Intervention de Marie-Françoise Bechtel

Séance en hémicycle du 8 octobre 2012 à 21h30
Programmation et gouvernance des finances publiques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Françoise Bechtel :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici donc, avec ce projet de loi organique, au coeur du dispositif de mise en oeuvre de nos engagements européens.

À cette heure tardive, nous avons pu entendre d'ardents discours en sa faveur et de non moins ardents – quoique moins nombreux – discours en sa défaveur. Si beaucoup d'entre eux portaient sur le contexte plutôt que sur le texte, je tenterai l'exercice de m'en tenir à celui-ci, je tenterai d'évaluer l'équilibre des traits négatifs et des traits positifs avec le moins de préjugés possibles, mais certainement avec des préjugés tout de même.

Tout d'abord, je prends acte de ce que le texte s'insère clairement dans la hiérarchie des normes : au-dessus, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance ; au-dessous, la loi de programmation, qu'il appartiendrait donc au législateur de modifier le cas échéant, ce dont, à mon sens, il y a plutôt lieu de se réjouir.

Nous ne sommes pas, en effet, de ceux qui se désolent de ce que la règle d'or ne soit pas inscrite dans la Constitution. Nous saluons au contraire la volonté du Président de la République de ne pas inscrire dans le marbre une règle sur laquelle nul ne sait aujourd'hui s'il n'y aura pas lieu de revenir demain, du moins en certains de ses éléments. C'est donc un acquis.

Il est donc regrettable que la souplesse qui seule peut être de mise en de telles matières débouche sur des règles rigides, tenant la main du législateur à toutes les étapes de la procédure sans guère laisser de porte ouverte à l'intelligence du moment.

Avec ce dispositif, nous passons en quelque sorte de l'ère de la photographie, qui était celle du pacte de stabilité, lequel se bornait à constater un déficit à l'instant t, à l'ère du cinéma, puisque c'est l'évolution même de nos finances publiques qui fera désormais l'objet de la vigilante attention de nombreuses fées, tant nationales qu'européennes, qui auront leur mot à dire à des stades différents.

Ce changement de méthode, qui est le produit d'aléas successifs dans les relations des États membres, pouvait conduire en principe à un dispositif moins mécanique, moins rigide et moins attentatoire au libre choix du législateur que ne l'est le six-pack avec lequel, soit dit en passant, se posera inévitablement un jour un problème de compatibilité. Il faut en effet prendre acte que nous sommes devant un projet de loi que les ministres ont qualifié de procédural.

Cette assertion intéressante mérite toutefois un tempérament. Certes, la loi organique indique selon quels critères et quel tempo les obligations issues du traité seront mises en oeuvre. Cependant, la règle d'or fixée par le traité est bien la référence autour de laquelle s'organise l'ensemble du texte. Sans elle, d'ailleurs, il n'eût pas été nécessaire du tout d'avoir recours à une loi organique, porte de sortie obligeamment ouverte par le Conseil constitutionnel. Mais si cette porte de sortie est ouverte, c'est donc bien qu'il existe une autre exigence qui surplombe les règles de procédure nouvelles, car on n'invente pas une procédure sans motif. Cette exigence, qui est, quant à elle, une exigence de fond, est celle qui a été formulée dans la règle d'or. Bien sûr, la règle d'or n'est en somme pas plus visible que ne l'est pour les passagers du paquebot la boussole du commandant de bord ou le compas qui permet de définir la trajectoire, mais boussole et compas sont bien omniprésents dans ce texte. Ce sont eux qui déterminent le cap, c'est-à-dire l'objectif à moyen terme, la navigation – la trajectoire des finances publiques –, ainsi que la rectification des écarts lorsque le navire dévie de sa route, par le mécanisme de correction.

On peut, enfin, regretter que les éléments de souplesse que permettait la méthode intergouvernementale retenue par le traité n'aient pas été suffisamment exploités. Deux soupapes existaient en effet dans le traité, qui eussent pu donner lieu au moins à une déclaration assortissant ce même traité, mais je n'ignore pas que c'eût été rouvrir la négociation.

Tout d'abord, la définition des éléments du solde structurel aurait pu laisser en dehors du calcul du déficit un certain nombre de dépenses d'investissement contraintes, telles le budget militaire, qui est sans commune mesure d'un pays à l'autre et qui obère naturellement plus gravement nos finances.

La seconde soupape était dans la définition des « circonstances exceptionnelles » permettant de s'affranchir des rigueurs de la règle d'or. Elles sont définies de manière très restrictives et eussent mérité d'être définies de manière plus large.

Aucune de ces voies n'a même été explorée. Nous aboutissons donc à un dispositif qui souffre de graves défauts dont le principal sera peut-être les difficultés de sa mise en oeuvre, tant il est vrai, pour détourner Bergson, qu'un excès de mécanique compromet les défis du vivant. Lorsqu'il faudra expliquer à des citoyens désabusés, maltraités par l'austérité et surtout, surtout, privés de l'horizon de la prospérité qui a toujours été le moteur de notre société, que la rigidité des règles l'emporte sur les besoins de cette même société, la tâche sera difficile.

Monsieur le ministre, en raison de l'étroite solidarité entre tous les éléments du dispositif – traité, loi organique, loi de programmation –, les députés du MRC ne pourront se prononcer en faveur de cette loi organique, pas plus qu'ils ne l'ont fait pour le traité. Nous ne souhaitons pas, ce faisant, méconnaître les difficultés que doit affronter le Gouvernement, mais cette loi est finalement une occasion manquée de mener des politiques en phase avec le réel. Cela se verra bien un jour.

Peut-être, ce jour-là, notre gouvernement ne trouvera-t-il pas si dommageable qu'une partie de sa majorité l'ait mis en garde et ait en quelque sorte, par là, préservé l'avenir, ce qui, par des voies différentes, est notre préoccupation à tous.

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