Intervention de Annick Girardin

Séance en hémicycle du 6 juin 2013 à 9h30
Rétroactivité des lois fiscales — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnick Girardin :

La droite a gouverné sans discontinuer de 2002 à 2012, mais pas une seule de ces propositions de loi n'a été alors remise à l'ordre du jour. Il n'y a même pas eu un projet de loi sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, alors que lui-même avait été plus tôt l'initiateur d'une proposition de loi similaire à celle que nous examinons aujourd'hui. En dix ans, n'y aurait-il pas eu le temps d'examiner un tel projet de loi, un jeudi comme celui-ci par exemple ?

Au-delà des motivations politiques de cette proposition, nous ne pouvons ignorer l'agacement que suscitent chez nos concitoyens les changements de règles en matière de fiscalité.

Vos propositions de loi ont un mérite, monsieur le rapporteur : elles permettent au Parlement de reposer la question de la rétroactivité qui, contrairement à ce que vous laissez entendre, est encadrée. Ces débats nous rappellent qu'il faut limiter le recours à la rétroactivité des lois fiscales à de rares cas bien précis. Mais le constat et les solutions que vous présentez sont bien trop caricaturaux pour être approuvés par les députés du groupe RRDP.

Tout d'abord, le constat. En effet, le législateur n'est pas tenu de respecter l'article 2 du code civil, selon lequel « la loi ne dispose que pour l'avenir » et « n'a point d'effet rétroactif ». Notre hémicycle a ainsi pu adopter des dispositions fiscales rétroactives.

La France, vous avez raison, est souvent pointée du doigt pour la complexité de son système fiscal, mais il ne faudrait pas croire que les systèmes fiscaux des autres pays sont nettement plus limpides. Il est vrai aussi que l'équilibre est fragile entre, d'un côté, la nécessaire stabilité juridique et donc économique des lois fiscales et, de l'autre, l'impératif d'adapter les finances de l'État à la conjoncture.

Mais le trait dessiné par vos propositions est grossier car il prend insuffisamment en compte les garde-fous déjà existants. Il est inexact d'affirmer que la rétroactivité des lois fiscales n'a pas de limite. Elle reste contrainte par la jurisprudence. L'exposé des motifs des deux propositions de lois laisse planer le doute à ce sujet. Fort heureusement, votre rapport rend très bien compte de la situation actuelle et vous confirmez le renforcement de la jurisprudence dans ce domaine. Ainsi, le Conseil constitutionnel encadre déjà la rétroactivité des lois de validation. Pour être acceptables, ces lois ne doivent pas remettre en cause des décisions de justice et doivent répondre à un but d'intérêt général suffisant.

Par ailleurs, la rétroactivité des lois fiscales ne provoque pas que des méfaits. Son premier bénéfice, c'est de pouvoir être favorable aux contribuables. Comme vous l'indiquez dans votre rapport, les dispositions fiscales rétroactives sont, dans 70 % des cas, en faveur des contribuables. Il serait dommage de priver nos concitoyens de telles réductions d'impôts.

En ces temps difficiles, il est pertinent de favoriser l'attractivité de notre territoire par le biais d'une fiscalité stabilisée. C'est d'ailleurs ce à quoi s'est engagé le Président de la République en affirmant qu'il ne remettrait pas en cause plusieurs dispositifs fiscaux lors de son quinquennat. Les députés radicaux saluent et soutiennent cet engagement.

Toutefois, la crise économique et, en particulier, la crise sur les dettes souveraines montrent qu'il est nécessaire, dans une certaine mesure, d'accorder au législateur une certaine marge de manoeuvre et d'adaptation en matière budgétaire et fiscale. Par le biais de cette rétroactivité, il nous est permis de prendre en compte les besoins spécifiques à un moment donné. Les lois de validation visent à garantir les intérêts financiers de l'État en corrigeant les défauts techniques des textes. Les lois interprétatives permettent de remédier au manque de clarté d'un texte. Enfin, la rétroactivité des lois fiscales aide à éviter les effets indésirables qui pourraient sinon apparaître entre le moment où la loi est annoncée et celui où elle entre véritablement en vigueur.

Ce nécessaire besoin de marges de manoeuvre, vous l'avez très bien compris, monsieur le rapporteur, en précisant vous-même qu'une disposition pourra avoir une portée rétroactive lorsque l'intérêt général l'exige. Vous n'hésitez pas non plus à prévoir une dérogation pour les seules impositions indirectes, c'est-à-dire celles qui ont les plus petits effets redistributifs.

Le constat invite à la prudence, les solutions préconisées aussi. Il est proposé de restreindre purement et simplement la rétroactivité des lois fiscales à l'exception de certains cas. Soit on restreint ces cas d'exception, comme votre proposition de loi organique initiale le propose, et on met alors à mal les avantages que je viens d'évoquer, soit on augmente ces cas d'exception, comme vous l'avez proposé par voie d'amendement en commission des lois, et le texte n'a plus d'intérêt puisque les dispositions sont déjà vérifiées.

Plutôt que la rétroactivité des lois fiscales, n'est-ce pas le changement fréquent de politique fiscale qui est critiqué par les contribuables ? N'est-ce pas sur ce point que devraient converger nos efforts ? Il faut alors bien distinguer deux types d'évolution dans la fiscalité.

La première, ce sont les modifications des lois fiscales qui interviennent lors d'un changement de majorité ou même, plus généralement, à la suite de nouvelles élections générales. Ces modifications doivent pouvoir avoir lieu. Autrement, les politiques publiques seraient figées dans le marbre. Alors que l'on cherche à atteindre des budgets en équilibre, voici qu'un gouvernement qui prendrait des engagements sur cinq ans avant de quitter le pouvoir interdirait toute possibilité à ses successeurs de remettre ses politiques en cause. Des mesures telles que le bouclier fiscal, qui ont été massivement rejetées par nos concitoyens, ne sauraient être abrogées à partir du moment où leur durée aurait déjà été déterminée. Ce serait la fin de la démocratie, l'immobilisme permanent, le règne du conservatisme.

On prendrait ainsi le risque que des gouvernements fassent supporter aux gouvernements futurs des engagements actuels. Pour éviter les dérives, il faudrait renoncer à tout engagement futur de l'État. Cela empêcherait l'émergence de projets continus et toute initiative sur plusieurs années, alors même que nous élaborons et cherchons à respecter des budgets et des plans pluriannuels. L'entrée en vigueur de votre texte serait risquée pour le long terme. La dette laissée par nos prédécesseurs est déjà suffisamment lourde à gérer.

Il y a donc le changement de politique d'un côté, qui requiert des ajustements pour faire vivre la démocratie, mais il y a aussi, et c'est bien plus problématique, les retournements de politique fiscale au sein d'un même gouvernement. Les acteurs économiques peuvent anticiper des modifications de fiscalité d'un gouvernement à l'autre, mais comment peuvent-ils prévoir qu'une même équipe dirigeante supprime une année ce qui a été construit l'année précédente ? Ce sont ces coups de volants excessifs auxquels il faut renoncer.

De ce point de vue, l'ancienne majorité est largement responsable du sentiment d'instabilité fiscale qui peut se faire jour dans notre pays. La précipitation a trop souvent conduit l'ancien gouvernement à revenir en arrière seulement un ou deux ans plus tard.

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