Notre attention est aujourd'hui surtout mobilisée par la situation égyptienne. Nous n'en oublions pas la Syrie, l'Iran… Il y a aussi l'affaire Snowden. Si vous n'y voyez pas d'objection, je ne traiterai pas dans mon propos liminaire de cette affaire. J'aurai certainement l'occasion d'y revenir en réponse à vos questions.
Je me concentrerai sur la situation au Proche et au Moyen-Orient. Bien que la situation soit très différente dans chacun des pays de cette zone, il est néanmoins possible de tirer quelques enseignements généraux et d'avoir une analyse d'ensemble.
Le Proche-Orient et le Moyen-Orient sont aujourd'hui dans une situation éruptive. On pense d'abord bien sûr à l'Egypte, à la Syrie, où la situation est absolument dramatique avec le siège d'Homs, les conséquences du conflit dans les pays voisins, le Liban en particulier où ont eu lieu des attentats, la Jordanie, mais aussi l'Irak qui tous connaissent des difficultés. Des leçons sont également à tirer de ce qui s'est passé en Tunisie, où la situation n'a heureusement rien à voir. Dans toute cette région du monde, des tensions graves se font sentir entre chiites et sunnites, et partout, le consensus national est extrêmement fragile.
Un point commun à tous ces pays, à l'exception de la Turquie, est qu'ils connaissent une situation économique et sociale très dégradée. Souvenons-nous qu'en Tunisie, ce qu'on a appelé « le printemps arabe » a commencé avec le désespoir d'un vendeur ambulant, M. Mohamed Bouazizi, qui, sans aucune perspective économique, souffrant de la corruption et de l'arbitraire, trouvait sa situation insupportable et s'est sacrifié dans les conditions que l'on sait. Son geste a été le point de départ des émeutes qui ont concouru à la révolution tunisienne, avant que la vague ne se propage dans d'autres pays.
La situation économique est également très difficile en Égypte où, sur quatre-vingts millions d'habitants, vingt-cinq millions vivaient du tourisme, lequel s'est complètement effondré. Les difficultés de la vie quotidienne expliquent d'ailleurs en partie le retournement de l'opinion à l'égard du président Morsi. Une partie de la population aujourd'hui dans la rue avait voté pour lui l'an passé.
La Jordanie également, dans un contexte tout à fait différent, connaît de graves difficultés économiques.
Dans tous ces pays, la pauvreté s'aggrave. Et alors que les artisans des révolutions souhaitaient que les changements permettent d'améliorer la situation économique, il n'en a rien été. C'est une évidence en Egypte. C'est vrai aussi en Syrie et même dans les pays de la région potentiellement riches. Les millions de manifestants du 30 juin en Égypte protestaient aussi contre la pénurie d'essence, les pannes d'électricité… Tout cela pour dire que la situation économique et sociale est déterminante. Nous ne pourrons pas aider ces peuples – car il s'agit d'aider des peuples, plutôt que des gouvernements – si nous n'évaluons pas à sa juste mesure l'aide économique qu'il faut leur apporter.
Dans tous ces pays, qui tous connaissent de profondes évolutions sociologiques, l'apprentissage de la transition démocratique est difficile. Beaucoup d'entre eux achèvent juste leur transition démographique. Les femmes sont de plus en plus nombreuses, il faut s'en féliciter, à vouloir entrer sur le marché du travail et participer à la vie politique. Le niveau d'éducation, en tout cas la demande d'éducation, s'élève. Un rapport nouveau à la politique se fait jour : on observe une volonté, parfois maladroite, très souvent contrariée, d'affirmation d'un citoyen arabe. Les Égyptiens, les Syriens, les Iraniens sont nombreux aujourd'hui à souhaiter un État pluraliste, efficace, moderne, améliorant leurs conditions de vie et garantissant le respect des libertés publiques et individuelles.
Les deux années qui viennent de s'écouler ont permis une certaine appropriation du jeu démocratique et une confrontation avec les mécanismes de la démocratie qui, on le vérifie encore, reposent sur des élections mais ne s'y réduisent pas. Le passage de systèmes autoritaires figés à un système démocratique garantissant les droits est très délicat.
Au final, on constate des avancées, comme en Tunisie, mais aussi des reculs, souvent brutaux, dans la violence, comme en Égypte.
La place et l'évolution de l'islam politique seront déterminantes pour l'avenir. La religion continue d'avoir un rôle majeur dans ces pays. Dans le même temps, elle est parfois le support d'extrémismes qui conduisent à des violences intolérables. Et beaucoup de citoyens ne souhaitent pas ou ne souhaitent plus qu'elle s'immisce de manière massive dans le champ politique. Les Frères musulmans et les mouvements voisins sont une composante de ces sociétés qui ne disparaîtra pas et qu'il n'est donc pas possible d'ignorer, sans pour autant accepter l'inacceptable. L'enjeu est de faire en sorte que ces forces, à condition qu'elles acceptent de ne pas recourir à la violence, s'intègrent progressivement au jeu politique et se recentrent sur les préoccupations principales des populations, l'économique, le social et l'État de droit.
La France a incontestablement un rôle particulier à jouer dans ces pays. Lors de la révolution tunisienne, le gouvernement de l'époque n'avait pas perçu ce qui se passait – c'est un euphémisme. Il est significatif que le discours du Président de la République au peuple tunisien lors de son déplacement dans le pays la semaine dernière, dans lequel il réaffirmait les valeurs de la France tout en reconnaissant l'identité tunisienne, ait été très bien reçu.
Vous savez quelle est la position de la France en Syrie. Nous souhaitons une Syrie pluraliste et soutenons les aspirations du peuple syrien face à la répression féroce du régime. Nous pensons que la seule solution possible est de nature politique, après un rééquilibrage des forces sur le terrain. Il est heureux à cet égard que la Coalition nationale syrienne, qui a perdu son premier ministre, se soit dotée d'un président. Parce qu'elle est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies, mais aussi de par ses positions générales, la France a un rôle à jouer en Syrie.
En Égypte, dès l'annonce de la destitution du président Morsi, le Président de la République et moi-même avons appelé les autorités à s'engager dans une transition rapide et ordonnée pour organiser des élections et confier démocratiquement le pouvoir aux civils. Il faut que cessent les violences – nous les avons condamnées et les condamnons, d'où qu'elles viennent – et que les droits de l'homme soient respectés. Toute la lumière doit être faite sur les événements qui ont conduit aux graves violences perpétrées devant les bâtiments de la Garde nationale. Nous venons d'apprendre qu'un Premier ministre a été désigné et, selon les renseignements qui viennent de nous parvenir et demandent à être confirmés, M. El Baradei serait vice-président chargé des affaires étrangères.
Au Liban, nous soutenons la volonté du président Sleiman de déconnecter autant qu'il est possible la situation libanaise de la situation syrienne. Mais le conflit syrien devient un conflit régional, et même, hélas, international.
Dans un autre contexte, nous devons rester attentifs à ce qui se passe en Libye. Pays riche, où il n'existait traditionnellement pas d'État, la Libye est en proie à de graves problèmes de sécurité. Il nous faut l'aider à se protéger de toutes les agressions extérieures, en particulier des risques terroristes.
Je ne dis rien de la Turquie où les problèmes sont d'une autre nature. Gardons-nous des amalgames.
Je termine d'un mot sur l'Iran, madame la présidente. La situation actuelle du pays est paradoxale. Le président Rohani n'aurait pas pu être élu si la population n'avait pas manifesté son refus d'un certain système car parmi les quelques candidats dont la candidature avait été acceptée, M. Rohani était présenté comme le plus hostile à certaines pratiques. Dans le même temps, l'Iran étant ce qu'il est, M. Rohani n'aurait pas pu être élu, ni même candidat, s'il n'avait pas été adoubé, ou du moins accepté, par le Guide suprême. Il y a donc là pour le moins une ambivalence. La France sera heureuse si des changements interviennent dans la politique iranienne et saura saisir l'occasion. Il faut toutefois être réaliste et exiger que les évolutions se concrétisent vraiment. Pour le moment, au-delà des portraits, souvent flatteurs, qui sont faits du président Rohani, dont on vante la maîtrise de la dialectique, l'Iran n'a fait aucune déclaration augurant d'une évolution. Nous verrons ce qu'il en sera, une fois désigné le négociateur sur la question nucléaire.
La France n'est pas fermée. Mais nous regarderons les éléments concrets et ne nous laisserons pas abuser par des proclamations théoriques. L'affaire nucléaire sera décisive. L'Iran, qui est un grand pays, a droit à l'énergie nucléaire civile, mais la France – par la voix de ce Gouvernement comme du gouvernement précédent d'ailleurs – a fait savoir que, comme la communauté internationale, elle juge inacceptable qu'il se dote de l'arme nucléaire. Dans ces conditions, une double approche a été retenue consistant d'un côté à prévoir des sanctions, de l'autre à négocier. Nous verrons si l'Iran fait des propositions sérieuses et se met en conformité avec les résolutions internationales. Nous ne lui faisons aucun procès d'intention et serions heureux, pour la paix dans cette région du monde, si sa position évoluait. Mais cela demande à se concrétiser.
L'autre principe de notre action est de nous concerter étroitement avec nos partenaires, qui sont en cette affaire les quatre autres membres permanents du Conseil de sécurité auxquels s'adjoint l'Allemagne pour former le groupe dit du P 5 + 1. Jusqu'à présent, la Chine, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la Russie et l'Allemagne ont été unis. Si nous sommes ouverts à tout élément concret, nous sommes attachés à la préservation de cette unité qui fait notre force, et qui est nécessaire pour amener l'Iran à changer de position.
Je suis maintenant prêt à répondre à toutes vos questions, sur quelque sujet qu'elles portent. J'ai tenu à cette introduction générale sur la situation au Proche et au Moyen-Orient, car trop de choses superficielles sont dites sur le sujet et trop d'amalgames sont faits. La Syrie n'est pas la Tunisie, et pourtant il est possible de tirer des leçons générales des évolutions dans tous ces pays.