Disons-le d'emblée, cette proposition de loi de M. Christian Jacob et plusieurs de ses collègues n'a pas pour objectif de remettre en cause dans son principe l'aide médicale de l'État (AME), mais d'en améliorer la gestion afin d'en garantir la légitimité auprès de tous nos concitoyens.
Vous le savez, les dépenses de l'AME sont passées de 138 millions d'euros en 2000 – année de sa montée en charge – à 633 millions d'euros en 2011. Une forte augmentation – de respectivement 13,3 % et 12,3 % – a notamment été enregistrée en 2009 et en 2010. Or cette évolution ne peut s'expliquer par la hausse du nombre de bénéficiaires, resté relativement constant au cours de ces dernières années.
De plus, dans un contexte de crise financière généralisée, et au moment où l'on demande à nos concitoyens de faire des efforts, il est difficile de justifier que certaines personnes, quel que soit leur statut, ne participent pas, même symboliquement, aux efforts demandés au reste de la population. C'est d'autant plus vrai s'agissant d'étrangers présents irrégulièrement sur le territoire national.
En effet, la sécurité sociale ne prend en charge qu'environ 70 % des dépenses de soins de ville des assurés du régime général, qui doivent en outre s'acquitter des franchises, du paiement d'un euro forfaitaire par consultation et du forfait hospitalier. Un travailleur sans mutuelle, qui paie des cotisations sociales obligatoires, a donc une moins bonne couverture qu'un étranger en situation irrégulière. Ce n'est pas acceptable.
La France fait d'ailleurs sur ce point figure d'exception en Europe. Même l'Espagne, qui avait une réglementation proche de la nôtre, a récemment adopté des mesures prévoyant la participation des personnes de nationalité étrangère aux dépenses de soins.
Je reprends à mon compte la position des rapporteurs du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l'AME, Claude Goasguen et Christophe Sirugue, qui estiment que « le régime de l'AME doit permettre de maintenir une distinction administrative et symbolique entre les personnes en situation irrégulière et les étrangers disposant d'un titre de séjour ».
Certes, l'AME est utile et doit être maintenue. Mais face au fort dynamisme des dépenses depuis quelques années, et compte tenu des efforts demandés à l'ensemble de nos concitoyens pour assurer la pérennité de notre protection sociale, il est évident que la légitimité du dispositif implique sa régulation.
Sous la précédente législature, le gouvernement a engagé des réformes afin de mieux gérer l'AME. Je pense notamment à la modification de la tarification des soins hospitaliers, à la mise en place d'un agrément préalable pour les soins coûteux ou au forfait annuel de 30 euros pour les adultes, hors soins d'urgence.
Ces diverses mesures ont porté leurs fruits, puisque, après la forte croissance constatée en 2009, la dynamique des dépenses d'AME a ralenti en 2010, avec tout de même une augmentation de 7,5 %.
Hélas, ces efforts ont été partiellement annulés par les mesures – suppression de l'agrément pour les soins coûteux et de la participation annuelle de 30 euros – adoptées en loi de finances rectificative du 16 août 2012 à l'initiative du nouveau gouvernement.
Non seulement cette décision a un impact financier important, mais nos concitoyens peinent à comprendre, en ces temps de difficultés budgétaires, et alors même qu'ils sont mis à contribution pour assurer la pérennité de notre système de protection sociale, que l'accès aux soins des bénéficiaires de l'AME ne soit plus soumis, depuis le 4 juillet, à aucune participation financière. Ainsi, selon un sondage réalisé en septembre 2012 par l'IFOP, 62 % des Français désapprouvent la suppression du droit de timbre de 30 euros.
Dans ce contexte, la proposition de loi suggère plusieurs mesures destinées à réguler l'aide médicale de l'État.
L'article 1er rétablit le principe du guichet unique pour le dépôt des demandes d'aide – une mesure de bonne gestion et de lutte contre la fraude, adoptée en juin 2011, mais malheureusement supprimée par la loi du 16 août 2012. Les dossiers ne pourront donc être constitués que par les caisses primaires d'assurance maladie, et non plus, comme c'est le cas aujourd'hui, par les bureaux d'aide sociale des communes. Non seulement cela évitera les doublons, mais nous pourrons ainsi améliorer notre connaissance statistique des bénéficiaires en centralisant l'information.
L'article 2 vise à rétablir l'obligation d'agrément préalable pour les soins hospitaliers et à l'étendre aux soins de ville, hors soins d'urgence, délivrés aux mineurs ou aux femmes enceintes. Ces mesures ont permis d'économiser plusieurs millions d'euros, notamment en mettant fin aux surfacturations réalisées par les grands centres hospitaliers de Paris, Lyon ou Marseille. Une telle pratique est peut-être bonne pour le budget des établissements, mais elle ne l'est sûrement pas pour l'assurance maladie ni pour les assurés sociaux qui la financent.
L'article 3 vise à soumettre aux franchises les bénéficiaires de l'AME, comme le sont ceux de la couverture maladie universelle (CMU) et tous les assurés du régime général, même de revenus modestes. Il s'agit ainsi de les faire participer a minima au système de soins, dans la limite d'un plafond journalier et annuel.
Enfin, je vous présenterai un amendement destiné à accélérer la réforme de la tarification des soins hospitaliers pris en charge au titre de l'AME. En effet, comme l'ont montré différents rapports, l'hôpital concentre le plus gros des dépenses d'AME, et le mode de tarification au prix de journée qui y est pratiqué est en grande partie responsable de leur dérive. En 2011, nous avons décidé d'imposer une facturation calée sur le droit commun, tout en appliquant des coefficients correcteurs. Je vous proposerai de passer pleinement au droit commun. Cette proposition représente une économie potentielle de 160 millions d'euros, sans toucher la qualité de la prise en charge des patients.