Intervention de Cécile Untermaier

Séance en hémicycle du 6 juin 2013 à 9h30
Neutralité religieuse dans les entreprises et les associations — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Untermaier :

Dans une démocratie pluraliste comme la France, la liberté d'expression et la diversité doivent être respectées par les pouvoirs publics. Ces principes se manifestent par la reconnaissance de la liberté – la liberté de conscience, la liberté religieuse en particulier – garantie à toute personne, c'est-à-dire dans le droit d'avoir ou de ne pas avoir des croyances et des convictions. Cette liberté se matérialise dans le droit de les exprimer librement et notamment par le port de signes religieux ostensibles.

Contrairement à ce que soutient la proposition de loi discutée aujourd'hui devant vous, le port d'un signe religieux, fût-il un voile islamique, ne suffit pas à caractériser une attitude prosélyte. Le port d'un vêtement ou d'un insigne répondant à une pratique religieuse ou manifestant l'appartenance à une religion, à un parti politique ou à un mouvement philosophique ne constitue pas en soi un acte de prosélytisme. C'est ce qu'affirment conjointement le Conseil d'État, la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l'homme.

Par conséquent, si l'interdiction du port de signes religieux ostensibles se justifie dans le service public où le principe de laïcité doit évidemment primer sur toutes les convictions personnelles, y compris religieuses, rien ne justifie son extension au secteur privé, hormis des raisons sécuritaires ou sanitaires bien établies. Car, comme son nom l'indique, le secteur privé constitue un espace privé dans lequel la liberté doit pleinement s'exprimer. L'interdiction du port de signes ostensibles au travail participerait d'une société liberticide et intolérante en stigmatisant une fois encore, mais pas seulement, les femmes musulmanes. Or on sait combien ce type de législation renforce le communautarisme dans notre société au lieu d'instaurer une solidarité dont nous avons plus que jamais besoin. À quand un licenciement fondé sur la couleur de peau, l'origine, les convictions politiques au motif que les clients ou les collègues ne supportent pas cette différence ? Notre devoir n'est pas seulement de légiférer mais aussi d'apprendre à s'abstenir pour protéger la liberté inhérente à la sphère privée des citoyens.

Toutes les cours suprêmes se rejoignent d'ailleurs aujourd'hui pour garantir la liberté de conscience, la liberté religieuse, en particulier au travail. Aussi bien la Cour de cassation dans son arrêt « Baby Loup » de mars 2013 que la Cour européenne des droits de l'homme dans quatre espèces du 15 janvier 2013 ont affirmé avec force qu'une atteinte à cette liberté doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir. Cette atteinte doit être proportionnée au but recherché et ne peut constituer une fin en soi. Une interdiction trop générale et absolue ne manquerait pas d'être censurée par le Conseil constitutionnel attentif à cette exigence de proportionnalité. Avant de briser l'unanimité des cours suprêmes et l'équilibre qui résulte de la jurisprudence actuelle, réfléchissons aux nombreuses conséquences négatives qu'entraînerait une telle loi.

La loi n'est pas le remède à toutes les inquiétudes de notre société et ne peut servir de réponse incantatoire à tous les faits divers, aussi importants et médiatiques soient-ils. Écoutons les Français qui, d'après une étude très sérieuse de l'Observatoire du fait religieux en entreprise de Sciences Po Rennes, privilégient le dialogue et préfèrent maintenir la conciliation plutôt que de subir les contraintes unilatérales de la loi. Si plus d'un quart des managers de ressources humaines ont été confrontés au fait religieux, 80 % d'entre eux disent ne pas ressentir de malaise avec cette question qu'ils souhaitent gérer de manière pragmatique. Il était d'ailleurs surprenant d'entendre, ce matin, un candidat à la présidence du Medef, souhaiter une telle loi et dans le même temps se plaindre de l'inflation législative dans le code du travail.

Notre responsabilité de législateur nous impose donc de ne pas réagir de manière excessive et irréfléchie à cette question.

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