Intervention de Olivier Dassault

Séance en hémicycle du 6 juin 2013 à 9h30
Rétroactivité des lois fiscales — Présentation commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Dassault, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Je sais bien, c'est un peu excessif, mais enfin c'est un conseiller d'État qui le dit, ce n'est pas moi !

Les dispositions législatives ont proliféré dans le domaine fiscal en prenant différentes formes.

Certaines d'entre elles sont juridiquement rétroactives. La rétroactivité juridique s'entend d'une rétroactivité au sens strict : la loi fiscale s'applique alors à des faits générateurs d'imposition qui sont survenus avant son entrée en vigueur. C'est notamment le cas des lois de validation et d'interprétation.

D'autres dispositions législatives sont rétrospectives. Il s'agit de mesures de la loi de finances de l'année qui s'appliquent aux opérations survenues la même année, mais souvent bien avant l'adoption de cette loi. Une fiction juridique veut que le fait générateur de l'impôt survienne le dernier jour de l'année civile, pour l'impôt sur le revenu, et à la date de clôture de l'exercice, qui est le plus souvent fixée au 31 décembre, pour l'impôt sur les sociétés, de sorte que la loi de finances, promulguée en général un ou deux jours auparavant, s'applique à ce fait générateur de façon non-rétroactive.

Si, juridiquement, la loi de finances n'est pas rétroactive, il n'en demeure pas moins qu'elle est rétrospective puisqu'elle trouve à s'appliquer à des opérations survenues le plus souvent plusieurs mois auparavant, de sorte que, pour reprendre les mots d'un membre du Conseil d'État, devenu un éminent avocat fiscaliste, « le contribuable ignore, au moment où il accomplit l'acte générateur de revenu, quel sera le régime applicable ».

Ce suspense fiscal est déroutant pour les particuliers comme pour les entreprises. Il est d'autant plus étonnant qu'il n'est entretenu en France que depuis 1948. Auparavant dans notre pays, comme dans bien d'autres encore aujourd'hui, la loi fiscale applicable aux revenus, bénéfices et gains réalisés au cours de l'année N était celle en vigueur au 1er janvier de ladite année N.

Enfin, des dispositions législatives qui ne sont pas juridiquement rétroactives, parce qu'elles ne disposent que pour l'avenir, peuvent néanmoins être économiquement rétroactives dans la mesure où elles bouleversent le traitement fiscal des situations en cours, par exemple en supprimant pour l'avenir un avantage fiscal antérieurement institué pour une durée déterminée.

Parce qu'elles modifient les fondements sur lesquels les contribuables ont pris leurs décisions d'emploi, de production et d'investissement dans le passé, ces mesures constituent de véritables ruptures des engagements de l'État et trahissent la confiance légitime que nos concitoyens peuvent avoir dans leurs institutions et dans leurs représentants.

Cette rétroactivité aux multiples visages, pour reprendre la très juste expression de notre collègue Jean-Luc Warsmann, a contribué à placer la France au 169e rang des 185 pays étudiés en 2012 par le cabinet PricewaterhouseCoopers, en matière d'attractivité fiscale pour les entreprises. Selon l'OCDE, l'impossibilité d'avoir une vision exacte du régime fiscal et social applicable l'année suivante vient en tête des raisons avancées par les étrangers pour renoncer à un investissement en France. Et les créateurs de richesse quittent le territoire national pour investir chez nos concurrents – l'an passé, les départs de chefs d'entreprise vers l'étranger se sont multipliés par cinq –, tandis que ceux de nos concitoyens qui investissent encore leur épargne en France ne cessent d'interpeller les responsables politiques, les exhortant à inscrire dans la Constitution le principe de non-rétroactivité des lois fiscales.

Dans un contexte de crise économique et de concurrence fiscale acharnée, il est urgent de favoriser l'attractivité du territoire français et de restaurer un climat de confiance propice à l'afflux de nouveaux investisseurs ; ce n'est pas vous qui me direz le contraire, monsieur le ministre, et je suis heureux de vous voir hocher la tête.

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