Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Réunion du 23 mai 2013 à 10h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Nous auditionnons aujourd'hui les attachés de défense et d'armement en poste à Londres et je souhaite la bienvenue au contre-amiral Henri Schricke et à l'ingénieur en chef de l'armement Nicolas Fournier. L'objectif de cette audition est d'analyser la conduite des programmes d'armement menés en coopération au niveau politique, industriel, technique et financier, avec le Royaume-Uni.

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contre-amiral Henri Schricke, attaché de défense près l'ambassade de France à Londres

Avant d'en venir aux aspects plus techniques, je vous exposerai l'état d'esprit qui préside à notre coopération à Londres, où Nicolas Fournier et moi sommes en poste depuis un an environ. Bénéficiant d'un solide réseau, nous croyons utile de vous apporter un éclairage sur l'atmosphère qui y règne.

Les coopérations franco-britanniques, qui existent depuis longtemps, portent essentiellement sur les missiles et matériels volants. Dans les domaines terrestre et maritime, elles ont été moins fructueuses.

Les traités de Lancaster House, signés en novembre 2010, ne marquent pas l'an I de cette coopération, mais ils ont apporté une impulsion politique et envoyé un signal fort tant aux industriels et aux administrations qu'à nos alliés occidentaux, tels le Canada et les États-Unis. Enfin, ils sont un exemple pour l'Europe.

Le contexte politique est actuellement très favorable. Les traités de Lancaster House sont bipartisans au-delà de la Manche et en deçà puisqu'ils ont été élaborés sous un gouvernement travailliste, signés par Nicolas Sarkozy, mis en oeuvre par David Cameron et le gouvernement français issu des élections de 2012 leur a réitéré son soutien. Le Premier ministre britannique est convaincu, malgré l'euroscepticisme ambiant, de la nécessité de s'allier avec les Européens pour nouer des alliances industrielles, et les industriels poussent fortement dans ce sens. À moyen et long terme, les Britanniques pensent qu'ils ne pourront plus compter sur les Américains.

Par ailleurs, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui insiste sur l'importance du binôme franco-britannique, a été bien reçu à Londres. Et l'heure est à l'harmonie et à la confiance, comme en témoigne la conférence annuelle du conseil franco-britannique qui s'est tenue les 15 et 16 mai à Londres en présence de trois ministres, dont notre ministre de la défense, des directeurs nationaux d'armement et dirigeants des industries de défense.

Toutefois, les progrès sont fonction de fenêtres d'opportunité qui s'ouvrent et se ferment, selon le calendrier politique de chacun des deux pays. Or, autant le contexte est aujourd'hui favorable, autant, à partir de mi-2014, il deviendra plus difficile en raison du référendum sur l'indépendance de l'Écosse et la campagne des élections générales de 2015.

Les difficultés auxquelles s'est heurtée la coopération bilatérale dans le domaine industriel sont de quatre ordres. Premièrement, pendant longtemps, Londres a opposé son pragmatisme, résumé dans le mot d'ordre best value for money, à la vision française, plus conceptuelle. Deuxièmement, les Britanniques se sont révélés incapables de gérer les programmes d'armement les plus ambitieux, et ce lourd passif du ministère de la défense est devenu un enjeu de politique intérieure, entre conservateurs et travaillistes. Se pose ainsi la question de l'avenir du processus d'acquisition. Actuellement, le ministre de la défense envisage au moins partiellement son externalisation, laquelle hypothéquerait, et c'est le troisième obstacle – la capacité future de la Grande-Bretagne à coopérer tant avec les États-Unis qu'avec la France. Enfin, dans le passé, l'expression de besoins très différents de part et d'autre dans les domaines maritime et terrestre rendait les rapprochements très difficiles. Pourtant, aujourd'hui, ils semblent s'esquisser.

S'agissant de la conception des matériels et des ambitions politiques, le Livre blanc et la Strategic Defence and Security Review (SDSR) sont finalement assez proches : même type de capacités expéditionnaires, dissuasion nucléaire…

J'ai parlé de confiance entre les acteurs, du politique à l'industriel en passant par le militaire ; restent maintenant les inconnues sur l'évolution du processus d'acquisition au Royaume-Uni et sa capacité à mener les grands programmes d'armement.

Par ailleurs les deux gouvernements auront à s'assurer de la bonne progression du projet One MBDA.

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Nicolas Fournier, ingénieur en chef de l'armement, attaché d'armement près l'ambassade de France à Londres

Plus concrètement, depuis la fin de l'année 2010, on a avancé dans un environnement contraint. Le Royaume-Uni a mis deux ans à décliner sa SDSR en termes budgétaires d'autant que, dans le même temps, ont été lancées de profondes réformes des capacités et de l'acquisition des matériels. Les Français, de leur côté, ont entamé un processus de revue capacitaire à partir du printemps 2012. Nous avons ainsi mis en suspens les deux sujets majeurs que sont le drone MALE en gelant la stratégie franco-britannique initialement prévue, et le projet très symbolique du missile anti-navire léger (ANL) au sujet duquel la décision n'a été prise que récemment.

Une synthèse de l'état d'avancement des projets montre un programme sur le point d'être lancé, qui est précisément le missile anti-navire léger. Depuis que la France a décidé de s'engager, nous sommes sur le point de démarrer le développement et une phase de production. Le corollaire, de moindre envergure mais important pour nous, est la rénovation à mi-vie du missile de croisière que nous avions fait en coopération avec les Britanniques, le SCALP – qu'ils appellent, eux, le Storm Shadow – qui équipe nos armées respectives et dont l'obsolescence nécessite des travaux que nous espérons réaliser en commun. Ces projets concourent à la démarche de rationalisation de l'industrie missilière, One Complex Weapon, ou plus simplement One MBDA, du nom de la principale société concernée.

D'autres projets de coopération ne sont pas encore à ce stade de maturité, même s'ils avancent à bon rythme. Ce sont, d'une part, le drone de guerre des mines navales, d'autre part, le drone tactique Watchkeeper. Il s'agirait respectivement de lancer un nouveau produit et d'équiper la France d'un système qui arrive, côté britannique, en fin de cycle de développement et sur le point d'y être mis en service.

Dans le domaine de la recherche technologique (R & T), on trouve le projet emblématique du futur drone de combat aérien, le Future Combat Air System, le FCAS. Une étude de faisabilité a été lancée en juillet 2012, et nous travaillons très activement ensemble à une phase de démonstration, qui contribuerait puissamment à rapprocher nos industries opérant dans l'aéronautique de combat.

Par ailleurs, des actions sont en cours touchant aux systèmes d'information, dont l'interopérabilité doit former une sorte de couche de glue entre eux, et qui est essentielle sur le plan opérationnel. Dans la phase de montée en puissance de la force expéditionnaire conjointe – Combined Joint Expeditionary Force, la CJEF –, chaque exercice est l'occasion d'identifier des améliorations possibles. Nous travaillons également à harmoniser sur les systèmes satellitaires de communication de prochaine génération, les successeurs du Syracuse français et du Skynet britannique.

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Quels sont les différents types de drone, et, dans ce domaine, comment est mis en oeuvre ce qu'annonçaient les traités de Lancaster House ? Quels sont les enjeux des différentes options offertes pour nous équiper ?

Le Livre blanc français peut donner lieu à une double lecture. Il a pu apparaître comme un frein dans la mesure où le temps pris pour la réflexion a ralenti la décision, mais il peut se révéler ensuite un accélérateur puisqu'il a remis sur le devant de la scène le missile ANL. Celui-ci préoccupait beaucoup François Cornut-Gentille l'automne dernier puisqu'il avait déposé un amendement au projet de loi de finances pour aller plus vite, l'urgence étant à l'époque à l'ordre du jour à Londres, et moins à Paris. Où en est-on ?

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contre-amiral Henri Schricke, attaché de défense près l'ambassade de France à Londres

Sur un plan général, faut-il que Livre blanc et SDSR soient élaborés en même temps ? À titre personnel, je plaide pour le maintien du découplage grâce auquel il y a toujours au moins l'un des deux pays qui avance. Un calage provoquerait fatalement des épisodes de latence de douze à dix-huit mois.

Pour la question portant sur l'ANL, et sur la mise en service des matériels en général, jusqu'à présent, les Britanniques n'imaginaient pas ne pas avoir ce qu'on appelle le high end sur la technologie, quelle que soit la plate-forme ; ils n'imaginaient pas non plus, officiellement, admettre au service actif des matériels qui ne soient pas entièrement équipés. D'où, en particulier, l'intense pression des Anglais qui venait de ce qu'il n'était pas question pour eux de lancer le Lynx rénové sans le FASGW – le nom de l'ANL outre-Manche.

Le cas de nos frégates La Fayette, navires de premier rang mises en service au début des années 1990 sans être en mesure d'opérer dans tous les domaines de lutte, aurait été inenvisageable au Royaume-Uni. Or ce dernier est en train de changer de perspective pour ses programmes futurs me semble-t-il.

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Nicolas Fournier, ingénieur en chef de l'armement, attaché d'armement près l'ambassade de France à Londres

Le besoin de disposer d'un missile tiré depuis un hélicoptère pour atteindre des bâtiments de surface de moindre ampleur que ceux qui sont visés par les Exocet n'est pas nouveau et il est avéré. Cela fait des années qu'il n'est pas traité avec le même degré de priorité de part et d'autre. Les Britanniques étaient surtout préoccupés de la continuité de la capacité malgré le renouvellement de leurs hélicoptères. Les Français, quant à eux, n'étaient pas soumis aux mêmes échéances pour le Panther et la version marine du NH90. Vu de Londres, la décision qui l'a emporté résulte d'une analyse en termes capacitaires, industriels – les liens avec la rationalisation de l'industrie missilière – et politiques. J'ai d'ailleurs entendu notre ministre de la défense le dire. Il a fallu faire un compromis entre les différentes facettes et les impératifs financiers. Londres a compris la portée du geste, dans la continuité de l'esprit de Lancaster House.

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contre-amiral Henri Schricke, attaché de défense près l'ambassade de France à Londres

Lancaster House a mis en place une gouvernance remarquablement souple, légère et réactive, dont le Royaume-Uni avait fait une condition, pour être certain que la coopération se passe bien. Ont été mis en place des groupes de travail au niveau des directeurs nationaux d'armement ; le contrôle « politique » exercé par le Senior Level Group, comprenant le National Security Advisor ainsi que le chef d'état-major particulier et le conseiller diplomatique du Président, permet de conserver une vraie gouvernance à travers une structure souple.

Durant l'année qui a suivi la signature de Lancaster House, on a adopté l'expression de « paquet drone », très pratique sur le plan médiatique et politique, mais qui s'est révélé maladroite parce qu'elle englobait des systèmes extrêmement différents. Nous oeuvrons pour le voir disparaître et se concentrer sur chacun d'entre eux séparément.

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Nicolas Fournier, ingénieur en chef de l'armement, attaché d'armement près l'ambassade de France à Londres

S'agissant des « drones », en anglais unmanned aerial systems, les Anglais soulignent, à l'intention de leur opinion publique, que ces matériels, même s'ils n'ont pas d'équipage, sont bien contrôlés par des humains. Il est donc important de ne pas parler d'autonomie de décision ou de décision prise par ordinateur.

Dans le cadre de Lancaster House, nous coopérons à trois catégories de drones aériens.

Premièrement, les drones tactiques qui sont mis en oeuvre par les armées de terre. Héritiers des systèmes d'observation de l'artillerie, ils ont vocation à fournir des informations tactiques avec des senseurs optiques ou des radars à imagerie. Il s'agit aujourd'hui de choisir le matériel qui succédera au système français de drone tactique intérimaire (SDTI) français. Un des candidats les plus solides arrive au bon moment : le Watchkeeper qui va être mis en service dans l'armée de terre britannique. Il vole relativement bas, mais il exige des pistes au décollage et à l'atterrissage, alors que notre système utilise des catapultes et des parachutes.

Après les études préliminaires, nous avons signé avec les Britanniques un accord portant sur une expérimentation par la France, qui est en cours à Istres. Nous étudions, pour le plus grand bénéfice des deux partenaires, les finitions à apporter même si la France n'a pas encore pris sa décision.

Deuxièmement, les drones MALE. Il s'agit d'un matériel plus gros, qui vole plus haut et beaucoup plus longtemps. Nous nous servons aujourd'hui du système Harfang qui avait été choisi dès le début comme une solution intérimaire. Depuis une quinzaine d'années, un dilemme nous somme de choisir entre un achat sur étagère et un développement spécifique. Sur les étagères, on trouve du matériel israélien et du matériel américain. La première feuille de route de mise en oeuvre des traités de Lancaster House incitait fortement à développer une solution conjointe, dont la première phase intérimaire consistait à prendre une plate-forme israélienne et la seconde à se lancer dans le développement d'une solution franco-britannique. Elle a été mise en suspens l'été dernier. Depuis, nous envisageons plutôt d'acheter à court terme le drone américain Reaper. C'est une inflexion par rapport aux directives données en matière de coopération franco-britannique. Mais elle n'est pas compromise pour autant dans la mesure où les Britanniques ont, pour des raisons tenant à l'urgence opérationnelle, fait le même choix en 2007. Comme ils envisagent eux-mêmes de le pérenniser après la fermeture du théâtre afghan, ils sont très intéressés par une coopération franco-britannique, élargie – pourquoi pas ? – à d'autres pays européens, qui ressemblerait à un club d'utilisateurs de ce matériel acheté sur étagère aux États-Unis.

Par ailleurs, ils sont aussi intéressés par les évolutions à la marge au Reaper, qui, tel quel, ne peut pas obtenir un certificat de navigabilité dans l'espace aérien européen. Or elles pourraient coûter fort cher et il faut prendre des précautions. On l'a vu encore récemment, l'Allemagne a dû renoncer à obtenir ce certificat pour des drones HALE, volant à haute altitude, achetés sur étagère aux Américains.

Le dernier type de drone est fondamentalement différent puisqu'il s'agit des drones de combat, une solution potentielle pour la prochaine génération d'avions de combat. Le drone embarque de nombreux systèmes d'armes – missiles ou frappe de précision. Nous n'en sommes qu'à la phase de R & T, mais elle est structurante pour l'industrie aéronautique, tant pour les bureaux d'études de Dassault Aviation, le motoriste Safran et l'électronicien Thales que pour leurs pendants britanniques BAe Systems, Rolls Royce, et Selex qui fabriquent le Typhoon, le rival du Rafale. L'enjeu est de construire si possible en commun leur successeur, pour éviter un nouvel affrontement direct, notamment à l'exportation. L'idée serait de lancer à partir de l'année prochaine un projet de démonstrateur, pour succéder à celui mené autour du drone français nEUROn et du drone britannique Taranis.

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Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous à propos du drone MALE. Il n'y a eu ni inflexion, ni recul de la part du ministre de la défense l'été dernier. Le dossier a été rouvert, parce qu'il fallait prendre position rapidement compte tenu du décalage entre la volonté de développer un drone MALE dans un cadre plus ou moins européen qui restait à définir, à l'horizon 2025-2030, et le besoin urgent que ressentaient nos armées tant en Afghanistan que maintenant au Mali, où nous dépendons, pour l'observation, de matériels américains. Le ministre nous a confirmé hier l'achat de deux drones Reaper, ce qui crédibiliserait cette option.

Effectivement, la coopération n'a pas commencé à Lancaster House. Mais les Anglais en font-ils le même bilan que nous ? Sont-ils prêts à la renforcer ou bien s'en contentent-ils ?

Vous soulignez que les Britanniques sont satisfaits de l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR), et moins de l'Agence européenne de défense (AED). Il me semble que cette vision est partagée, au moins outre-Rhin. Dès lors, vont-ils privilégier l'OCCAR ou les coopérations bilatérales ?

Concernant les traités de Lancaster House, le calendrier originel n'a pas été suivi mais, en dépit de l'alternance, les objectifs ont été réaffirmés dans la vision stratégique du Livre blanc. Le rapport de M. Hubert Védrine sur l'OTAN a également donné des gages à nos alliés, au premier rang desquels les Britanniques. Ces traités étendent nos coopérations à des sujets sensibles comme le nucléaire. Dans ce domaine précis, elles sont satisfaisantes malgré les incertitudes qui planent sur le financement de la simulation qui se fait en Bourgogne, et qui constitue une grande première. Autre point fort de la coopération, les capacités expéditionnaires qui ont montré leur efficacité en Libye comme sur d'autres théâtres d'opérations. La coopération franco-britannique est tout de même portée par une forte volonté politique, renouvelée par le Président de la République, et s'étend à des domaines qui étaient auparavant du domaine exclusif de chaque État.

Enfin, l'euroscepticisme n'aurait pas trop d'incidence sur la volonté du Premier ministre David Cameron, mais y a-t-il des partis pour regretter l'alliance avec les États-Unis, désormais plus préoccupés par l'Asie, et qui, à la lumière de la remise en question de l'appartenance à l'Union européenne, envisageraient une réorientation stratégique, avec les conséquences que cela impliquerait pour les coopérations ?

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contre-amiral Henri Schricke, attaché de défense près l'ambassade de France à Londres

David Cameron doit afficher son euroscepticisme à des fins de politique intérieure. Mais, s'il y a un domaine qui sort indemne du débat, c'est bien la défense, en tout cas, la relation franco-britannique. Les industriels et les militaires savent bien qu'ils ne peuvent agir sans leurs partenaires opérationnels, que sont les pays du Nord et la France.

Sincèrement, je ne crois pas à une inflexion stratégique. Un parti tel que l'UKIP peut jouer un rôle dans les élections locales ou européennes, mais le bipartisme devrait rester la règle pour les prochaines élections générales.

Les Britanniques prennent acte du désintérêt relatif des Américains, sans s'apitoyer sur leur sort. Du coup, le Gouvernement, quel qu'il soit, sera poussé par ses propres industriels à consolider quelques liens au sein de l'Europe.

Sur le plan opérationnel, la CEJF est en ligne avec la SDSR 2010 et le nouveau Livre blanc. Elle sert aussi à promouvoir dans son sillage d'autres coopérations capacitaires, à commencer par les systèmes d'information et de commandement. Si, demain, les deux armées devaient s'équiper de Watchkeeper, l'interopérabilité de nos forces en serait facilitée.

L'une des grandes avancées réalisées par les traités de Lancaster House réside dans la souplesse de la gouvernance. La feuille de route annuelle est l'occasion de procéder à des réajustements et de faire évoluer les priorités, en fonction des réalités politiques, industrielles et militaires. Après trois ans, et la crise budgétaire persistant, il va falloir revoir en profondeur les projets de coopération et envisager de nouvelles pistes. La question aujourd'hui n'est plus tant la mutualisation, bien admise sur le plan politique, que le niveau d'interdépendance acceptable. Le Royaume-Uni n'a plus de patrouille maritime et ses capacités ne sont plus suffisantes aujourd'hui pour mener seul des opérations. Et, si le principe de l'interdépendance est accepté, elle n'est possible qu'avec nous.

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Nicolas Fournier, ingénieur en chef de l'armement, attaché d'armement près l'ambassade de France à Londres

Schématiquement, les Britanniques voient dans l'AED l'incarnation de la coopération multilatérale dogmatique et dans l'OCCAR un outil de coopération multilatéral pragmatique. Ce dernier n'a aucune prétention à susciter des idées, à fédérer les points de vue ou à rapprocher les besoins opérationnels. L'OCCAR permet de mutualiser la gestion de programmes, en souscrivant des contrats et en entretenant un dialogue constructif entre clients et fournisseurs industriels. Et les Britanniques considèrent que le rapport coûtefficacité est satisfaisant. L'AED apparaît, elle, comme un forum de discussion, d'où sont lancés les projets. Dans le domaine de la R & T, les Britanniques sont contents qu'elle leur serve à trouver des partenaires pour monter des tours de table, et mutualiser le financement d'études qu'ils trouvent intéressantes. En revanche, ils ironisent sur la recherche de consensus réunissant une vingtaine de pays. En somme, ils sont très ouverts à la coopération avec certains pays européens – la France en fait aujourd'hui partie – et beaucoup moins avec d'autres, bien qu'ils s'en défendent. Sans jamais prendre de position officielle, ils diront, au détour d'une phrase, que tel petit pays n'a pas forcément son mot à dire sur le pilotage de la R & T de défense. D'où la nécessité de trouver, sous différentes formes, des plates-formes multilatérales, mais plus étroites, comme la lettre d'intention du 6 juillet 1998 qui regroupe six pays ayant des préoccupations communes.

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Le projet de deuxième porte-avions (PA2) est-il à ranger parmi les programmes de coopération bilatérale avortés, ou relevait-il d'une autre logique ?

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contre-amiral Henri Schricke, attaché de défense près l'ambassade de France à Londres

Je ne suis pas un spécialiste mais, sur un plan général, la coopération navale se heurtait jusqu'à présent à des différences de conception et à la difficulté britannique de gérer des grands programmes d'armement. L'exemple le plus criant est le tournant à 180 degrés sur les programmes de porte-avions et d'aviation embarquée. Alors qu'ils étaient bien avancés, la défense britannique était incapable d'estimer, à plusieurs milliards près, les évolutions envisagées. Ignorant combien cela nous a coûté, je ne peux pas juger.

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Nicolas Fournier, ingénieur en chef de l'armement, attaché d'armement près l'ambassade de France à Londres

Tout en sachant parfaitement que leurs chantiers navals restent géographiquement très morcelés, les autorités britanniques ne se sont pas engagées dans la voie de l'optimisation. La construction du porte-avions avait été répartie de façon à garantir la survie des sites. Ayant assisté aux discussions sur l'éventualité d'un deuxième porte-avions français en coopération avec le programme CVF britannique, je me suis rendu compte, comme les autres, que la rationalisation des chantiers de construction était un sujet tabou.

Plus récemment, s'est posé le problème du groupe aérien embarqué. Nous aurions apprécié que les porte-avions britanniques soient équipés de catapultes, condition d'une coopération ultérieure plus étroite dans ce domaine. Nos partenaires y ont renoncé, à mon avis, pour des raisons strictement financières, le programme ayant déjà occasionné des surcoûts considérables.

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Bruno Rémond, conseiller maître à la Cour des comptes

Paradoxalement, la coopération opérationnelle va plus loin avec le Royaume-Uni qu'avec l'Allemagne avec laquelle nous avons pourtant créé des forces conjointes, mais qui ne sont jamais intervenues. Et, inversement, les coopérations industrielles sont de moindre envergure alors que nos industries respectives sont davantage imbriquées de part et d'autre de la Manche que du Rhin.

Par ailleurs, les succès comme le Jaguar, ou, plus récemment, l'A400M et le Principal Anti-Air Missile System (PAAMS) ne doivent pas faire oublier certains échecs. Je pense à Horizon et aux frégates FREMM. S'agissant du Storm Shadow, le bilan est plus mitigé car il s'agit d'un dérivé du SCALP-EG et la France a assumé l'essentiel des frais de développement de la version britannique.