Nous arrivons au terme de l'examen de ce projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires avec un sentiment d'inachevé. En effet, ce texte apparaît, au final, décevant tant il édulcore l'engagement du candidat François Hollande à réformer en profondeur notre système financier et de lutter contre le cancer financier qui ronge notre économie.
Nous sommes loin, avec ce texte, de la concrétisation de l'intention initiale de mettre enfin les banques « au service de l'économie », en rétablissant la séparation entre activités de dépôt et activités d'investissement. Nous savons pourtant que cette séparation est une étape indispensable de la refonte du système financier.
Depuis l'abrogation en 1999 du Glass-Steagall Act aux États-Unis, suppression qui est l'une des causes de la crise économique et financière actuelle, la question de la séparation taraude nombre de responsables politiques. Pour le moment, seuls les États-Unis et la Grande-Bretagne l'ont remise au goût du jour. En Europe, le rapport Liikanen a montré tout l'intérêt d'une telle démarcation.
La crise actuelle a amplement démontré que les activités de marché sont de véritables bombes à retardement et qu'il importe en particulier, pour reprendre les termes de la commission Vickers, de réduire les garanties implicites accordées par les gouvernements, diminuer le risque pour les États et les contribuables, et ainsi rendre moins probables des prises de risques excessives par les banques. La confusion des activités de dépôt et des activités d'investissement fait peser des risques énormes sur les dépôts de millions de citoyens.
Si l'on se réfère au point n° 7 du programme du candidat François Hollande, la réforme du système bancaire et financier devait s'accompagner de mesures de lutte contre les paradis fiscaux ainsi que d'autres dispositions telles que la suppression pure et simple des stock-options. Nous constatons que ces mesures n'ont pas encore trouvé pleinement de traduction concrète.
Le texte qui nous est proposé sort certes renforcé de son parcours parlementaire, notamment sur les volets relatifs à la lutte contre les paradis fiscaux, à l'élargissement du reporting pays par pays aux entreprises à vocation internationale, ainsi qu'à la prise en compte du phénomène grandissant du trading à haute fréquence.
Nous avons également pu enregistrer une avancée sur la question de l'assurance emprunteur et quelques progrès en matière de protection des clients, particulièrement des clients fragiles, avec le plafonnement, néanmoins perfectible, des commissions d'intervention, qui s'élèvent aujourd'hui à plus de 2 milliards d'euros, sans compter les agios.
Nous nous réjouissons également de la transposition en droit français du principe de plafonnement des bonus des banquiers adopté mi-avril par le Parlement européen. Quand on sait que le PDG d'une certaine banque française a doublé ses revenus depuis la crise, revenus qui atteignent 2,5 millions d'euros, et qu'un autre directeur général a perçu 2,9 millions en 2012, dont 1,7 million de part variable, c'est une mesure d'assainissement indispensable. Rappelons, à titre de comparaison, que, tandis que le président d'une banque s'augmentait de 42 %, les 20 000 techniciens de l'établissement étaient augmentés de 2,8 % en moyenne entre 2010 et 2011. Une autre banque a quant à elle récemment annoncé la suppression d'un millier de postes cette année, dont la moitié en France.
Nous reconnaissons au Gouvernement et à la majorité le mérite d'avoir versé l'ensemble de ces questions au débat, mais nous restons cependant, nous semble-t-il, au milieu du gué. La séparation des activités bancaires par la voie de la filialisation des activités les plus dangereuses nous semble d'une portée beaucoup trop limitée. Le texte limite en effet au maximum la partie des activités à isoler au sein de filiales de cantonnement. En cause : une vision restrictive de la notion de risque. Seules les activités de marchés réalisées par les banques pour leur compte propre devront être filialisées. Ces activités sont devenues si marginales pour certaines banques que le Crédit agricole ou la BPCE, par exemple, ne seront pas tenus de créer une filiale de cantonnement des activités à risque.
Ce constat nous conduit à nous interroger sur la portée réelle de ce texte. Comme nous l'avons indiqué tout au long de nos débats, il est nécessaire de définir plus largement l'activité spéculative. Le fameux modèle de banque universelle que vous avez voulu préserver coûte que coûte suppose l'exposition des dépôts des épargnants aux vicissitudes des marchés financiers. C'est à ce péril que prétendait parer le candidat Hollande avec sa septième proposition. Force est de constater que, dans ce texte, le compte n'y est pas tout à fait.
D'autant moins que le Gouvernement a malheureusement confirmé la fusion du fonds de garantie des dépôts avec le fonds de résolution. Cela veut dire qu'en cas de problème, la nouvelle Autorité de contrôle prudentiel et de résolution pourra puiser dans ce panier pour redonner de la solvabilité à une banque ou à un fonds spéculatif, mais qu'au coup d'après il ne restera rien dans les caisses pour garantir les dépôts en deçà de 100 000 euros. Cette mesure est parfaitement contradictoire avec l'objectif de protection des épargnants.
Cette situation est d'autant plus choquante que nous savons que les banques bénéficient de la garantie de l'État destinée à préserver les dépôts des épargnants. Grâce à cette garantie, nos banques peuvent emprunter sur les marchés à des taux très faibles et financer l'économie réelle à des taux plus élevés.
En l'état, vous l'aurez compris, le texte ne nous satisfait pas suffisamment pour que notre abstention de la première lecture se transforme en un vote favorable. Malgré les avancées qu'il porte, le système bancaire, cela a été dit, possède encore beaucoup d'avance sur notre volonté de contrôle, de régulation et d'assainissement du secteur.
Certes, le texte contient des mesures très positives, notamment en matière de régulation, mais leur portée est grandement limitée et la séparation entre activités de dépôt et activités spéculatives demeure trop marginale pour nous convaincre pleinement. En conséquence, madame la ministre, chers collègues, nous nous abstiendrons.