Intervention de Marisol Touraine

Séance en hémicycle du 25 juillet 2013 à 9h35
Soins sans consentement en psychiatrie — Présentation

Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs, je tiens, puisque nous engageons un débat qui a une grande importance, même si l’ambition de ce texte est limitée, à saluer l’excellent travail mené à l’initiative de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Vous avez créé il y a environ huit mois une mission d’information « santé mentale et avenir de la psychiatrie ». L’engagement des parlementaires ayant travaillé au sein de cette mission nous permet aujourd’hui d’avancer de manière concrète.

Je veux tout particulièrement relever le travail remarquable accompli par le rapporteur de cette mission, rapporteur de cette proposition de loi, Denys Robiliard, et l’engagement de son président, Jean-Pierre Barbier. C’est ce qui nous permet, je le répète, d’avancer concrètement sur un sujet qui concerne évidemment au premier chef les malades et leurs familles mais également l’ensemble de notre société.

La mission a décidé dans un premier temps de concentrer ses travaux sur la question spécifique des soins sans consentement, à la suite des décisions rendues par le Conseil constitutionnel sur deux dispositions de la loi du 5 juillet 2011. Vous auriez pu en rester là. Néanmoins, vous avez souhaité aller au-delà d’une simple mise en conformité, afin de faire progresser encore les conditions dans lesquelles s’exercent les soins sans consentement. Vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, le travail avec le Gouvernement a été intense, direct, et le Gouvernement soutient pleinement la démarche qui a été la vôtre. Il ne s’agit pas, je l’ai dit, d’une simple loi de mise en conformité même si des dispositions de mise en conformité ont évidemment leur place dans le texte. Il ne s’agit pas non plus d’une refonte totale des lois s’appliquant à la santé mentale. J’ai eu l’occasion de m’exprimer sur ce point à plusieurs reprises, la santé mentale fera l’objet d’une attention particulière dans la loi qui mettra en oeuvre la stratégie nationale de santé. Il s’agit donc d’un point d’étape, qui marque l’importance que, comme le Gouvernement, vous accordez à la santé mentale.

Un rapport d’étape, présenté devant la commission le 29 mai dernier, a dressé un état des lieux et établi une liste de préconisations. C’est à partir de ce travail que nous pouvons avancer.

Dans notre société, la maladie mentale est trop souvent appréhendée comme une inquiétante étrangeté, pour reprendre l’expression de Freud, inquiétante car elle reste trop souvent méconnue, étrangeté, car la différence de l’autre constitue encore une grande barrière à l’échange.

Il est vrai que les troubles psychiques recouvrent des réalités complexes et diverses. Celles et ceux qui en souffrent doivent d’abord être considérés comme des personnes malades. Chaque mot a son importance : des « personnes », car nous avons parfois tendance dans notre société à considérer que les malades souffrant de troubles mentaux ne sont plus des personnes à part entière ; des « malades », car ces personnes doivent être traitées comme telles et non comme des facteurs de trouble à l’ordre public.

Notre devoir est de prendre en compte leur vulnérabilité, en gardant toujours à l’esprit un constat : les personnes souffrant de troubles mentaux sont d’abord des victimes de violences, bien plus fréquemment qu’elles n’en sont les auteurs. Cette vulnérabilité est d’abord celle de la souffrance physique, psychique. La maladie mentale évolue tout au long de la vie. Elle est entrecoupée d’épisodes de crises et de périodes d’amélioration. Il y a également la vulnérabilité sociale. On ne dira jamais assez que tout est rendu plus difficile pour ces personnes malades. Les entraves du quotidien sont innombrables pour suivre un cursus scolaire, pour trouver un emploi ou un logement. Il y a, enfin, le courage des familles et des proches qui les accompagnent et les soutiennent chaque jour, et doivent eux aussi être accompagnés et soutenus.

Les soins dits sans consentement constituent, il faut le rappeler, une minorité des soins en psychiatrie. Ils n’ont pas pour objet de forcer ou de contraindre ceux qui ne le souhaitent pas à se soigner. Ils visent à prendre en compte une spécificité de la maladie mentale, qui ne permet pas toujours au patient d’adhérer d’emblée à la démarche de soins. Pourtant, le malade peut représenter un danger, pour lui sûrement, pour les autres parfois. Nous avons donc la responsabilité de trouver un juste équilibre entre les libertés individuelles, qui ne peuvent être déniées à la personne malade, les soins et l’ordre public.

La loi du 5 juillet 2011 est marquée par une inspiration sécuritaire. L’instauration d’une sorte de casier psychiatrique ou le renforcement des conditions de levée des mesures pour les malades hospitalisés en unités pour malades difficiles illustrent bien cette dérive. Personne, dans cet hémicycle, ne peut avoir oublié que cette loi a été décidée dans l’urgence, en réaction à une série de faits divers. La mobilisation du milieu de la psychiatrie était d’ailleurs à la hauteur du refus d’une démarche de stigmatisation des personnes souffrant de troubles psychiques.

La loi de 2011 est aussi une loi complexe. Pour les professionnels, il n’a pas toujours été facile de mettre en oeuvre ces nouvelles dispositions –et je pense non seulement aux professionnels de santé, mais aussi aux magistrats. Dans le même temps, elle comporte des avancées indéniables qu’il nous appartient de consolider.

Cette proposition de loi se fonde ainsi sur une philosophie, une approche nouvelle, qui place clairement le patient au coeur de la démarche. La révision des deux dispositions jugées contraires à la Constitution illustre bien ce parti pris.

Le texte prévoit ainsi de limiter l’application du régime plus strict de levée des soins sans consentement : celui-ci ne s’appliquera qu’aux irresponsables pénaux encourant un certain niveau de peine. En cas d’atteinte aux personnes, il concernera ceux qui ont fait l’objet d’une procédure pénale ayant entraîné une peine d’au moins cinq ans. Ce texte intégrera notamment l’ensemble des agressions sexuelles. S’agissant des atteintes aux biens, le régime plus strict concernera les personnes condamnées à au moins dix ans. Seuls les cas les plus graves, comme les destructions par incendie, relèveront de ce régime.

Ensuite, le texte que nous étudions propose de replacer les patients hospitalisés en unités pour malades difficiles, les UMD, dans le droit commun. Il s’agit à l’évidence d’une évolution profonde. En effet, la loi portée par le précédent Gouvernement faisait l’amalgame entre les malades difficiles et les malades dangereux. Il ne s’agit pas de nier qu’il peut exister des problèmes d’ordre public, mais la prise en charge des personnes souffrant de troubles psychiques relève d’abord et avant tout d’un processus thérapeutique. Il était donc inconcevable de justifier des conditions de levée plus strictes pour des malades nécessitant avant tout des soins plus intensifs.

Mesdames, messieurs, il nous faut néanmoins aller au-delà, et c’est ce que vous avez souhaité, de la mise en conformité de la loi au regard de la décision du Conseil constitutionnel.

J’entends régulièrement les demandes des professionnels de santé, des soignants, des psychiatres, des directeurs d’établissement, mais j’entends aussi celles des associations, des patients et de leurs familles. La majorité d’entre eux met en évidence la nécessité de reconnaître de façon plus forte la place qui doit revenir aux patients, même lorsque ceux-ci souffrent de troubles mentaux. C’est toute l’ambition de la proposition de loi, qui vise à adapter la procédure judiciaire et le traitement aux spécificités de la maladie mentale.

Nous devons en effet améliorer la procédure judiciaire et, tout d’abord, faire en sorte qu’il soit tenu compte, dans le choix du lieu de l’audience, des besoins des malades. Le malade hospitalisé en psychiatrie n’est pas un justiciable comme les autres ; c’est pourquoi l’audience du juge des libertés et de la détention doit être adaptée à ses spécificités. Le tribunal n’est pas un lieu adapté aux personnes qui s’y rendent dans le cadre d’une hospitalisation en psychiatrie. L’audience doit donc pouvoir se tenir dans l’établissement de santé, tout en respectant les principes de la procédure judiciaire, et ce sera le cas.

Adapter la procédure judiciaire, c’est également rendre pleinement effectif le droit à être défendu. Ce texte propose donc de rendre obligatoire la présence de l’avocat. C’est un point important sur lequel vous avez insisté, monsieur le rapporteur.

Enfin, adapter la procédure judiciaire, c’est garantir au patient qu’il sera protégé par le secret médical. La personne souffrant de troubles psychiques ou son avocat pourront désormais demander que l’audience ne soit pas rendue publique.

Par ailleurs, j’ai bien noté, monsieur le rapporteur, la demande que vous avez formulée dans votre proposition de loi de ramener le délai d’intervention du juge de quinze à dix jours. Il est bien entendu inacceptable que des personnes soient maintenues à l’hôpital, alors que leur état ne le justifie pas ou plus. Néanmoins, le juge a besoin d’un délai pour statuer et organiser l’audience dans des conditions satisfaisantes. Le recueil des avis médicaux, l’évaluation du mode de prise en charge par les professionnels de santé, ou encore l’organisation de la saisine du juge, tout cela aussi demande du temps. Et les agences régionales de santé, qui sont impliquées, ne seraient pas toujours en mesure de répondre dans des délais excessivement courts.

Il nous faut donc trouver un compromis. J’entends votre demande et je souhaiterais que vous entendiez celle du Gouvernement que le délai auquel nous aboutirons permette à la procédure de se dérouler dans de bonnes conditions qui apportent des garanties au patient lui-même. C’est la raison pour laquelle je présenterai un amendement ramenant ce délai à douze jours, un délai inférieur à celui qui existe aujourd’hui mais qui nous semble plus compatible avec les contraintes qui s’imposent à l’administration.

Le second chantier, c’est celui de l’adaptation de la procédure de soins. Je pense d’abord aux sorties de courte durée. Lorsque l’état de santé des malades le permet, ces sorties progressives sont essentielles pour leur permettre de se réinsérer ; elles sont un élément à part entière du traitement. Les sorties d’essai ont été supprimées par la loi du 5 juillet 2011. Sans réinstaurer des sorties qui pouvaient durer plusieurs mois, et dont on voit bien que leur principe même présente des difficultés, la loi doit permettre à une personne hospitalisée sans son consentement de pouvoir sortir à l’essai pendant une période courte, par exemple un week-end ; et cela doit pouvoir se faire sans qu’il soit nécessaire d’établir un programme de soins, qui n’a pas de sens dans ce cadre et génère des procédures administratives inutiles.

Ensuite, la loi doit permettre de rendre moins complexe la procédure actuelle, notamment le nombre de certificats médicaux exigés. Leur multiplicité n’est pas nécessairement gage de sécurité pour le malade. Le contrôleur général des lieux de privation de libertés, Jean-Marie Delarue, a fortement insisté sur la nécessité d’apporter des réponses dans ce domaine. Je sais que votre mission d’information l’a auditionné. Je souhaite que nous avancions, comme cela est proposé.

Enfin, cette proposition de loi permet de renforcer les droits. Elle précise, tout d’abord, la notion de soins sans consentement. Trop souvent, l’amalgame est fait, je l’ai dit, avec les soins sous contrainte. Ainsi, la loi précisera qu’un patient faisant l’objet d’un programme de soins ne peut être contraint, sauf à être réhospitalisé, ce qui est la logique même de cette procédure. Le texte rappelle aussi un principe fondamental : les personnes détenues peuvent faire l’objet de soins avec leur consentement. Cela peut sembler une évidence à beaucoup de personnes, mais cela ne l’est pas suffisamment pour que nous n’ayons pas besoin d’apporter cette précision, qui avait été omise dans le texte de juillet 2011.

Mesdames et messieurs les députés, nous avons la responsabilité de faire progresser encore les conditions dans lesquelles s’exercent les soins sans consentement, en replaçant le patient au coeur de cette procédure. Responsables, nous le sommes devant les 50 000 personnes qui sont directement concernées, devant leurs proches et leurs familles. Nous le sommes également vis-à-vis de l’ensemble de nos concitoyens. Je vous appelle ainsi à soutenir cette proposition de loi. Votre soutien et votre implication en tant que parlementaires seront indispensables à la mise en oeuvre de ces dispositions.

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