Le projet de budget pour 2014 est le premier du nouveau cadre financier pluriannuel pour 2014 - 2020, au sujet duquel je vous rappelle que nous avons, Marc Laffineur et moi-même, présenté des analyses divergentes en novembre dernier. Le groupe socialiste estime en effet qu'il convient d'avoir des budgets augmentés pour pouvoir avoir des effets de levier au niveau européen.
En tant que premier budget du cadre financier pluriannuel pour 2014-2020, le budget pour 2014 est un « budget test », car il donne une traduction concrète de l'accord intervenu entre le Conseil et le Parlement européen. Il doit en effet notamment indiquer quels financements sont prévus pour quels programmes.
Le cadre financier pluriannuel a fait l'objet d'un accouchement dans la douleur. Le Parlement européen va finir par l'adopter, après avoir beaucoup contesté les montants retenus, car il a obtenu plusieurs avancées, dont une plus grande flexibilité, une clause de révision et une concentration des investissements sur les politiques d'avenir. Je voudrais d'ailleurs rappeler la très bonne intervention du président de la commission des budgets du Parlement européen, Alain Lamassoure, qui a souligné que le cadre financier pluriannuel n'a pas réussi à faire ressortir l'intérêt communautaire et s'est fini par une succession de « confessionnaux bilatéraux » avec un seul objectif : obtenir des taux de retour satisfaisants. Cela ne va pas dans le sens d'une vraie dynamique pour un vrai projet européen, solidaire et massif dans ses interventions et ses résultats.
C'est également un « budget test » parce qu'il est le premier budget où les nouvelles compétences prévues pour les deux branches de l'autorité budgétaire par le traité de Lisbonne, en particulier la reconnaissance du Parlement européen comme co-décideur du budget, vont pouvoir être mises en oeuvre dans un nouveau cadre financier pluriannuel. On va voir quelle sera l'évolution des relations entre la Commission européenne, le Conseil et le Parlement européen.
Le projet de budget pour 2014 est à l'image du cadre financier pluriannuel pour 2014 - 2020. Dès lors que l'on n'est pas satisfait du nouveau cadre financier pluriannuel, on ne peut l'être du projet de budget pour 2014.
Avec 142 milliards d'euros en engagements et 136 milliards d'euros en paiements, il en diminution par rapport à 2013. C'est d'ailleurs traditionnellement le cas lorsqu'il s'agit du premier budget du nouveau cadre financier pluriannuel, car il y a de nouveaux programmes, de nouveaux cadres opérationnels et de nouvelles bases légales à mettre en place. Mais, en l'espèce, les baisses sont particulièrement importantes puisqu'elles s'établissent à moins 5,8 % en engagements et en paiements.
Ce projet de budget représente donc 1,05 % du revenu national brut (RNB) en engagements, contre 1,15 % en 2013, et 1,01 % en paiements, contre 1,1 % en 2013, alors que les traités autorisent une mobilisation jusqu'à 1,24 % du RNB.
Comme j'avais déjà eu l'occasion de le souligner lors de notre examen du projet de cadre financier pluriannuel pour 2014 - 2020, je m'inquiète vraiment de la capacité de l'Union à relever, avec ces niveaux de budget, les défis auxquelles elle est confrontée en matière de croissance économique, de compétitivité et de solidarité et à assumer les nouvelles compétences qui lui ont été confiées par le traité de Lisbonne. Comment fait-on avec de nouvelles compétences, un nombre renforcé d'États membres – la Croatie depuis le 1er juillet et bientôt la Serbie, qui a reçu vendredi une date pour commencer les négociations, voire les autres pays des Balkans – et un budget en baisse ? L'équation est difficile à résoudre. Ces négociations reflètent l'absence de choix fait entre approfondissement et élargissement. J'ai le sentiment qu'on s'oriente de plus en plus vers une Union « routine » plutôt que « locomotive » et je m'en inquiète vraiment.
Par ailleurs, le projet de budget pour 2014 n'est pas soutenable. Il présente en effet un défaut manifeste de cohérence entre le niveau des engagements et le niveau des paiements.
Pour la première fois, la Commission européenne propose une marge très basse, de 529 millions d'euros, par rapport au plafond fixé dans le cadre financier pluriannuel pour les engagements, et une marge quasi-nulle, de 200 000 euros, sur les paiements. Aller jusqu'au plafond signifie concrètement qu'on n'a pas les moyens de mobiliser des instruments de flexibilité, notamment les dispositifs d'urgence qui sont activés en cas de catastrophes naturelles.
Pour la première fois, et j'insiste sur ce point, la Commission européenne estime par avance qu'il manque 15 milliards d'euros dans le projet de budget. Est-ce un jeu de dupes ou une démonstration par l'absurde de la part de la Commission européenne ? Le jeu de rôles qui s'installe entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil n'est pas sain.
La Commission européenne annonce en outre que son projet de budget est construit en partant de l'hypothèse que tous les crédits demandés en cours d'année 2013 seront bien ouverts. Ce qui n'est pas le cas à ce stade, puisque le Conseil a seulement consenti à l'ouverture de 7,3 milliards d'euros sur les 11,2 milliards demandés par la Commission européenne.
Elle présente enfin son projet en soulignant qu'il n'y a pas matière à couper, que, je cite, « les coupes ont d'ores et déjà été effectuées par le Conseil européen et qu'il y a uniquement matière à ajouter des crédits » !
Bref, ce budget n'est pas ni soutenable ni sincère. Nous pensons que la Commission européenne, déçue par les montants retenus pour le cadre financier pluriannuel, voulait mettre le Conseil devant ses responsabilités, en fragilisant le premier exercice budgétaire du cadre financier pluriannuel.
Chacun semble d'ailleurs vouloir pratiquer la politique du pire, puisque, si la position du Conseil sera définitivement fixée le 2 septembre prochain, le COREPER a validé à la quasi-unanimité, le 18 juillet dernier, des coupes à hauteur de 241 millions d'euros en engagements et de 1 061 millions d'euros en paiements, afin de restaurer des marges.
J'en viens maintenant aux points positifs. La priorité de ce projet de budget est le soutien à la croissance et à l'emploi. Seules deux rubriques voient ainsi leurs engagements progresser : la rubrique 1°A qui regroupe les crédits en faveur de la croissance et de l'emploi et la rubrique 5 qui rassemble les dépenses administratives. J'y reviendrai.
Les engagements de la rubrique 1°A progressent en effet de 3,3 %. Il s'agit ainsi d'accompagner la montée en puissance des grands projets d'infrastructures que sont Galileo, ITER et Copernicus. La priorité a ainsi nettement été donnée à Galileo, qui devrait bénéficier d'1,3 milliard d'euros en engagements et 1,2 milliard en paiements. Le programme de recherche Horizon 2020 devrait recevoir une dotation inférieure à celle de 2013, mais augmenter fortement les années suivantes. Il convient de souligner que, à la demande du Parlement européen, la Commission européenne va amender son projet afin de de garantir un financement accéléré des programmes Horizon 2020, Erasmus et COSME – qui vise à renforcer la compétitivité des PME. Ainsi, 400 millions d'euros devraient être concentrés en début de programmation financière.
La politique de cohésion pâtit fortement de la politique de réduction globale présentée par la Commission européenne puisque ses engagements baissent de 13 %. Le fait saillant est la traduction budgétaire des 6 milliards d'euros en faveur de l'initiative pour l'emploi des jeunes souhaités par le Conseil européen à l'initiative du couple franco-allemand. Sur ces 6 milliards d'euros, 3,4 milliards sont prévus en 2014 et 2,6 milliards en 2015. Sur les 3,4 milliards prévus en 2014, la moitié est prise en charge par le Fonds social européen (FSE) et l'autre moitié par une enveloppe spécifique. En outre, 365 millions d'euros sont prévus pour l'aide aux plus démunis, bien loin des 500 millions d'euros des années précédentes.
Les dépenses agricoles sont globalement stabilisées. Si celles en faveur du développement rural baissent, celles en faveur de l'environnement et de la pêche augmentent de, respectivement, 10,3 % et 3 %, ce dont on peut se féliciter.
En revanche, les engagements des rubriques 3, sécurité et citoyenneté, et 4, l'Europe dans le monde, diminuent respectivement de 9,4 et 12,5 %, alors qu'elles incarnent l'Europe et permettent de rapprocher les citoyens de l'Union.
La rubrique 5, qui recouvre les dépenses administratives, augmente elle de 2,1 %. Cette augmentation résulte principalement de l'évolution des pensions, mais également de la masse salariale, ainsi que de l'adhésion de la Croatie. À noter que, si l'on ne tient pas compte des embauches nécessitées par l'adhésion de la Croatie, l'ensemble des institutions réduisent leurs effectifs de 1 %, à l'exception du Parlement européen. Compte tenu du mode de fonctionnement actuel du triangle institutionnel, nous ne pouvons que nous en réjouir.
L'évolution des paiements est particulièrement inquiétante. En effet, sur les 136 milliards d'euros demandés, 52 % vont couvrir des engagements restant à liquider des précédentes programmations financières, 40 % sont directement associés à des engagements et seuls 7,9 % sont des paiements affectés aux programmes 2014 - 2020. Il est normal que ce type de paiement soit minoritaire en début de cadre financier pluriannuel, mais, là, on atteint un niveau particulièrement bas et inquiétant.
Par ailleurs, même si plus de la moitié des paiements a vocation à couvrir le reste à liquider (RAL), celui-ci, qui s'élevait à 218 milliards d'euros fin 2012, soit 2,6 années de paiement, ne devrait toujours pas être résorbé. Je le répète : les RAL sont un vrai sujet budgétaire.
Il conviendra en conséquence d'augmenter fortement les paiements en 2015 pour éviter une accumulation rapide du RAL pour les nouveaux programmes et de mettre pleinement en oeuvre les nouveaux instruments de flexibilité, en matière de reports notamment.
Quelques mots enfin sur la position que le Conseil devrait entériner au début du mois de septembre. Les coupes proposées par le Conseil sont contraires aux engagements politiques pris ces derniers mois. Dans un exercice marqué par l'ambiguïté, les représentants des États membres proposent en effet des coupes qui portent principalement sur les grands projets – Galileo, ITER et Copernicus –, sur lesquels nous sommes pourtant liés par des engagements internationaux, les dépenses de soutien du programme Horizon 2020, les projets de transport, la politique de cohésion en faveur des régions les plus développées et des régions en transition, pour lesquelles la France s'était battue, la politique de la pêche et les dépenses de l'administration.
D'une manière générale, le Conseil, dans ses coupes, cible les dépenses administratives plutôt que les dépenses opérationnelles. Il convient pourtant de ne pas couper de manière aveugle les moyens de l'administration qui est chargée de la mise en oeuvre efficiente des programmes. Au total, le message de soutien à la reprise que l'Union souhaite porter depuis quelques mois sort très brouillé du COREPER.
Pour sa part, la France a cherché à préserver ses intérêts en matière agricole, au détriment de la pêche comme toujours.
En conclusion, ce projet de budget et les premiers positionnements du Conseil augurent mal de la capacité de l'Union européenne à assumer pleinement ses compétences en 2014 et au-delà. En ce sens, ce projet de budget est la parfaite illustration de la situation de l'Union européenne aujourd'hui, qui apparaît congestionnée, ayant atteint ses limites, réduite à partager euro par euro entre ses différents programmes plutôt qu'à envisager de nouveaux modèles de développement ou à répondre aux urgences des situations vécues par ses habitants. Le budget est l'instrument du projet. On s'aperçoit qu'il y a un vrai appauvrissement du projet européen, peut-être aussi parce qu'il y a une absence de renouvellement du portage du projet européen, y compris, au niveau de la Commission européenne qui est elle-même à bout de souffle. On voit bien, par le budget, qu'on a un projet européen qui est à bout de souffle. Au total, les choses ne vont pas dans le bon sens.
J'en viens à la proposition de conclusions. Nous ne pouvons que prendre acte du projet de budget de la Commission européenne. Nous notons que la Commission européenne doit présenter un budget sincère.
Nous rappelons que le budget européen est un budget d'investissement, qu'il peut en conséquence jouer un effet de levier sur nos politiques nationales. Nous insistons plus particulièrement sur la nécessité d'octroyer des moyens accrus au programme cadre pour la recherche et l'innovation «°Horizon 2020°». On ne peut pas dire qu'il y a un sujet sur la recherche en France et ne pas aller vers les programmes européens. Nous rappelons en outre que l'Union européenne doit assurer le financement adéquat des grands projets d'infrastructures, en particulier ceux pour lesquels elle a pris des engagements internationaux.
Nous nous félicitons de la concentration des financements de l'Initiative pour l'emploi des jeunes en 2014 et 2015, qui doit permettre d'apporter une réponse rapide au chômage qui touche massivement les jeunes. Nous demandons à la Commission européenne de présenter au plus vite sa proposition de concentration des financements en début de cadre financier pluriannuel, à hauteur de 400 millions d'euros, en faveur de la recherche, du programme Erasmus et du programme COSME. Nous souhaitons que la Commission européenne veille à ce que les modalités de la méthode de « concentration des financements », qui constitue une nouvelle forme de flexibilité, ne portent pas préjudice à la mise en oeuvre des autres projets de l'Union.
Nous estimons que, si elle est conforme au projet de cadre financier pluriannuel, la dotation proposée par la Commission européenne au titre du FEAD est insuffisante.
Nous demandons que soient préservés les budgets en faveur de la pêche, de la justice et de la politique étrangère. Les autorités européennes insistent sur la politique européenne de défense et sur l'intervention au Mali, mais ne prévoient pas de moyens financiers allant en ce sens.
Nous soulignons la nécessité de prévoir une évolution ordonnée entre les engagements et les paiements. S'engager, c'est payer.
Nous nous inquiétons sur le fait que les crédits de paiement relatifs aux programmes 2014 - 2020 ne représentent que 7,9 % du total des crédits de paiements prévus dans le projet de budget pour 2014, ce qui constitue un niveau particulièrement bas pour la première année d'un cadre financier pluriannuel.
Nous appelons à nouveau l'attention des institutions européennes sur la nécessité d'étudier toutes les pistes afin de mieux appréhender l'évolution des paiements et de résoudre la question du reste à liquider.
Enfin, nous réaffirmons notre volonté de voir le budget de l'Union européenne doté de véritables ressources propres. J'insiste sur ce point, car vous avez vu l'évolution de la position allemande, qui est favorable à la taxe sur les transactions financières à condition qu'elle ne soit pas une ressource propre européenne.