Monsieur le président, j'ai parlé en tant que directeur général de l'enseignement scolaire. Je travaille avec les outils dont je dispose au sein de l'éducation nationale, même si nous faisons en sorte de les partager, dans la mesure du possible, avec nos partenaires. Quand j'ai dit que l'éducation prioritaire était le « miroir grossissant » des difficultés rencontrées par le système éducatif, j'aurais pu ajouter, en tant que citoyen, qu'elle était le « miroir grossissant » des problèmes sociaux rencontrés par notre pays. Mais comment introduire de la mixité sociale – puis de la mixité scolaire – dans nos établissements, dans des quartiers où il n'y a plus de mixité sociale ?
En 1975, au moment de la mise en place du collège unique, on disait que les problèmes de certains de nos établissements tenaient à l'hétérogénéité du niveau des élèves. Aujourd'hui, c'est leur homogénéité qui est difficile à gérer : aucune tête de classe, aucune diversité dans les compétences des élèves. L'éducation nationale ne pourra évidemment pas trouver seule la solution. Depuis trente ans, notre pays est en train de se cliver socialement. Je l'ai constaté en tant que DASEN – directeur académique des services de l'éducation nationale – dans différents départements.
L'éducation nationale dispose de moyens pédagogiques – et pas seulement d'ordre matériel – pour améliorer les résultats scolaires. J'en veux pour preuve qu'à difficultés sociales équivalentes, toutes choses égales par ailleurs, certains établissements réussissent beaucoup mieux que d'autres. Pour autant, ses marges d'action seront nécessairement limitées tant que la société elle-même n'aura pas évolué vers davantage de mixité.
Je serai rapide, car vous m'avez posé de très nombreuses questions, tout en faisant de nombreuses remarques et en posant de nombreux éléments de diagnostic, qui ne peuvent que nous enrichir.
Les critères utilisés pour définir une zone d'éducation prioritaire n'ont finalement pas beaucoup évolué depuis une trentaine d'années. Il y a d'abord les critères sociaux, comme les bourses ou les professions et catégories sociales – PCS. Dans les premières circulaires, on tenait également compte du pourcentage d'enfants d'origine étrangère. Il y a ensuite les critères scolaires : difficultés et retards scolaires. En 1981-1982, M. Alain Savary avait ajouté le pourcentage d'élèves en CPPN – classes pré-professionnelles de niveau – parce que c'était à l'époque un indicateur de difficultés scolaires. Aujourd'hui, nous prenons plutôt en compte le retard à l'entrée en sixième, même si ce critère est de moins en moins pertinent. En effet, la mise en place des cycles, permet d'intervenir dès l'école élémentaire.
Il s'agit donc essentiellement de critères sociaux, les critères scolaires venant en complément. Mais il faut trouver le bon équilibre entre ces critères, et toute la difficulté est là. Prenez l'exemple d'un collège qui, bien que situé dans une zone particulièrement difficile, réussit grâce au dynamisme des personnels, au travail d'équipe, aux projets qu'il mène et à la collaboration mise en place avec différents partenaires. Faut-il le « punir » en le faisant sortir du territoire d'éducation prioritaire, alors qu'il a les difficultés sociales considérables, équivalentes à celles des établissements voisins ?
Je reconnais ensuite que le nombre des dispositifs de l'éducation prioritaire et des dispositifs qui y interviennent est impressionnant. Le tableau de la page 11 du rapport de diagnostic est éloquent à cet égard. De fait, la mise en cohérence de ces différents dispositifs est délicate.
Il faut malgré tout prendre en compte le fait qu'aujourd'hui, un enseignant ne travaille plus seul. Il travaille non seulement avec ses collègues, mais aussi avec les familles et avec d'autres partenaires. C'est d'ailleurs pourquoi, dans le nouveau référentiel de compétences pour les métiers du professorat et de l'éducation que nous venons de rédiger – l'arrêté est paru la semaine dernière au Journal officiel – trois des quatorze compétences communes à tous les métiers du professorat et de l'éducation commencent par : « Coopérer… » L'ensemble des organisations syndicales ont accepté cette petite révolution qui prend acte de l'évolution de ces métiers.
Il est évidemment beaucoup trop tôt aujourd'hui pour vous donner quelque indication que ce soit sur le projet de loi de finances pour 2014 ou sur les indicateurs budgétaires. Tout cela est en construction. Mais ce sera fait, et nous le ferons en parfaite collaboration avec le Parlement.
Comme nous l'indiquons dans le rapport de diagnostic, nous manquons d'éléments d'évaluation de la politique d'éducation prioritaire – alors même que le sujet avait été évoqué dès l'origine, dans les premières circulaires. Nous disposons de quelques rapports d'inspection générale. Je vous renvoie au rapport Moisan-Simon de 1997, intitulé « Les déterminants de la réussite scolaire en zone d'éducation prioritaire » ; et au rapport de Mme Anne Armand, de 2006, intitulé « La contribution de l'éducation prioritaire à l'égalité des chances des élèves ». Ce ne sont pas des évaluations quantitatives, mais ils donnent malgré tout des informations très intéressantes, précisément sur l'approche pédagogique. Ainsi, dès 1997, dans le rapport Moisan-Simon, on a appris que les établissements d'éducation prioritaire qui réussissent mieux que les autres n'ont rien rabattu des exigences pédagogiques et sont restés fermement concentrés sur les apprentissages fondamentaux.
Une évaluation opérée sur la longueur nous permettrait une plus juste appréciation des résultats de l'éducation prioritaire. Or nous nous heurtons à la difficulté du suivi des cohortes. La population est elle-même extrêmement fluide et changeante. Une directrice ou un directeur d'école de Saint-Denis, par exemple, vous dira que l'élève qui est aujourd'hui en CM2 n'était pas nécessairement au cours préparatoire dans cette école cinq ans auparavant. Donc, si j'évalue cet élève de CM2, qu'est-ce que j'évalue ? Le résultat et le travail de qui ? Pour tout dire, il est pratiquement impossible d'évaluer, toutes choses égales par ailleurs, les résultats d'un établissement, parce que, sur une période de cinq ou six ans, le recrutement social varie.
Quels sont les moyens utilisés pour baisser le nombre d'élèves par classe ? Comme cela ressort du rapport, la différence entre un établissement en éducation prioritaire et un autre établissement est en moyenne de deux élèves par classe. La Cour des comptes nous a d'ailleurs reproché ce faible écart, prenant pour exemple les écoles rurales, qui ont des taux d'encadrement très satisfaisants et sont donc mieux traitées. Il se trouve en effet, et les élus que vous êtes le savent, que dans nos écoles rurales aussi, il y a des effets de seuil. Dans une école à 26 ou 27 élèves, on ne peut pas faire qu'une classe. Donc, en on fait deux, avec une moyenne de 13 ou 14 élèves par classe – contre 21 ou 22 en moyenne dans les classes de l'école d'éducation prioritaire. Mais comment faire autrement, avec une politique d'aménagement du territoire qui implique d'assurer partout une scolarisation de qualité ?
L'indemnité ZEP est-elle suffisante pour attirer les enseignants et stabiliser les équipes, ce qui est indispensable pour enrichir les approches pédagogiques ? À l'évidence non. Cela se saurait et on n'assisterait pas, chaque année, à l'affectation en masse de néo-titulaires dans les écoles où les postes sont vacants.
Néanmoins, cette indemnité est jugée très importante par les personnels, parce que c'est une reconnaissance de la difficulté particulière qu'il y a à enseigner dans ces territoires. Il sera d'ailleurs délicat, dans les établissements qui sont aujourd'hui encore en éducation prioritaire alors que, pédagogiquement et socialement, raisonnablement et objectivement, ils n'ont plus à y être, de gérer leur sortie de la ZEP et la perte de la prime correspondante. Celle-ci améliore en outre le pouvoir d'achat d'une profession qui considère qu'elle n'est pas bien traitée financièrement.
Les discussions que nous pouvons avoir avec les organisations syndicales témoignent de l'attachement des enseignements à cette indemnité. Mais les conditions de travail à l'intérieur des écoles et des établissements ont également leur importance et contribuent à l'attractivité des établissements – davantage, selon moi, que cette seule indemnité. Nous devons donc faire admettre que dans ces établissements difficiles, il est encore plus nécessaire qu'ailleurs de travailler en équipe, de se concerter, de faire du tutorat, d'accompagner les élèves et de leur faire faire leur travail personnel au sein de l'établissement, sans en charger les familles. De fait, s'il est des endroits dans notre pays où il faudrait travailler en priorité à l'amélioration des conditions de travail, c'est bien dans l'éducation prioritaire. C'est en tout cas une piste que nous devrions explorer.
Quelles marges de manoeuvre convient-il d'accorder aux écoles et aux établissements ? Pour moi, il n'y a qu'une limite : le système éducatif doit rester national. Il ne faudrait pas que les possibilités d'adaptation soient telles qu'on aboutisse à des systèmes éducatifs à plusieurs vitesses. Le risque est de ne plus être dans la norme nationale. Quand je dis cela, je ne porte évidemment aucune critique en direction des personnels qui travaillent dans ces zones et qui font un travail remarquable. Mais devant la difficulté parfois effroyable de certaines situations, on pourrait être amené à utiliser ces marges d'adaptation pour s'éloigner des apprentissages fondamentaux.
Les marges de manoeuvre n'en sont pas moins réelles, et ce depuis très longtemps : depuis 1890, depuis la première réforme des lycées, alors que notre ministère s'appelait encore « ministère de l'instruction publique ». Les républicains de la IIIe République, qui n'étaient pas des révolutionnaires, ont en effet écrit dans les circulaires qu'il fallait laisser aux enseignants la possibilité d'adapter les programmes – bien entendu, à partir d'un noyau national.
On pourrait aller jusqu'à dire que, dans une dotation de 100 heures, une partie peut être mise à la disposition des équipes pédagogiques pour mener des projets locaux, évidemment encadrés pour éviter que le système ne dérive. Il est donc possible de donner des marges de manoeuvre. C'est d'ailleurs uniquement à cette condition que l'on pourra parler d'équipes pédagogiques et de réseau école-collège. En effet, si vous ne donnez pas de grain à moudre à l'autonomie, il n'y aura pas d'autonomie. Il faut bien qu'il y ait de vrais sujets de discussion, de véritables moyens pour monter des projets pédagogiques locaux, pilotés et accompagnés par la hiérarchie. Sinon, tous les discours sur les équipes pédagogiques, le travail en réseau et la concertation ne seront que des incantations.
C'est une façon de donner au conseil pédagogique, par exemple dans les collèges, de vrais sujets de discussion. Et c'est sans doute aussi une façon de pérenniser les équipes. Il est exact qu'il ne faut pas trop de pérennité, pour reprendre l'expression de l'un d'entre vous. Mais actuellement, le risque que l'on court en éducation prioritaire, ce n'est pas la pérennité des équipes…
Ensuite, j'ai effectivement parlé de l' « effet chef d'établissement ». Il faut que nous soyons très attentifs à toute la hiérarchie intermédiaire. Nous devons veiller à soutenir nos cadres qui conduisent les équipes.
Cela m'amène à vous parler du statut du directeur d'école. Le ministre a annoncé l'installation d'un groupe de travail sur l'évolution des missions du directeur d'école. Nous allons donc y travailler. Mais n'oublions pas qu'il existe dans notre pays une « culture du premier degré », qui n'est pas une culture de la hiérarchie locale. Autrement dit, les enseignants du premier degré ont toujours refusé que la directrice ou le directeur soit leur supérieur hiérarchique. On peut le contester ou non, mais je le constate. Pour autant, les enseignants du premier degré ont bien conscience que leur directrice ou leur directeur a besoin de voir reconnues ses fonctions qui se sont incroyablement complexifiées ces dernières années, aussi bien à l'intérieur de l'école qu'avec les partenaires du système éducatif ou avec les principaux de collège. Nous venons en effet de créer le Conseil école-collège, qui permet, dans certains endroits, d'expérimenter l'école du socle. Je remarque d'ailleurs que l'idée de ce conseil n'a pas germé dans un esprit du 110 de la rue de Grenelle : elle vient du terrain et, notamment, des territoires de l'éducation prioritaire qui ont tissé depuis longtemps des liens entre les écoles et les collèges.
Mesdames et messieurs les députés, j'ai sans doute oublié de répondre à certains d'entre vous. Voilà pourquoi, si vous le souhaitez, je vous enverrai très volontiers une réponse par écrit.