Au final, sa décision peut se comprendre, tant la prohibition de la rétroactivité et de la rétrospectivité des lois fiscales relève d'une gageure, car elles s'avèrent nécessaires dans de nombreux cas. Il arrive, premièrement, qu'il faille surmonter les conséquences d'une décision de justice par les lois dites de « validation ». Ces lois fiscales rétroactives permettent de valider pour le passé des impositions qui, si leur légalité venait à être contestée devant le juge, seraient susceptibles de faire l'objet de décisions de décharges massives pouvant porter gravement atteinte aux intérêts financiers de l'État. Nous avons tous en tête l'exemple de 1993, lorsque la validation rétroactive des modalités de calcul de la puissance des moteurs a permis d'éviter que la vignette automobile se trouve privée de base légale, ce qui aurait annulé toutes les recettes fiscales qui y étaient liées.
Deuxièmement, les lois fiscales rétroactives, lorsqu'elles permettent une interprétation rétroactive, peuvent s'avérer utiles pour remédier au manque de clarté de textes antérieurs. Ces lois dites « d'interprétation » permettent, notamment, de faire échec à des comportements d'optimisation et d'évasion fiscales, sujet encore plus brûlant de nos jours.
Troisièmement, les lois fiscales rétroactives peuvent apparaître utiles, lorsqu'il s'agit de corriger les défauts techniques de dispositifs juridiquement valides. La loi de finances pour 1984 a ainsi rétroactivement exonéré les biens professionnels de l'impôt sur la fortune, car de grandes difficultés techniques se sont fait jour lors de la mise en oeuvre de l'imposition de ces biens au titre de l'ISF. Le recours à la rétroactivité a permis d'éviter l'abondant contentieux qu'aurait pu provoquer l'adoption d'une mesure d'exonération ne valant que pour l'avenir.
En tout état de cause, il nous paraît utile de souligner que la jurisprudence de la Cour de cassation, du Conseil constitutionnel, du Conseil d'État et de la Cour européenne des droits de l'homme nous paraît encadrer suffisamment la rétroactivité des lois fiscales, empêchant les abus manifestes. C'est ainsi que le Conseil constitutionnel prohibe l'instauration de sanctions plus sévères en matière fiscale et qu'il considère que la loi rétroactive doit être fondée sur un motif d'intérêt général suffisant. D'ailleurs, aux termes du rapport de maître Bruno Gibert remis en 2004 au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, « les dispositions fiscales rétroactives sont loin d'être systématiquement défavorables au contribuable. Ainsi, sur les 308 dispositions rétroactives répertoriées entre 1982 et 1999, 211 ont été favorables aux contribuables. La rétroactivité joue donc au bénéfice direct du contribuable dans près de 70 % des cas ».
Par ailleurs, nous apprenons désormais que le rapporteur souhaite, par voie d'amendement, prohiber la rétrospectivité des lois de finances. Pour prouver le caractère réalisable et souhaitable de cette disposition, on nous avance que c'est le cas aux États-Unis, sous réserve de certaines exceptions, et que, jusqu'en 1948, dans notre pays, la loi fiscale applicable aux revenus, bénéfices et gains réalisés au cours de l'année N était celle en vigueur au 1er janvier de ladite année N.
C'est à notre avis faire l'impasse sur les arguments développés par nombre d'experts en fiscalité, notamment Bruno Gibert, qui, dans le rapport précité, excluait toute remise en cause de la « rétrospectivité » des lois de finances car elle comporterait selon lui deux inconvénients : diminuer considérablement la réactivité de la politique fiscale et économique, en neutralisant en grande partie la capacité d'anticipation et d'intervention de l'État, et impliquer le prélèvement de l'impôt sur le revenu par retenue à la source, ce qui n'est évidemment pas le cas aujourd'hui.
Pour en revenir au fond politique de cette proposition de loi, même si l'aspect technique est prégnant, l'un des principaux arguments développé par notre rapporteur et par M. Accoyer concerne l'incidence de ces lois fiscales rétroactives sur l'attractivité de notre pays en matière fiscale.