Ces raisons justifient pleinement la motion de rejet préalable que nous présentons.
Le recours à la loi organique est juridiquement contestable. Une large partie des constitutionnalistes penchaient pour considérer qu'une réforme de la Constitution était nécessaire afin de traduire le traité et la règle d'or en droit interne, avant que le Conseil constitutionnel n'avalise le passage en force du Gouvernement. La vice-présidente de l'association des constitutionnalistes français jugeait même « incroyable » qu'une réforme constitutionnelle ne soit pas requise par les neuf sages.
Je maintiens la position que j'ai exprimée ici lors de l'examen du traité budgétaire européen : le Conseil constitutionnel a rendu le 9 août dernier une décision politique, malgré les transferts de souveraineté bien réel contenus dans ce traité et la modification du fonctionnement de nos institutions.
Comment ne pas percevoir dans sa décision une lecture pour le moins alambiquée du texte du traité qui, en tordant les mots et la syntaxe, parvient à esquiver le retour devant le peuple souverain ?
Suivant les desiderata du Gouvernement autant que leurs propres convictions idéologiques, les sages ont construit leur raisonnement juridique pour parvenir à une fin déterminée à l'avance : éviter une réforme constitutionnelle.
Un tel raisonnement a peu à voir avec un jugement en droit : c'est un jugement d'opportunité politique. Doit-on s'en étonner, de la part d'une institution composée d'anciens membres de la Commission européenne, d'initiateurs et de rédacteurs des traités européens ? Il n'est pas exagéré d'affirmer que, dans cette décision du 9 août, le Conseil constitutionnel était juge et partie.
Doit-on souligner que, nommés du fait du Prince par les deux formations majoritaires, ils partagent depuis des décennies une vision convergente de l'Europe et de l'économie ? Qualité et probité de ses membres mises à part, les constitutionnalistes du monde entier s'accordent pour considérer notre cour constitutionnelle comme une bizarrerie démocratique, tant dans son fonctionnement que par sa composition. Cette décision vient une nouvelle fois le prouver.
En résumé, nos institutions marchent sur la tête : le Conseil constitutionnel met de la politique là où devrait régner le droit et le Haut Conseil des finances publiques, du droit là où devrait s'exprimer le politique.
L'affaiblissement du politique et l'émergence d'un pouvoir technocratique menacent la République et notre démocratie. Il est extrêmement périlleux de construire l'Europe et de conduire la France contre les peuples et leurs représentants.
Parce que nous sommes attachés à une Europe politique, fondée sur la démocratie et le progrès social, nous refusons l'aveuglement technocratique de l'Union européenne qui dépossède les peuples de leur destinée pour la confier à des experts.
Je sais que les membres de la majorité gouvernementale puisent une partie de leurs références intellectuelles et politiques dans l'oeuvre de Pierre Mendès France. Je les invite donc à relire le discours qu'il prononçait dans cet hémicycle en janvier 1957, lors du débat sur la ratification du traité de Rome.