Je vous présente aujourd'hui les premiers résultats de nos longs travaux engagés depuis l'été 2012 sur l'indispensable approfondissement démocratique de l'Union.
Chacun en est conscient, ici comme ailleurs, et je peux en témoigner puisque je rentre à l'instant de la COSAC de Dublin, où de très nombreuses délégations de parlementaires nationaux ont exprimé cette préoccupation, le débat sur l'avenir de l'Europe ne peut plus être différé. Le fonctionnement de notre Union, aujourd'hui, peine à répondre aux attentes citoyennes.
Si l'Europe continue ainsi, si nous demeurons comme figés dans un pas de côté, à regarder immobiles l'Union abîmer irrémédiablement son lien avec ses peuples, les pires démagogues risquant de confisquer à leur profit le scrutin européen de 2014.
Il ne s'agit pas de nous résoudre au pire. Bien au contraire : la sortie par le haut des crises financières, sociales, environnementales que nous traversons, passe en effet par un renforcement de la démocratie européenne, une implication plus grande de ses citoyens, et une meilleure écoute de leurs préoccupations.
J'ai conduit ces travaux animée d'une ferme conviction : il me semble impossible non seulement de nous arrêter en chemin, mais même de continuer plus avant dès lors que nous resterions dans le cadre institutionnel actuel.
Si l'on veut que l'Union joue la part que les peuples exige d'elle, si l'on veut sortir du piège de l'austérité, ce poison lent qui paralyse nos économies et ronge nos vitalités sociales, si l'on veut se donner une chance de peser demain, nous devons refonder l'équilibre des pouvoirs à Bruxelles.
Nous devons surtout trouver le moyen de remettre entre les mains du peuple, le seul légitime à agir, la détermination des choix fondamentaux effectués en son nom, et sur sa vie, à Bruxelles.
La question de la sortie de crise, pour moi, c'est la question de l'avenir de l'Europe. Et la question de l'avenir de l'Europe, c'est la question de la démocratie.
C'est cette démarche qui a animé l'ensemble de nos travaux, et qui me conduit aujourd'hui à vous soumettre quelques grandes propositions de ce qui pourrait constituer une vision audacieuse de l'Union de demain. Ces propositions sont ambitieuses, parfois presque utopiques, mais je suis persuadée qu'il est temps, pour nous, de formuler des ambitions, des utopies pour que le débat européen sorte de sa torpeur technocratique, et qu'une vision commune de notre avenir européen puisse émerger. On ne peut plus piloter l'Europe à l'aveugle, sans projet.
J'inviterai, si vous en êtes d'accord, chaque groupe politique à répondre à ces quelques propositions ou à formuler des recommandations concurrentes, de façon à ce qu'à l'automne, dans un second temps, nous continuions de faire vivre le débat, en parvenant par exemple à l'adoption d'une résolution de l'Assemblée sur sa vision de l'avenir institutionnel de l'Europe.
Avant de présenter ces quelques pistes, il importe d'abord de baliser nos discussions en se débarrassant de quelques faux débats et faux semblants.
Le premier piège de tout débat sur l'Europe réside dans la notion de souveraineté. Elle fige artificiellement les positions selon des débats périmés, opposant des « souverainistes » arc-boutés sur des souverainetés que, bien souvent, les nations ont dans les faits perdues depuis longtemps et des « fédéralistes » qui ne peuvent raisonnablement songer que l'on confie des compétences décisives à un Bruxelles qui n'a manifestement pas actuellement la légitimité pour les exercer.
Car, sur l'essentiel, et singulièrement en matière économique, il n'y a que des souverainetés d'ores et déjà partagées, où les décisions se prennent dans une zone en quelque sorte mêlée où se rencontrent, interagissent et se contrôlent mutuellement les souverainetés nationales et européennes.
L'enjeu est donc moins de transférer telle ou telle souveraineté, mais de clarifier les choses, en fixant clairement qui fait quoi, et par conséquent en donnant la possibilité au peuple de contrôler, de sanctionner et de changer de politique. A défaut, souveraineté partagée signifie souvent défaussement de responsabilités, chaque niveau trouvant dans l'autre le prétexte utile à son indécision ou son impuissance.
D'autres notions méritent à mes yeux d'être contestées.
La prédilection, pour des règles, à l'image du fétichisme des 3 %, me paraît devoir être combattue avec force.
Elle donne l'illusion que les nations pourraient se contenter du respect de quelques principes simples pour être ensuite libres de faire dans leur coin ce qui leur chante, ce qui s'apparente à l'ambition de fonder un code de la route sur l'unique principe que l'on doit s'arrêter au feu rouge.
Une autre notion dangereuse est ce que j'appelle l'illusion de l'unanimité, le mythe qu'il faudra être 28 pour avancer, ce qui suffit généralement à faire tomber la plume des mains des plus ambitieux, dès la première ligne de leur projet. Or, ce mythe est faux : l'Union a toujours trouvé les moyens de laisser les plus déterminés avancer, lorsqu'ils avaient la détermination avec eux.
Et un dernier préjugé me semble mériter d'être combattu, c'est le sentiment que le combat serait perdu d'avance, que toute nouvelle ambition serait vouée à coaliser les forces conservatrices de l'Europe. Mais se résigner à l'Europe telle qu'elle est, c'est à l'inverse accepter qu'elle repose toute entière sur la dynamique à laquelle les traités ont donné le plus de force et autour de laquelle a été organisé l'équilibre des pouvoirs. C'est laisser l'Union demeurer avant tout un grand marché obsédé par la concurrence. Il y a une « urgence européenne ». Il faut se donner les moyens d'y répondre, en remettant le développement humain au coeur du projet politique de l'Union.
Débarrassés de ces préjugés, on peut dessiner à grand trait une vision pour l'Europe de demain.
L'urgence commande d'abord de stopper l'hémorragie de la défiance, c'est à dire de mettre fin à cette fragmentation de nos marchés financiers et de nos dettes souveraines qui nous offrent en pâture à la spéculation et aux paniques épisodiques de la finance mondialisée.
L'union bancaire a, dans cet esprit, fait des progrès considérables, et l'essentiel est bien qu'à terme les États soient libérés de la redoutable hypothèque du financement isolé de risques bancaires qui dépassent très largement leurs moyens.
Mais, même libérés des risques des sauvetages des systèmes financiers, les États demeureront exposés aux dangers mortels du financement de leurs dettes publiques sur les marchés. La banque centrale a fait beaucoup en imposant, dans les faits, un plafond aux taux que les marchés peuvent facturer aux États. Toutefois, cette solution n'est que provisoire.
Il faudra bien avancer vers des eurobonds, ne serait-ce que pour avoir quelque visibilité sur les taux à long terme, et je formule à cet effet des propositions précises, assises sur le projet des experts de la Chancellerie allemande d'un fond d'amortissement collectif des dettes supérieures à 60 % du PIB.
Il en va de même pour l'institution rapide d'un mécanisme de compensation des chocs asymétriques, par exemple fondé sur les assurances chômages, sur lequel il faudra tôt ou tard avancer si l'on veut que notre zone euro ait quelque chance de durer.
En contrepartie de ces solidarités assumées, nous devrons tous accepter que nos politiques économiques soient plus responsables et plus disciplinées, mais aussi plus convergentes.
Pour y parvenir, il me semble infiniment préférable de mettre en place des procédures de décision efficaces et transparentes, aptes à créer une réelle confiance entre les partenaires, plutôt que de rêver à des règles rigides.
La voie des chiffres fétiches, empruntée avec obstination dans les pactes de stabilité sans cesse révisés, me semble une impasse.
Qui peut prétendre que l'on est quitte de nos responsabilités les uns avec les autres dès lors que l'on respecte un, deux, ou trois critères forcément arbitraires et aisément contournés ? Que les deux grands « bons élèves » du précédent pacte aient été l'Espagne et l'Irlande devrait nous inciter à une certaine retenue…
Je me méfie tout autant des contrats, dont je crains qu'ils ne soient une occasion de plus pour nos Gouvernements de se défausser sur l'Europe de toutes les mesures douloureuses, opportunément couchées noir sur blanc dans de nouveaux diktats transformant notre Union en une maison de redressement qui s'aliénera un peu plus ses peuples. Comme je vois mal quel genre « d'incitations » on trouvera pour imposer aux États les politiques repoussoir formant le stock habituel des « réformes structurelles » que risquent fort de contenir ces contrats.
Tournant le dos à ces procédures disciplinaires, il est possible de parcourir un chemin plus audacieux, et plus démocratique, où les grands choix économiques communs, comme la surveillance régulière des politiques nationales, seraient portés par la seule enceinte légitime pour le faire, une assemblée issue des parlements dont la Conférence budgétaire serait l'embryon.
Surtout, les choix à terme effectués par cette assemblée seraient pris à partir d'une évaluation étendue et non biaisée de tous les aspects et de toutes les conséquences des politiques nationales.
Ainsi les obligations communes pourraient-elles être refacturés aux États selon des taux majorés ou minorés, en prenant en compte à la fois les éléments « négatifs » qui affectent les conditions de vie commune, les dumpings fiscaux, sociaux et environnementaux au même titre que les dérapages budgétaires, et les éléments « positifs », c'est-à-dire les biens publics européens comme la défense, le soutien aux énergies renouvelables, la sauvegarde d'une base industrielle…, par lequel un État finance seul des éléments qui ensuite profite naturellement à tous.
Mais l'Europe doit aussi prendre le relais des États pour assumer des missions que ceux-ci ne peuvent remplir seuls.
Ces missions devront d'ailleurs être claires et précises, et l'Union disposer de tous moyens financiers et humains nécessaires à leur satisfaction, de façon à rompre avec la suspicion qui entoure l'usage des fonds communautaires par les autorités nationales et à permettre aux peuples de juger et sanctionner l'efficacité de l'Europe.
Parmi ces missions, trois me semblent prioritaires.
Je pense ainsi à l'institution d'un service public de la transition énergétique et de l'environnement, qui concrétiserait l'Europe de l'énergie dont on parle beaucoup aujourd'hui. La logique voudrait en effet que, progressivement mais rapidement, l'essentiel des incitations et des régulations applicables aux énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique, qui exigent des investissements d'une ampleur considérable, soient unifiées puis déterminées au niveau européen.
Mais je pense aussi en parallèle à deux grandes missions que seule l'Europe pourra pleinement assumer. Il y a d'abord l'aménagement des territoires à l'échelle du continent, tant on sait combien le marché unique pèse sur la localisation des activités, et combien il reconnaît mal aujourd'hui les spécificités de certains territoires, je pense notamment par mon expérience personnelle aux zones de montage. Il y a ensuite le soutien à l'industrie, dont l'échelle pertinente dépasse désormais nos nations. Ces missions exigeraient un budget, donc des moyens.
Je propose que nous réfléchissions à deux pistes d'avenir, qui offriraient l'occasion de saisir deux bases fiscales qui ont échappé à nos États et qui jouent un rôle décisif dans les désordres économiques du siècle : la richesse, en particulier mobilière, à travers un impôt européen de solidarité sur la fortune, et la mondialisation dérégulée, à travers une indispensable contribution énergie climat.
Les nouvelles compétences dont l'Europe se saisit modifient radicalement les attentes que l'on peut légitimement former à l'égard de ses institutions.
Elles touchent en effet à la racine historique de la souveraineté, puisque, quelles qu'en soient les formes, le gouvernement économique européen exerce un impact sur le budget, donc sur le consentement à l'impôt, l'origine même de nos parlementarismes. Elles mettent en jeu des sujets à forte incandescence politique, puisque toute politique économique impose de trancher, de faire des perdants et des gagnants.
Enfin, il est très improbable que ce chemin soit parcouru à 28, ce qui exerce de redoutables conséquences sur des institutions conçues aujourd'hui pour représenter tous les États membres de l'Union.
Je tire deux principales conséquences de ces constatations, je l'espère consensuelles.
D'abord, l'union politique est une chimère dans le mode actuel de décision de l'Europe.
Les institutions actuelles ne disposent ni de la publicité, ni de l'efficacité, ni de la légitimité nécessaire pour trancher sur des questions aussi importantes que la fiscalité, la protection sociale, qui sont au coeur du développement d'une union politique. Surtout, en l'état, elles se révèlent incapables de formuler des visions claires, et alternatives, entre lesquelles le peuple puisse trancher, ce qui constitue, vous en conviendrez, le fondement même de la démocratie. Je préciserais ici que l'institution hégémonique aujourd'hui, le Conseil européen, est précisément la moins transparente, la moins capable de fonctionner selon la ligne claire d'une majorité et d'une opposition et la moins apte à fournir une vision ambitieuse et suivie pour l'Europe.
Ensuite, une action efficace dans ces compétences nécessairement partagées repose sur une étroite imbrication des niveaux européens et nationaux qui implique pleinement les architectes et contrôleurs quotidiens des politiques économiques, les parlements nationaux.
C'est précisément pour répondre à ces deux objectifs que la principale proposition de mon rapport d'étape est la création d'une Assemblée des peuples européens, constitués de représentants des parlements nationaux, qui disposerait notamment du pouvoir de co-décision sur toutes les matières liées à la gouvernance économique.
Cette nouvelle institution permettrait en effet, en contrepartie, de refonder les institutions chargées d'incarner « le » peuple européen, en les libérant de l'exigence sclérosante de la représentation égalitaire des nations.
La Commission, à l'effectif rationalisé par la fin « du » commissaire par État, serait ainsi librement composée par son Président, lui-même clairement choisi par le peuple si les partis politiques jouent le jeu de désigner « leur » candidat dès les élections de 2014 et si les chefs d'État et de gouvernement respecte l'esprit du traité en soumettant au Parlement le chef de la coalition victorieuse. Cette commission relégitimée, avec aussi la fusion des fonctions de son président avec celle du Président du Conseil européen, serait en mesure de reprendre sa mission historique : porter et concrétiser une vision ambitieuse pour l'Europe. En face d'elle, il serait possible d'envisager l'élection d'un Parlement européen sur la base démocratique d'une personne une voix, par exemple en passant par la mise en place de listes transnationales pour une fraction de ses membres. Et ce Parlement mieux légitimé devrait pouvoir recouvrer la plénitude de ses attributions traditionnelles, avec un droit d'initiative et le dernier mot, partagé avec l'Assemblée des peuples, par exemple sur la détermination du cadre financier pluriannuel.
Une telle évolution institutionnelle suppose bien sûr de réviser les traités, et soulèvent les naturelles appréhensions nourries par quinze longues années d'introspection institutionnelles. Mais, là encore, si les partis politiques européens parviennent, l'année prochaine, à donner aux citoyens des alternatives claires sur l'avenir de l'Union, à par conséquent à conforter par le poids des suffrages des projets précis sur les questions institutionnelles, ma conviction est que le texte de la future Convention sera ainsi dicté par le peuple. Et qu'il sera bien difficile aux traditionnelles forces du conservatisme et de la peur de doucher les espoirs des plus enthousiastes.
Le texte que je vous propose à travers ce rapport a vocation à jouer le rôle d'un stimulant à la réflexion, d'un texte « martyr », sur lequel les réactions des groupes politiques seront bien sûr sollicitées.