Intervention de Danielle Auroi

Séance en hémicycle du 3 octobre 2012 à 15h00
Ratification du traité sur la stabilité la coordination et la gouvernance au sein de l'union économique et monétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes :

Madame la présidente, messieurs les ministres, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, je viens d'écouter très attentivement votre défense et illustration, somme toute modérée, du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire.

Nous avons tous, dans les yeux et dans les oreilles, les images et les sons des manifestations qui ont résonné très fortement ce week-end, en France, mais plus encore au Portugal et en Espagne. Ce qui, à Paris, à Lisbonne et à Madrid, jette les femmes et les hommes dans les rues, c'est la crainte d'une austérité sans fin, synonyme de chômage et de mal vivre. Le traité budgétaire européen cristallise toutes leurs angoisses.

N'est-il qu'un bouc émissaire, ou bien représente-t-il un réel danger ? Ce texte, au bout du compte, est-il si fondamental ? Les orateurs qui m'ont précédé ne le pensent pas, et ils ont expliqué que ce texte embarrassant constituait l'héritage d'une période politique passée. C'est vrai, et il s'agit d'un héritage bien lourd !

S'il est donc bien nécessaire de replacer ce texte dans son contexte et d'en relativiser l'impact, il faut aussi en souligner les difficultés, qui sont bien réelles. D'abord et avant tout, il pèche moins par ce qu'il comporte que par ce qui ne s'y trouve pas. Ce traité, qui a vocation à proclamer solennellement notre attachement à la discipline budgétaire, est une contrepartie très douloureuse à la solidarité financière de l'Union européenne.

À quels succès peut bien prétendre une austérité aveugle, dont on néglige l'impact sur l'économie et sur les peuples ? Croit-on pouvoir réconcilier l'Europe avec les citoyens, en se contentant de les abreuver de règles disciplinaires, aux définitions souvent byzantines ? Vous avez du reste souligné, messieurs les ministres, que les questions européennes restent souvent cantonnées à un petit cénacle.

Je salue certes l'indispensable avancée obtenue par le Président de la République qui, en imposant le pacte de croissance, a donné des perspectives d'emploi et de développement, mais le traité demeure, et, avec lui, certaines arrière-pensées de ses rédacteurs.

Prenons la définition du déficit structurel, qu'il prétend limiter à 0,5 % du PIB. En dépit des efforts du Parlement européen et du consensus solidement forgé parmi les économistes, la mesure du solde structurel aujourd'hui retenue par Bruxelles ne préserve toujours pas les investissements d'avenir assumés par les États. Or, ces investissements, en particulier dans le domaine de la transition écologique, sont tout le contraire d'une charge pour l'économie, ou d'une dette sur le dos de nos enfants : ce sont, au contraire, les gages de leur prospérité future.

Évoquons, dans la même veine, les fameuses « circonstances exceptionnelles » prévues par le traité pour aménager la rigueur des ajustements, dont le caractère exceptionnel tient surtout à leur caractère restrictif. Ne sommes-nous pas aujourd'hui, en France comme ailleurs, dans des « circonstances exceptionnelles » ? Chers collègues, nous qui parcourons nos circonscriptions en ces jours difficiles, nous constatons à chaque instant combien la situation est exceptionnelle !

Les modestes dispositions relatives à la gouvernance économique de la zone euro ne sont guère de nature à nous rassurer : corsetés par la seule logique intergouvernementale, les éternels « sommets de la dernière chance » ont définitivement montré leurs limites. L'impératif démocratique aurait été gommé si les députés français, entraînés par Pierre Lequiller, n'avaient milité avec force pour la mise en place d'une conférence interparlementaire, sur laquelle je reviendrai.

Mais, à côté des aspects négatifs que j'ai énumérés plus haut, je remarque l'indéniable souplesse des principales prescriptions du texte qui nous est soumis.

Comme vous l'avez souligné, Monsieur le ministre, le traité se contente bien souvent de solenniser des procédures déjà en vigueur, ou d'en tirer certains prolongements logiques. La contrainte de la maîtrise des déficits est certes exigeante, mais l'état dans lequel la précédente majorité nous a laissé le pays nous impose, hélas ! des efforts bien plus importants. J'ai conscience aussi que la clôture de cet interminable épisode permet de donner des gages à nos partenaires européens, à commencer par l'Allemagne. Celle-ci a su évoluer, tant au sujet de la Banque centrale européenne, que sur la réactivité de nos pare-feu communs que constituent les mécanismes de stabilité. En adoptant une attitude d'abstention bienveillante, elle a rendu possible de réelles avancées.

Il me semble urgent – et je crois que MM. les ministres partagent mon avis – que l'on tourne la page du traité, pour s'atteler enfin à l'essentiel. L'essentiel, c'est évidemment la réorientation de l'Union européenne. L'essentiel, c'est de relever les grands défis qui sont devant nous, à savoir la régulation des excès de la finance et la mobilisation de toutes les forces européennes en faveur de la croissance, ou plutôt d'un développement soutenable mieux ancré d'un point de vue social, environnemental et démocratique.

Sur ces deux points, nos débats ont montré combien les choses ont changé en quelques mois. S'agissant du pacte pour la croissance et l'emploi, de l'union bancaire, de la taxe sur les transactions financières ou de la réflexion sur un vrai budget européen, nous devons saluer les efforts gouvernementaux. Il en va de même pour la mise en place des futurs eurobonds.

Croyez bien, messieurs les ministres, que vous trouverez dans la commission des affaires européennes, déjà fortement engagée dans le suivi de ces politiques décisives, une force de proposition à la hauteur des ambitions dont l'Union européenne a besoin. La proposition de résolution que Christophe Caresche vous présentera bientôt en séance publique, comme la table ronde que nous organisons le 24 octobre sur la démocratisation de l'Europe, participent déjà de cette volonté.

En effet, l'essentiel du travail demeure devant nous quant au défi démocratique. La Commission européenne, en prétendant infléchir les trajectoires budgétaires et les politiques économiques des nations, ne doit jamais oublier qu'elle a des comptes à rendre à tous les citoyens.

Dans cet esprit, notre Commission a souhaité concrétiser au plus vite l'une des rares dispositions du traité qui emporte toute ma conviction.

L'article 13 prévoit en effet, à l'initiative de la France, la réunion d'une conférence budgétaire regroupant les parlementaires nationaux et les députés européens. C'est bien le moins, reconnaissons-le, que les représentants du peuple puissent débattre régulièrement des choix économiques de l'Europe, et qu'ils puissent faire entendre leur voix dans le déroulé des lourdes procédures européennes de surveillance des politiques nationales.

Pour accélérer les choses, M. Caresche nous propose des recommandations précises sur les missions et le calendrier de cette conférence. Notre commission et celle des affaires étrangères les ont approuvées dans un très large consensus.

À lui seul, cet article 13 ouvre la perspective d'un renforcement parlementaire ambitieux dans les prises de décisions économiques européennes.

Enfin, je me permettrai, sur cette question de la gouvernance, une incise. Le Parlement européen vient de rappeler la BCE à l'ordre quant à l'absence de femmes dans son directoire. J'appelle donc votre attention, messieurs les ministres, sur la nécessité de veiller à ce que les femmes soient représentées de manière paritaire dans le futur Haut conseil des finances publiques ! L'égalité entre les femmes et les hommes est au coeur de l'aventure européenne. Ayons le souci de la faire avancer au sein de nos sociétés, mais aussi – pensons à elles – pour les femmes qui, ailleurs, en Tunisie, en Ukraine ou en Russie, par exemple, aspirent à la reconnaissance de leurs droits et de leur liberté…

J'en reviens au traité lui-même, qui, je vous l'ai dit en préambule, suscite ma réserve plutôt que mon enthousiasme. Je ne crois pas que jouer à se faire peur en nous disant que, s'il n'était pas adopté, ce serait une catastrophe, fasse avancer notre réflexion globale.

Cependant, la perspective du travail parlementaire au travers de la Conférence budgétaire, d'une part, et l'ampleur des enjeux qu'accompagne la ratification, d'autre part, me conduisent à titre personnel à choisir la voie médiane de l'abstention.

Néanmoins, en tant que présidente de la commission des affaires européennes, je dois vous dire que cette commission vous propose de soutenir l'adoption de ce traité.

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