Avant d'en venir aux aspects plus techniques, je vous exposerai l'état d'esprit qui préside à notre coopération à Londres, où Nicolas Fournier et moi sommes en poste depuis un an environ. Bénéficiant d'un solide réseau, nous croyons utile de vous apporter un éclairage sur l'atmosphère qui y règne.
Les coopérations franco-britanniques, qui existent depuis longtemps, portent essentiellement sur les missiles et matériels volants. Dans les domaines terrestre et maritime, elles ont été moins fructueuses.
Les traités de Lancaster House, signés en novembre 2010, ne marquent pas l'an I de cette coopération, mais ils ont apporté une impulsion politique et envoyé un signal fort tant aux industriels et aux administrations qu'à nos alliés occidentaux, tels le Canada et les États-Unis. Enfin, ils sont un exemple pour l'Europe.
Le contexte politique est actuellement très favorable. Les traités de Lancaster House sont bipartisans au-delà de la Manche et en deçà puisqu'ils ont été élaborés sous un gouvernement travailliste, signés par Nicolas Sarkozy, mis en oeuvre par David Cameron et le gouvernement français issu des élections de 2012 leur a réitéré son soutien. Le Premier ministre britannique est convaincu, malgré l'euroscepticisme ambiant, de la nécessité de s'allier avec les Européens pour nouer des alliances industrielles, et les industriels poussent fortement dans ce sens. À moyen et long terme, les Britanniques pensent qu'ils ne pourront plus compter sur les Américains.
Par ailleurs, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui insiste sur l'importance du binôme franco-britannique, a été bien reçu à Londres. Et l'heure est à l'harmonie et à la confiance, comme en témoigne la conférence annuelle du conseil franco-britannique qui s'est tenue les 15 et 16 mai à Londres en présence de trois ministres, dont notre ministre de la défense, des directeurs nationaux d'armement et dirigeants des industries de défense.
Toutefois, les progrès sont fonction de fenêtres d'opportunité qui s'ouvrent et se ferment, selon le calendrier politique de chacun des deux pays. Or, autant le contexte est aujourd'hui favorable, autant, à partir de mi-2014, il deviendra plus difficile en raison du référendum sur l'indépendance de l'Écosse et la campagne des élections générales de 2015.
Les difficultés auxquelles s'est heurtée la coopération bilatérale dans le domaine industriel sont de quatre ordres. Premièrement, pendant longtemps, Londres a opposé son pragmatisme, résumé dans le mot d'ordre best value for money, à la vision française, plus conceptuelle. Deuxièmement, les Britanniques se sont révélés incapables de gérer les programmes d'armement les plus ambitieux, et ce lourd passif du ministère de la défense est devenu un enjeu de politique intérieure, entre conservateurs et travaillistes. Se pose ainsi la question de l'avenir du processus d'acquisition. Actuellement, le ministre de la défense envisage au moins partiellement son externalisation, laquelle hypothéquerait, et c'est le troisième obstacle – la capacité future de la Grande-Bretagne à coopérer tant avec les États-Unis qu'avec la France. Enfin, dans le passé, l'expression de besoins très différents de part et d'autre dans les domaines maritime et terrestre rendait les rapprochements très difficiles. Pourtant, aujourd'hui, ils semblent s'esquisser.
S'agissant de la conception des matériels et des ambitions politiques, le Livre blanc et la Strategic Defence and Security Review (SDSR) sont finalement assez proches : même type de capacités expéditionnaires, dissuasion nucléaire…
J'ai parlé de confiance entre les acteurs, du politique à l'industriel en passant par le militaire ; restent maintenant les inconnues sur l'évolution du processus d'acquisition au Royaume-Uni et sa capacité à mener les grands programmes d'armement.
Par ailleurs les deux gouvernements auront à s'assurer de la bonne progression du projet One MBDA.