Notre groupe de travail est une instance permanente et notre intervention d'aujourd'hui est une sorte de rapport d'étape.
Au Niger, outre l'ambassadeur de France et son équipe, nous avons rencontré des personnalités remarquables. Je pense, par exemple, à M. Alhamdou Ag Ilyène, chargé d'affaires du Mali au Niger, un homme aux idées bien arrêtées quant à l'avenir de son pays. Nous avons aussi visité le camp de réfugiés de Tabareybarey, situé à 233 km au nord-ouest de Niamey et à 30 kilomètres de la frontière avec le Mali et qui accueille plus de 8.000 personnes. Nous avons également eu l'occasion de nous entretenir avec M. Brigi Rafini, Premier ministre du Niger mais aussi avec le Président de la République, M. Mahamadou Issoufou. Le dernier jour, avant notre départ, nous avons assisté à la séance de clôture de la session ordinaire de l'Assemblée nationale, où étaient présents les présidents des assemblées malienne et burkinabé. Le symbole était fort et montre que, désormais, l'ensemble des Etats de la région se sentent concernés et que les problèmes ne sont plus affrontés de manière isolée.
Depuis l'élection du Président Issoufou – élection jugée exemplaire par la communauté internationale –, le Niger est stable. L'opposition respecte les règles du jeu et est intégrée au fonctionnement de la République. La pratique démocratique du pouvoir est réelle, la presse est libre et les opposants se font entendre. De même, il y a, au Niger, un sentiment national assez développé, plus fort qu'au Mali.
En revanche, on a été surpris par la virulence des propos à l'encontre de la situation en Libye. Il y a une vraie obsession du Niger envers le désordre libyen qui menace la stabilité du pays. D'ailleurs, peu avant notre visite à Niamey, il y a eu deux attentats, à Agadez et à Arlit. Et le jour même de notre départ, une attaque terroriste atteignit la prison de Niamey dans le but de libérer certains détenus terroristes. La situation sécuritaire est donc préoccupante et explique que le Président Issoufou nous ait fait part de ses doutes quant à la doctrine « Tout sauf les Armes » (TSA) qui renchérit le coût de la sécurité des Etats africains, alors qu'ils sont les premiers concernés par la lutte contre le terrorisme.
Au-delà de cet environnement menaçant, le Niger est aussi confronté à des faiblesses préoccupantes. L'Etat demeure faible. La fonction publique est politisée. Il y a peu de fonctionnaires au regard de la taille et de la population du pays. Il y a un problème de compétences humaines. Le Niger est également confronté à la corruption et ses ressources sont limitées. Celles tirées de l'uranium sont jugées insuffisantes par le chef de l'Etat – ce qui ne va pas sans créer des tensions avec les sociétés présentes – et, en outre, le tourisme a été anéanti par le placement en zones rouge et orange, ce qui conduit à s'interroger, à nouveau, sur les effets néfastes de ces classements par le Quai d'Orsay.
Autre handicap du Niger : un profond sous-développement. En 2011, j'ai assisté à l'investiture du Président Issoufou et sa priorité absolue était, à l'époque, la sécurité. Mais les dépenses dans ce secteur empêchent de consacrer des moyens suffisants à deux autres domaines importants : le système éducatif et celui de la santé. En plus, ce pays est pénalisé par sa situation démographique qui est très préoccupante. Avec un taux de fécondité proche de 8 enfants par femmes, le taux de croissance de la population est de 3.9 % par an et la prise de conscience des effets néfastes de ces chiffres est loin d'être très répandue.
En ce qui concerne le camp de réfugiés de Tabarebarey, nous avons appris qu'au début de la prise en charge des réfugiés maliens par les organismes internationaux, les populations nigériennes des communes d'accueil, elles-mêmes soumises à des carences alimentaires et vivant dans des conditions d'extrême pauvreté, ont eu le sentiment qu'un traitement privilégié était accordé aux Maliens, ce qui a conduit le HCR et ses partenaires à aider également les populations d'accueil afin d'éviter les tensions. Nous avons aussi constaté que les réfugiés considèrent que les garanties de sécurité sont encore insuffisantes au Nord Mali pour envisager un retour à court terme.
Enfin, nous n'avons pu avoir des informations précieuses sur la présence des Etats du Golfe au Niger. Nous devrons suivre cette question.
J'en viens maintenant au Mali. Lors de notre arrivée, un constat nous est immédiatement venu à l'esprit : Bamako est plus vivante qu'en décembre, lors de notre dernier voyage. La ville a repris confiance !
Pour autant, il y a fort à faire. Il y a tout d'abord urgence à aider la population. Certes, militairement, la guerre est en grande partie gagnée mais il faut désormais gagner la paix. Les populations, notamment dans le nord du pays, rendent hommage à la France et collaborent avec Serval mais, le risque est grand de perdre notre capital de sympathie si les gens continuent de vivre dans la plus grande précarité.
Nous sommes allés à Gao et je tiens à remercier le ministère de la défense de nous avoir permis de nous rendre dans cette ville. Ce qui m'amène d'ailleurs à rendre hommage à nos soldats. Ils effectuent un travail remarquable dans des conditions extrêmes où la température dépasse fréquemment 50°C. Mais nos forces ne sont pas seules et il ne faut pas oublier les troupes de la MISMA avec, notamment, au nord du Mali, celles du Niger, du Burkina Faso et du Tchad. La MISMA deviendra la MINUSMA au 1er juillet. Nous avons rencontré le chef de cette dernière dès son arrivée sur le sol malien et, moi qui, parfois, peut être critique à l'égard de l'ONU, je dois reconnaitre avoir été impressionné.
Pour en revenir à Gao où nous avons rencontré le préfet, le maire mais aussi des habitants, nous avons pu nous rendre sur le marché, typiquement africain et rebaptisé du nom du premier militaire français tombé lors de l'Opération Serval, le lieutenant Damien Boiteux. Nous avons également constaté les difficultés éprouvées par la population dans sa vie quotidienne : il n'y a que quatre stations de pompage d'eau sur onze qui fonctionnent, l'électricité n'est disponible qu'entre 18h30 et 23h30 seulement et il n'y a pas de banque, d'où des problèmes évidents d'insécurité.
Face à ces besoins, il n'y a pas de plan d'urgence mis en place par les autorités maliennes. Comme je l'ai dit, nous avons rencontré le préfet de Gao mais il est démuni. La Force Serval aide au plus pressé en fournissant, par exemple, des groupes électrogènes. Mais ce n'est qu'une goutte d'eau. La communauté internationale doit agir. La « machine onusienne » doit se mettre en route avant que les sentiments de la population ne dérapent.
En outre, au Mali, nous avons également rencontré des journalistes et deux candidats à l'élection présidentielle. Il y a deux sortes de candidats. Ceux qui ont été dans le dispositif de longue date, c'est-à-dire ceux qui étaient présents à l'époque d'ATT et il y a les nouveaux, souvent des hommes d'affaire ou des professeurs, qui ne seront pas forcément au second tour mais qui peuvent, néanmoins, être solides.
Nous avons pu avoir un entretien avec le Premier ministre malien, M. Diango Cissoko ainsi qu'avec M. Mohamed Salia Sokona, président de la Commission Dialogue et Réconciliation, même si je dois dire que nous n'avons pas eu une impression particulièrement positive de cette instance qui, au mieux, n'interviendra qu'après les élections.
Evidemment, on est persuadé qu'il faut désormais mener plusieurs fronts en même temps. Le front du développement, celui du secours humanitaire, celui de l'organisation de l'Etat mais aussi le processus électoral. A priori, les élections auront lieu grâce à l'accord qui vient d'être conclu à Ouagadougou sous la médiation du Président Compaoré. Ça été pénible et long à obtenir mais la France a oeuvré en ce sens. Il reste quatre semaines d'ci le premier tour mais on constate que la période est loin d'être la meilleure avec la saison des pluies, l'hivernage – c'est-à-dire le moment où les gens seront dans les champs – et aussi la transition MISMA-MINUSMA qui peut être délicate à gérer. En tout état de cause, rien ne serait pire que de retarder la date des élections. Beaucoup le souhaitent et il y a beaucoup de gens qui ont intérêt à ce qu'il n'y ait pas d'élection.
Comme vous le dira Pierre Lellouche, non seulement la question sécuritaire va perdurer mais il s'agit maintenant d'un problème de « State Building » mais aussi de « Nation Building » avec toute une série de dispositifs qui sont connus, pour lesquels on travaille déjà et pour lesquels je penche plutôt vers l'optimisme.
Pour conclure, voici les sept recommandations que nous souhaitons formuler à l'issue de notre déplacement :
- sensibiliser les Etats de la région et la communauté internationale à l'urgence d'aider la population malienne pour ne pas dilapider notre capital de sympathie après l'intervention militaire ;
- envisager que les autorités françaises nomment un Représentant spécial pour le Sahel qui ne soit pas un diplomate mais un homme politique qui pourrait mobiliser les différentes administrations.
- ne pas passer à côté des opportunités économiques offertes par la reconstruction du Mali. Créer, dans ce but, une « Task force » des entreprises françaises désireuses de travailler dans ce pays ;
- soutenir nos armées au moment du vote du prochain projet de loi de finances et de la future loi de programmation militaire et tirer les enseignements de l'Opération Serval sur nos capacités ;
- s'interroger sur la pertinence de la doctrine « Tout sauf les Armes » (TSA) qui renchérit le coût de la sécurité des Etats africains, alors qu'ils sont les premiers concernés par la lutte contre le terrorisme ;
- mesurer l'influence réelle des pays du Golfe sur les Etats du Sahel ;
- et, enfin, s'interroger sur les effets néfastes du placement en « zone rouge » de tout ou partie du territoire des Etats sahéliens. Car on a annihilé le tourisme et toute coopération décentralisée, ce qui est un grand handicap pour le développement de la région.