Il n'y a donc pas d'avantages évidents à maintenir les instructions individuelles ; il n'y a que des inconvénients majeurs : une suspicion se nourrit de cette situation en laissant supposer au citoyen ordinaire que le pouvoir politique s'immisce dans les procédures individuelles, qu'il prend des positions partisanes, qu'il préserve les puissants et les amis du pouvoir et laisse le justiciable ordinaire démuni, tout à sa fragilité, face à l'institution judiciaire.
Nous faisons donc le choix de renoncer à ces instructions individuelles et de faire en sorte que les citoyens retrouvent confiance dans l'institution judiciaire. Et je ne doute pas que vous allez rétablir leur interdiction.
C'est un texte que nous connaissons bien. Nous savons quels sujets ont fait débat en première lecture dans votre assemblée puis au Sénat.
Les instructions individuelles n'ont guère fait débat ici, puisque les arguments que vous avez-vous mêmes développés ont montré que c'est bien par conviction que vous estimiez qu'il fallait inscrire leur prohibition dans l'article 30 du code de procédure pénale.
Toutefois, il est indiqué très clairement que le garde des sceaux est responsable de la politique pénale, que celle-ci est définie, énoncée, diffusée par circulaire générale et impersonnelle et que, dans la régulation des relations entre le garde des sceaux et le ministère public, il revient aux parquets généraux, chargés d'animer et de coordonner l'action publique, de faire remonter au garde des sceaux, par rapport annuel, l'application des politiques pénales au cours de l'année.
Par ailleurs, vous avez choisi, en première lecture que le garde des sceaux rédige et publie un rapport annuel sur la politique pénale et vienne en rendre compte devant le Parlement. Cette disposition est essentielle tant pour l'information de la représentation nationale que dans notre réflexion sur la publicité de ces circulaires générales.
Le garde des sceaux diffuse en effet des circulaires générales sur sa politique pénale. Ces circulaires, bien qu'impersonnelles, peuvent être limitées à un territoire présentant un profil de délinquance et de criminalité particulier ; elles peuvent être également thématiques.
Dans un premier temps, et même si vous avez nuancé votre position lors de la deuxième lecture, vous avez souhaité rendre d'une certaine façon générale et presque systématique la publicité des circulaires. C'est une exigence de transparence que l'on peut parfaitement comprendre car elle est totalement légitime.
Toutefois, votre disposition permettant au garde des sceaux de rendre public son rapport et de venir le défendre devant vous introduit de la transparence, et ce au bon moment. En effet, faire connaître toutes les orientations des circulaires une fois que ces orientations ont commencé à être appliquées est plus pertinent, plus judicieux que leur publication immédiate. En effet, ces circulaires visent l'efficacité de l'action judiciaire ; or leur publication immédiate, générale et systématique peut nuire à l'efficacité de cette action judiciaire.
Imaginons certains contentieux particuliers et sensibles, tels que le terrorisme, le trafic de stupéfiants ou la criminalité organisée : les circulaires relatives à ces contentieux peuvent contenir des éléments de stratégie judiciaire, ainsi que des indications concernant des techniques d'enquête à privilégier ou à développer, des informations à destination des seuls magistrats concernant des organismes, des techniques ou des partenaires. Dans ces contentieux, la publication de ces circulaires nuirait à l'efficacité de l'action judiciaire.
Pour ces raisons, je vous demande de reconsidérer la question de la publicité de ces circulaires, étant entendu que lorsque le garde des sceaux vous en rendra compte, vous aurez connaissance de tous les éléments. En tout état de cause, en considération de votre qualité de parlementaires, c'est sans la moindre difficulté que je mettrai à votre disposition les informations vous concernant ou vous intéressant sur le contenu de ces circulaires. Mais leur publicité me paraît pernicieuse, ou tout du moins comporter des risques assez singuliers pour l'efficacité de l'action judiciaire.
Je rappelle par ailleurs que certaines circulaires peuvent faire l'objet d'une publication très étendue, comme la circulaire générale de politique pénale publiée le 19 septembre 2012. J'ai en effet souhaité qu'elle soit diffusée le plus largement possible, car elle contient à la fois les orientations, les principes directeurs de l'action publique en matière pénale, et la nouvelle architecture des attributions du garde des sceaux, de celles du ministère public et des relations entre le garde des sceaux et le ministère public. Il me paraissait donc important que cette circulaire soit le plus et le mieux connue possible.
Les autres circulaires font également l'objet de publication. Ainsi, lorsqu'elles portent la mention « NOR », comme les décrets ou les lois, ces circulaires font l'objet d'une publication au Bulletin officiel du ministère de la justice, voire au Journal officiel. Des garanties d'information existent donc ; pour autant, il me paraît délicat d'envisager que l'action de l'État soit fragilisée dans certains contentieux du fait de cette obligation de publication.
Au cours du débat, les formulations de cette nécessité de publicité ont évolué. Nous pourrions débattre sans fin de l'appréciation du bien-fondé du recours à l'exception, alors que, de fait, la publication est déjà la règle générale : il est bon, me semble-t-il, de reconnaître à l'exécutif le discernement nécessaire pour choisir de ne pas rendre publiques certaines circulaires, dont le nombre sera résiduel.
Le dernier point faisant encore discussion concerne une mention introduite par votre rapporteur, et à laquelle il est, je crois, très attaché.