Intervention de Valérie Fourneyron

Réunion du 10 juillet 2013 à 14h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Valérie Fourneyron, ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative :

Permettez-moi tout d'abord de saluer votre initiative d'organiser, en marge de la discussion de la loi de règlement, une série de débats prospectifs sur l'évaluation des politiques publiques, en résonance avec le chantier de modernisation de l'action publique engagé par le Gouvernement. Vous traitez dans ce cadre des zones d'éducation prioritaire et des forces armées. Je suis heureuse de constater que le sport suscite chez les députés le même niveau d'intérêt !

Je salue le travail mené conjointement par Régis Juanico et Guénhaël Huet – dont on me dit qu'il est parti faire des travaux pratiques cet après-midi sur le Tour de France. Leur rapport s'appuie sur la mission d'évaluation « Soutien au sport professionnel et solidarités avec le sport amateur », dont j'ai souhaité qu'elle fasse partie du premier cycle d'évaluation de politiques publiques lancé par le Gouvernement. Je reviendrai dans quelques instants sur les raisons de ce choix.

Cette contribution des députés, articulée autour de quinze préconisations ayant trait à une grande variété de sujets, est particulièrement éclairante sur les enjeux auxquels nous devons répondre collectivement, Gouvernement et Parlement. Le sport professionnel véhicule de nombreux fantasmes et alimente régulièrement la chronique médiatique, et pas toujours pour des raisons sportives. Je suis d'autant plus heureuse de l'occasion qui nous est donnée cet après midi par les Commissions des finances et des affaires culturelles d'avoir un échange sur le fond.

Vous le savez, la modernisation de l'action publique répond à l'impératif de renforcement de l'efficacité du modèle français de service public. Elle repose sur deux principes transversaux qui trouvent bien entendu à s'appliquer en matière sportive. Le premier principe est la concertation. Comment faire autrement si l'on veut un changement durable ? S'agissant du sport, le modèle français ne fait que renforcer ce besoin de concertation tant il repose sur un partenariat étroit entre l'État, le mouvement sportif, les collectivités et les entreprises. Les missions d'évaluation de politiques publiques ont été conçues pour répondre à ce besoin d'analyse concertée de politiques dites « partenariales ». Elles articulent donc toutes un travail d'étude mené par des corps d'inspection générale et des espaces de débat avec les parties prenantes.

S'agissant de la mission « Soutien au sport professionnel », elle rend compte de ses travaux devant un comité de pilotage stratégique associant le CNOSF, les représentants des ligues professionnelles, des sportifs, des collectivités territoriales, des partenaires sociaux, etc. Deux comités de pilotage ont eu lieu, pour le lancement de la mission d'une part et le partage du diagnostic d'autre part. Le troisième, qui sera celui de la restitution de ces travaux, aura lieu début septembre.

Concertation ne veut pas dire que l'on est toujours d'accord. J'ai même entendu ces derniers jours certains acteurs déplorer ne pas pouvoir participer à toutes les concertations que je menais, tout en en réclamant davantage. J'ai fait pour ma part le choix déterminé de toujours privilégier le dialogue sur tous ces sujets de préoccupation, et j'essaie de m'y tenir. J'en veux pour preuve l'installation la semaine dernière du Conseil national du sport. Il répond à la demande d'une nouvelle gouvernance du sport français, dans toutes ses dimensions : sport de haut niveau, développement des pratiques, économie du sport, santé, éthique et enjeux sociaux, etc. Ce dépassement de la seule dimension de la pratique sportive est un changement significatif et indispensable pour l'avenir des politiques sportives. Il est désormais sur les rails.

La responsabilisation des ministres dans la réforme de l'État est le second principe de la MAP. Contrairement à des pratiques anciennes, chaque ministre est responsable de sa stratégie ministérielle de modernisation. Elle s'articule autour des programmes de modernisation et de simplification, validés en comités interministériels mais conçus en interne. J'ai pour ma part choisi de porter dans ce cadre plusieurs réformes importantes de l'État sportif, comme celle des centres de ressources, d'expertise et de performance sportives, les CREPS, du CNDS ou de la certification, conjointement avec de nombreuses mesures de simplification administrative. Les missions d'évaluation des politiques publiques, comme celle qui nous réunit aujourd'hui, complètent les programmes de modernisation des ministères.

Si nous avons choisi d'évaluer le soutien au sport professionnel et les solidarités avec le sport amateur, c'est d'abord parce que cette politique est mal connue ou très partiellement documentée. Il s'agit de déterminer quelle est exactement l'intervention des pouvoirs publics, État, opérateurs, collectivités territoriales, quelles en sont les finalités. Sont-elles mises en oeuvre, contrôlées ou évaluées, dans un contexte de maîtrise publique ?

J'ai évoqué les préjugés entourant le sport professionnel. La présence médiatique intense de ses acteurs véhicule des messages qu'il convient, a minima, d'analyser au fond. Il m'a semblé nécessaire d'y répondre par la première analyse sérieuse que constitue cette mission d'évaluation.

La seconde raison qui m'a poussée à demander que ce sujet fasse partie du premier cycle d'évaluation est la volonté d'appliquer l'exigence, portée par ce gouvernement et renforcée par le contexte économique, de transparence, d'exemplarité et de solidarité, au domaine du sport professionnel. L'actualité européenne, parfois française, charrie trop de contre-exemples pour que nous renoncions à une telle exigence. Entendons-nous bien : il ne s'agit pas de faire la morale au sport professionnel, ni de contester ou limiter son droit à dégager des profits ou à participer à la compétition internationale. Nous devons au contraire l'accompagner car il contribue ce faisant à l'image et à la compétitivité de la nation.

Mais l'État doit aussi être là pour prévenir des dérives qui menaceraient à terme tout un secteur économique. Des exemples voisins nous incitent à la vigilance. Ainsi, des grands clubs en Espagne n'ont plus les moyens de payer leurs impôts, alors que des efforts considérables sont demandés aux citoyens de ce pays pour réduire le déficit. La compétition sportive doit-elle être à ce prix ?

L'État doit enfin être là pour défendre un principe immuable de notre modèle français : l'unité du sport. Le sport ne peut être découpé en secteurs étanches, en pratiques amateur ou professionnelle, encadrée ou spontanée, en compétition ou en loisir. Sur le plan financier, ce principe d'unité se traduit par celui de la solidarité avec le sport amateur. Je crois que tous ici nous nous rassemblerons pour veiller à ce qu'une fraction d'une discipline, qui devient lucrative, ne confisque pas à son profit l'ensemble des recettes qu'elle génère et qui n'auraient pas été possibles sans le socle du secteur amateur, qui détecte les champions, qui les forme et qui en assure dans bien des cas la reconversion. Il est de notre responsabilité d'alimenter et de préserver ce cercle vertueux, ce modèle français où le sport amateur et le sport professionnel ne s'opposent pas, mais se nourrissent l'un de l'autre.

Je sais que ces interrogations sont partagées par les parlementaires. J'en veux pour preuve la mission d'information sur le fair-play financier, menée par les députés Thierry Braillard, Pascal Deguilhem, Marie-George Buffet et Guénhaël Huet. Ils sont venus me présenter leurs conclusions il y a quelques jours et nous nous sommes retrouvés sur nombre de leurs propositions. Les initiatives de l'Union des associations européennes de football – UEFA – et de la Commission européenne sur le football ainsi que le travail qui nous rassemble aujourd'hui me confortent dans cette analyse.

Je conclurai en décrivant en quelques mots l'état d'avancement de cette mission. Nous l'avons lancée le 26 février 2013 en mettant en place un premier comité de pilotage et en saisissant les inspections générales des finances, de l'administration et de la jeunesse et des sports. Le diagnostic est aujourd'hui établi et nous l'avons communiqué à tous les acteurs le 28 mai dernier. La présentation de la phase de diagnostic est annexée au rapport d'information rédigé par vos collègues.

Les inspecteurs ont également proposé des pistes de réforme. J'en ai retenu certaines pour la phase d'approfondissement, qui doit se terminer par la restitution finale en septembre prochain. Elles ont fait l'objet d'une seconde lettre de mission de ma part.

Le débat de ce jour intervient donc à un moment particulier. Je ne suis pas en mesure de discuter des préconisations de la mission dans la mesure où elles ne sont pas finalisées. Les inspecteurs y travaillent. Elles seront ensuite débattues et le Gouvernement fera ses choix selon ce qu'il estime devoir mettre en oeuvre. Nous n'en sommes pas là.

Mais ce débat est l'occasion de dresser un état du sport professionnel, marquant à plusieurs égards, et d'abord par la diversité des situations. La mission montre à quel point les modèles économiques, les modes de gestion, le potentiel de ressource sont variables d'une discipline à l'autre, mais aussi d'une division à l'autre au sein d'un même sport. Cette diversité appelle de notre part des réponses adaptées et différenciées. C'est un enseignement important.

Cette diversité ne doit pas dissimuler une constante : une relative fragilité financière. Les causes ne sont pas les mêmes mais le constat est identique : la situation financière des structures professionnelles, sans être partout préoccupante, est fragile. Cela est dû notamment au caractère aléatoire des ressources du sport professionnel qui sont aléatoires ; qu'il s'agisse des subventions publiques pour les disciplines les moins populaires ou des droits de retransmission télévisuelle pour les plus médiatiques, telles que le football. Nous sommes encore loin de pouvoir traiter le sport professionnel comme une activité économique comme les autres, capables d'assurer son autosubsistance. Peu d'activités commerciales pourraient reposer sur des financements aussi aléatoires sans être menacées à court terme. Nous ne pouvons continuer d'ignorer cette situation. Le sport professionnel doit sécuriser et diversifier ses recettes ; il doit, lorsque cela est possible, créer de la valeur à long terme et adapter ses outils de régulation aux enjeux économiques.

L'ampleur du diagnostic ne permettait pas de demander à la mission, dans des délais contraints, d'embrasser l'ensemble des sujets. J'ai donc retenu, après en avoir débattu avec l'ensemble des acteurs, des axes de réforme à expertiser. Cela n'interdit pas d'engager d'autres chantiers sous diverses formes. Depuis un an, je me suis déjà saisie de nombre d'entre eux ; d'autres initiatives suivront et pourront trouver leur traduction dans le projet de loi d'orientation pour le sport qui vous sera présenté en 2014.

J'ai donc demandé aux inspecteurs généraux de nous aider dans un premier temps à progresser sur les sujets de la gouvernance et de la régulation du secteur. Cela nous amène à préciser les finalités qui doivent être poursuivies par les pouvoirs publics et qui sont bien explicitées dans le rapport : la performance sportive de la nation, le développement du sport, l'emploi, l'ordre public, l'éthique et la transparence.

Mais, comme la Cour des comptes l'a parfaitement montré en janvier dernier, l'adéquation entre ces objectifs et les moyens employés n'est pas optimale. Je pense notamment à l'action du CNDS, dont je me félicite d'avoir, dès l'été 2012, engagé un profond recentrage. Ce chantier complexe comporte plusieurs dimensions : le redressement financier, la sécurisation des recettes, le ciblage des interventions. Il est aujourd'hui engagé et devrait connaître une étape majeure à l'automne, avec l'aboutissement de la réforme de ses critères d'intervention.

Je pense aussi au rôle des collectivités territoriales, essentiel pour le sport professionnel. Il pourrait, nous dit-on, être mieux évalué. Notre but est d'abord de l'améliorer, de renforcer la transparence vis-à-vis des citoyens et de limiter les risques pesant sur les contribuables locaux. Je veux cependant rassurer les élus : il n'y a pas de volonté cachée de brider à terme la capacité des collectivités à soutenir les clubs professionnels.

La question des équipements sportifs est cruciale à ce titre. Il faut sans doute trouver un meilleur équilibre dans le financement de leur construction, dans le partage des risques, dans les conditions de leur exploitation.

Je terminerai en évoquant la solidarité avec le sport amateur, axe privilégié par le Gouvernement. Elle existe dans bien des situations, mais, à l'image du sport professionnel, ses modalités sont très hétérogènes et trop peu lisibles. Il arrive même parfois que le sport amateur finance le sport professionnel, comme la Cour des comptes l'avait déjà montré.

J'ai demandé aux inspecteurs généraux de nous éclairer sur les outils, notamment juridiques, qui pourraient nous aider à mieux définir cette solidarité et à la faire jouer pleinement et plus systématiquement, sans menacer l'équilibre du secteur professionnel. La question de la formation est importante de ce point de vue. Elle doit trouver un juste retour lorsque les sportifs qu'elle permet de faire émerger génèrent ensuite d'importants gains financiers pour leurs clubs.

Mieux définir le sport professionnel ; faire progresser les conditions de sa régulation ; clarifier et sécuriser l'intervention des collectivités territoriales, en particulier pour le financement des équipements sportifs ; rendre plus opérationnels et transparents les liens de solidarité avec le sport amateur : tels sont les chantiers que nous approfondirons dans le cadre de cette mission. Ils sont conformes aux préconisations issues de votre travail.

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