Nous avons cette année établi la cartographie médicalisée des principales dépenses d'assurance maladie. La question est ici de savoir si ce que nous finançons est justifié en termes d'efficacité. Cette démarche pourrait s'avérer utile dans la mise en oeuvre de la Stratégie nationale de santé. Ce type de document pourrait en outre à terme être annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale.
L'analyse montre que le premier poste de dépenses n'est pas constitué par les pathologies lourdes, mais par les hospitalisations ponctuelles, pour près de 30 milliards d'euros. Ceci nous renvoie à l'organisation de notre système de soins et à l'effort constant qui doit être le nôtre pour soigner mieux à moindre coût. La santé mentale constitue le deuxième poste de dépenses, pour près de 20 milliards d'euros, plus spécifiquement les pathologies psychiatriques et l'usage des psychotropes, sujet qui nécessitera une étude approfondie dans les années à venir. Viennent ensuite les cancers à hauteur de près de 15 milliards d'euros, le diabète pour un montant équivalent, de même que les pathologies cardio-vasculaires, qui entraînent, on le sait, des hospitalisations parfois évitables, puis les soins courants à hauteur de 15 milliards d'euros, et les soins liés à la maternité.
Si l'on examine à présent la dynamique des dépenses, on constate que le poids financier des soins courants dans les dépenses d'assurance maladie est en baisse. Que faut-il en conclure ? Que le transfert de tout ou partie de ces soins à l'assurance complémentaire n'aurait aucun effet positif sur les comptes de la branche maladie, car ces dépenses figurent parmi les seules à diminuer, du fait notamment des baisses de prix sur le médicament. Les principales évolutions en montants, entre 2010 et 2011, concernent les hospitalisations ponctuelles dont l'augmentation est très dynamique (+ 560 millions d'euros), les pathologies cardiovasculaires (+ 430 millions d'euros) et les cancers (+ 360 millions d'euros).
Quel est à présent l'impact du vieillissement sur les dépenses de l'assurance maladie, plus particulièrement hospitalières ? La démographie explique l'augmentation du nombre de séjours à l'hôpital, mais il n'explique que partiellement l'augmentation des dépenses hospitalières. Un tiers de l'évolution des dépenses hospitalières est dû à une augmentation du nombre de séjours, les deux tiers à des effets de structure, c'est-à-dire de déformation de l'activité vers des séjours plus lourds et plus coûteux. Parmi ces effets de structure, l'effet prédominant est l'effet « sévérité », c'est-à-dire la diminution du nombre de séjours de niveau de faible sévérité au profit des niveaux qui correspondent à des patients plus sévères, pour lesquels les tarifs sont plus élevés, ce qui est probablement lié au fait que la polypathologie devient beaucoup plus fréquente dans les classes d'âges les plus élevées, mais aussi au codage des actes dans le cadre de la T2A.
Nous sommes donc capables de savoir qui sont les personnes soignées, quelles sont les pathologies et les processus de soins dans lesquels nous engageons la dépense, et si le coût par patient augmente ou diminue. Il s'agit de déterminer alors si l'alourdissement de ces charges est ou non motivé au regard de l'épidémiologie et des résultats de santé publique, et se traduit ou non par une amélioration de l'état de santé de la population.
La prise en charge des personnes âgées est particulièrement complexe et pas toujours adaptée. Nous avons attiré notamment l'attention du Gouvernement sur le développement important des nouveaux anticoagulants oraux. Les Canadiens, par exemple, considèrent que le bénéfice médical rendu de ces nouveaux médicaments n'est pas supérieur aux anciennes générations de traitements. De plus, ces médicaments posent deux problèmes : le premier est qu'il n'y a pas d'antidote et que si une opération doit être enclenchée rapidement, il faut attendre que le médicament cesse de faire effet pour éviter une hémorragie, le second est que nous manquons encore de recul sur leurs effets secondaires à moyen terme. Nous avons aussi attiré l'attention du Gouvernement sur les modalités de fixation des prix de ces médicaments qui se développent très rapidement – plus de 150 000 patients sont sous traitement soit une dépense de 150 millions d'euros – et qui sont très couteux pour l'assurance-maladie alors que l'amélioration du service médical rendu (ASMR), classée de niveau V, est très faible.
Nous avons aussi fait une analyse de l'hospitalisation évitable. Par exemple, nous avons constaté que 30 % des patients hospitalisés pour insuffisance cardiaque auraient pu être suivis à domicile. Nous mettons donc en place un programme inspiré de ce qui se passe en Allemagne. Nous n'avons pu éviter la ré-hospitalisation du premier patient entré dans ce programme mais cela a permis de lui sauver la vie…
Le rapport n'analyse pas les dépenses médico-sociales mais se penche sur les dépenses des établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD) prises en charge par l'assurance maladie. Il apparaît que le tarif pour les EHPAD à tarif global est probablement fixé à un niveau un peu élevé par rapport aux autres établissements. Les écarts de grilles « AGGIR » et de dépendance ne semblent pas expliquer cette différence entre établissements qui représente 150 à 200 millions d'euros. C'est pourquoi nous maintenons le gel de ces dotations. Trois quarts des dépenses sont liées au financement des EHPAD alors que paradoxalement les dépenses d'hospitalisation et de médecine de ville restent limitées. La piste du maintien des personnes âgées à domicile est donc à explorer pour une meilleure maîtrise des dépenses. Nous disposons pour la première fois de chiffres très significatifs sur ce sujet : chaque fois qu'une personne âgée rentre dans un EHPAD, cela représente une dépense de 10 000 à 15 000 euros pour l'assurance-maladie.
Le rapport a aussi analysé des dépenses liées à des interventions chirurgicales ponctuelles comme la pose d'une prothèse de hanche ou une opération de la cataracte. Ces opérations représentent 30 milliards d'euros de dépense globale, y compris les soins de suite. Deux exemples me paraissent significatifs. Le premier concerne la pose d'une prothèse de hanche, qui représente une dépense de 1,1 milliard d'euros pour l'assurance-maladie. Deux tiers des dépenses sont liées au séjour en clinique ou en hôpital et 28 % sont liées aux soins post-opératoires. Le rapport montre que nous sommes dans une situation moyenne par rapport aux autres pays, notre seule spécificité étant que les femmes sont autant concernées que les hommes, ce qui n'est pas le cas dans les autres pays. Nous avons pu aussi constater que le taux de reprise est d'autant plus élevé que les établissements sont moins spécialisés dans la pose de prothèses. Ainsi 160 établissements ont un taux de reprise supérieur à 2 % et 50 % d'entre eux ont un taux de reprise supérieur à 4 %. Cette analyse des taux de reprise devrait être transmise aux établissements de soin et aux professionnels de santé qui s'engageraient sans aucun doute dans un processus d'amélioration de la qualité des soins. Par ailleurs, alors que la chirurgie représente une dépense de 7 à 8 milliards d'euros, se pose la question de privilégier la qualité sur la proximité. Les sondages montrent que les Français sont prêts, pour une intervention chirurgicale programmée, à se rendre dans un établissement plus éloigné pour privilégier la qualité. Nous devons donc nous poser la question de la réorganisation des plateaux techniques chirurgicaux au regard de ces indicateurs de qualité et de la démographie médicale, du fait notamment de départs à la retraite de nombreux chirurgiens. De même les comparaisons avec d'autres pays européens doivent nous inviter à nous poser la question du coût des prothèses comme le Gouvernement l'a fait pour d'autres dispositifs médicaux.
Le second exemple est celui du syndrome du canal carpien. Sa prise en charge représente un coût de 195 millions d'euros dont 115 millions d'euros pour les arrêts de travail. La mise en place de fiches-repères a d'ores et déjà permis de faire baisser de 5 % la durée moyenne des arrêts de travail. Nous pensons que nous avons la possibilité de baisser de 10 à 15 % la durée des arrêts de travail que ce soit avant l'intervention ou après la consolidation.
Nous disposons donc désormais d'analyses qui nous permettent de mieux comprendre les processus de soins et de trouver des marges de manoeuvre pour mieux maîtriser la dépense et améliorer la qualité de soin.
Je pense que M. Hubert Allemand, médecin-conseil national, peut vous donner d'autres illustrations dans ce domaine.