Intervention de Stéphane Travert

Réunion du 26 juin 2013 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Travert, rapporteur pour avis :

Nous abordons aujourd'hui le premier des trois textes organisant une nouvelle étape de la décentralisation, fondée sur les quatre principes posés par le Président de la République : clarté, confiance, cohérence et démocratie locale.

Notre Commission s'est saisie pour avis du titre Ier, consacré à la clarification des compétences des collectivités et à la coordination des acteurs. La principale disposition en est le rétablissement de la clause de compétence générale. Elle revêt une importance particulière pour nous, tant il est vrai que cette clause est à l'origine du développement de politiques locales ambitieuses et d'un véritable foisonnement dans les domaines culturel et sportif, si chers à notre Commission.

Dans le domaine culturel, la décentralisation a moins répondu à une logique de « blocs de compétences » ou de spécialisation des compétences que d'exercice conjoint d'une compétence générale par chacun des niveaux de collectivités publiques. D'ailleurs, la loi fondatrice du 7 janvier 1983, relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État, était relativement timide en matière de transfert de compétences culturelles. Elle a cependant favorisé le dynamisme de l'action culturelle des collectivités territoriales grâce à la clause de compétence générale. À divers degrés, les compétences culturelles sont donc partagées entre les collectivités.

Bien sûr, certaines compétences relèvent de manière privilégiée d'un niveau de collectivités : il en est ainsi de la compétence des départements en matière d'archives. Mais ces compétences ne sont pas exclusives : aucune collectivité publique n'exerce le monopole d'une des compétences culturelles transférées. Chaque niveau de collectivités territoriales est compétent pour exercer l'ensemble des fonctions culturelles, l'État restant, dans tous les cas, le garant de la cohérence nationale, par l'édiction de règles et l'exercice du contrôle scientifique.

La dernière enquête sur les dépenses culturelles des collectivités territoriales, menée par le département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la culture, confirme que les communes, départements et régions ainsi que, désormais, les groupements de communes, sont des acteurs majeurs du financement public de la culture en France : ils engagent dans ce domaine des crédits plus de deux fois supérieurs au budget du ministère de la culture. Ce sont ainsi près de 7 milliards d'euros que les collectivités territoriales ont mobilisés pour la culture en 2006, dont 4,4 milliards pour les seules communes de plus de 10 000 habitants. Cette même année, départements et régions consacraient respectivement 1,3 milliard et 556 millions d'euros à la culture.

Au-delà des domaines réservés d'intervention découlant de la première vague de transferts de compétences, on observe que les communes et groupements de communes consacrent leurs dépenses culturelles de fonctionnement et d'investissement aux équipements de proximité – écoles de musique et de danse, bibliothèques et médiathèques, musées municipaux ou départementaux –, tandis que les départements et, surtout, les régions attribuent plus massivement des subventions aux équipements et acteurs culturels.

Le partage des compétences culturelles qu'a permis la clause de compétence générale se traduit par l'importance des financements croisés : les subventions versées entre collectivités représentent 231 millions d'euros en 2006, soit 3,4 % des dépenses culturelles nettes locales.

Dans le domaine du sport, les collectivités, au premier rang desquelles les communes, assurent la plus grande partie de l'effort financier public pour l'organisation de la pratique du sport. Cet effort des communes s'élevait, en 2007, à 8,95 milliards d'euros, soit près de deux tiers de l'ensemble des dépenses finançant les projets sportifs. Les régions et les départements y investissent respectivement 0,5 et 0,8 milliard d'euros. D'après la Cour des comptes, la dépense sportive en France avoisine 33 milliards d'euros. 48 % des montants engagés par les collectivités sont des dépenses d'investissement et 52 % des dépenses de fonctionnement : elles interviennent en effet, non seulement à travers l'octroi de subventions aux associations et sociétés sportives, mais aussi via le financement de la construction et de l'entretien des équipements sportifs. Un recensement réalisé en 2006 par le ministère des sports dénombre 144 000 installations sportives, comprenant plus de 311 000 équipements sportifs, les collectivités étant propriétaires de plus de 83 % de ces derniers.

Dans ce contexte, la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités a suscité l'inquiétude, non seulement des collectivités territoriales, mais de l'ensemble du mouvement sportif et des acteurs culturels, en particulier sur deux points.

Cette inquiétude portait d'abord sur la répartition des compétences : la loi supprimait en effet la clause de compétence générale des départements et des régions et consacrait le principe des compétences exclusives, en vertu duquel les collectivités ne pouvaient agir que dans les domaines déterminés par la loi, aucune ne pouvant intervenir dans un domaine confié à un autre niveau de collectivités.

L'encadrement des financements croisés constituait un autre motif d'appréhension : la loi de 2010 impose une participation minimale du maître d'ouvrage de projets d'investissement bénéficiant de subventions d'autres collectivités, participation fixée à 20 %. Des exceptions ont toutefois été ménagées à ce principe, notamment pour le financement de la rénovation du patrimoine protégé au titre du code du patrimoine. La loi avait également prévu l'instauration d'un schéma d'organisation des compétences et de mutualisation des services, afin d'organiser, de manière assez coercitive, les interventions des différents niveaux de collectivités. Le défaut d'adoption d'un tel schéma était sanctionné par l'application d'un « malus ». Tout cumul de subventions d'investissement ou de fonctionnement accordées par un département et une région devenait ainsi impossible.

Grâce à la mobilisation des élus et des acteurs concernés, ces principes avaient été assouplis dans un certain nombre de domaines, pour lesquels toute attribution d'une compétence exclusive à un niveau de collectivité aurait semblé arbitraire et inadaptée à la nature même de la compétence exercée. Ainsi le sport, la culture et le tourisme avaient-ils été reconnus comme des compétences partagées. De même les limites apportées au cumul de subventions ne s'appliquaient-elles pas aux subventions de fonctionnement accordées aux projets sportifs, culturels et touristiques. De nombreuses limites continuaient cependant à brider le dynamisme des collectivités, suscitant une grande inquiétude parmi ceux qui, dans les milieux culturels et sportifs, ont pris l'habitude de travailler avec elles.

Le présent projet de loi procède d'une tout autre logique : il repose d'abord sur la confiance dans la capacité des collectivités à exercer leurs compétences au plus près des territoires et à coordonner leurs interventions. Ce texte ne procède pas à de nouveaux transferts de compétences : il mise sur la responsabilité des collectivités. Le rétablissement de la clause générale de compétence est ainsi assorti de la désignation de chefs de file, chargés de coordonner les interventions des différents niveaux de collectivités, et de l'institution de conférences territoriales de l'action publique, instances de dialogue et de « mise en musique » des compétences partagées.

Ce dispositif est particulièrement adapté aux domaines du sport et de la culture. Dans ce dernier en particulier, nous avons atteint un régime de croisière et les collectivités n'expriment pas le souhait de nouveaux transferts. En effet, même si le transfert de l'Inventaire général du patrimoine aux régions, par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités des collectivités locales, a été globalement apprécié, je pense que le rétablissement d'un dialogue serein avec l'État constitue le préalable nécessaire à tout transfert supplémentaire. Sans cette condition, toute décision de la sorte ne peut qu'être accueillie par une certaine méfiance.

J'en veux pour preuve le résultat mitigé des transferts de monuments historiques opérés par la loi de 2004 : alors que 176 monuments classés ou inscrits de l'État et du Centre des monuments nationaux ont été déclarés transférables, sur leur demande, aux collectivités territoriales, seulement 73 candidatures ont été adressées aux préfets de région. De même, seules quatre collectivités ont fait connaître leur intérêt à participer à l'expérimentation en matière de gestion par les régions, ou à défaut par les départements, des crédits affectés à la restauration et à l'entretien des monuments inscrits ou classés n'appartenant pas à l'État.

L'amélioration de la coordination des interventions des collectivités par les collectivités elles-mêmes est également de bonne méthode. Je vous proposerai des amendements visant à conforter le rôle de chef de file des régions pour l'exercice de certaines compétences afin de garantir une approche globale, dans le cadre d'une stratégie cohérente.

Je vous proposerai également de combler un angle mort du projet de loi en matière de coordination des politiques culturelles. Reposant en grande partie sur le volontarisme local, le paysage institutionnel d'une action culturelle largement empirique peut apparaître quelque peu brouillé. Ce diagnostic a été confirmé à l'occasion des « Entretiens de Valois » pour le spectacle vivant, lancés par le ministère de la culture sous la précédente législature. Ceux-ci ont été l'occasion de déplorer notamment la multiplicité des guichets auxquels les acteurs culturels doivent s'adresser pour faire vivre leur institution ou monter leurs projets, ainsi que certaines divergences dans les attentes formulées par les différentes collectivités publiques, avec des cahiers des charges parfois contradictoires.

D'autre part, en dépit de leur rôle irremplaçable pour le dynamisme culturel des territoires, les collectivités locales ont souvent le sentiment d'être réduites à la fonction de « guichets », le dialogue et le partenariat avec l'État restant perçu comme déséquilibré, voire déresponsabilisant. À l'inverse, les directions régionales des affaires culturelles, les DRAC, se révèlent parfois incapables de satisfaire les demandes d'accompagnement, d'expertise et de conseil que leur adressent les collectivités pour certains dossiers. À ce propos, la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture, la FNCC, a pu souligner « la nécessité de réaffirmer le rôle essentiel de l'État ».

C'est la raison pour laquelle je vous proposerai d'instituer un conseil territorial pour le développement culturel, dont la composition serait calquée sur celle de la conférence territoriale de l'action publique. Ce conseil constituerait le pendant, au niveau local, du conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel, placé auprès de la ministre en charge de la culture, qui a été récemment réactivé pour répondre à ce besoin d'un dialogue plus approfondi. Dans le cadre de ce conseil national, les associations de collectivités ont formé le voeu qu'une déclinaison locale de cette structure puisse être mise en place. Nous y répondons en proposant ce conseil territorial. Il se réunirait obligatoirement au moins une fois par an. Le représentant de l'État serait systématiquement présent. Il ne s'agit pas pour autant d'une tentative d'assurer l'hégémonie de l'État sur les politiques culturelles locales : nous entendons, je le répète, répondre à la demande des collectivités d'un dialogue plus nourri et plus formalisé avec l'État, sur le fondement d'un véritable partenariat.

Pour conclure, je me réjouis que nous puissions débattre des politiques culturelles et sportives locales, et plus généralement des perspectives de la décentralisation. Une nouvelle occasion de le faire nous sera fournie par l'examen des deux projets de loi qui doivent suivre celui dont nous sommes aujourd'hui saisis, l'un relatif à la mobilisation des régions pour la croissance et l'emploi et sur la promotion de l'égalité des territoires, l'autre relatif au développement des solidarités territoriales et la démocratie locale. La discussion des futurs projets de loi sur la création et sur le patrimoine constituera également, à n'en pas douter, un temps fort de notre réflexion.

Pour toutes ces raisons, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption du présent projet de loi, sous réserve de l'adoption des amendements que je vous présenterai et d'un autre, auquel je donnerai un avis favorable.

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