Nous parlons de ce modèle laïc français qui est ainsi sans doute un des mieux constitués pour répondre au défi des circonstances.
Au moment de la montée des communautarismes, le propre du système français est d'illustrer jusqu'au bout la logique des Lumières en reconnaissant des droits aux seuls individus. À l'inverse, il nie ces droits aux groupes susceptibles d'aliéner le jugement individuel en l'inféodant à une appartenance corporatiste, idéologique, ethnique ou religieuse.
Bref, en toute chose, notre modèle postule l'autonomie de la volonté de chacun de nos concitoyens, parce qu'il est consubstantiel à une philosophie individualiste et universaliste, qui est le vivier de la démocratie.
Ainsi que cela est dit de façon très solennelle dans l'article premier de la Constitution : « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. »
Mais tout naturellement cette laïcité a des contours ondoyants, que les circonstances aident sans cesse à préciser.
Est-ce pour autant une démarche de circonstance que propose Éric Ciotti, comme l'ont dit certains en commission des lois ? Je ne le crois pas, pas plus que ne l'était la loi interdisant le port des signes religieux ostensibles à l'école en 2004 ; pas plus que ne semble le traduire la réaction du ministre de l'intérieur et des cultes qui, quelques heures après la décision de la Cour de cassation répondait à une question que je lui posais dans l'hémicycle en dénonçant « une mise en cause de la laïcité » ; pas plus que la propre réaction du Président de la République qui, une semaine après cette décision, annonçait qu'une loi était nécessaire pour poser les règles, au moins dans le secteur de la petite enfance, et sans exclure du champ de la future loi des entreprises ayant « un contact avec le public ou remplissant une mission d'intérêt général ou de service public. »
Nous serons tous bien d'accord, en s'armant d'un minimum de bonne foi, pour convenir que les circonstances sont le meilleur outil pour faire vivre la laïcité. Parce que nous touchons à un impératif vital pour notre communauté, qui évolue par nature et au fil du temps. Et nous pourrons même tous convenir ici du besoin de légiférer sur ce sujet, ce dont je ne désespère pas de convaincre Mme Bechtel.
À ce double titre, la proposition de loi d'Éric Ciotti lance opportunément le débat. La question est de savoir si la solution qu'il propose est la plus adaptée.
C'est ce dont il s'agit de discuter ensemble. Au-delà des principes généraux et des grandes déclarations de toute éternité, nous avons à trouver la bonne expression de ces principes.
Pour Edgar Faure, le véritable choix n'est pas le choix entre les idéaux, c'est le choix entre les moyens. Le mauvais choix des moyens est le véritable choix contre l'idéal.