Merci, monsieur le président, de m'avoir convié ce matin. Membre de votre Commission il y a encore quelques semaines, je me réjouis que cet échange ait été organisé dès la présente session extraordinaire. J'évoquerai d'abord le lien que j'entends tisser avec la commission des Lois, avant d'en venir aux principaux axes de la politique que je compte mener, à propos desquels vos questions me permettront d'apporter des précisions.
Je connais la valeur du travail parlementaire, dont témoigne par exemple l'excellent rapport sur les fichiers de police que Delphine Batho et Jacques Alain Bénisti ont présenté au cours de la précédente législature. Je sais l'investissement qu'il exige, les longues heures de travail qu'imposent les délais auxquels il est soumis. Je n'ignore pas non plus la qualité des administrateurs de votre Commission, que j'ai notamment pu mesurer lors de la mission d'information sur le droit de la nationalité.
La rigueur, le temps de la réflexion, la prise en considération des positions extérieures par le biais des auditions, l'expérience du terrain, l'indispensable travail collectif : voilà ce que représente pour moi la commission des Lois. Le Gouvernement ne peut avancer sans vous ; je le sais – et vous le savez.
Les outils dont vous disposez sont nombreux. L'un des plus importants est votre pouvoir d'initiative. Le Gouvernement n'a pas l'apanage de la qualité ou de la justesse. Vos propositions de loi seront soumises à la Commission et je participerai aux discussions dont elles feront l'objet si vous m'y conviez, monsieur le président : je ne pratiquerai pas la politique de la chaise vide sous prétexte que la proposition de loi ne me convient pas.
Je souhaite donc associer tous les parlementaires à la réflexion et à l'action que j'engage. Je prends ici le risque que vous me rappeliez à cette promesse, mais elle est requise par l'esprit républicain. Nous aurons certes des divergences ; mais, si j'escompte naturellement m'accorder sur l'essentiel avec la majorité, j'espère aussi trouver un terrain d'entente avec l'opposition. Quoi qu'il en soit, j'accepte le débat. Je refuserai en revanche toute stigmatisation, toute accusation gratuite, car, sur les sujets qui relèvent de ma compétence, si graves soient-ils, il faut faire preuve de mesure et, malgré la passion qu'ils peuvent inspirer, de responsabilité.
Vous allez également procéder sous l'autorité de votre président à des missions d'information, voire à des études de législation comparée. Sur ces dossiers également, je tiens à vous assurer de ma disponibilité et de celle de mon cabinet. Car l'exécutif comme les parlementaires et, plus généralement, les citoyens ont besoin d'une telle expertise, fouillée et irréfutable. Les rapports parlementaires sont des biens précieux auxquels leur valeur ou leur caractère novateur assurent souvent une longue postérité. Il nous appartient d'en tirer les conclusions.
Votre rôle inclut en outre l'évaluation des dispositifs existants, qui est essentielle. Parce que je suis un pragmatique, je ne contribuerai pas à l'inflation législative. Seuls des projets de loi nécessaires, réfléchis, mesurés vous seront soumis. Je le sais d'expérience, la commission des Lois est déjà surchargée : sous la dernière législature, elle a examiné à elle seule 40 % des projets ou propositions de loi adoptés par le Parlement. En ce qui me concerne, j'éviterai d'ajouter à cette frénésie.
Vous avez enfin un pouvoir de contrôle. Membre du Gouvernement, comment pourrais-je oublier que celui-ci est responsable devant vous ? Dans ce domaine aussi, vous pouvez compter sur ma disponibilité et sur mon engagement.
Je souhaite maintenant vous présenter les grands axes de l'action que je compte mener, et dont les engagements présidentiels puis le discours de politique générale du Premier ministre ont fixé les lignes directrices.
Ma première exigence est la continuité territoriale de l'État, essentielle pour garantir ce principe fondamental qui est au coeur de notre devise républicaine : l'égalité. Je serai le garant d'une administration territoriale de l'État reconnue, efficace et équilibrée ; d'une administration qui, pour faire face aux exigences du présent, est capable de s'adapter, de se moderniser, en ce qui concerne notamment l'accueil réservé aux usagers. Ces évolutions nécessaires doivent s'appuyer sur des critères d'évaluation plus qualitatifs. Elles sont liées à celles que Marylise Lebranchu vous présentera dans le cadre du nouvel acte de la décentralisation.
En ce qui concerne la réforme du calendrier électoral ou du mode de scrutin, le discours de politique générale a tracé la feuille de route. Je ne doute pas que vous attendiez des précisions, mais je ne suis pas certain de pouvoir vous les donner toutes aujourd'hui. Quant à la rationalisation de l'intercommunalité, je l'ai indiqué aux préfets la semaine dernière, je souhaite qu'un dialogue fructueux entre les collectivités et les services de l'État se substitue à la défiance qui s'était installée, au moins dans plusieurs départements.
Je veux donc être le ministre de la continuité de l'État. Mais il m'appartient également de veiller à la sécurité des Français, qui attendent beaucoup en la matière. Il faut répondre à ces attentes avec détermination, car une société sans ordre – sans ordre républicain – est une société où l'idée même de progrès est menacée. Pour protéger les Français, je dois garantir aussi bien la sécurité publique, grâce à la complémentarité entre police et gendarmerie, que la sécurité civile assurée par les sapeurs-pompiers, qu'ils soient militaires, professionnels ou volontaires. Je me rendrai d'ailleurs tout à l'heure à Chamonix, théâtre d'un drame dont nous ne mesurons pas encore toute l'étendue, plusieurs personnes étant semble-t-il portées disparues.
En matière de sécurité publique, un seul mot d'ordre guidera mon action : la République doit être partout, dans les villes, dans les quartiers, dans les villages. Nous en serons tous d'accord, il ne doit pas y avoir un seul espace où la loi du plus fort ne le cède aux lois de la République. L'ordre républicain doit s'imposer en milieu urbain comme en milieu rural. À cet égard, je tiens à souligner l'importance des missions de maintien de l'ordre public accomplies par la gendarmerie dans les zones périurbaines et dans nos campagnes.
Protéger les Français, c'est garantir partout la tranquillité publique. C'est, bien évidemment, lutter avec détermination contre toutes les formes de délinquance. Dans ce domaine, il ne convient pas d'établir une hiérarchie. Les petits trafics de stupéfiants qui perturbent profondément la vie des quartiers et les trafics liés au grand banditisme doivent être combattus avec la même fermeté et la même constance, d'autant qu'ils sont évidemment liés. Les trafics d'armes que l'actualité récente a de nouveau mis en lumière exigent la mobilisation et la coordination des services de police, notamment à l'échelle de l'Europe. Enfin, nous devons lutter contre la menace terroriste.
Chacun, je le sais, va me demander des effectifs supplémentaires ou l'ouverture d'un commissariat. Je ne surprendrai personne en rappelant les lourdes contraintes budgétaires qui pèsent sur notre action. Je vous confirme toutefois – c'était un engagement présidentiel – que les effectifs de la justice, de la police et de la gendarmerie seront renforcés : 1 000 postes par an seront créés, dont la répartition entre le ministère de l'Intérieur et le ministère de la Justice doit faire l'objet d'un arbitrage. Je vous confirme également, bien entendu, l'arrêt du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.
Nous créerons dès septembre des zones de sécurité prioritaires (ZSP), à titre expérimental dans un premier temps. Leur définition ne résultera pas d'un choix discrétionnaire des administrations centrales. Si je souhaite faire vite en ce qui concerne les premières d'entre elles, tous les acteurs intéressés seront associés à la réflexion : les ministères de la Ville et de la Justice, puis les préfets, qui mèneront une concertation locale avec les élus concernés, enfin les parlementaires de votre Commission – comme à propos de la carte territoriale, en particulier de la répartition territoriale entre police et gendarmerie. Il importe en effet que vous soyez sollicités en amont, afin de suivre la création du dispositif et de tirer les leçons de cette première phase expérimentale : nous avons besoin de votre point de vue.
Sans abandonner le reste du territoire, bien entendu, il est indispensable de conforter l'action des forces de l'ordre dans certains périmètres définis. Ces ZSP doivent constituer un dispositif souple, permettant une coordination exemplaire entre toutes les forces de sécurité, la justice et les partenaires locaux, en premier lieu les élus, dont les maires.
Au-delà même du cadre des ZSP, il est urgent de remettre les policiers sur le terrain, de redonner à nos concitoyens, qui le demandent instamment, un sentiment de sécurité. Nous devons lutter contre les trafics profondément enracinés dans nos quartiers, contre l'économie souterraine qui mine le pacte républicain et contre de nouveaux phénomènes, dont l'utilisation préoccupante d'armes de très haut calibre par de tout jeunes gens, qui n'est pas l'apanage d'une ville trop souvent stigmatisée, ou la très forte augmentation du nombre de cambriolages dans les zones rurales et périurbaines – je songe notamment à la grande couronne parisienne. La délinquance peut provoquer des drames ; on l'a vu à Montpellier il y a quelques jours. La recrudescence de ces phénomènes appelle une étroite coopération entre police et gendarmerie que favorisera la création des ZSP.
Les forces de l'ordre qui sont au contact de la population se doivent d'être exemplaires. J'ai appelé l'attention des policiers et des gendarmes sur la dimension humaine et relationnelle de chacune de leurs interventions, qui suppose notamment de proscrire le tutoiement – ce que leur ont demandé avant moi d'illustres prédécesseurs – et de justifier autant que possible leur action auprès du public. Seul le respect mutuel permettra aux forces de l'ordre de se faire mieux entendre, donc d'être plus efficaces. À mes yeux, la protection de l'ordre républicain exige le respect des libertés publiques et de la déontologie. Mon rôle est de soutenir nos forces de l'ordre et de leur témoigner ma confiance. Elles exercent un beau métier, particulièrement difficile, qui les confronte à des incivilités, à des agressions. Aujourd'hui, on n'hésite plus à tirer sur nos policiers ni sur nos gendarmes. De nouvelles pratiques, notamment sur la Toile, les mettent en danger. Nous devons être attentifs à la demande de protection qu'ils expriment eux aussi.
À propos du contrôle d'identité, dont les médias ont beaucoup parlé, j'ai eu des échanges avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et avec le Défenseur des droits, lequel procède actuellement à une évaluation des pratiques étrangères en la matière. Quoi qu'il en soit, il est hors de question d'imposer aux policiers et aux gendarmes des pratiques qui se révéleraient inefficaces.
Quant aux statistiques, elles ne doivent plus alimenter la course effrénée aux chiffres, qui est vaine, voire contreproductive. Mon but est que nous comptions mieux. À cette fin, je vais demander à l'Observatoire national de la délinquance et aux corps d'inspection du ministère un audit des pratiques statistiques actuelles, qui permettra d'élaborer un outil plus exhaustif et plus transparent. Vous-mêmes, parlementaires, avez votre mot à dire ; je suis ouvert à vos propositions. Je souhaite également vous associer pleinement à la désignation du président de l'Observatoire national de la délinquance. Nous avons besoin d'un outil statistique entièrement indépendant. Le président sortant de l'Observatoire a lui-même formulé plusieurs recommandations à propos du chiffre unique de la délinquance et de l'intérêt des enquêtes de victimation. Mais il faudra naturellement suivre de près ces chiffres, car je suis comptable devant les Français des résultats de la lutte contre la délinquance.
L'ancien maire que je suis accorde également une grande importance aux relations avec les polices municipales. Elles sont le sujet d'un rapport que deux sénateurs de grande qualité remettront à la commission des Lois du Sénat à la rentrée. Je rencontrerai par ailleurs votre collègue Christian Estrosi, qui travaille lui aussi sur ces questions.
En ce qui concerne le droit des étrangers, le Parlement sera bientôt saisi à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation relatif à la garde à vue des personnes étrangères. L'État se doit de trouver rapidement un nouveau dispositif pour fonder légalement son action. Peut-être aurait-on d'ailleurs pu anticiper cette décision il y a plusieurs mois. Quoi qu'il en soit, à la rentrée, la garde des Sceaux et moi-même serons prêts à vous présenter un texte.
Plus généralement, en matière d'immigration, je veux revenir à plus de mesure. Ce n'est pas ma réputation, et peut-être fais-je ici preuve de naïveté. Certes, conformément aux engagements du Président de la République, je défends la fermeté envers les filières d'immigration clandestine, qu'il faut se donner les moyens de combattre, au-delà même du ministère de l'Intérieur, pour que les personnes concernées cessent d'être exploitées et privées de leurs droits. À mes yeux, toutefois, une politique n'est juste que si elle respecte elle-même ces droits. Tel est le sens de la circulaire du 6 juillet dernier visant à privilégier l'assignation à résidence pour les familles avec enfants. Les régularisations obéiront à des critères précis, appliqués de manière uniforme sur tout le territoire après un examen au cas par cas des situations.
N'oublions pas ceux – les plus nombreux – qui sont sur notre territoire en situation régulière et qui souffrent de la précarité. Nul n'ignore ces files d'attente qui s'allongent devant les préfectures, où ils doivent parfois patienter plusieurs heures pour un simple renouvellement de leur titre de séjour. Comment ne pas condamner cet état de fait ? De ce point de vue, la création d'une carte pluriannuelle constituera une grande avancée. Inutile enfin de vous rappeler l'abrogation, un an jour pour jour après sa publication, de la circulaire du 31 mai 2011 relative aux étudiants étrangers.
Quant à l'accès à la nationalité, il faut, tout en restant très exigeant quant à la maîtrise de notre langue et au respect de nos valeurs, mettre fin aux restrictions drastiques qui ont marqué les deux dernières années. La naturalisation doit redevenir l'aboutissement d'un parcours d'intégration réussi. Sans vouloir relancer le débat sur la nationalité, je n'oublie pas en quels termes Pierre Mazeaud, fort de son expérience, avait voulu dissuader notre mission d'information de toucher au code de la nationalité. En revanche, la promotion de la naturalisation devrait tous nous réunir, car il est beau de devenir Français et chacun devrait en être fier.
D'autres mesures devront être prises concernant le délit de solidarité – qu'il faut abroger car il est peu utile et stigmatisant –, ou encore les étrangers malades, comme Marisol Touraine vient de l'annoncer.
Quant au domaine bien particulier de l'asile, nous réduirons les délais d'examen grâce à des moyens supplémentaires, tout en améliorant la sécurité juridique des procédures. Ce sujet, vous le savez, alimente bien des discussions au niveau européen. Nous devons distinguer clairement à l'intention de nos concitoyens la politique d'asile – régie par des conventions internationales et des principes fondamentaux – des politiques migratoires. Elles peuvent être liées, notamment pour les déboutés du droit d'asile. Mais la confusion entre les étrangers en situation régulière, l'immigration irrégulière, le droit d'asile, la politique des gens du voyage et la situation des gens du voyage venus des pays de l'Est – qu'on appelle les Roms – ne peut que semer le trouble, à l'opposé de la cohérence et de l'esprit républicain. Il faut faire preuve de fermeté, appliquer des règles : il n'y aura pas de régularisations massives – j'ai donné des indications sur les chiffres. Mais il faut aussi faire preuve de clarté vis-à-vis de nos concitoyens.
Enfin, la recrudescence inquiétante des actes antisémites appelle une réponse forte des pouvoirs publics. Toute attaque contre un Français juif au titre de son appartenance religieuse est une attaque délibérée contre la République. Je suis déterminé à lutter avec vous contre l'antisémitisme, qui constitue une offense à notre pays et à ses valeurs. Face à ces actes, nous devons réagir avec sévérité, mais aussi mobiliser la société. Je n'oublie pas les autres formes de racisme et de discrimination.
Ministre des cultes, j'entends construire une relation apaisée entre la République et toutes les religions – sous l'autorité du Président de la République, qui s'exerce particulièrement ici. Comme dans d'autres domaines, les mêmes droits et les mêmes devoirs valent pour tous. La laïcité commande le respect et la tolérance. Elle suppose aussi de rappeler que la religion n'a pas d'emprise sur l'État, sur ses agents, sur ses institutions, notamment sur la première d'entre elles, l'école publique. Je souhaite faire vivre cette laïcité, avec votre concours.
Je me suis notamment adressé aux musulmans de France lors de l'inauguration – très réussie – de la nouvelle mosquée de Cergy. Je suis inquiet de l'état du culte musulman et de notre difficulté à trouver des interlocuteurs, même s'il en existe, notamment au niveau local, au sein des mosquées. Peut-être devrons-nous y réfléchir. Sur cette question aussi, je suis à votre disposition.
Je pourrais aborder bien d'autres sujets qui préoccupent les élus, qu'il s'agisse de sécurité publique ou encore, par exemple, des relations entre l'État et les conseils généraux en ce qui concerne les sapeurs-pompiers. J'espère vous avoir donné des gages de ma capacité d'écoute et de ma disponibilité. Votre expérience et vos propositions me seront indispensables. Je suis fier d'exercer une fonction qui touche à des aspects fondamentaux de notre pays, de ce que nous sommes et de la vie quotidienne des Français.