Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, nos débats s'engagent aujourd'hui dans un contexte particulier, puisque le présent projet de loi se voit privé de ce que le Gouvernement présentait comme son pendant, nécessaire à l'engagement d'une réforme cohérente, à savoir le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Pour notre part, nous considérons qu'en privilégiant une certaine logique autogestionnaire, la réforme du CSM n'était pas souhaitable en l'état. Réunir le Congrès sur ce seul texte, selon une procédure dont nous connaissons tous la lourdeur et le coût important, n'était pas pertinent. Nous nous réjouissons donc que nos débats se limitent aujourd'hui au projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et du ministère public en matière pénale et d'action publique.
Ce texte a pour principal objet de clarifier la nature des relations entre le ministre de la justice et les magistrats du parquet. Cette question s'articule autour d'un principe fondamental dans une démocratie qui se veut respectueuse de la séparation des pouvoirs : celui de l'indépendance de la justice. De ce principe, de cette exigence, dépendent, non seulement la crédibilité des institutions judiciaires, mais également la confiance que chacun de nos concitoyens place en la justice de son pays. Or, la justification d'une intervention du pouvoir exécutif dans les affaires judiciaires individuelles est contestée, à cause des soupçons d'une éventuelle motivation politique à l'origine des instructions adressées par le garde des sceaux.
En outre, les récentes décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, considérant que le procureur de la République ne peut être une autorité judiciaire, en raison de son manque d'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif, ont relancé le débat sur le rôle, le statut et l'indépendance de ce parquet à la française. C'est en effet de cette subordination statutaire des magistrats du parquet au garde des sceaux que découlent les principaux soupçons pouvant affecter l'indépendance de la justice. Le texte entend restituer au garde des sceaux la responsabilité de conduire la politique pénale déterminée par le Gouvernement, conformément à l'article 20 de la Constitution, et confier le plein exercice de l'action publique aux seuls magistrats du ministère public.
Tirant les conséquences de la restitution au bénéfice des seuls magistrats du parquet de l'exercice de l'action publique, le projet de loi prohibe toute instruction du garde des sceaux aux magistrats du ministère public dans des affaires individuelles. En supprimant cette disposition essentielle, le Sénat a vidé le projet de loi de sa substance. En effet, la suppression des instructions individuelles est au coeur des débats sur la clarification de l'architecture des attributions du garde des sceaux et de ses relations avec le parquet général.
Il s'agit de consacrer la volonté du législateur de garantir l'impartialité des décisions des magistrats du parquet et de mettre fin aux doutes pouvant s'insinuer dans le déroulement des procédures judiciaires. Nous pourrions difficilement nous opposer à une telle mesure, qui relève d'une intention louable, et qui de plus revêt une portée symbolique forte.
En revanche, nous considérons, ainsi que je l'avais indiqué en première lecture, qu'il est des moments, lorsque la sécurité de l'État est en jeu, où le garde des sceaux doit conserver la responsabilité de la cohérence de l'action publique. De ce fait, nous estimons que le ministre de la justice doit être en mesure de donner des instructions individuelles aux procureurs généraux dans les seules affaires mettant en jeu les intérêts fondamentaux de l'État. Les infractions consistant en atteintes aux intérêts fondamentaux de l'État, et notamment le terrorisme, que le code pénal qualifie de « crimes et délits contre la nation, l'État et la paix publique », touchent à la sécurité, qui est l'un des domaines de responsabilité essentiels de l'État, et dont il est inconcevable qu'il se dessaisisse. Cette exception permettrait de maintenir la régulation de l'action publique, tout en écartant les risques de suspicion politique.
Pour autant, nous regrettons la portée limitée de ce texte. Les problématiques qui entourent la question de l'indépendance de la justice sont vastes et ne sauraient se résumer à ces seules dispositions. Car, convenons-en : nous allons institutionnaliser une pratique dont nous savons bien qu'elle ne suffira pas, à elle seule, à améliorer le fonctionnement de la justice et à garantir son indépendance.
L'un des objectifs affichés de ce projet de loi, celui de rénover la confiance de nos concitoyens dans la justice, implique d'aller plus loin et de repenser la justice dans son ensemble, en ne prenant pas seulement en compte les relations entre la chancellerie et les magistrats du ministère public, mais en considérant l'ensemble des acteurs de notre système judiciaire et l'ensemble des problématiques qui l'entourent. Notre système judiciaire englobe, en effet, toute une chaîne de compétences, depuis l'agent qui reçoit les justiciables à l'accueil d'un tribunal jusqu'au juge, en passant par tous les personnels de la chaîne juridique.
De même, les dysfonctionnements de la justice, responsables du désarroi des professionnels, des citoyens et des justiciables, sont nombreux. Nous sommes face à un service public de la justice qui ne dispose plus de capacités d'absorption suffisantes pour répondre aux exigences d'une société en pleine judiciarisation. Nous sommes face à une justice jugée complexe, parfois illisible, dont l'usage est difficile et souvent incohérent. Nous sommes face à une défense à deux vitesses et à une réelle inégalité en matière d'accès au droit. En somme, ce dont notre société a besoin, c'est une réforme en profondeur de la justice.
Mes chers collègues, en dépit de ces réserves, et compte tenu du rétablissement dans le texte de la suppression des instructions individuelles – que nous souhaitons –, le groupe UDI votera, dans sa très grande majorité, en faveur de la clarification des rapports entre la chancellerie et les magistrats du ministère public, qui est opérée par le texte.