Intervention de Didier Quentin

Réunion du 25 juin 2013 à 17h45
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Quentin, co-rapporteur :

Je souhaiterais tout d'abord faire une réflexion préliminaire. On évoquait les slogans de mai 68, j'aimerais rappeler un autre « Ce n'est qu'un début, continuons le combat ». Ce combat, ce doit être celui d'une Europe compréhensible. Nous nous devons de faire un effort de pédagogie.

Nous nous proposons de dresser, à la veille du Conseil européen des 27 et 28 juin, un premier bilan d'étape du vaste chantier de l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, qui a été lancé il y a un an.

Force est de constater que, si ce sujet a fait l'objet de nombreux rapports et propositions depuis un an, le bilan que nous pouvons en dresser est, pour le moins, en demi-teinte. Ainsi, l'ambition du rapport présenté par le président du Conseil européen en décembre dernier, qui proposait d'établir, en trois étapes, une union bancaire, budgétaire, économique et politique, a été réduite à peau de chagrin par le Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012. Les chefs d'États et de gouvernement ont en effet alors choisi, dans une démarche que l'on peut qualifier de pragmatique, ou plutôt de frileuse, de privilégier les objectifs de court terme proposés par le président Van Rompuy, passant sous silence les ambitions de moyen et long termes. Et c'est pourtant un cap, des perspectives, de grands desseins qu'il faut aujourd'hui fixer et dont l'Europe a plus que jamais besoin.

Ainsi, tandis que l'union bancaire était érigée en priorité absolue, quatre volets étaient retenus pour approfondissement : la coordination des réformes nationales, la dimension sociale de l'Union économique et monétaire, les contrats de compétitivité et de croissance et les mécanismes de solidarité, qui pouvaient venir en soutien.

Compte tenu des élections en Allemagne en septembre, du niveau d'avancement des travaux, mais également de la perspective du renouvellement du Parlement européen et de la Commission européenne dans un an, il est probable que le Conseil européen des 27 et 28 juin prochains n'affiche pas une volonté forte, s'agissant du chantier de l'approfondissement de l'UEM, volonté qui serait pourtant justifiée dans le contexte actuel de défiance vis-à-vis des autorités européennes. Plus que de la défiance, c'est même de l'indifférence.

Parmi les chantiers proposés par Herman Van Rompuy, le plus avancé est certainement celui de l'union bancaire, même si celui-ci accuse des retards par rapport au calendrier initialement fixé par le Conseil européen.

Dans le secteur financier, le chantier le plus abouti est celui de l'introduction des normes prudentielles de Bâle III dans le droit communautaire, dont les textes devraient être publiés au Journal Officiel de l'Union européenne le 1er juillet, pour une entrée en vigueur le 1er janvier 2014.

C'est un point très positif, car les nouvelles règles relatives aux exigences en matière de fonds propres des banques devraient contribuer à assurer la stabilité du secteur bancaire. C'est un complément précieux, évidemment, à la mise en place de l'union bancaire.

Vient ensuite le chantier relatif au premier pilier de l'union bancaire : la mise en place du mécanisme de surveillance unique.

Le dispositif prévoit que la Banque centrale européenne assurera la supervision directe des banques les plus importantes, en particulier celles dont l'actif est supérieur à 30 milliards d'euros ou représente un cinquième du PIB de leur pays d'origine et, en tout état de cause, les trois établissements de crédit les plus importants de chaque Etat et ceux présentant un risque systémique. Son champ d'action est naturellement celui de la zone euro, mais d'autres États de l'Union européenne pourront se porter volontaires.

Les fonctions de politique monétaire et de supervision bancaire seront en outre strictement séparées au sein de la Banque centrale européenne (BCE).

En termes de contrôle, il convient de souligner que nous pourrons présenter nos observations sur le rapport annuel de la BCE relatif à ses missions de supervision dont nous serons destinataires. Nous pourrons également auditionner le président ou un membre du conseil de surveillance. Nous pourrons enfin présenter à la BCE nos observations et questions sur l'exécution de ses missions de surveillance.

Ces pouvoirs sont plus que justifiés, compte tenu des contrôles que nous pouvons exercer aujourd'hui sur l'autorité de supervision nationale et des conséquences que les mesures de surveillance peuvent avoir sur les finances publiques, ainsi que sur les établissements de crédit, leurs clients et leur personnel.

En revanche, il faudra veiller à ce que les pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place dont nous disposons au sein des commissions d'enquête et de la commission des finances soient toujours bien assurés.

Enfin, les modalités de vote au sein de l'Autorité bancaire européenne ont été modifiées, afin de préserver un certain équilibre entre les États membres du mécanisme de surveillance unique et les autres.

Si les grandes lignes du mécanisme de surveillance unique ont fait l'objet d'un accord entre le Conseil et le Parlement européen, son adoption définitive demeure suspendue à l'accord du Parlement allemand ainsi qu'à la conclusion d'un accord interinstitutionnel entre le Parlement européen et la BCE sur les modalités de contrôle du Parlement européen, en particulier la définition précise des modalités de nomination du président et du vice-président du comité de surveillance. Alors qu'il a obtenu un droit de veto sur la nomination du président, le Parlement européen souhaiterait en effet que lui soit également soumise une liste de noms en amont, ce qui n'est pas prévu par la proposition de règlement. Une porte de sortie pourrait consister en une consultation informelle des autorités du Parlement européen.

Le Parlement allemand devrait approuver le texte le 5 juillet prochain et le Parlement européen se serait engagé à l'adopter en septembre. En conséquence, le mécanisme de surveillance unique ne devrait pouvoir être effectif qu'en septembre 2014 au mieux, compte tenu du délai d'un an prévu entre l'adoption définitive des propositions législatives et celui de la mise en place réelle du mécanisme. Cela retarde d'autant les possibilités de recapitalisation directe des banques par le mécanisme européen de stabilité, qui sont subordonnées à la mise en place du mécanisme de surveillance unique. Tout cela est toujours très lent, trop lent.

La mise en place du mécanisme de surveillance unique va constituer un chantier d'envergure, supposant : la définition précise des relations entre la BCE, les superviseurs nationaux et l'Autorité bancaire européenne ; une réorganisation importante des mécanismes de contrôle ; la constitution d'équipes de surveillance mixtes et de nombreux recrutements.

Mais surtout, avant l'exercice effectif de sa mission de surveillance par la BCE, une évaluation de la qualité des actifs des banques placées dans son champ de supervision et une série de tests de résistance devront être menés, ce qui constituera une « opération vérité », sans doute nécessaire, mais qui comporte le risque de devoir faire appel aux États pour les banques qui pourraient présenter des problèmes. À cet égard, il convient de souligner que près de 600 milliards d'euros d'actifs pourris, ou non stratégiques, seraient présents dans les bilans des banques allemandes.

Autre chantier important, puisque destiné à couper le lien entre dettes bancaires et dettes souveraines, celui de la définition du cadre opérationnel de la recapitalisation directe des banques par le fonds de secours européen autrement dénommé « Mécanisme européen de stabilité » (MES). Il s'agit de la solution de dernier recours, puisque mobilisable seulement après la mise à contribution des créanciers privés et des fonds de résolution.

Ce chantier a connu une avancée notable jeudi dernier avec l'accord de l'Eurogroupe sur les grandes lignes du cadre opérationnel. La finalisation de ces grands principes a toutefois été subordonnée à un accord avec le Parlement européen sur les directives relatives aux systèmes de garantie des dépôts au redressement et à la résolution des défaillances bancaires.

De nombreux verrous ont en outre été posés. Ainsi, il a été décidé que le montant maximal du MES mobilisable au titre de la recapitalisation directe des banques s'élèverait à 60 milliards d'euros. Sur les 500 milliards de sa dotation totale, cela reste limité. Le directeur général du fonds, Klaus Regling, a néanmoins estimé que cela devrait être « plus que suffisant ». Cela pourrait toutefois s'avérer insuffisant dans le cas des banques systémiques. Une souplesse est malgré tout prévue puisque le conseil des gouverneurs pourra revoir ce plafond.

En outre, tout État qui sollicitera le MES pour une banque en difficulté devra participer en partie à sa recapitalisation : à hauteur de 20 % les deux premières années de la mise en place du mécanisme, 10 % ensuite.

Enfin, une éventuelle application rétroactive du mécanisme sera décidée au cas par cas par le conseil des gouverneurs. Ce dernier point, auquel l'Allemagne était farouchement opposée – le directeur Europe au ministère des Affaires étrangères que nous avons rencontré à Berlin a été très clair à ce sujet –, est plus particulièrement susceptible de concerner l'Irlande le Portugal. L'Espagne a en effet indiqué ne pas souhaiter y avoir recours.

C'est donc, on le voit, un chantier difficile où, dès qu'il est question d'une forme de mutualisation, l'Allemagne freine les négociations des quatre fers.

Je passe la parole à notre collègue Christophe Caresche pour détailler les enjeux liés aux deuxième et troisième piliers de l'union bancaire ainsi que les difficultés de transmission de la politique monétaire auxquelles l'Union économique et monétaire est aujourd'hui confrontée.

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