Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 25 juin 2013 à 17h15
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche, président du groupe de travail :

De ce déplacement au Niger et au Mali, je retiens trois bonnes nouvelles.

Tout d'abord, je tire un coup de chapeau à nos soldats qui ont oeuvré dans des conditions exceptionnelles, notamment une très forte chaleur. Les défis logistiques sont énormes, en particulier s'agissant de l'acheminement de l'eau. Au-delà, nous avons pu mesurer les grands progrès de l'armée dans l'intégration du champ de bataille en temps réel. Dans une région difficile, un dispositif même limité peut être efficace.

Par ailleurs, je crois qu'avec beaucoup d'efforts, le Quai d'Orsay a réussi le pari de mobiliser d'abord des donateurs mais aussi l'ONU qui arrive avec des moyens importants et un représentant spécial de qualité, M. Bert Koenders, un ancien député socialiste hollandais qui m'a succédé à la tête de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Le passage de la MISMA à la MINUSMA va conduire à un doublement des troupes sur le terrain avec des unités africaines équipées largement par des équipements militaires américains. Alors, certes, militairement, la France est seule en Europe mais, au moins, la MINUSMA est là.

Enfin, l'accord de Kidal est une bonne chose. Nous étions dans une position difficile avec des soldats français et des Touareg dans cette ville et l'armée malienne qui voulait remonter. A côté de ça, la presse et la classe politique malienne nous accusaient de complicité. Lorsque nous avons quitté Bamako, le 4 juin, nous sentions que l'ambiance n'était pas bonne du tout avec un tas de gens qui ne voulaient pas l'élection. Tout le monde s'y est mis et, au final, nous avons une solution qui, à court terme, permet la tenue de l'élection.

En revanche, il y a un certain nombre de mauvaises nouvelles dues au fait que je pense qu'on a embrassé une situation compliquée dont on n'est pas prêt de sortir. Car, comme l'a dit François Loncle, il faut faire, au Mali, du « State Building » mais aussi du « Nation « Building ». D'habitude on n'a pas les deux à faire en même temps ! Il serait faux de réduire la problématique malienne à une simple opposition nordsud : le nord, lui-même, est très divisé ! Chez les Touareg, par exemple, vous avez les indépendantistes et les autres et à ces divisions se rajoutent les problèmes liés aux trafics divers. Le climat est peu propice à la réconciliation. On est dans la palabre et pas dans l'action. Après la présidentielle, il va falloir recoudre le tissu national malien et reconstruire l'Etat. On est en train de reconstruire l'armée mais il faut aussi s'atteler à la justice, à l'éducation et à l'ensemble des services publics dans le nord. On l'a vu à Gao, les préfets n'ont aucun moyen. Dans cette ville, par exemple il n'y a que 80 policiers ne disposant que de 10 armes. L'eau manque, l'électricité aussi. On dit de plus en plus que « c'était mieux avant ». Or, comment recréer une dynamique de développement sans interlocuteur ?

En outre, il ne faut surtout pas penser que tout sera fini le 28 juillet prochain. D'ailleurs, sur le plan militaire, la France ne pourra descendre en dessous de 1.000 soldats et il faudra environ 3.500 hommes pour tenir la sécurité. N'oublions pas que la MINUSMA ne sera pas une force de combat et aura besoin de nos troupes pour se défendre en cas d'attaque. Le dispositif français va donc devoir demeurer robuste. Ce qui conduit à soulever la question de l'argent. Le « seuil OPEX » inscrit en lois de finances – égal à 630 millions d'euros – va être largement franchi. Et puis, concrètement, on a des situations ubuesques comme avec les drones que nous avons vus à Niamey et qui ont épuisé les heures de vols budgétées : on doit attendre octobre pour pouvoir en racheter ! Il y a assurément un vrai sujet de réflexion sur le maintien, à terme, d'une capacité militaire suffisante. Je vous rappelle qu'en Afghanistan, au moment le plus haut de notre engagement, on avait 4.500 hommes ! Pour Serval, on pourra difficilement descendre en dessous de 2.5003.500 hommes. Et puis il convient de souligner que cette opération extérieure ne couvre pas la Libye, source de bien des menaces actuellement.

Notre présence militaire sur le sol malien doit avoir un minimum d'impact économique. Or, la brigade Serval est démunie et, si elle a financé quelques équipements, c'était sur les fonds propres des régiments ! Aucune ONG française n'est présente autour de notre dispositif militaire. Lorsque je fus nommé en Afghanistan, ma première décision a été de faire en sorte que nos soldats aient un dispositif civilo-militaire à côté d'eux pour être acceptés par la population.

Il faut une plus grande coordination de l'aide. Car si les bailleurs arrivent alors qu'il n'y a pas d'Etat, le risque d'évaporation de l'aide est très élevé. Il faut aussi un travail d'accompagnement politique post-élection présidentielle. Comme je l'ai dit préalablement, ça ne s'arrêtera pas le 28 juillet. L'accord de Ouagadougou prévoit une commission permanente de réconciliation : il faudra que le travail soit fait.

Enfin, il n'est plus possible de voir un torrent d'argent investi, au Niger et au Mali, dans des mosquées et des madrasas. Sur la route entre Niamey et le camp de réfugiés, nous avons vu des dizaines de villages très pauvres mais dans chacun, il y avait un établissement religieux flambant neuf financé par les pays du Golfe. Il faut avoir une discussion franche avec ces derniers et qu'ils créent plutôt un fonds d'investissement en faveur du développement de ces régions.

Pour conclure, j'ai dit qu'on avait épousé la classe politique malienne : c'est vrai. Notre scenario passe par une stabilisation de celle-ci. Le plus difficile est probablement devant nous, dans un environnement mouvant où le terrorisme n'est pas anéanti. Il faudra conserver le consensus dans l'opinion publique mais ne pas se mentir : ceux qui disent qu'on peut rentrer chez nous dès maintenant disent des bêtises.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion