Commission des affaires étrangères

Réunion du 9 juillet 2013 à 17h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Audition, ouverte à la presse, de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères

La séance est ouverte à dix-sept heures.

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Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui, pour une audition ouverte à la presse, M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères.

Monsieur le ministre, nous sommes convenus que cette audition serait concentrée sur deux sujets d'actualité mais, naturellement, cela ne doit pas empêcher les députés de vous interroger sur d'autres sujets.

Tout d'abord, votre audition sera l'occasion de faire le point sur le scandale provoqué par la découverte des activités d'espionnage et de collecte des données personnelles auxquelles la NSA (National Security Agency) américaine s'adonnerait ou s'adonne – je ne sais pas si le conditionnel est encore de mise. Cette affaire alimente notre réflexion sur l'équilibre à trouver entre les impératifs de sécurité et la protection des libertés. Elle soulève aussi la question de la confiance mutuelle entre les États-Unis et l'Europe. Le Président de la République et vous-même avez déclaré de manière très nette qu'il n'était pas admissible qu'un service américain espionne les représentations diplomatiques française et européenne, et avez demandé des explications aux autorités américaines. Les Européens ont obtenu des Américains la création d'un groupe d'experts sur les questions de protection des données personnelles et la commissaire européenne aux affaires intérieures a également pris des initiatives afin d'obtenir des États-Unis plus de transparence sur leurs programmes d'écoute. Ces réactions ont-elles, selon vous, permis d'obtenir de nos partenaires les garanties nécessaires au rétablissement d'un climat de confiance ? Était-il raisonnable dans ce contexte d'ouvrir les négociations sur le partenariat commercial transatlantique ?

Le deuxième sujet à l'ordre du jour est, à nouveau, la situation au Proche-Orient et au Moyen-Orient. Les derniers événements en Égypte sont des plus inquiétants et la diplomatie française doit se livrer à l'exercice d'équilibre délicat que l'on résume généralement par la fameuse formule « ni indifférence, ni ingérence ». Elle a pris acte des événements, tout en exprimant le souhait que le président Morsi et ses collaborateurs soient traités convenablement, et rappelé l'attachement de la France à la poursuite d'une transition politique associant l'ensemble des forces et sensibilités politiques. Le Président de la République et vous-même vous êtes exprimés en ce sens. Quelle est, monsieur le ministre, votre analyse des derniers événements au Caire – la situation n'a cessé d'empirer ces dernières heures – et des évolutions dans la région ? Comment, à votre avis, doivent se positionner les diplomaties française et occidentale ?

Enfin, je souhaiterais vous poser une question à propos de l'Iran. Après l'élection de M. Rohani, qui suscite un certain espoir, pour raisonné qu'il soit, le moment n'est-il pas venu pour la France d'assouplir sa position à l'égard de l'Iran ? Certes, le nouveau président n'est pas encore en fonction et il a la réputation d'être proche du Guide suprême. On ne doit bien sûr pas s'attendre à ce que l'Iran abandonne du jour au lendemain son programme d'enrichissement de l'uranium. Les sanctions décidées par l'ONU d'une part, par l'Union européenne d'autre part, ne peuvent être assouplies unilatéralement et ne pourraient être reconsidérées qu'à la lumière d'éléments nouveaux dans la négociation. Mais pourquoi ne pas répondre à cet espoir d'évolution de l'attitude de l'Iran sur la question nucléaire en assouplissant par exemple notre régime d'accueil des étudiants iraniens, beaucoup plus restrictif que celui appliqué par l'Allemagne, ou en permettant à nos chercheurs de se rendre plus facilement en Iran ?

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Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères

Notre attention est aujourd'hui surtout mobilisée par la situation égyptienne. Nous n'en oublions pas la Syrie, l'Iran… Il y a aussi l'affaire Snowden. Si vous n'y voyez pas d'objection, je ne traiterai pas dans mon propos liminaire de cette affaire. J'aurai certainement l'occasion d'y revenir en réponse à vos questions.

Je me concentrerai sur la situation au Proche et au Moyen-Orient. Bien que la situation soit très différente dans chacun des pays de cette zone, il est néanmoins possible de tirer quelques enseignements généraux et d'avoir une analyse d'ensemble.

Le Proche-Orient et le Moyen-Orient sont aujourd'hui dans une situation éruptive. On pense d'abord bien sûr à l'Egypte, à la Syrie, où la situation est absolument dramatique avec le siège d'Homs, les conséquences du conflit dans les pays voisins, le Liban en particulier où ont eu lieu des attentats, la Jordanie, mais aussi l'Irak qui tous connaissent des difficultés. Des leçons sont également à tirer de ce qui s'est passé en Tunisie, où la situation n'a heureusement rien à voir. Dans toute cette région du monde, des tensions graves se font sentir entre chiites et sunnites, et partout, le consensus national est extrêmement fragile.

Un point commun à tous ces pays, à l'exception de la Turquie, est qu'ils connaissent une situation économique et sociale très dégradée. Souvenons-nous qu'en Tunisie, ce qu'on a appelé « le printemps arabe » a commencé avec le désespoir d'un vendeur ambulant, M. Mohamed Bouazizi, qui, sans aucune perspective économique, souffrant de la corruption et de l'arbitraire, trouvait sa situation insupportable et s'est sacrifié dans les conditions que l'on sait. Son geste a été le point de départ des émeutes qui ont concouru à la révolution tunisienne, avant que la vague ne se propage dans d'autres pays.

La situation économique est également très difficile en Égypte où, sur quatre-vingts millions d'habitants, vingt-cinq millions vivaient du tourisme, lequel s'est complètement effondré. Les difficultés de la vie quotidienne expliquent d'ailleurs en partie le retournement de l'opinion à l'égard du président Morsi. Une partie de la population aujourd'hui dans la rue avait voté pour lui l'an passé.

La Jordanie également, dans un contexte tout à fait différent, connaît de graves difficultés économiques.

Dans tous ces pays, la pauvreté s'aggrave. Et alors que les artisans des révolutions souhaitaient que les changements permettent d'améliorer la situation économique, il n'en a rien été. C'est une évidence en Egypte. C'est vrai aussi en Syrie et même dans les pays de la région potentiellement riches. Les millions de manifestants du 30 juin en Égypte protestaient aussi contre la pénurie d'essence, les pannes d'électricité… Tout cela pour dire que la situation économique et sociale est déterminante. Nous ne pourrons pas aider ces peuples – car il s'agit d'aider des peuples, plutôt que des gouvernements – si nous n'évaluons pas à sa juste mesure l'aide économique qu'il faut leur apporter.

Dans tous ces pays, qui tous connaissent de profondes évolutions sociologiques, l'apprentissage de la transition démocratique est difficile. Beaucoup d'entre eux achèvent juste leur transition démographique. Les femmes sont de plus en plus nombreuses, il faut s'en féliciter, à vouloir entrer sur le marché du travail et participer à la vie politique. Le niveau d'éducation, en tout cas la demande d'éducation, s'élève. Un rapport nouveau à la politique se fait jour : on observe une volonté, parfois maladroite, très souvent contrariée, d'affirmation d'un citoyen arabe. Les Égyptiens, les Syriens, les Iraniens sont nombreux aujourd'hui à souhaiter un État pluraliste, efficace, moderne, améliorant leurs conditions de vie et garantissant le respect des libertés publiques et individuelles.

Les deux années qui viennent de s'écouler ont permis une certaine appropriation du jeu démocratique et une confrontation avec les mécanismes de la démocratie qui, on le vérifie encore, reposent sur des élections mais ne s'y réduisent pas. Le passage de systèmes autoritaires figés à un système démocratique garantissant les droits est très délicat.

Au final, on constate des avancées, comme en Tunisie, mais aussi des reculs, souvent brutaux, dans la violence, comme en Égypte.

La place et l'évolution de l'islam politique seront déterminantes pour l'avenir. La religion continue d'avoir un rôle majeur dans ces pays. Dans le même temps, elle est parfois le support d'extrémismes qui conduisent à des violences intolérables. Et beaucoup de citoyens ne souhaitent pas ou ne souhaitent plus qu'elle s'immisce de manière massive dans le champ politique. Les Frères musulmans et les mouvements voisins sont une composante de ces sociétés qui ne disparaîtra pas et qu'il n'est donc pas possible d'ignorer, sans pour autant accepter l'inacceptable. L'enjeu est de faire en sorte que ces forces, à condition qu'elles acceptent de ne pas recourir à la violence, s'intègrent progressivement au jeu politique et se recentrent sur les préoccupations principales des populations, l'économique, le social et l'État de droit.

La France a incontestablement un rôle particulier à jouer dans ces pays. Lors de la révolution tunisienne, le gouvernement de l'époque n'avait pas perçu ce qui se passait – c'est un euphémisme. Il est significatif que le discours du Président de la République au peuple tunisien lors de son déplacement dans le pays la semaine dernière, dans lequel il réaffirmait les valeurs de la France tout en reconnaissant l'identité tunisienne, ait été très bien reçu.

Vous savez quelle est la position de la France en Syrie. Nous souhaitons une Syrie pluraliste et soutenons les aspirations du peuple syrien face à la répression féroce du régime. Nous pensons que la seule solution possible est de nature politique, après un rééquilibrage des forces sur le terrain. Il est heureux à cet égard que la Coalition nationale syrienne, qui a perdu son premier ministre, se soit dotée d'un président. Parce qu'elle est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies, mais aussi de par ses positions générales, la France a un rôle à jouer en Syrie.

En Égypte, dès l'annonce de la destitution du président Morsi, le Président de la République et moi-même avons appelé les autorités à s'engager dans une transition rapide et ordonnée pour organiser des élections et confier démocratiquement le pouvoir aux civils. Il faut que cessent les violences – nous les avons condamnées et les condamnons, d'où qu'elles viennent – et que les droits de l'homme soient respectés. Toute la lumière doit être faite sur les événements qui ont conduit aux graves violences perpétrées devant les bâtiments de la Garde nationale. Nous venons d'apprendre qu'un Premier ministre a été désigné et, selon les renseignements qui viennent de nous parvenir et demandent à être confirmés, M. El Baradei serait vice-président chargé des affaires étrangères.

Au Liban, nous soutenons la volonté du président Sleiman de déconnecter autant qu'il est possible la situation libanaise de la situation syrienne. Mais le conflit syrien devient un conflit régional, et même, hélas, international.

Dans un autre contexte, nous devons rester attentifs à ce qui se passe en Libye. Pays riche, où il n'existait traditionnellement pas d'État, la Libye est en proie à de graves problèmes de sécurité. Il nous faut l'aider à se protéger de toutes les agressions extérieures, en particulier des risques terroristes.

Je ne dis rien de la Turquie où les problèmes sont d'une autre nature. Gardons-nous des amalgames.

Je termine d'un mot sur l'Iran, madame la présidente. La situation actuelle du pays est paradoxale. Le président Rohani n'aurait pas pu être élu si la population n'avait pas manifesté son refus d'un certain système car parmi les quelques candidats dont la candidature avait été acceptée, M. Rohani était présenté comme le plus hostile à certaines pratiques. Dans le même temps, l'Iran étant ce qu'il est, M. Rohani n'aurait pas pu être élu, ni même candidat, s'il n'avait pas été adoubé, ou du moins accepté, par le Guide suprême. Il y a donc là pour le moins une ambivalence. La France sera heureuse si des changements interviennent dans la politique iranienne et saura saisir l'occasion. Il faut toutefois être réaliste et exiger que les évolutions se concrétisent vraiment. Pour le moment, au-delà des portraits, souvent flatteurs, qui sont faits du président Rohani, dont on vante la maîtrise de la dialectique, l'Iran n'a fait aucune déclaration augurant d'une évolution. Nous verrons ce qu'il en sera, une fois désigné le négociateur sur la question nucléaire.

La France n'est pas fermée. Mais nous regarderons les éléments concrets et ne nous laisserons pas abuser par des proclamations théoriques. L'affaire nucléaire sera décisive. L'Iran, qui est un grand pays, a droit à l'énergie nucléaire civile, mais la France – par la voix de ce Gouvernement comme du gouvernement précédent d'ailleurs – a fait savoir que, comme la communauté internationale, elle juge inacceptable qu'il se dote de l'arme nucléaire. Dans ces conditions, une double approche a été retenue consistant d'un côté à prévoir des sanctions, de l'autre à négocier. Nous verrons si l'Iran fait des propositions sérieuses et se met en conformité avec les résolutions internationales. Nous ne lui faisons aucun procès d'intention et serions heureux, pour la paix dans cette région du monde, si sa position évoluait. Mais cela demande à se concrétiser.

L'autre principe de notre action est de nous concerter étroitement avec nos partenaires, qui sont en cette affaire les quatre autres membres permanents du Conseil de sécurité auxquels s'adjoint l'Allemagne pour former le groupe dit du P 5 + 1. Jusqu'à présent, la Chine, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la Russie et l'Allemagne ont été unis. Si nous sommes ouverts à tout élément concret, nous sommes attachés à la préservation de cette unité qui fait notre force, et qui est nécessaire pour amener l'Iran à changer de position.

Je suis maintenant prêt à répondre à toutes vos questions, sur quelque sujet qu'elles portent. J'ai tenu à cette introduction générale sur la situation au Proche et au Moyen-Orient, car trop de choses superficielles sont dites sur le sujet et trop d'amalgames sont faits. La Syrie n'est pas la Tunisie, et pourtant il est possible de tirer des leçons générales des évolutions dans tous ces pays.

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Cette présentation générale, monsieur le ministre, a été extrêmement utile. Nous en venons aux questions de nos collègues qui vous permettront d'entrer dans le détail.

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Ma première question porte sur la situation au Mali. Certains responsables politiques maliens, dont l'ancien ministre des affaires étrangères, M. Tiébilé Dramé, qui a été chargé par le gouvernement malien des négociations avec le Nord-Mali et est aujourd'hui candidat à la présidence de la République, expliquent qu'il ne serait pas « convenable » que l'élection présidentielle se tienne le 28 juillet prochain comme prévu. En effet, il n'y a toujours pas de gouverneur à Kidal, un demi-million de personnes sont encore déplacées dans le pays et beaucoup de Maliens de la diaspora ne pourront pas voter. Pour M. Dramé, si elle avait lieu, cette élection n'aurait pas de signification. Une autre candidate, Mme Cissé, a elle aussi expliqué ce matin sur l'antenne d'une radio française que l'obstination des gouvernements malien et français à vouloir que l'élection ait lieu le 28 juillet risquait de prolonger l'instabilité dont souffre le pays. À ses yeux aussi, cette élection, sans signification politique, ne contribuerait pas à la réconciliation dans le pays et ne permettrait pas au Mali de recouvrer son intégrité territoriale puisque Kidal, ville du Nord, sera exclue de la consultation démocratique.

S'agissant de l'Égypte, aucun pays n'a condamné ce qui est en réalité un coup d'État, mené certes à la demande populaire encore que, les jours passant, on se demande si cette demande populaire n'a pas été « sollicitée » par la seule composante organisée de la société égyptienne, à savoir l'armée. Laquelle, semble-t-il, prospère aujourd'hui davantage dans les affaires que dans la chose militaire puisqu'elle détient tous les rouages de l'économie – ce qui ne justifie pas pour autant la dérive des Frères musulmans. Ne faudrait-il pas que des pays comme la France ou les États-Unis, qui ont soutenu le président aujourd'hui emprisonné, exercent une pression pour éviter à l'Égypte les massacres et la guerre civile que connaît la Syrie ? Avec une tuerie ayant fait cinquante victimes, comme il y a quelques jours devant la Garde nationale au Caire, il faut bien parler de massacre. Que peuvent faire la France et l'Union européenne vis-à-vis des pays concernés au premier chef, de manière différente bien sûr, par cette situation régionale explosive ? Je pense à l'Iran et à Israël.

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Je souhaitais, monsieur le ministre, vous poser la même question que notre collègue Noël Mamère sur le Mali, d'une autre façon néanmoins. Chacun sa personnalité ! Si en ce dossier que la France a en tous points remarquablement géré, on a eu raison sur le plan politique d'exiger que l'élection présidentielle se tienne fin juillet, les informations recueillies depuis quelques jours montrent qu'il sera très difficile qu'elle se passe bien sur le plan pratique, pour de multiples raisons que je ne détaillerai pas. Ne serait-il donc pas plus sage de la reporter plutôt que de tenir ce cap obstinément ?

Ma deuxième question porte sur la Syrie. Voilà longtemps que nous sommes quelques-uns à pointer la mauvaise appréciation aussi bien de la capacité à renverser Bachar Al-Assad – certains représentants de notre diplomatie n'assuraient-ils pas que lui semblait réservé le même sort qu'à MM. Ben Ali et Moubarak ? –, que de la capacité des opposants à s'organiser efficacement. La guerre civile s'est aggravée dans le pays et les forces du régime ont repris le dessus dans plusieurs villes importantes. À quelles conditions la conférence de Genève II pourra-t-elle se tenir ? S'affaire-t-on d'ailleurs à ce qu'elle puisse avoir lieu ? Le plus tôt serait le mieux. Il y a quelques jours lors d'un petit déjeuner, notre commission a eu l'occasion de vérifier les « compétences » de l'ancien ambassadeur de France à Damas, lequel continue de faire la preuve de ces « compétences », alors qu'il a été rappelé à Paris et qu'on se demande bien ce qu'il peut y faire.

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Nous avons en effet reçu au cours d'un petit déjeuner Eric Chevallier dont j'ai, pour ma part, trouvé l'intervention extrêmement intéressante. J'ai jugé convaincants les éléments de réponse qu'il a apportés aux nombreuses questions qui lui ont été posées dans la tonalité de celle de François Loncle.

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Comme vous, monsieur le ministre, je pense que la situation la plus préoccupante au Moyen-Orient est celle de l'Égypte. Depuis le début du printemps arabe, ce sont les évolutions dans ce pays qui m'inquiètent le plus, davantage qu'en Tunisie, de tradition plus laïque et dont la population a un niveau d'éducation plus élevé, davantage qu'en Libye, plus riche et où le partage des richesses est donc plus facile.

L'Égypte est, de loin, le pays le plus peuplé de la région, avec un mouvement salafiste qui a profondément pénétré la société. Le pays n'est pas loin aujourd'hui de la guerre civile et si guerre civile il devait y avoir, les conséquences en seraient dramatiques pour l'ensemble de la communauté internationale, pour l'Union européenne bien sûr, pour Israël –je n'en parle même pas –, mais aussi pour les pays du Golfe, ce qui ne manquerait pas d'avoir de lourdes incidences pour nous-mêmes. On saura sans doute dans quelques jours ce qui s'est passé lors de la tuerie devant la Garde nationale. Pour que puisse être assurée la sécurité de la population égyptienne et assise la démocratie dans le pays, il faut que l'ordre soit respecté. Notre collègue Noël Mamère désignait, avec ironie, l'armée comme « la seule composante organisée de la société égyptienne ». Mais heureusement que l'armée égyptienne existe, serais-je tenté de dire à ce point, car sans elle, l'Égypte serait aujourd'hui en pleine guerre civile. La communauté internationale, et notamment l'Union européenne, ont le devoir d'en appeler à ce respect de l'ordre. Ce discours-là, on l'entend peu hélas.

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L'actualité est bien sûr la crise égyptienne. Je vous interrogerai néanmoins, monsieur le ministre, sur l'évolution de la situation en Syrie. Quelles perspectives pour une nouvelle conférence internationale ? À quel horizon ? Quelle évolution dans le rapport de forces sur le terrain ? Le front se stabilise-t-il après les avancées stratégiques des forces du régime ? La position équilibrée de la France en Syrie est connue. Notre pays prendra-t-il une initiative, comme il serait naturel vu le rôle qu'il joue dans cette région du monde depuis le 19ème siècle et qu'il a joué en Syrie depuis des décennies ? Quelle pourrait être cette initiative pour éviter l'enlisement du conflit ?

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Vous avez parlé à juste titre, monsieur le ministre, de « répression féroce » en Syrie. Les dénonciations des violations des droits de l'homme se concentrent sur le régime de Bachar Al Assad. Mais celui-ci est-il l'homme seul que l'on décrit ? Ne bénéficie-t-il pas du soutien de l'appareil militaire et d'une fraction importante de la population ? Je souhaiterais également vous interroger sur ce qu'on appelle globalement l'opposition syrienne. Cette globalisation n'est-elle pas trompeuse ? Que représente exactement chacun des mouvements qui la composent ? Quelle place y tiennent des forces plus ou moins tentées par l'aventure terroriste ? Lors de la dernière session du Conseil de l'Europe, la présidence arménienne du comité des ministres a exprimé, par la voix de M. Nalbandian, une position plus nuancée que celle de la France actuellement. Le Patriarche latin de Jérusalem a lui aussi une approche différente.

Enfin, monsieur le ministre, avez-vous des nouvelles du sort de deux évêques syriens, Monseigneur Paul Yazigui et Monseigneur Yohanna Ibrahim, dont on est sans nouvelles depuis deux mois ?

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Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères

Lors de ma rencontre avec le Patriarche de Jérusalem, je lui ai indiqué que nous faisions tout notre possible pour obtenir des nouvelles de ces deux évêques. Si nous parvenons à en avoir, je les lui transmettrai en priorité.

M. Mamère et M. Loncle m'ont interrogé sur la date prévue des élections au Mali. Tout d'abord, ce n'est pas le gouvernement français qui en décide. Cette prérogative appartient aux autorités maliennes, et à elles seules. La France ne peut éventuellement que donner son sentiment. De larges consultations ont eu lieu. Après une étude technique ayant permis de voir ce qui était possible et ce qui ne l'était pas, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a pris position de façon nette.

Il est absolument essentiel que des élections aient lieu et qu'elles ne soient pas repoussées aux calendes grecques. En effet, le gouvernement de transition n'a qu'une faible légitimité. Ensuite, dans certains milieux à Bamako, d'aucuns ne seraient pas mécontents que les élections ne se tiennent pas – ces gens, chacun sait ici qui ils sont. Enfin, même si le problème de Kidal a trouvé une solution magistrale sur le plan juridique – trouver un accord avec le MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad) en vingt-cinq points, permettant, ce qui est le cas actuellement, que les forces armées maliennes montent jusqu'à Kidal et que le MNLA soit cantonné à l'extérieur de la ville, qui eût pu penser ce tour de force possible ? –, il ne peut y avoir de solution durable avec les Touaregs qu'avec un président et un gouvernement nouveaux. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui ont poussé le MNLA à signer cet accord. Il serait en effet contradictoire de la part des Touaregs de revendiquer décentralisation et autonomie et, dans le même temps, de faire tout pour que les élections ne se tiennent pas, puisque seul un nouveau pouvoir pourra discuter avec eux et éventuellement leur donner satisfaction.

Tous ceux qui souhaitent que la démocratie triomphe au Mali et que la sécurité y soit de nouveau assurée ne peuvent qu'être attachés à la tenue d'élections. Reste la question de leur date. Après des études approfondies menées par les ministères maliens compétents, la décision de ne pas revenir, en dépit de leurs lacunes, sur les listes électorales établies en 2009, a été prise à l'unanimité des forces politiques. Il faudrait en effet plus que des mois pour établir de nouvelles listes, le risque étant alors que ne soit dilapidé l'acquis des six derniers mois. Les cartes électorales ont été éditées. La campagne a maintenant commencé, avec ses 28 candidats. Plusieurs réunions ont déjà eu lieu, dont l'une a réuni 80 000 personnes, preuve de l'engouement que suscitent ces élections. Nul ne nierait qu'il peut subsister des problèmes, et il n'est pas anormal que tel ou tel candidat en pointe. Mais les personnes déplacées à l'intérieur du pays, pourront voter, selon des modalités pratiques qui ont été définies. Les personnes réfugiées dans les pays voisins le pourront également pour la présidentielle : des dispositions ont été prises, en lien avec les pays concernés, pour qu'il soit possible de voter à proximité des camps de réfugiés. Quant aux Maliens vivant en situation régulière sur notre territoire, ils pourront eux aussi voter. Si en région parisienne il ne devrait pas y avoir de difficultés sur la base des listes électorales de 2009, il n'en va toutefois pas de même en province où il semble que des personnes qui auraient pu voter ne le pourront pas car n'étant pas inscrites sur les listes.

Les autorités maliennes et la CEDEAO estiment que les conditions sont réunies pour qu'un vote régulier ait lieu. Notre souhait à tous est que la mobilisation soit massive. La participation devait être beaucoup plus forte qu'aux scrutins précédents et les conditions du vote incomparablement plus démocratiques. Le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies au Mali, M. Koenders, accomplit son travail de façon remarquable, les autorités maliennes également. La France a fait savoir qu'elle était disposée à apporter son aide et nous avons en effet mis à disposition des moyens. Il faut être pragmatique et chacun doit rechercher à ce que cela se passe le mieux possible. J'entends bien vos observations, monsieur Mamère et monsieur Loncle, mais il ne faut pas oublier d'où l'on revient au Mali et ne pas tomber dans des errements.

J'en viens à la Syrie. Tous, nous condamnons les agissements de Bachar Al Assad qui, il est vrai, a pu compter sur des forces puissantes, au premier rang desquelles au plan international, la Russie et l'Iran – il sera intéressant de voir si l'attitude de l'Iran évolue. Les drames qui ont lieu actuellement en Syrie sont, pour une grande part, liés à des interventions extérieures. Ainsi le massacre de Qousseir est-il imputable essentiellement aux combattants du Hezbollah, lesquels ont d'ailleurs enregistré des pertes importantes à cette occasion. Les aides que reçoit la Coalition sont moindres : plusieurs pays arabes lui fournissent des armes, mais il n'y a pas, à ma connaissance, de forces organisées extérieures combattant sur le terrain. Se pose la question des organisations terroristes : c'est l'une des raisons pour lesquelles nous soutenons la Coalition, en particulier le général Salim Idriss, commandant en chef de l'Armée syrienne libre. Il n'est pas question de soutenir des groupes terroristes ni d'accepter d'être mêlé si peu que ce soit à leurs agissements. Nous avons fait inscrire le Front Al Nostra sur la liste internationale des organisations terroristes. En effet, si une organisation comme celle-là peut ponctuellement lutter contre Bachar Al Assad, elle se réclame toujours d'Al Qaida. Nous ne pouvons pas entrer dans une telle spirale d'autant qu'une fois la situation pacifiée en Syrie, comme nous l'espérons tous, on s'interroge sur ce que feront les membres de ces organisations. Nous ne pouvons pas encourager des terroristes.

Si aucune solution n'était trouvée, le risque est que les extrémistes de l'un ou l'autre bord prennent le dessus, d'un côté, la mouvance chiite, de l'autre côté, les mouvements se réclamant d'Al Qaida. Cela signifierait non seulement l'implosion de la Syrie mais aussi de très graves difficultés pour le Liban, la Jordanie, l'Irak, sans compter que, à supposer que l'Iran ait permis le succès des extrémistes chiites, il deviendrait incontournable dans cette région du monde, ce que la Russie elle-même ne souhaiterait pas.

Quid de la conférence Genève II, initialement prévue en juin, puis repoussée en juillet, avant que sa perspective ne s'éloigne encore ? La France soutient l'organisation de cette conférence qui doit mettre en application Genève I, laquelle avait été voulue par les États-Unis et la Russie et à laquelle notre pays avait participé. Plusieurs réunions ont eu lieu qui ont fait apparaître des blocages, au point qu'aucune date ne peut être aujourd'hui avancée. Je ne peux que réaffirmer l'attachement de la France à une solution politique, qui passe nécessairement par la tenue de cette nouvelle conférence – à laquelle la France participera.

Mais pour qu'une solution politique soit possible, il faut un certain rééquilibrage sur le terrain. Si la Coalition est en grande difficulté, pourquoi accepterait-elle de se rendre à une conférence qui acterait cette situation et conclurait qu'il n'y a rien à faire ? Rappelons l'objectif précis de Genève II : constituer par consentement entre les parties un gouvernement de transition doté de l'ensemble du pouvoir exécutif (full executive power). Les Russes en ont accepté le principe, et l'ont même réaffirmé dans le communiqué final du G 8. Encore faudrait-il qu'ils en soient pleinement d'accord. Lorsqu'il est dit que le gouvernement de transition aura « tout le pouvoir exécutif », il est clair que ce pouvoir n'appartiendra plus à Bachar Al Assad, il ne peut y avoir aucune ambiguïté. Sur ce point, est-ce bien ce qu'ont compris la Russie ou l'Iran ? L'Iran n'a pour l'instant fait aucune déclaration en ce sens – si tel était le cas, cela pourrait changer la donne.

Quelle est la position de la France ? Nous souhaitons bien sûr la paix dans une Syrie pluraliste, d'où aurait été éradiqué le terrorisme, et la mise en oeuvre d'une solution politique, avec bien entendu toute l'aide humanitaire nécessaire. Tous les efforts de notre diplomatie, parfois visibles, parfois plus discrets, vont en ce sens.

Je terminerai par l'Egypte. Nul ne peut nier qu'il y a eu une intervention militaire mais il est vrai aussi que des millions et des millions d'Égyptiens, y compris parmi ceux qui avaient voté pour le président Morsi l'année dernière, réclamaient un changement, ce qui ne signifie pas qu'ils aient approuvé les massacres perpétrés par la suite. La situation est donc complexe car de même, l'armée ne souhaite pas conserver durablement le pouvoir. Il est vrai, monsieur Mamère, que nous n'avons pas employé le terme de « coup d'État ». Et ce n'est pas là question seulement de sémantique. En effet, si la qualification de coup d'État était retenue, cela emporterait de multiples conséquences en matière d'aide internationale. Or, dans la situation très difficile que connaissent les Égyptiens, stopper l'aide économique serait dramatique.

Même si un massacre, où qu'il soit perpétré, est un massacre et s'il crève toujours le coeur que la démocratie ne règne pas dans un pays, vous avez raison, monsieur Poniatowski, l'Égypte n'est pas la Syrie. Le problème est d'une tout autre dimension. Forte de 85 millions d'habitants, l'Égypte joue un rôle politique, économique, diplomatique et culturel sans égal dans la région. Il est essentiel pour l'équilibre régional, pour Israël, pour la Palestine, et au-delà même pour l'Europe, qu'elle retrouve la stabilité politique. D'où les initiatives, pas nécessairement publiques, que prend la France. Notre pays avait de bonnes relations avec le président Morsi et n'a aucun contentieux avec le nouveau pouvoir, d'autant que le président par intérim qui a été désigné, M. Adly Mansour, est un juriste qui a fait une partie de ses études en France. Nous travaillons bien entendu en liaison avec nos partenaires européens, mais nous avons aussi une action propre dans ce pays. J'ai eu l'occasion de faire savoir aux autorités en place, notamment au ministre des affaires étrangères intérimaire, et à la nouvelle opposition que la disponibilité de la France était entière. Nous verrons si cela peut être utile.

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Ce qui arrive en Égypte n'est pas une surprise. Tout le monde s'attendait à ce qu'il se passe quelque chose, comme nous avions pu le constater lors d'un déplacement sur place avec Jean Glavany. Le problème principal pour le pays est aujourd'hui que la population puisse se nourrir. Où en est-on des négociations avec le FMI et l'Union européenne pour l'octroi de prêts ? S'ils ne sont pas débloqués, la situation actuelle, qui est la résultante de l'absence de croissance économique et de l'extrême difficulté qu'ont les Égyptiens à manger à leur faim, risque d'empirer. Or, le FMI demandait, ce qui était imbécile, je me permets de le dire, que le pain, l'essence et d'autres biens de base ne soient plus subventionnés.

S'agissant de la Syrie, il est clair que celle-ci est devenue un enjeu entre l'Arabie Saoudite et l'Iran qui s'affrontent par Syrie interposée, avec le risque de démembrement que cela fait peser sur le pays. L'élection de Ahmed Assi Jarba à la tête de la Coalition nationale est d'ailleurs présentée par les experts internationaux comme une victoire de l'Arabie saoudite sur le Qatar d'une part, sur l'Iran d'autre part. Je me demande donc si nous avons intérêt à jouer un pays contre l'autre car quel que soit celui des deux qui gagne, nous risquons, nous, de perdre. J'en appellerai donc, pour ma part, à plus de prudence, en dépit de l'horreur de la guerre civile.

Je veux enfin souligner que dans cette région du monde se joue le destin de la France et de l'Europe. Le danger n'est plus l'arrivée de chars soviétiques sur les rives de la Vistule ! Il serait bon que la diplomatie française se réoriente vers le flanc Sud.

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Puisque l'on évoque « le flanc Sud », je souhaite, monsieur le ministre, vous parler du bassin méditerranéen et de nos relations avec les pays du Maghreb. Je comprends qu'il soit tentant de digresser à partir du cas de la Tunisie sur l'ensemble du « printemps arabe » et les différentes formes qu'il a prises. Mais il serait bon aussi de tourner le regard vers l'Ouest de la Tunisie, c'est-à-dire vers l'Algérie et le Maroc, pays avec lesquels nous entretenons des relations particulières et où nous avons une ambition et des intérêts spécifiques. Pour conduire avec Bernard Deflesselles la délégation parlementaire au sein de l'Union pour la Méditerranée, je me demande si, en dépit de son utilité, l'UPM, ensemble très vaste, n'entrave pas un resserrement de nos liens avec le Maghreb, auquel nous aurions intérêt et dont ces pays sont demandeurs. Quelle politique industrielle commune, par exemple dans le domaine des énergies renouvelables ? Quelle politique de mobilité commune, professionnelle et étudiante ? Comment accompagner ces sociétés, confrontées à un taux de chômage très élevé de leur jeunesse, même hautement qualifiée, pour qu'elles puissent relever les défis du futur ?

Un mot maintenant de l'affaire dite Snowden. J'ai, pour ma part, très mal vécu l'incident que le président Evo Morales et le peuple bolivien tout entier ont ressenti comme une humiliation. Ce qui s'est passé est inadmissible. Quel est le point de vue de la diplomatie française ? Plus largement, je comprends que la France ne puisse pas accorder l'asile à M. Snowden, qui fuit les États-Unis, pays ami, mais de là à lui rendre les choses plus difficiles, il y a un pas qu'il ne faut pas franchir. M. Snowden a lancé plusieurs appels. Comme au moins deux pays d'Amérique latine, la Bolivie et le Venezuela, auraient accepté de lui accorder l'asile et qu'il se trouve actuellement en Russie, la question du survol de l'espace aérien national se posera de nouveau. Quelle sera alors la position de la France ?

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Le nouveau président iranien, M. Rohani, avait déclaré que le nouveau gouvernement ne serait pas « un gouvernement de compromis ni de reddition ». Notre position est que l'Iran a droit au nucléaire civil mais non à l'arme atomique et que pour éviter qu'il s'en dote, il convient à la fois de négocier et de prendre des sanctions. La semaine dernière, notre commission a auditionné deux éminents spécialistes de ce pays, selon lesquels l'Iran attendrait que la France, tenue pour un pays ouvert, vienne discuter. Le Guide suprême, Ali Khamenei, avait pourtant dit et continue à dire que l'Iran irait « jusqu'au bout », et la conférence de Genève II sur la Syrie ne cesse d'être reportée. Pensez-vous que l'on parviendra à sortir de la crise iranienne ? Les États-Unis et Israël avaient par ailleurs fixé un délai impératif, qui ne devait pas dépasser dix mois ou un an. Le temps passe vite, monsieur le ministre…

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Bien qu'atlantiste et tenant les États-Unis pour un pays ami, je suis mal à l'aise face à l'affaire Snowden. Un espion israélien, Jonathan Pollard, purge depuis vingt-huit ans une peine de prison aux États-Unis pour espionnage au profit d'Israël, pays pourtant ami des États-Unis. Bien que quatre premiers ministres israéliens aient sollicité sa grâce, celle-ci a toujours été refusée. Comment pourrait-il y avoir deux poids deux mesures ? Les États-Unis ont bel et bien espionné des pays amis en Europe.

Je tiens à vous féliciter, monsieur le ministre, ainsi que le Président de la République, mais aussi vos prédécesseurs, de ce que la France soit en pointe en Europe pour s'opposer à ce que l'Iran devienne une puissance nucléaire. Mais le compte à rebours a commencé. Les deux spécialistes de l'Iran que nous recevions la semaine dernière nous ont dit que l'élection de M. Rohani ne devait pas leurrer et que le pays souhaitait toujours se doter de l'arme nucléaire. Israël a déclaré qu'il ne pourrait l'accepter à aucun prix et que l'option militaire ne pouvait donc être exclue, ce qui serait la pire des solutions. La méthode de la carotte et du bâton, sur laquelle on a misé, à l'évidence ne marche pas. Ferez-vous clairement savoir aux Iraniens que s'ils poursuivent leur programme d'enrichissement de l'uranium, comme c'est le cas aujourd'hui, la France et ses alliés prendront leurs responsabilités pour empêcher par tous les moyens la nucléarisation du pays ?

Ma dernière question concerne un incident qui s'est produit à Jérusalem. Lors des récentes élections, l'ensemble de nos compatriotes habitant la ville ont très mal perçu de recevoir leur convocation dans une enveloppe où, sur l'adresse, le consulat français avait barré la mention « Israël ». Quelle que soit la position de la France sur le statut futur de Jérusalem, qui fera l'objet de négociations entre Israéliens et Palestiniens, ce geste était pour le moins inamical de la part de notre consulat. Pouvez-vous garantir que cela ne se reproduira plus ? Je tiens à votre disposition des photocopies d'enveloppes où cette mention a été barrée.

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Avec le recul, quelle crédibilité peut-on accorder aux majorités et aux gouvernements issus des printemps arabes, eux-mêmes nés du souhait des populations de jouir de plus de prospérité économique, plus de justice sociale et plus de démocratie ? Enfin, quid du respect des droits de l'homme, et notamment des droits des femmes, dans ces pays aujourd'hui ?

Le report systématique de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne ne compromet-il pas l'avenir laïc de ce pays ?

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Dans le tourbillon de l'actualité médiatique internationale, Madagascar semble tombé dans l'oubli. Depuis le coup d'État de 2009, le pays s'enfonce pourtant dans un désastre économique, social et politique et va de désillusion en désillusion, alors qu'il espérait une renaissance. La déficience de l'État est telle que la transition démocratique promise par Andry Rajoelina demeure une utopie. Quelle est la position de la France dans cette région d'Afrique avec laquelle nous entretenons des relations historiques ?

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À la suite des récentes élections iraniennes, la France a-t-elle ou non changé de stratégie vis-à-vis de ce pays ?

On ne peut que regretter que l'Union européenne ne parle pas d'une seule voix, tant sur la Syrie que sur l'Egypte. Quels sont les points de divergence et qu'est-ce qui sous-tend ces dissensions ?

La situation en Turquie, même si elle n'a rien à voir avec celle des pays précités, j'en conviens avec vous, monsieur le ministre, n'en est pas moins très préoccupante. L'attitude vis-à-vis des femmes s'est fortement dégradée ; des journalistes, turcs ou étrangers, ont été victimes de comportements très brutaux– l'association Reporters sans frontières s'en est émue ; enfin, la police a fait preuve d'une extrême violence envers les manifestants, le Premier ministre se vantant presque du nombre de morts. Sans méconnaître l'importance stratégique de la Turquie, je trouve que nos protestations ont été bien faibles.

Enfin, monsieur le ministre, avance-t-on sur le sujet d'un ministre des finances européen et comment concevez-vous cette fonction, que le Président de la République semble souhaiter ?

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Alain Juppé, lorsqu'il était ministre des affaires étrangères, disait que Bachar Al Assad « allait tomber ». Vous-même, monsieur le ministre, quelques mois après votre prise de fonctions, répétiez la même chose. N'est-on pas passé d'une stratégie consistant à se demander ce que l'on ferait une fois Bachar Al Assad renversé à une autre consistant à se demander comment faire pour s'accommoder de nouveau de lui ?

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Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères

Monsieur Myard, des négociations sont en cours au FMI s'agissant de l'Egypte. Si la qualification de coup d'État avait été retenue, elles auraient été interrompues. En contrepartie d'un prêt de plus de cinq milliards de dollars, le FMI exigeait l'arrêt des subventions sur certains produits de base et la hausse des impôts. Cela est en débat depuis longtemps. Or, il ne faudrait pas aux graves difficultés actuelles en ajouter d'autres, qui aboutiraient à ce que la population ne puisse plus du tout se nourrir. Certes, ce n'est pas nous qui décidons au FMI mais notre position paraît de bon sens. Et ce que je dis pour le FMI vaut aussi pour l'Union européenne.

En Syrie, nous ne jouons pas l'Iran contre l'Arabie saoudite, ni l'inverse. Ce sont deux pays très importants dans la région, que chiisme et sunnisme opposent fortement. La montée partout dans la région de ces oppositions de nature religieuse ne laisse d'ailleurs pas de nous préoccuper.

Quant au « flanc Sud », il est vrai que notre diplomatie doit s'en préoccuper…

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C'est là qu'il faut mettre les crédits, et pas sur l'Europe.

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Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères

Cela, c'est un autre sujet.

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Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères

Monsieur Amirshahi, nous avons bien l'intention de développer les projets concrets avec les pays du Maghreb. Les sommets du « 5 + 5 », plus ancien cadre de rencontre entre pays du bassin méditerranéen, qui réunissent la France, l'Espagne, l'Italie, le Portugal, Malte d'un côté, et le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, la Libye et la Mauritanie de l'autre, nous paraissent un excellent vecteur.

Je redis de la façon la plus nette que ce qui est arrivé au président bolivien est lié à un malentendu technique et administratif. Dès que le Président de la République a su que le président Morales se trouvait dans l'avion en question et qu'il a été consulté, il a immédiatement autorisé le survol de notre pays. J'ai demandé à notre ambassadeur en Bolivie de l'expliquer clairement sur place. J'ai également appelé mon homologue bolivien et exprimé officiellement des regrets. La page doit maintenant être tournée au plus vite, afin que rien n'altère les bonnes relations que nous avons toujours entretenues avec la Bolivie et l'ensemble des pays de la région. L'interprétation qui a parfois été faite de l'incident est totalement erronée.

La France, comme les autres pays d'Europe, a refusé l'asile à M. Snowden. Après que les États-Unis ont formulé une demande d'arrêt, si M. Snowden venait en France, il devrait y être immédiatement arrêté, ce qui n'est certainement pas ce que souhaitent ses défenseurs. Il n'était donc pas opportun de lui octroyer l'asile. Quelques pays se sont déclarés prêts à l'accueillir. Je ne sais pas encore quelle sera sa décision.

M. Assouly et M. Habib ont tous deux évoqué la situation iranienne et les lignes rouges à ne pas franchir aux yeux d'Israël. Le message de la France à l'égard de l'Iran, sans être nullement belliqueux, n'en est pas moins net. Nous restons ouverts au dialogue, pour autant que les positions iraniennes évoluent.

Monsieur Habib, je n'étais pas au courant que la mention « Israël » avait pu être barrée dans l'adresse de certaines convocations. Je vous remercie de me communiquer les photocopies des documents que vous avez en votre possession.

Monsieur Dupré, quelle crédibilité accorder aux majorités, disons islamistes, pour faire court ? Notre déplacement en Tunisie avec le Président de la République la semaine dernière a été riche d'enseignements. Le long entretien que M. Ghannouchi a accordé au Monde est également très intéressant. Beaucoup dépendra certes de ce qui va se passer en Égypte –notre visite avait lieu au moment même des événements égyptiens – mais ce que nous retenons des discussions libres et amicales que nous avons eues avec le gouvernement tunisien est que pour réussir, là où ils ont été élus de manière régulière, les islamistes doivent rassembler. Sinon, au bout d'un certain temps, ils sont rejetés. Comment peuvent-ils oeuvrer au rassemblement nécessaire ? La question n'est pas simple, d'autant que ceux qui exercent le pouvoir ne sont pas nécessairement ceux qui décident. L'une des leçons à retenir est que se refermer autour d'un groupe, au lieu de travailler au profit de l'ensemble de la population en cherchant à rassembler, handicape gravement les pouvoirs qui pratiquent ainsi. Espérons que cela soit compris.

Sur la Turquie, il y aurait beaucoup à dire. Vous avez eu raison de souligner que le problème y est tout autre que dans les pays précités. En effet, la Turquie connaît une forte croissance économique. Mais il est vrai que nous avons été surpris, déçus par les récents événements, dont il faut tirer les leçons. Cela montre que l'amélioration de la situation économique ne suffit pas ou bien encore qu'un conflit peut dégénérer à partir d'une revendication très localisée, comme cela a été le cas à Istanbul où il s'agissait au départ d'une affaire d'urbanisme. Nous n'avons surtout pas voulu jeter d'huile sur le feu après les commentaires faits par le pouvoir. Mais nous restons vigilants.

Monsieur Christ, vous avez eu raison d'évoquer Madagascar, dont on ne parle pas assez alors que la situation y est extrêmement préoccupante. Le malheur de ce pays, dont la France est restée très proche, est lié à ses gouvernants. La Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et l'Organisation de l'unité africaine (OUA) ont fait savoir que si les prochaines élections devaient se tenir avec les candidats actuels et dans les conditions prévues, non seulement aucune aide ne serait accordée mais les résultats n'en seraient pas reconnus. J'ai eu l'occasion de le dire aux intéressés eux-mêmes, qui n'ont pas voulu se rallier aux solutions plus sages qui avaient été un temps envisagées pour trouver des candidats qui n'auraient pas suscité le même embarras. Comme la SADC et l'OUA, la France ne reconnaîtra pas le résultat des élections, si celles-ci ont lieu dans les conditions actuellement prévues. Cela aura des conséquences en matière d'aide.

Monsieur Lequiller, oui, nous saisirons les opportunités avec l'Iran… s'il s'en présente.

Vaste sujet que de savoir pourquoi l'Europe ne parle pas d'une seule voix ! Soit cette voix unique fait défaut, soit, lorsqu'elle existe, elle n'est pas assez forte.

Où en est-on de l'institution d'un ministre des finances européen ? Le ministre des finances français s'est exprimé. Le Président de la République l'avait lui-même fait au sein de l'Eurogroupe, en liaison avec Mme Merkel, qui plaidait elle aussi en ce sens. Nous voulons renforcer la zone euro. C'est d'autant plus nécessaire que l'Union s'est encore élargie – après l'adhésion de la Croatie, l'Union compte 28 membres, et le mouvement ne devrait pas s'arrêter là – et que les Britanniques ont décidé d'organiser un référendum après leurs propres élections, défendant la conception d'une Europe « à la carte », très éloignée de la nôtre. Cela nous conforte, et cette position est assez largement partagée sur l'échiquier politique, dans l'idée d'une Europe différenciée, où certains pays avanceraient plus vite que d'autres, sans récuser ceux qui vont plus lentement mais sans accepter d'être freinés par eux.

Monsieur Bacquet, est-on passé d'une stratégie où l'on escomptait le renversement de Bachar Al Assad à une stratégie où on se demande comment traiter avec lui ? Ainsi posée, la question est excessive. Mais il est vrai que, pour les raisons que j'ai indiquées tout à l'heure et d'autres encore, Bachar Al Assad, et ses soutiens, la Russie, l'Iran et le Hezbollah, ont montré une forte capacité de résistance. Nous ne pouvons pour autant accepter les agissements de M. Al Assad. N'oublions pas comment tout a commencé en Syrie. Dans le contexte du printemps arabe, certaines fractions de la population syrienne ont réclamé plus de droits et de libertés. Une féroce répression s'en est suivie, qui a conduit à ce qu'on dénombre aujourd'hui plus de 100 000 morts, dont le premier responsable est bien Bachar Al Assad. Vu la composition de la population syrienne et les craintes qu'expriment certains Syriens que la situation ne soit encore pire après son départ, il est très important de militer pour qu'une solution politique soit trouvée dans le cadre de la conférence de Genève II, permettant le retour à une Syrie apaisée et pluraliste, où chacun aurait sa place. Cela donne une idée du travail qui reste à faire.

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Nous vous remercions, monsieur le ministre, pour la précision de vos réponses et la clarté de vos analyses.

La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.