Intervention de Jérôme Cahuzac

Séance en hémicycle du 8 octobre 2012 à 15h00
Programmation et gouvernance des finances publiques — Motion de rejet préalable

Jérôme Cahuzac, ministre délégué chargé du budget :

Monsieur le député, je crains que nous n'ayons pas la même lecture, non seulement du projet de loi organique dont nous discutons, mais peut-être aussi du rôle des différentes institutions. Après tout, discutons-en.

D'abord, nous n'avons pas la même lecture de la décision du Conseil constitutionnel. Vous y voyez une décision politique. Pour ma part, je veux respecter cette institution, qui n'a pas à rendre de décisions politiques. Je regrette que vous considériez avec un peu de désinvolture, peut-être, ce que je vous dis. Autant il me paraît normal que le Conseil constitutionnel respecte le Parlement, autant je crois utile que le Parlement respecte les décisions du Conseil constitutionnel.

On connaît les modalités de nomination de ses membres, et on sait ce qu'ont été, par le passé, ces désignations. Je veux croire qu'aujourd'hui la procédure de nomination au Conseil constitutionnel transcende ces épisodes passés et les différentes convictions personnelles, pour que ses membres se mettent au service exclusif du respect de notre Constitution. Telle est ma lecture de cette décision.

Nous n'avons pas non plus la même lecture du rôle du Parlement. Vous y voyez une institution saisie de façon presque abusive d'une question qui, selon vous, devrait être tranchée par le peuple. Il me semble que cet argument doit être manié avec précaution. Vous contestez à des députés dont la légitimité est particulièrement récente la possibilité, le droit, de décider précisément au nom du peuple ! Ainsi, en fonction de l'importance de telle ou telle décision, seul le peuple serait souverain, et les députés illégitimes ? Je n'ai pas, pour ma part, cette lecture du rôle du Parlement – en tout cas, de l'Assemblée nationale.

Vous êtes dans cette maison depuis plus longtemps que moi, vous l'avez fréquentée plus souvent. Je me permets néanmoins de tenir ces propos devant vous, et de vous rappeler un exemple qui, peut-être, fera évoluer les uns et les autres dans leur choix. Le Parlement a pu, par le passé, adopter des textes que vraisemblablement le peuple n'aurait pas adopté par voie référendaire. Vous voyez très bien que je fais allusion à l'abolition de la peine de mort. Cela me remet en mémoire la fameuse phrase de Victor Hugo selon laquelle la foule est l'ennemie du peuple. Ne confondons pas l'un et l'autre.

Nous n'avons pas la même lecture de ce projet de loi organique. Vous y voyez des prescriptions impératives quand j'y vois des procédures. Veuillez me dire, monsieur le député, quels articles dans ce texte contraignent le Gouvernement, et quels autres mettraient le Parlement en situation de sujétion par rapport à l'exécutif ou par rapport au Conseil constitutionnel ? Il n'y en a pas ! Vous l'avez d'ailleurs dit vous-même, ce qui confirme que nous n'avons pas la même lecture du rôle du Haut Conseil des finances publiques. Vous avez vous-même dit qu'il est consulté pour donner des avis. Or des avis ne sont pas des décisions. Dès lors que le législateur fait le droit, les mots ont un sens. Le Haut Conseil des finances publiques donnera un avis, mais il ne prescrira rien, ni au Gouvernement, ni au Parlement. Le Gouvernement garde sa liberté, le Parlement sa souveraineté. Le Gouvernement proposera, le Parlement disposera.

Nous n'avons pas la même lecture des déficits publics. J'ai craint avoir entendu dans votre bouche comme une définition de ceux qui seraient à gauche et de ceux qui ne le seraient pas : les premiers accepteraient de s'endetter quand les autres y verraient non seulement une pénalisation pour les temps présents, mais une injure aux temps futurs. Nous ne partageons pas cette lecture. Je vois, pour ma part, dans l'endettement un abaissement de notre pays, un abandon de souveraineté, un impôt à la naissance pour nos enfants et nos petits-enfants qui n'en peuvent mais. J'y vois aussi un handicap en termes de compétitivité, tant il est vrai qu'à force de s'endetter les taux d'intérêt montent et les entreprises finissent par emprunter trop cher. On ne connaît pas d'entreprise pouvant emprunter à des taux inférieurs à ceux auxquels emprunte le pays.

Ces trois raisons-là ne nous sont pas commandées par quiconque à l'extérieur de nos frontières, voire même à l'intérieur, mais par le fait d'assurer notre destin, car il est de notre devoir de nous libérer de cette emprise des marchés auxquels nous devons emprunter pour la protection sociale, pour l'État, parfois même pour les collectivités territoriales. Nous devons impérativement supprimer cet impôt à la naissance qu'est l'endettement, et nous devons penser à la compétitivité de nos entreprises.

Si nous pouvons avoir des lectures communes d'autres projets, nous n'avons donc pas du tout la même lecture de ce texte. En conséquence, vous comprendrez, monsieur le député, que j'espère ardemment que l'Assemblée nationale ne donnera pas suite à votre motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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