…mais puisque la discussion est commune, vous comprendrez que j'embrasse les deux textes dont il est question.
Nous entamons aujourd'hui l'examen de deux projets de loi interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec les mandats de député, de sénateur et de parlementaire européen. Ce débat fait partie des marronniers de la vie politique française. Depuis des années, chaque responsable qui veut se rendre populaire reprend ce refrain facile : « Non au cumul des mandats ! » Les plus démagogues fustigent ce qui constituerait une spécificité ou une anomalie française ; les médias applaudissent naturellement, car cela flatte ce qu'ils pensent être le peuple ; et de nombreux candidats aux élections ont pris sur le sujet des engagements qu'ils ne se sont jamais appliqués à eux-mêmes.
Mieux encore : les députés socialistes – vous-mêmes, mes chers collègues ! – s'étaient tous engagés, lorsqu'ils ont été investis par leur parti, à anticiper la future loi en cessant de cumuler un mandat de parlementaire avec celui d'un exécutif local, y compris dans des structures intercommunales, trois mois après leur élection, en application d'une réforme de leurs statuts. Mais lorsqu'il a fallu passer aux actes, la grande majorité des parlementaires socialistes n'a pas respecté cet engagement. Un de plus, me dira-t-on, mais un quand même ! Force est en tout cas de constater que ce n'est qu'à ce moment-là que beaucoup d'entre eux se sont mis à réfléchir sérieusement aux conséquences de cette réforme, ou plutôt de cette promesse démagogique.
En effet, si ce sujet a donné lieu, depuis des années, à beaucoup de démagogie, d'hypocrisie et de discours simplistes – ce qu'illustrent parfaitement ces projets de loi – il y a eu bien peu de réflexions de fond, cherchant à savoir pourquoi le cumul des mandats existe en France. Non pas dans le temps, monsieur le ministre, mais sur le fond. Quels sont ses avantages et ses inconvénients ? En quoi participe-t-il de l'équilibre des pouvoirs dans notre pays ? Pose-t-il des problèmes de conflits d'intérêts ? Comment garantir l'égalité d'accès aux mandats publics si on limite le cumul ? Quel statut de l'élu devrait accompagner une telle réforme et quels changements institutionnels devraient la précéder ?
Nous avons souhaité défendre cette motion de renvoi en commission, pour que l'Assemblée nationale prenne le temps de la réflexion avant de se lancer dans ce changement de règles, qui réalise l'exploit de cumuler un déséquilibre de nos institutions avec une parfaite hypocrisie quant à ses objectifs. En réalité, ces projets de loi, comme le texte relatif à la transparence que l'Assemblée nationale vient de voter, loin de favoriser le renouveau démocratique, aboutiront, dans l'état actuel de nos institutions, à un résultat opposé à celui que vous poursuivez. Naturellement, dans le climat d'antiparlementarisme ambiant, il est très confortable d'être le promoteur de ce projet, en avançant des arguments qui sont infondés, comme je tenterai de le démontrer au cours de mon intervention.
Au risque de vous surprendre, mes chers collègues, monsieur, le ministre, je vous dirai pour commencer que je ne suis pas hostile à toute idée de légiférer pour limiter le cumul des mandats, et le groupe UDI non plus. J'avais moi-même proposé, il y a plusieurs années déjà – le président Schwartzenberg me pardonnera – de limiter le nombre de mandats successifs d'un élu dans les mêmes fonctions.
De même, il m'a toujours semblé peu crédible de prétendre qu'une même personne pouvait gérer efficacement, et sans conflits d'intérêts, deux mandats exécutifs en même temps. Pour moi, le bon équilibre serait de limiter strictement le cumul d'un mandat exécutif et d'un mandat représentatif, quel qu'il soit. Mais votre projet de loi n'aborde pas ces sujets ; il les évite même soigneusement, pour ne pas froisser les intérêts partisans de certains de vos amis.
Vous vous contentez de priver les parlementaires de toute assise locale sérieuse et solide, et vous voulez ainsi faire croire que vous aurez rénové notre démocratie : cruelle illusion qui n'aboutira qu'à accroître encore davantage le déséquilibre entre pouvoirs exécutif et législatif que nous subissons aujourd'hui. En effet, à ceux qui déplorent le cumul des mandats et y voient une spécificité française, nous voulons faire observer qu'il trouve sa source dans une autre spécificité, double celle-ci, de l'organisation institutionnelle française.
La France est à la fois un État extrêmement centralisé et celui où le pouvoir exécutif national concentre le plus de pouvoirs, sans réels contre-pouvoirs : c'est une situation unique au monde, qu'on ne retrouve chez aucune des autres démocraties occidentales. Il n'y a guère qu'en Russie, chers collègues, qu'on trouverait un chef d'État ayant davantage de pouvoir. Et encore, je n'en suis pas sûr, car celui-ci est au moins limité par l'oligarchie qui l'a mis en place, ce qui n'est même pas le cas dans notre pays.