Ce n’est pas incident, c’est un vrai sujet politique. Au fond, le rapporteur général et l’orateur du groupe socialiste viennent de le reconnaître. On pourrait trouver fastidieux, guère utile de se retrouver une troisième fois pour un acte qui devrait être automatique : une loi de règlement. Il se trouve que nous nous retrouvons pour la troisième fois, car il y a un fait, un débat, un problème de nature politique. Reconnaissez qu’il n’a pas été provoqué par la seule opposition, qui n’y suffirait pas. Il a bien fallu que certains membres de votre majorité, en tout cas d’alliés, assurément, dans l’élection – le groupe communiste du Sénat pour parler clair – y mettent du leur : la droite au Sénat n’aurait pas suffi à faire que nous nous retrouvions une deuxième puis une troisième fois.
Permettez-moi de vous rappeler, monsieur le ministre, que le Président de la République a reçu, il y a quelques jours, les responsables de la majorité puis, le lendemain, le principal responsable du parti communiste pour une discussion manifestement destinée à la fois aux piliers de la majorité et à ceux qui ont concouru à son élection. Il y a bien un problème politique majeur à ce que ceux qui font que la majorité est la majorité aujourd’hui n’acquiescent pas à une loi de règlement, d’autant que le problème ne concerne pas cette seule loi. Il est dans toutes les contradictions, les incertitudes, les confusions de vos stratégies économique et budgétaire telles que je les décrivais lors du premier débat, le 2 juillet dernier.
Doit-on rappeler la manière avec laquelle Mme Batho a quitté le Gouvernement ? Doit-on rappeler les critiques récurrentes formulées par les Verts sur votre stratégie budgétaire, les divisions au sein même du groupe socialiste et le message pour le moins nuancé – pour dire les choses gentiment – que les radicaux de gauche expriment ?
Ce débat n’est donc pas inutile. Il n’y a rien d’anormal à ce que nous nous retrouvions pour une troisième discussion parce que, au-delà des chiffres de la loi de règlement – et l’on peut s’accorder sur certains propos tenus par le rapporteur général –, c’est bien le problème de la stratégie budgétaire qui est posé.
Une question vous est posée au sein même de votre majorité et du camp qui vous a élu et par nous-mêmes : quelle est la part de vos économies dans votre stratégie budgétaire ? De la même façon que vous le dites mezza voce, l’orateur précédent vient d’avouer qu’il espérait que 2014 soit la dernière année d’augmentation des impôts. Nous avons entendu message plus optimiste et nous avions espéré que 2013 serait la dernière année d’augmentation des impôts. J’y reviendrai.
En ce qui concerne les économies, les vôtres sont très en deçà des besoins de notre budget et de notre économie. Pourtant, aussi insuffisantes soient-elles, ces trop rares économies sont contestées au sein même de votre majorité. Au bout du compte, c’est cette contestation même qui provoque le rejet du projet de loi de règlement.
Vous pouvez faire semblant de l’ignorer, en disant que ce troisième débat sur le projet de loi de finances de règlement a quelque chose de fastidieux, mais le problème politique, en réalité, est tout à fait considérable. Vous-même et ceux qui, dans votre camp, acceptent les économies, êtes constamment en contradiction, car vous êtes incapables d’en faire sans, dans le même temps, enclencher de nouvelles dépenses. On en a vu nombre d’exemples. Prenons celui de la politique familiale. Vous voulez faire des économies, augmenter les impôts et, en même temps, imaginer de nouvelles prestations ou des dépenses supplémentaires. Et on pourrait développer d’autres exemples.
La logique des économies est si peu la vôtre que vous ne savez pas en faire sans chercher en même temps soit à satisfaire de nouvelles clientèles soit à engager des dépenses supplémentaires.
J’ai lu, dans la presse, la relation d’un séminaire du groupe socialiste et du Gouvernement, qui montrait bien cette équation extrêmement périlleuse pour nos finances publiques : comment faire des économies et, en même temps, satisfaire des clientèles, des besoins nouveaux, et engendrer, par la dépense, des satisfactions nouvelles ? Ce n’est pas possible ! Ce n’est pas raisonnable ! Nous ne sommes pas – et nous en prenons notre part de responsabilité – dans une situation économique et budgétaire qui nous permettrait d’effacer par des dépenses supplémentaires le peu d’économies déjà réalisées. Cette équation politique et économique n’est pas possible.
Finalement, vous perdez sur tous les tableaux tant auprès de ceux qui demandent des économies – nous en sommes en effet – et qui trouvent que le compte n’y est pas, ces économies, rognées par les dépenses nouvelles, étant insuffisamment substantiées et peu nombreuses, qu’auprès de ceux auxquels le mot d’économies lui-même est insupportable. Ainsi, votre projet de loi de finances de règlement – et, par son truchement, votre stratégie budgétaire – n’est pas approuvé.
On retrouve la même ambiguïté, la même contradiction à propos de la fiscalité. Vous avez répondu de manière tout à fait judicieuse, monsieur le ministre, à ceux qui, chez vous, réclament le grand soir fiscal que ce dernier n’était pas la méthode. Il y a tant de dangers dans le grand soir fiscal : le risque d’erreurs de stratégie, d’aggravation considérable de l’impôt, d’erreur de calcul, et, tout simplement, d’incapacité technique à mener la réforme. Votre réponse était donc la bonne.
Le seul problème, c’est qu’à côté de ce refus du grand soir fiscal, réclamé au sein de votre majorité, il y a, hélas, toujours, une résignation à l’augmentation de l’impôt. On vient de l’entendre : « On espère que 2014 sera la dernière année… » Que les Français y prennent garde. En effet, le pire est à craindre non seulement pour 2014, avec l’augmentation d’impôts annoncée par l’orateur socialiste qui m’a précédé, mais aussi ensuite, car cet espoir paraît très fragile.
Il est vrai que cela pourra s’appeler « Fiscalité écologique » – c’est très politiquement correct. Peut-être d’ailleurs vouliez-vous en faire un tout petit peu, avant que la contrainte politique, avec le départ de Mme Batho et l’ambiance de ces dernières semaines, vous amène peut-être à en faire davantage encore. Tout cela en tout cas constitue une accumulation de mauvaises nouvelles pour nos concitoyens.
Je m’éloigne quelque peu, certes, du strict débat sur le projet de loi de règlement. Reconnaissez cependant que ce ne sont ni le groupe UMP à l’Assemblée ni le groupe UMP au Sénat qui ont conduit à cette situation : ce sont vos alliés, car c’est aussi avec les voix des électeurs et des parlementaires communistes que vous êtes ici. François Hollande a été élu, aussi, avec des voix communistes au deuxième tour, et d’autres voix d’extrême-gauche encore. Ce sont ces voix qui, en soulignant vos contradictions, nous conduisent à cette troisième lecture, laquelle est non pas fastidieuse techniquement – il est toujours intéressant de discuter – mais extrêmement éclairante sur les contradictions, les confusions, les impossibilités, les incohérences de votre politique budgétaire et, au-delà, de votre politique économique.