exemple, l'industrie de la viande allemande se développe sur la base d'un coût moyen du travail de 6 euros de l'heure sans salaire minimum et sans convention collective, alors que ce coût est d'environ 20 euros de l'heure chez nous.

La proposition de directive d'application de la Commission européenne est très en deçà des besoins. L'article 3 vise à apprécier le caractère substantiel de l'activité dans le pays où elle est affiliée. L'article 9 donne une liste limitative de mesures nationales de contrôle des entreprises étrangères par les États membres. L'article 12 institue un mécanisme de responsabilité solidaire du donneur d'ordre. Ces propositions insuffisantes ne peuvent faire l'objet d'un vote favorable de la France – je cite les rapporteurs de la Commission des affaires européennes –, « au regard du principe de mesures de sauvegarde d'intérêts nationaux essentiels, notamment la sauvegarde de l'emploi dans les filières économiques importantes pour notre pays, mais aussi des standards sociaux nationaux imprescriptibles, et surtout du financement de notre système de sécurité sociale, dont la subsidiarité au regard des traités justifie des mesures de protection nationales s'il est mis en danger ». Des mesures nationales unilatérales doivent donc être autorisées par la législation européenne.

Au nom du groupe SRC, j'approuve les propositions des auteurs du rapport d'information et les amendements de notre rapporteur Richard Ferrand, notamment la création d'une agence de contrôle du travail mobile en Europe et d'une carte électronique de travailleur européen ; la mise en place d'une liste noire d'entreprises et de prestataires de services indélicats ; le renforcement de la responsabilité conjointe et solidaire du donneur d'ordre et du prestataire ; l'amélioration de l'arsenal législatif de contrôle national ; l'extension de la possibilité de recours juridique par les organisations syndicales nationales sans l'accord des salariés détachés ainsi que la demande d'un moratoire sur la libéralisation du cabotage routier.

Par ailleurs, pour donner encore plus de poids à la proposition de résolution, l'article 151-7 du Règlement prévoit que, dans les quinze jours suivant la mise en ligne du texte adopté par la commission saisie au fond, la Conférence des présidents, saisie par le président de groupe ou d'une commission permanente peut proposer de l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Madame la présidente de la commission des affaires sociales, vous serait-il possible d'engager cette démarche ?

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